LE JOURNAL DU CNRS numéro 228/229 Janvier février 2009
TITRE : Univers, les mystères des origines
SOMMAIRE :
Sciences humaines et sociales Les mille facettes de l'économie
Mécanique des fluides Un bouclier contre la colère des mers
Perception Nos stéréotypes nous jouent des tours
Sociologie Ça bouge en Europe
Cognition animale Pour survivre, les moules vivent en bandes
Chimie Une double hélice plus vraie que nature
Biologie moléculaire Métissage : la botte secrète des diatomées
Neurobiologie Enfants hyperactifs : un traitement en débat
Climatologie Surveillance météo sur les vignes
Pôles de compétitivité L'arc méditerranéen de la médecine du futur
Journée mondiale Où en est la recherche contre le cancer ?
Brèves
Enquête Univers, les mystères des origines
Sciences humaines et sociales Les mille facettes de l'économie
De la crise des subprimes (Les subprimes sont des crédits hypothécaires risqués accordés à des ménages américains fragiles. En 2007, la baisse du marché immobilier américain combinée à la remontée des taux a « écrasé » nombre d'emprunteurs et provoqué de nombreuses faillites d'organismes de crédit) à la lutte contre la pauvreté, en passant par l'inflation et la mondialisation, les économistes, sociologues et mathématiciens du Centre d'économie de la Sorbonne (CES) (Centre CNRS Université Paris 1) ne chôment pas. Ancrées dans l'actualité, leurs recherches livrent des clés pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Pourvu que les phénomènes économiques ne vous donnent pas le mal de mer ! Le Centre d'économie de la Sorbonne (CES) navigue sur l'asphalte du boulevard de l'Hôpital dans le XIIIe arrondissement de Paris. Son bâtiment, entièrement vitré, a la forme d'un paquebot. Sur les écrans de télévision du hall central, le circuit du voyage est annoncé, et les titres des séminaires défilent, avec une quinzaine de thèmes : « Du RMI au RSA : minimum social et marché du travail », « L'impact de la crise financière sur les économies émergentes »… Bref, un large éventail de sujets… Comme l'analyse Cuong Le Van, directeur du centre dès sa création en janvier 2006, « il s'agit aujourd'hui pour nous d'avoir une utilité sociale et de répondre à des problèmes concrets tout en ancrant nos recherches dans l'actualité. Notre champ d'étude est certes étendu mais cohérent ». Avec ses huit axes de recherche (Institutions, Macroéconomie, Environnement, Économie internationale, Développement et mondialisation, Microéconomie appliquée et économétrie, Économie mathématiques et jeux, et Finance), près de 150 chercheurs et enseignants-chercheurs et plus de 300 doctorants, ce laboratoire généraliste (Le CES est né de la fusion du Centre de documentation et de cinq équipes de recherche de la Maison des sciences économiques) couvre une grande partie des disciplines en économie. « L'autre particularité de notre centre, poursuit Cuong Le Van, est de savoir jongler avec les différentes formes d'approches théoriques et appliquées. L'association de ces démarches permet de vérifier que les modèles proposés apportent bel et bien des réponses aux problèmes sociétaux. » Ici, en effet, la construction de théories est validée par le recours à des méthodes très variées, qui vont de l'élaboration de bases de données et de modèles aux expérimentations en temps réel et aux simulations en laboratoire (Il existe au sein du CES, un Laboratoire d'économie expérimentale). Une démarche plutôt inhabituelle en sciences humaines et sociales… Et pourtant, comme l'explique Jean-Marc Tallon, directeur de recherche CNRS et membre de l'équipe « Microéconomie appliquée et économétrie », « l'expérimentation est essentielle en économie. Elle aide par exemple à comprendre comment les gens prennent des décisions de consommation, de production, de tarification, etc. ». L'expérience se présente comme un jeu de questions : que feriez-vous, si vous aviez le choix entre une loterie où les chances de gagner 8 euros sont de une sur deux et une loterie où vous pouvez gagner 20 euros, mais avec une probabilité incertaine ? De même, quel serait votre choix si vous pouviez répartir une somme donnée – mettons 30 euros – entre une personne dont vous ne connaissez pas l'identité et vous-même ? La distribution serait-elle égale (15 euros chacun) ou pas (16 euros pour vous et 14 pour l'autre personne ou 17 et 13…) ? Si pendant longtemps, les modèles économiques partaient du principe que les gens prennent les meilleures décisions pour eux-mêmes, sans se soucier des autres, ce genre d'expérience a permis de montrer qu'ils sont en fait beaucoup plus enclins au partage, afin de réduire les inégalités, même face à de parfaits inconnus… « Grâce à ce type de questions, posées à des groupes témoins, nous avons aussi découvert, par exemple, que des paramètres comme le goût (ou l'aversion) pour le risque, l'altruisme et l'impatience sont largement indépendants les uns des autres. » Ces résultats, confrontés à des données réelles, permettent de