Quand le cosmos s'organise
Des étoiles regroupées au sein des galaxies. Des galaxies qui s'organisent en amas, filaments ou nappes. À grande échelle, l'Univers présente un haut niveau d'organisation. Comment le cosmos a-t-il pu ainsi adopter ces motifs où alternent les zones de vide quasi intégral et les régions où la matière est extrêmement concentrée ? Bref, comment la bouillie originelle (voir illustration chap. précédent) a-t-elle pu engendrer une telle complexité ? Si les scientifiques sont encore loin d'avoir toutes les réponses, la piste de la gravitation tient la corde. Ce que confirme François Bouchet, à l'IAP : « Depuis les travaux de Georges Lemaître, dans les années 1920, les cosmologistes ont l'idée que le mécanisme essentiel de la formation des structures n'est autre que la gravitation. Celle-ci aurait agi sur une configuration initiale de l'Univers, qui contenait de minuscules fluctuations spatiales de densité. » Ainsi, quelques grumeaux dans la matière originelle, associés à la force de gravitation, auraient suffi à donner naissance à la complexité observée aujourd'hui.
Les indices du rayonnement fossile
Cette idée se précise dans les années 1980. Les cosmologistes imaginent alors que dans ses premiers instants, l'espace-temps aurait été agité d'irrégularités d'origine quantique. « Celles-ci se seraient ensuite dilatées jusqu'à des distances cosmologiques », poursuit le scientifique. Si personne n'a encore eu accès à l'origine de l'Univers, celui-ci a fait un beau cadeau aux astrophysiciens : le fonds diffus cosmologique, qui est en quelque sorte la première lumière émise par l'Univers. Or dans les années 1980, le satellite Cosmic Background Explorer (Cobe), de la Nasa, révéla l'existence de minuscules irrégularités dans le rayonnement fossile. Pas de doute, les spécialistes avaient mis le doigt sur la trace des fluctuations primordiales. Leur amplitude et leur distribution dans le ciel furent ensuite cartographiées avec plus de précision par le satellite Wilkinson Microwave Anisotropy Probe (WMAP), de la Nasa. Des mesures qui, une fois passées au crible de la théorie, permirent notamment de préciser le contenu de l'Univers. Cette composition était en quelque sorte l'ingrédient que les scientifiques attendaient pour faire mouliner leurs simulations, et tester précisément le scénario de formation des structures. C'est en particulier ce à quoi se sont attelés les chercheurs du projet Horizon, le projet de simulations numériques cosmologiques le plus ambitieux au monde, démarré en 2001, et rassemblant une vingtaine de chercheurs basés à Paris, Meudon et Lyon, dont plusieurs du CNRS. Objectif : simuler l'évolution sur 13,5 milliards d'années d'une portion significative d'Univers. « De la même façon que les climatologues simulent le climat en résolvant numériquement les lois physiques de son évolution à partir d'une configuration initiale, nous avons reconstitué l'histoire de l'Univers », explique Romain Teyssier, chercheur au laboratoire « Astrophysique interactions multi-échelles » (AIM) (Laboratoire CNRS CEA Université Paris 7). et responsable du projet. Schématiquement, les scientifiques ont entré dans leur ordinateur le contenu initial de l'Univers et la distribution spatiale des fluctuations primordiales telle que donnée par le fonds diffus cosmologique, et ont lancé la résolution des équations de la gravitation depuis 380 000 ans après le Big Bang jusqu'à aujourd'hui. « Nous nous sommes placés dans un Univers en expansion tel que décrit par la relativité générale, et intégrant a priori les effets de l'énergie noire. Et nous avons calculé l'évolution de deux “fluides”, l'un représentant la matière noire, l'autre la matière ordinaire », détaille l'astrophysicien.
