Attractions touristiques et objets d'une légende effrayante, les empreintes de pas humains les plus anciennes jamais observées révèlent aujourd'hui leur âge exact, grâce à des chercheurs français.Les plus anciennes traces de pas humains ont 345 000 ans. C'est ce que vient de déterminer une équipe du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) Laboratoire CNRS CEA Université Versailles St-Quentin), à Gif-sur-Yvette, à l'aide d'une technique de datation peu conventionnelle. C'est par un pur hasard que Stéphane Scaillet et ses collègues se sont intéressés à ces vénérables empreintes. En 2006, le géochronologiste apprend l'existence de mystérieuses « traces de pas du diable ». En réalité, des empreintes gravées sur les pentes d'un volcan italien, et qui dateraient de 325 000 à 385 000 ans. Un âge approximatif, mais qui déjà permettait aux chercheurs de révéler un fait exceptionnel : ces traces étaient bien les plus anciennes empreintes humaines découvertes à ce jour ! Stéphane Scaillet ne résiste pas à l'envie d'y voir de plus près. Direction Roccamonfina, Sud de l'Italie. Sur place, le spectacle est saisissant : presque au milieu de nulle part, vaguement protégées par un ruban de chantier, les empreintes de trois individus sont stupéfiantes de réalisme. L'un a décrit un zigzag pour aborder une pente escarpée, l'autre a opté pour une trajectoire en ligne droite et le troisième s'est aidé d'une main pour ne pas glisser. En tout, plus de 57 empreintes, aux côtés de celles de plusieurs mammifères. Comment ces traces ont-elles résisté aux millénaires ? Ceux qui les ont laissées ont dû s'aventurer sur les flancs du volcan quelques jours seulement après une violente éruption. Sous leurs pieds, une boue de cendres épaisse, qui s'est durcie comme du ciment peu après leur passage. Le volcan a fait le reste : actif jusqu'à il y a 100 000 ans, ses éruptions répétées ont recouvert couche après couche les empreintes fossilisées… Jusqu'à ce que l'érosion finisse par les dévoiler au grand jour. « On les connaît depuis des générations dans la région, rapporte Stéphane Scaillet. Un microtourisme s'est développé et une légende est née de ces “traces de pas du Diable” dont on raconte qu'elles sont celles d'hommes sortis du cratère… Une chose est sûre, si ce sanctuaire est actuellement d'une qualité exceptionnelle, l'érosion va poursuivre son œuvre. Il m'a donc paru important de déterminer avec précision l'âge des empreintes. » Seulement les empreintes fossilisées ne peuvent être datées que par la roche qui les porte. Pour ce faire, les scientifiques ont cherché à mesurer la quantité de deux éléments présents dans des échantillons prélevés sur le volcan, le potassium et l'argon. Pourquoi eux ? En fait, l'un des isotopes de l'argon (Les isotopes d'un même élément chimique diffèrent uniquement par le nombre de neutrons contenus dans leur noyau), l'argon 40, est produit au cours du temps à partir de la désintégration radioactive du potassium. La quantité de l'un de ces éléments par rapport à l'autre peut donc révéler l'âge de la roche. Un hic toutefois : le potassium est solide, tandis que l'argon est gazeux, ce qui rend difficile l'analyse. D'où l'idée des chercheurs de transformer artificiellement le potassium restant en un autre isotope de l'argon, l'argon 39, en irradiant l'échantillon dans un réacteur nucléaire. Et voilà la roche du volcan contenant deux isotopes gazeux de l'argon, l'un issu de la désintégration naturelle du potassium au fil des millénaires et l'autre produit en laboratoire, témoin de la quantité de potassium. Mais un obstacle subsistait : la roche volcanique est très hétérogène et elle contient une foule de matériaux d'âges différents qui peuvent fausser les résultats. Raison pour laquelle les empreintes n'avaient jusque-là pu être datées avec précision. Stéphane Scaillet a donc mis au point une sonde laser permettant d'effectuer une analyse, non plus en « masse », et donc moyenne, des minéraux, mais individuelle. Son secret ? « Le laser chauffe ponctuellement les cristaux, sur quelques millimètres carrés, explique le scientifique. Ainsi, chacun libère ses isotopes d'argon, et l'on peut procéder à la datation. » L'âge retrouvé le plus couramment parmi les cristaux analysés est celui de la roche. C'est ainsi que les cendres d'une autre ère, foulées par trois promeneurs téméraires, ont révélé le leur : 345 000 ans. Un résultat qui indique que les curieux en question étaient bien les premiers hommes : des Homo heidelbergensis, ancêtres d'Homo neanderthalensis et d'Homo sapiens. Et l'histoire ne s'arrête pas là, car d'autres traces existeraient non loin des premières, laissant à penser que ces trois individus n'étaient peut-être pas que de passage. Un véritable sanctuaire archéologique pourrait alors se cacher non loin.
