Le journal du cnrs numéro 21 Avril 2008

LE JOURNAL DU CNRS numéro 226 Novembre 2008

TITRE : ENERGIE

SOMMAIRE GENERAL :

Sciences humaines et sociales C'est l'Amérique !

Astronomie Une pause photo pour Rosetta

Mécanique L'oiseau qui maîtrisait les fluides

Optique Quand la lumière fait du slalom

Écologie Les bourdons préfèrent la facilité

Astronomie Les astres confirment la théorie d'Einstein

Archéologie Des traces de pas de 345 000 ans !

Neurobiologie Le cerveau en contrée inconnue

Environnement Un océan et des poussières…

Supersonic Imagine De bonnes ondes pour l'imagerie médicale

Europe Innova Un réseau européen pour l'innovation

Ethnologie Le siècle de Claude Lévi-Strauss

Archives du vivant À l'orée d'une nomenclature mondiale

Brèves

Enquête : Énergie, quels choix pour demain ?

Sciences humaines et sociales C'est l'Amérique !

Alors que les élections présidentielles américaines font la une de tous les journaux, le Centre d'études nord-américaines (Cena) (Centre CNRS EHESS qui a constitué une unité mixte de recherche (UMR) de 2002 à 2005 et forme depuis janvier 2006 l'équipe « Amérique du Nord » de l'UMR « Mondes américains : sociétés, circulations, pouvoirs, XVème-XXIème siècles » Le Mascipo (CNRS / EHESS / Universités Paris-I et X), dirigé par Annick Lempérière, professeure d'histoire de l'Amérique latine à Paris-I, réunit les américanistes du Nord et du Sud.) à Paris nous a ouvert ses portes. À la lumière de disciplines comme l'histoire ou l'anthropologie, il donne une autre vision du pays de l'Oncle Sam. Embarquement immédiat. Pour mieux appréhender le continent nord-américain et son histoire, il suffit de se rendre au 105, boulevard Raspail, à Paris. Une grille s'ouvre sur une petite cour arborée et parsemée de quelques bancs. Un calme olympien contraste avec les bruits du boulevard. La cour traversée, et les quatre étages grimpés, nous voilà dans les locaux du Centre d'études nord-américaines (Cena). Le principal et le plus gros centre de recherche français sur l'Amérique du Nord semble avoir été déserté… Tous ses membres auraient-ils été happés par le vent de folie qui entoure depuis plusieurs mois les élections présidentielles américaines ? « Pas tout à fait, comme l'explique à distance François Weil, directeur du Centre et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Nous sommes plusieurs membres du Cena à être actuellement aux États-Unis car le début de l'année universitaire est propice aux recherches dans les archives et les bibliothèques, et aux enquêtes de terrain (Professeur invité à l'université de Virginie en septembre 2008, il y achève une histoire sociale de la généalogie dans la culture américaine, à paraître en 2009 chez Harvard University Press). Ces séjours réguliers sont indispensables pour nourrir nos recherches, nos enseignements et nos publications, et nouer des contacts. Pour nous, un lien permanent avec la recherche américaine est évidemment indispensable. » Car il existe aux États-Unis un milieu de recherche sur l'histoire de l'Amérique, non seulement bien organisé mais puissant, qui produit du savoir en grande quantité et qui l'exporte efficacement, qu'il s'agisse d'histoire, d'anthropologie ou de sociologie. « Le Cena bénéficie d'une bonne visibilité internationale, notamment grâce aux prix américains remis à nos chercheurs pour leurs livres ou leurs articles. Notre objectif aujourd'hui, insiste François Weil, est d'améliorer encore cette visibilité, principalement en accroissant le nombre de nos publications outre-Atlantique. » Pour cela, les américanistes du Cena utilisent une approche comparative entre les États-Unis et le Canada, et entre l'Amérique du Nord et l'Europe. Et combinent les méthodes de l'histoire et celles des autres sciences sociales comme l'anthropologie ou la sociologie. « Notre priorité, souligne François Weil, a toujours été de produire des travaux scientifiquement originaux sur les États-Unis. En cela, le Cena rompt avec une tradition ancienne de vulgarisation en français de recherches conduites aux États-Unis. » Au total, dix à quinze enseignants-chercheurs et chercheurs de l'EHESS, du CNRS et de plusieurs universités (Paris-I, Lyon-II…) et pas moins d'une vingtaine de doctorants et d'étudiants en master s'unissent pour balayer l'ensemble du continent, de la période coloniale à aujourd'hui. Régulièrement, ils sont rejoints par des chercheurs associés qui collaborent à ces projets et participent aux séminaires (une dizaine tous les ans). Cette année, ces derniers porteront par exemple sur l'histoire des minorités aux États-Unis (Amérindiens, Afro-Américains, Latinos, etc.) ou encore sur la dimension politique de l'ouragan Katrina qui a sévèrement frappé la Nouvelle-Orléans en 2005, et plus précisément sur le manque de réactivité de l'État fédéral américain. Sara Le Menestrel, chargée de recherche au CNRS, est actuellement la seule anthropologue du groupe (Spécialiste des Cadiens de Louisiane et de la musique cadienne, elle est porteuse d'un projet sur les musiques populaires sélectionné par l'Agence nationale de la recherche (ANR)). Elle participe, avec d'autres membres de l'équipe, à un programme sur « l'histoire et l'anthropologie des migrants francophones en Amérique du Nord », qui couvre quatre