Le 4 novembre, deux chercheurs embarqueront pour « l'archipel de la désolation », en plein océan Indien. L'enjeu de l'expédition ? L'étude des poussières de nutriments indispensables aux microalgues qui absorbent une part du CO2 atmosphérique. Fin septembre, à Créteil, en région parisienne. Alors que leur matériel vient de partir en direction de l'archipel des Kerguelen, au sud de l'océan Indien, Rémi Losno et Sylvain Triquet achèvent les derniers préparatifs pour une mission pas comme les autres. Soutenus par l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, ces chercheurs du Laboratoire inter-universitaire des systèmes atmosphériques (Lisa) (Laboratoire CNRS Universités Paris 7 et 12)se sont en effet fixé un objectif ambitieux : mesurer sur une année l'intensité des retombées dans l'océan de… grains de poussière. Mais pas n'importe lesquels : il s'agit des fines particules en suspension dans l'air contenant des micronutriments susceptibles de provenir des terres patagoniennes (Amérique du Sud), sud-africaines et australiennes. Dans quel but ? En fait, avec les remontées d'eau à partir du plancher océanique, les poussières continentales transportées par l'air représentent une source de micronutriments indispensable aux microalgues formant le phytoplancton à la surface des océans. Or, ces dernières, au premier rang desquelles les diatomées, absorbent du CO2 par photosynthèse, diminuant d'autant la quantité atmosphérique de ce gaz à effet de serre impliqué dans le réchauffement climatique. « Mais les continents ne représentent que 19 % de la surface de l'hémisphère Sud, explique Rémi Losno. Alors quelle est la proportion de cette source de micronutriments à l'origine d'une véritable pompe à CO2 dans cette partie du monde ? Quelles sont les différences avec l'hémisphère Nord ? Y a-t-il des variations saisonnières ? Quel est l'impact des facteurs climatiques sur le cycle des poussières ? Nous en saurons plus grâce à nos mesures. » L'objectif à moyen terme est ambitieux : si les données recueillies concordent avec les mesures que les chercheurs envisagent de réaliser d'ici à 2010 sur l'île du Crozet à 1 000 km à l'ouest des Kerguelen, mais aussi avec les hypothèses de base des modèles mathématiques simulant le phénomène, les résultats des mesures de dépôts atmosphériques pourraient alors être extrapolés à tout l'hémisphère Sud ! Une chose est sûre : cet archipel subissant la dictature océanique au large des cinquantièmes hurlants, à plus de 3 800 km de toute côte continentale hors Antarctique, semble bien être le lieu d'étude idéal. Afin d'y recueillir les précieux nanogrammes de matière, les chercheurs ont mis au point un procédé ingénieux à base de collecteurs de particules. Ceux-ci seront installés à l'ouest de la péninsule Courbet, à plus de cinq heures de marche de la base scientifique de Port-aux-Français. Sous le regard des albatros, manchots et autres éléphants de mer, des pompes de 40 W seront alimentées par une éolienne marine et un panneau photovoltaïque. Elles seront capables d'aspirer pas moins de 100 m3 d'air tous les cinq jours à travers un filtre en polycarbonate de seulement 5 cm de diamètre, de 10 micromètres d'épaisseur et aux pores de 0,45 micromètres ! D'autres collecteurs seront quant à eux constitués d'entonnoirs en matériau résistant et inerte (téflon) alimentant des bouteilles où seront réunis les dépôts atmosphériques. « Notre contrainte numéro un sera d'éviter toute contamination !, précise Sylvain Triquet. C'est pourquoi nous utiliserons des gants, mais aussi des sacs étanches doublés pour le transport et le stockage des échantillons. Enfin, une fois rapatriés en France, ces derniers seront analysés en “salles blanches”, des laboratoires à air filtré. » Les deux chercheurs mesureront alors la concentration de sept micronutriments différents : fer, manganèse, cobalt, zinc, cadmium, silicium et phosphore. « Nous irons même plus loin en déterminant la part de fer soluble disponible pour le phytoplancton, ajoute Sylvain Triquet. En effet, un manque de ce fer dit “labile” pourrait être un frein pour le développement des microalgues. » Tout un programme donc pour ce sujet qui passionne de plus en plus de scientifiques. Certains prônent même le développement de projets visant à fertiliser les océans pour « booster » cette pompe à CO2, une pratique très controversée compte tenu du bouleversement écologique qu'elle pourrait engendrer. En outre, on ne connaît pas précisément la part du CO2 absorbé par le phytoplancton qui finit réellement stockée à long terme dans les sédiments des fonds marins au bout de la chaîne alimentaire. Mais ça, c'est une autre histoire…
Jean-Philippe Braly
Contact
Rémi Losno, losno@lisa.univ-paris12.fr
Sylvain Triquet, triquet@lisa.univ-paris12.fr
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Supersonic Imagine De bonnes ondes pour l'imagerie médicale