L'Univers en simulations
Dans une première version de la simulation, réalisée entre 2006 et 2007, les chercheurs d'Horizon ont simulé l'évolution d'une tranche d'Univers de 150 millions d'années-lumière. Résultat : ils y ont observé la formation de galaxies plus vraies que nature. À l'été 2007, ils ont réitéré l'« expérience » sur le supercalculateur civil Bull du CEA. Ils ont alors simulé une sphère de six milliards d'années-lumière de rayon avec pas moins de 70 milliards de particules. Celle-ci reconstitue un Univers tel que pourrait le voir un observateur terrestre regardant pas moins de la moitié de l'Univers visible ! Une fois traitées, les images obtenues sont époustouflantes, quasiment identiques à des clichés réels. Au fur et à mesure du vieillissement de leur « faux » Univers, les astrophysiciens ont observé une amplification des fluctuations primordiales sous l'effet de la gravitation, la matière visible tombant dans des régions de matière noire (« halos » de matière noire) de plus en plus concentrées, pour former les étoiles et les galaxies. Celles-ci s'organisaient en une sorte de mousse filamenteuse laissant d'immenses espaces totalement vides de matière. « Nos résultats sont en très bon accord avec les très grands relevés de galaxies », indique Romain Teyssier. Comme par exemple le Vimos VLT Deep Survey (VVDS), un sondage profond de l'Univers utilisant le spectrographe Visible Multi-Object Spectrograph (Vimos), au Very Large Telescope (VLT), de l'Eso, au Chili, dont l'objectif est de quantifier l'évolution de 90 % de l'histoire de l'Univers. « Cette concordance valide le scénario d'un Univers dans lequel la formation des structures est dominée par la gravité exercée par les halos de matière noire issus des fluctuations primordiales », poursuit le scientifique. Autrement dit, les fameux grumeaux originels seraient bien à l'origine de l'organisation de l'Univers.
Voir toujours plus loin
Les scientifiques en ont-ils pour autant fini avec la formation des structures ? Pas exactement. Comme le détaille Guilaine Lagache, à l'Institut d'astrophysique spatiale (Institut CNRS Université Paris 11), à Orsay, « ces simulations rendent très bien compte de l'évolution des halos de matière noire. Cependant, la physique de la matière ordinaire fait encore l'objet d'un certain nombre de recettes qui masquent notre incompréhension physique de l'ensemble des phénomènes ». Par exemple, les astrophysiciens ne comprennent pas encore comment former certains objets pourtant bien réels, telles des galaxies géantes présentes trop tôt par rapport à la théorie, dès trois milliards d'années après le Big Bang. Quant à Romain Teyssier, il rêve déjà à une future génération de simulations, permettant de recréer la totalité de l'Univers visible, voire au-delà. « Les simulations permettraient alors de voir plus loin qu'on ne le pourra jamais dans le ciel réel », s'enthousiasme le scientifique.
Le Big Bang sur écoute
Des informations sur l'histoire de l'Univers nous sont livrées par la lumière, qu'elle soit visible, infrarouge, ou sous forme d'ondes radio ou de rayons gamma énergétiques (Photons (grains de lumière) très énergétiques. Ils sont émis lors des phénomènes parmi les plus violents de l'Univers, comme les explosions d'étoiles massives (supernovae). L'espoir des scientifiques : détecter les ondes gravitationnelles, des déformations de l'espace-temps se déplaçant à la vitesse de la lumière prédites par la théorie de la relativité générale d'Einstein, produites à la naissance de l'Univers ou lors d'événements cataclysmiques comme l'explosion d'étoiles en fin de vie. « Contrairement à la lumière, ces ondes se propagent à travers l'espace sans altération quels que soient les milieux qu'elles traversent », explique Éric Gourgoulhon, au Laboratoire de l'Univers et de ses théories (Luth) (Laboratoire CNRS Observatoire de Paris Université Paris 7), à Meudon. Mais cette propriété les rend très difficiles à repérer. Dans les prochains mois, ce sera la mission du détecteur européen Virgo, construit près de Pise, en Italie. « Grâce à lui, nous devrions avoir accès à de nombreux objets compacts, dont la lumière ne sort jamais. Tels des cœurs de supernovae ou des systèmes de trous noirs en orbite l'un autour de l'autre », poursuit l'astrophysicien. Dans une dizaine d'années, l'interféromètre spatial Lisa pourrait capter des ondes gravitationnelles de très basse fréquence, indétectables depuis la Terre. De quoi obtenir des informations émises juste après le Big Bang, et remonter au-delà du rayonnement fossile, émis 380 000 ans après la naissance de l'Univers.
GLOSSAIRE
L'Univers : L'Univers serait constitué de matière ordinaire visible à hauteur de 0,4 %, de matière « cachée » dite noire à hauteur de 26,6 % (dont 3,6 % de matière ordinaire non visible), et d'énergie noire à hauteur de 73 %. Cette dernière est une force mystérieuse qui existe depuis les tout premiers temps de l'Univers, et qui depuis peu accélère son expansion
Mathieu Grousson
Contact
François Bouchet, bouchet@iap.fr
Romain Teyssier, romain.teyssier@cea.fr
Guilaine Lagache, guilaine.lagache@ias.u-psud.fr
Éric Gourgoulhon, eric.gourgoulhon@obspm.fr
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