siècles : de l'Amérique française (L'Amérique française, ouvrage de référence de Cécile Vidal, maître de conférences à l'EHESS, et de Gilles Havard, chargé de recherche au CNRS, publié en 2003 et révisé en 2006) aux migrations des XIX^e et XX^e siècles. Ce travail est réalisé à partir de l'étude des correspondances de migrants (archives et documents privés) et d'une analyse comparatiste « qui nous a permis de confirmer l'hypothèse que l'expérience vécue par les migrants français n'était pas exceptionnelle par rapport aux autres migrants », commente Nicole Fouché, chargée de recherche au CNRS. Exception faite, peut-être, de l'alphabétisation. « Les Français savaient en majorité lire et écrire correctement. Certains même, en fonction de leur région de naissance, parlaient plusieurs langues. C'était le cas des Alsaciens. » Un gros travail a donc été réalisé pour comprendre comment ils ont géré ces changements de lieu, de langue, etc. et comment ils ont construit une histoire transatlantique. Un éclairage qui a aussi le mérite de rappeler que les Français, souvent perçus comme sédentaires, sont aussi partis à la recherche de leur eldorado. C'est aux alentours de 1850 que la migration française vers les États-Unis est la plus forte. De manière générale, sur l'Amérique du Nord et principalement sur les États-Unis, les idées reçues ne manquent pas. Études à l'appui, les chercheurs du Cena s'interposent : non, l'Amérique n'est pas une nation sans État qui ne bénéficie d'aucune protection sociale. Non, l'affirmative action (discrimination positive) n'est pas une politique des quotas. On en est loin. « Cette politique volontariste a donné des résultats importants même s'ils restent insuffisants », insiste Pap Ndiaye, maître de conférences à l'EHESS et responsable de l'axe « Expertise et action politique dans l'Amérique du vingtième siècle ». Si les ghettos demeurent, l'affirmative action a toutefois permis à plus de 60 % d'Afro-Américains d'appartenir à la classe moyenne. Mettre à mal les clichés sur l'Amérique, c'est ce que souhaite Pap Ndiaye. Ces questions d'actualité souvent évoquées restent encore très caricaturées, et nécessitent d'être approchées de façon plus pointue et plus rigoureuse. « Nous avons scindé, commente l'historien, notre axe de recherche en deux pôles. Le premier allie l'étude de processus de consommation et des catégories sociales associées. » À partir de statistiques d'agences gouvernementales, d'étude de fonds d'archives (enquêtes universitaires, municipales, publicité…), d'enquêtes sociologiques, économiques et de consommation, les chercheurs abordent des sujets très variés tels que la mort (industrie de l'assurance-vie) comme objet de science et de commerce, ou la consommation comme vecteur d'américanisation, voire d'accès à la citoyenneté. Sur ce dernier point, ils ont par exemple étudié la manière dont les travailleurs sociaux ont enseigné aux enfants et aux adultes immigrés comment tenir une maison américaine (normes de propreté, manières et principes). Quant au second pôle, il se penche sur une histoire des institutions, abordée plus précisément sous l'angle du savoir des experts américains et de la mise en pratique de leurs expertises par les politiques. À l'ordre du jour de nos chercheurs, des interrogations sur le statut du secret et de la confidentialité dans l'architecture globale de l'administration américaine, et sur l'un des plus grands projets biomédicaux de l'après-guerre, à travers l'étude du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (MSKCC) à New York entre 1930 et 1960. Le centre se consacre bien sûr à la recherche, mais il accorde aussi une place importante à la formation de jeunes chercheurs. « Pendant longtemps, se souvient Nicole Fouché, seuls les départements d'anglais des universités proposaient des cours sur l'Amérique du Nord. Ils enseignaient la littérature et la civilisation américaines. » Installée dans la salle de séminaire du centre, au milieu des ouvrages bien ordonnés de la bibliothèque, des ordinateurs et du tableau noir, la chercheuse poursuit : « La première structure qui a fait de l'Amérique du Nord un champ d'étude à part entière remonte à 1967. Il s'agissait de la chaire d'histoire de l'Amérique du Nord de la Sorbonne, restée unique chez les historiens jusqu'à la formation du Cena en 1980. » Ces circonstances expliquent le besoin actuel de rassembler, au sein d'un axe de recherche collective sur « l'histoire des études nord-américaines en France », les témoignages et les travaux (livres, articles, thèses) de tous ceux qui ont abordé l'Amérique à la lumière de leur discipline (historiens, sociologues, politologues…). Pour cela, une base de données et une liste de discussion ont été mises en place. Si l'étude de l'Amérique du Nord s'est imposée au cours de ces vingt dernières années dans plusieurs institutions d'enseignement supérieur et de recherche en France, il lui reste un long chemin à parcourir. Ainsi, les spécialistes de l'histoire du Canada sont encore peu représentés, et des disciplines, comme la sociologie ou l'anthropologie, restent trop peu explorées.

Géraldine Véron

Contact

François Weil, [e-mail]

Nicole Fouché, [e-mail]

Pap Ndiaye, [e-mail]

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