vérifier et de mettre en place des modèles économiques théoriques beaucoup plus réalistes. D'autres méthodes aident à affiner la modélisation. L'une d'elles, la neuroéconomie, commence à être mise en place dans cet axe de recherche. Assez novatrice, elle combine les outils de l'économie expérimentale et les avancées dans l'imagerie du cerveau : elle cherche à analyser précisément les mécanismes intimes de la prise de décision en décryptant les zones du cerveau qui réagissent au moment où l'on propose un choix et en fonction de celui-ci. Ce nouveau projet sera opérationnel au printemps 2009. Financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), il réunit plusieurs équipes : des chercheurs en sciences cognitives de l'Institut Jean Nicod et des neuro-scientifiques du laboratoire de neuroscience de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Les membres de l'équipe « Institutions », dirigée par Jean-Luc Outin, chargé de recherche au CNRS et membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, offrent un autre exemple d'ouverture vers diverses disciplines. « Au sein de notre axe, économistes et statisticiens dialoguent régulièrement avec des juristes, des sociologues, des politologues… Cela apporte, insiste Jean-Luc Outin, un autre éclairage à nos modèles strictement économiques. » Ce programme rassemble ainsi près de 70 chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs. Certains, par exemple, s'interrogent sur l'analyse et la transformation du marché du travail et de la protection sociale. On y retrouve des sujets variés tels que les inégalités salariales dans les pays industrialisés (selon le niveau de qualification, le genre…) ou encore le débat sur le remplacement du revenu minimum d'insertion (RMI) par le revenu de solidarité active (RSA). Les observations, présentées à partir d'une enquête réalisée en juin 2006 auprès d'un échantillon d'allocataires du RMI, ont semé quelques doutes quant à l'efficacité escomptée du RSA. Incitera-t-il vraiment les allocataires à reprendre un emploi ? Les conditions de vie seront-elles réellement améliorées ou se dégraderont-elles à cause de l'institutionnalisation d'emplois de faible qualité (petits contrats horaires, moins de formation, de possibilités d'évolution…) ? Les résultats de ces travaux permettent d'évaluer les différentes politiques publiques et de peser sur les décisions économiques et sociales. Ils débouchent souvent sur des préconisations qui donnent l'occasion aux chercheurs d'intervenir dans le débat public. Ainsi, en 2008, un rapport sur la crise financière qui a éclaté aux États-Unis en 2007 a été remis au Conseil d'analyse économique du Premier Ministre. Il montrait les impacts de la crise sur la gestion des risques, leur valorisation, le comportement des banques et la croissance. Et surtout, il présentait plusieurs recommandations, comme l'amélioration des normes de transparence, une meilleure protection des petits investisseurs et emprunteurs, le renforcement au sein de l'Union européenne de la coordination des régulateurs nationaux, etc. Des préconisations aujourd'hui plus que jamais d'actualité après l'extension de la crise à la finance mondiale ces derniers mois… « L'inflation, l'instabilité financière, la mondialisation ou les politiques monétaires sont autant de phénomènes qui nous concernent tous. Personne n'est étranger aux décisions économiques et sociales prises par les pouvoirs publics et les entreprises », s'anime Jézabel Couppey-Soubeyran, membre du programme de recherche « Finance » et maître de conférences à l'université Paris-I. Ainsi, les thèmes de ce programme tournent autour de problématiques dans l'air du temps : la finance d'entreprise (gouvernance, décisions d'investissement…), la macro-économie financière (politiques monétaires, banques, rentabilité…), les dispositifs de supervision (pourquoi n'a-t-on pas pu prévenir la crise des subprimes) ou l'impact des innovations financières sur la volatilité des marchés. « À chaque crise, ce débat sur les innovations est relancé, et la crise des subprimes n'échappe pas à la règle, confie Gunther Capelle-Blancard, professeur à l'université Paris-I. Cette crise a suscité de très nombreuses inquiétudes et interrogations. Nous nous efforçons bien sûr d'y répondre par nos travaux académiques mais également par la publication d'ouvrages de vulgarisation ou en répondant aux sollicitations des médias. Ceci permet d'établir un lien entre les chercheurs, les politiques et le grand public. Grâce à cela, nous essayons d'avoir un réel impact social. »
Géraldine Véron
Contact
Cuong Le Van, levan@univ-paris1.fr
Jean-Luc Outin,jean-luc.outin@univ-paris1.fr
Gunther Capelle-Blancard,gunther.capelle-blancard@univ-paris1.fr
Jézabel Couppey-Soubeyran,couppey@univ-paris1.fr
Jean-Marc Tallon, jmtallon@univ-paris1.fr
Guillaume Hollard, guillaume.hollard@univ-paris1.fr
Tonia Lastapis, tonia@univ-paris1.fr
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