Pour nous repérer dans un lieu, notre cerveau met en marche des neurones spécialisés, dits cellules de lieu. Si leur fonctionnement reste mal connu, des chercheurs viennent d'en découvrir un rouage essentiel. Dans la mythologie grecque, l'hippocampe était un cheval marin qui tirait Neptune. Mais dans notre cerveau, cet organe placé sous le cortex temporal est une des clés du souvenir, en particulier de la mémoire spatiale, grâce à des neurones spécialisés, les « cellules de lieu », qui stockent les informations sur l'environnement. Et dont l'équipe marseillaise de Bruno Poucet, au Laboratoire de neurobiologie de la cognition (LNC) (Laboratoire CNRS Université Aix-Marseille 1), vient de révéler un mécanisme saisissant : elle vient de montrer pour la première fois que, lorsqu'on apporte des modifications à un cadre familier chez le rat, ses cellules de lieu réagissent de manière différente dans deux régions de l'hippocampe. Une découverte qui laisse penser que certaines de ces cellules « enregistrent » un environnement dans son ensemble, tandis que d'autres se concentrent sur un lieu précis. « Les cellules de lieu sont la plupart du temps “silencieuses”, explique Bruno Poucet. Puis, quand l'animal se trouve en certains endroits, l'activité devient intense. Alice Alvernhe, doctorante dans notre équipe, a voulu voir comment l'hippocampe du rongeur réagit quand on enlève une barrière dans le labyrinthe dans lequel il se déplace habituellement. » Le cerveau de l'animal est pour cela doté de fines électrodes, qui visent deux parties de l'hippocampe baptisées CA1 et CA3. Un traitement des signaux isole l'activité individuelle de chacun des neurones. « Quand l'animal fait face à un nouveau chemin, l'activité des cellules de lieu change considérablement, résume Bruno Poucet. Ce qui est nouveau, c'est d'observer que dans la région CA3, ces cellules réagissent aussi quand l'animal s'est éloigné de la zone modifiée, ce qui n'est pas le cas des cellules de CA1. » Une différence de comportement cellulaire qui laisse penser que la région CA3 reflète plus que le lieu précis où se trouve l'animal : elle serait le siège d'une représentation globale de l'environnement. Pour Bruno Poucet, cette découverte n'est pas si inattendue : « CA3 est connue pour fonctionner de manière auto-associative : une sollicitation de quelques neurones y active un réseau de cellules. Un peu comme la madeleine de Proust : une seule odeur suffit à évoquer un épisode de l'enfance. Dans CA3, le remaniement d'un lieu connu produit une modification en profondeur de la représentation de l'ensemble de l'environnement. » Au contraire, dans CA1, les cellules de lieu tempèrent ce comportement en mémorisant uniquement ce qui a été modifié localement. Qu'en est-il de l'homme ? Peut-on transposer ces résultats pour mieux comprendre, par exemple, la maladie d'Alzheimer, dont on sait qu'elle altère d'abord l'hippocampe et que le premier symptôme est souvent une déficience de la mémoire spatiale ? « Il faut être prudent, tempère Bruno Poucet. L'intérêt de ces recherches est avant tout fondamental. » Depuis l'apparition de l'imagerie fonctionnelle (Technique qui consiste à visualiser l'activité cérébrale quand le sujet est soumis à certaines sollicitations ou activités), les chercheurs ont observé le lien entre l'activité de l'hippocampe et la mémoire spatiale. Mais pour aller plus loin, on ne peut éviter d'implanter des électrodes dans le cerveau. « C'est trop invasif pour être pratiqué à des seules fins de recherche, confirme Bruno Poucet. On ne place des électrodes que dans le cadre de diagnostics préchirurgicaux, par exemple chez des épileptiques. C'est au cours de ce type d'observation qu'une équipe américaine a pu étudier les cellules de lieu humaines. » En attendant, ces progrès profitent aussi aux roboticiens qui tentent de mimer le fonctionnement du cerveau pour donner à leurs créations une véritable capacité à s'adapter à leur environnement. « Cet échange avec les roboticiens n'est pas à sens unique, se félicite Bruno Poucet. Au fur et à mesure que les neurobiologistes échafaudent des principes, les robots permettent de vérifier s'ils sont valables ou pas. Et chacun progresse en même temps. »
Denis Delbecq
Contact Bruno Poucet bruno.poucet@univ-provence.fr