La société Supersonic Imagine commercialise un échographe révolutionnaire. Son fonctionnement est basé sur des recherches menées au Laboratoire « Ondes et acoustique » (LOA) (Laboratoire CNRS ESPCI Paris Université Paris 7), à Paris. Révolution dans le monde de l'imagerie médicale ! Lors des Journées françaises de la radiologie, qui se sont déroulées du 24 au 28 octobre derniers à Paris, la société française Supersonic Imagine, dont le CNRS est actionnaire, a présenté Aixplorer, son tout nouvel échographe multi-ondes. D'une conception unique, il est le fruit de plusieurs années de recherches auxquelles a largement contribué le Laboratoire « Ondes et acoustique » (LOA), à Paris. Qu'a-t-il donc de si particulier ? « Il permet de mesurer avec précision l'élasticité des tissus à l'intérieur du corps humain, répond Mathias Fink, directeur du LOA et membre fondateur de Supersonic Imagine. Il peut donc repérer facilement les régions plus dures, susceptibles d'être des tumeurs, avec une résolution millimétrique. » Et pallie ainsi un gros manque des échographes classiques : s'ils parviennent à faire des images avec une résolution équivalente, ils ne permettent pas de distinguer les variations d'élasticité révélatrices de la présence ou non du cancer. Ainsi, appliqué à l'échographie du sein, Aixplorer améliore nettement le diagnostic précoce des tumeurs imperceptibles par palpation ou des tumeurs profondes. Un appareil novateur, donc, dont le fonctionnement est basé sur les travaux que mène le LOA depuis près de dix ans. « Pour créer des images à la fois contrastées et de très bonne résolution, nous avons inventé le concept d'imagerie multi-ondes », raconte Mathias Fink. L'idée est de coupler deux types d'ondes : les ultrasons « classiques » de très hautes fréquences et des ondes dites de cisaillement de fréquences sonores (autour de 100 Hz), similaires à celles produites dans la terre par un séisme, lorsque le sol se met à trembler de haut en bas. « La vitesse de propagation de ces ondes sonores dans les tissus est très faible, de seulement quelques mètres par seconde, et elle dépend justement de l'élasticité des tissus qu'elles traversent », explique Mathias Fink. Mais comment les générer à l'intérieur du corps ? Dans un premier temps, le chercheur et son collègue Mickael Tanter inventent une sonde à ultrasons capable de créer à distance un microséisme à l'intérieur du corps (sans danger, puisque le déplacement des tissus est de moins de 10 micromètres) en focalisant les ultrasons. Ce microséisme émet alors une onde de cisaillement. « Mais comme les ondes de cisaillement s'atténuent très vite, nous avons aussi dû trouver un moyen de les amplifier, explique Mathias Fink. L'idée a alors été de déplacer très rapidement, de façon électronique, la source des ondes de cisaillement à l'intérieur du corps. Or lorsqu'une source sonore se déplace plus vite que le bruit qu'elle génère, ce dernier est amplifié. C'est exactement ce qui se passe lorsqu'un avion passe le mur du son et produit le fameux bang supersonique. » En somme, chaque onde de cisaillement créée s'additionne à la précédente. L'onde résultante, beaucoup plus intense, peut alors traverser une grande épaisseur de tissus. Le deuxième coup de génie de l'équipe est alors d'utiliser la même sonde ultrasonore pour obtenir 5 000 images par seconde de l'intérieur du corps au lieu des 50 images par seconde des échographes classiques. Pour cela, ils utilisent un algorithme dit de retournement temporel mis au point au LOA. Et ils observent ainsi le film de la propagation de l'onde de cisaillement, dont ils déduisent l'élasticité des tissus. « Nous avons fait la démonstration du principe en 2005, et plusieurs brevets ont été déposés par le CNRS, raconte Mathias Fink. Malheureusement, l'industrie de l'imagerie médicale n'existait plus en France et nous ne trouvions aucun partenaire industriel. » L'équipe entière décide alors de partir pour les États-Unis. « C'est à ce moment-là que Jacques Souquet, que je connaissais bien et qui dirigeait la R&D de Philips Medical System, a souhaité revenir en France, indique Mathias Fink. Il m'a alors proposé de créer une entreprise ici. » L'aventure Supersonic Imagine démarre en avril 2005, à Aix-en-Provence. Dès 2006, la jeune société, qui a attiré des chercheurs du monde entier, lève 10 millions d'euros auprès de capital-risqueurs. Le développement de l'échographe multi-ondes se poursuit, en collaboration notamment avec des médecins de l'Institut Curie, Alexandra Athanasiou et Anne Tardivon. Aujourd'hui, Supersonic Imagine compte 97 personnes et vient tout juste d'effectuer une seconde levée de fonds. L'échographe Aixplorer est en cours d'évaluation clinique dans dix-huit centres de cancérologie aux États-Unis et en Europe et soulève déjà l'enthousiasme de ses utilisateurs. D'autant qu'il est vendu 90 000 euros, soit près de 50 000 euros de moins que les appareils les plus performants du marché. Succès garanti ? Mathias Fink l'espère : « Avec Supersonic Imagine, nous pourrons recréer une industrie française de l'imagerie médicale. »