Le sergent simplet travers les colonies françaises


XVIII TROIS MILLE KILOMÈTRES DANS UN CYCLONE



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XVIII

TROIS MILLE KILOMÈTRES


DANS UN CYCLONE


Rassemblés sur le pont, les passagers du Fortune interrogeaient l’horizon. Une bande noire s’étendait peu à peu sur le ciel. L’armée des nuages, poussée par la tempête lointaine, s’avançait avec la rapidité d’un express.

Le yacht allait avoir à subir un rude assaut. Silencieux, tous se regardaient. Pas une parole ne venait à leurs lèvres. À l’approche des grands cataclysmes, la voix de l’homme se tait. Un duel effrayant se préparait entre la tourmente et le frêle navire, point imperceptible au milieu de l’Océan.

Nul abri, nul port de refuge à proximité. Un seul moyen de défense : la fuite devant l’ouragan. Attaché sur la passerelle, le capitaine donnait ses ordres. À la première « claque » du vent, la machine stopperait. On déploierait tout ce que le vaisseau pourrait porter de toile, et on se laisserait emporter par le cyclone.

– Cette manœuvre, expliqua William Sagger, est celle à laquelle on s’est définitivement arrêté dans la marine. Elle offre deux avantages : le premier, de ménager la machine, car par une mer forte, l’hélice tourne souvent « à vide », c’est-à-dire hors des flots, et il en résulte des secousses capables de fausser l’arbre de couche ; le second est de donner au navire une rapidité égale à celle de la lame, si bien que le pont n’est pas couvert par les montagnes d’eau, et que la membrure fatigue moins.

Tout était paré. Mais l’inquiétude persistait. La plus effrayée était miss Pretty. La voyageuse, qui avait choisi la mer comme patrie, était pâle. Mais en regardant avec attention, on comprenait qu’elle avait peur en dehors d’elle-même. Ses yeux ne quittaient pas Claude Bérard.

La ligne noire des nuées arrivait au-dessus du navire.

– Rentrons dans nos cabines, proposa l’Américaine.

– Ma foi non, répliqua Claude ; secousses pour secousses, je les aime mieux en plein air.

Elle n’insista pas. Ce fut William qui prit la parole.

– Vous avez tort, monsieur Bérard. Un paquet de mer a tôt fait d’enlever un homme et…

La phrase demeura inachevée. Le navire fut secoué comme une plume, tandis que des rugissements, des sifflements aigus traversaient l’air. Et, dominant le fracas de la tempête qui s’abattait sur le steamer, la voix du capitaine s’éleva :

– Stoppez !… Aux voiles !

L’hélice cessa de battre les flots, le navire se couvrit de toile, et comme un coursier généreux, fila follement dans la tourmente.

– Mâtin ! murmura Claude, quelle gifle !

– Que les voiles tiennent, fit doucement miss Pretty, et tout ira bien.

Puis, avec une nuance d’orgueil :

– Un fin voilier, mon Fortune ; il ne met pas le nez dans la plume.

L’expression maritime était bizarre dans sa jolie bouche. Personne du reste n’y fit attention. La splendide horreur du tableau les prenait. Sur les côtés, en avant, en arrière, des vagues monstrueuses se précipitaient, échevelées, bondissant les unes sur les autres. Entre elles, des gouffres livides se creusaient. Et le yacht montait et descendait, pour remonter encore ; tel un oiseau rasant les flots de ses blanches ailes. D’incessantes détonations déchiraient l’air ; partout des éclairs démesurés fendaient la nue, jetant sur la mer démontée des lueurs blafardes. Et comme une basse continue, dans cet effrayant concert, le vent hurlait sans relâche, tandis que les lames se fracassaient les unes sur les autres. Des flammèches bleutées dansaient à la pointe des mâts, à l’extrémité des vergues. Le feu Saint-Elme montrait la puissance de la tension électrique. Aveuglés, assourdis, sans voix, trempés par les embruns, subissant un anéantissement moral devant ce colossal déchaînement, les voyageurs se retirèrent dans le salon d’arrière.

Ils ne pouvaient se résoudre à se séparer, à s’enfermer dans leurs cabines durant l’effroyable cataclysme. Et là, comme engourdis, ils attendirent le jour. Mais avec la lumière, la tempête sembla redoubler d’intensité. Aidée par Bérard, miss Pretty se hissa sur la passerelle auprès de l’officier.

– Où sommes-nous ? demanda-t-elle.

– Je l’ignore, Miss. Impossible de faire le point ; mais nous sommes entraînés vers le sud avec une grande rapidité. Du reste, je vais faire jeter le loch, et nous aurons ainsi une idée approximative de notre situation.

Le loch indiqua une vitesse de plus de soixante-dix kilomètres à l’heure.

– Nous devons profiter d’un courant, déclara l’officier, car l’ouragan seul ne nous communiquerait pas cette allure.

À ce moment même un choc se produisit : une des bonnettes avait cédé, emportée par une rafale, et une énorme vague s’abattait sur le yacht. Surpris, Bérard se sentit enlacé par la lame. Il allait être emporté et, dans l’espace de l’éclair, la réflexion de William Sagger traversa sa pensée.

– Cela a tôt fait de vous enlever un homme !

Mais une petite main nerveuse avait saisi son poignet. Le flot passé, il se retrouva couché sur la passerelle, encore retenu par l’Américaine. Habituée à la mer, elle avait vu le danger. Se cramponnant d’une main au garde-fou, de l’autre elle avait empoigné le sous-officier. Il se releva.

– Merci, miss ; sans vous, je partais pour l’autre monde.

Et elle, animant d’un sourire son visage blêmi :

– Vous voyez bien qu’une femme est capable de donner un coup de main.

Il rougit, mécontent qu’elle rappelât ses paroles.

– Ne vous fâchez pas de ma remarque, reprit-elle sur le ton de la prière ; en refusant à Mlle Ribor et à moi la joie de vous accompagner si vous parcourez encore des pays peuplés de dangers, vous nous avez fait de la peine.

– Pour vous, je le regrette.

– Et pour elle ?

– Pour elle, non.

– Vous lui en voulez donc bien ?

– Miss, j’ai horreur des ingrats. Eh bien, j’ai vu Marcel faire pour elle des choses que j’admirais, moi soldat, habitué à la vie des colonies. C’est à peine si elle a daigné le remercier.

– Timidité peut-être.

– Du tout, seulement elle croit que cela lui est dû, et alors… je m’entends.

Grâce au dévouement de l’équipage, une nouvelle bonnette avait pu être établie et le Fortune avait repris sa course effrénée. Le jour s’écoula ainsi, le lendemain encore. Le yacht se comportait admirablement, et les passagers avaient fini par s’accoutumer à la tempête. Les conversations recommençaient.

Mais Yvonne, à qui l’Américaine avait raconté l’incident de la passerelle, n’avait pas cru devoir lui confier son douloureux secret. Elle était restée triste, et sa froideur envers Marcel s’était accentuée. Au contraire, un amical rapprochement se faisait entre miss Pretty et le « Marsouin ». Celui-ci adoucissait son abord quelque peu rude, pour parler à la jeune fille.

Intelligent, plus instruit que la moyenne des hommes, car avec son naturel sérieux, il avait cherché à se rendre compte de ce qu’il avait vu ou entendu, il avait avec elle de longues causeries. Sevré de tendresse, il n’avait jamais été tendre jusque-là. Son dévouement inné était demeuré brutal. Maintenant il se sentait changé. Il cherchait des mots plus doux, des périphrases atténuées pour exprimer sa pensée devant la charmante propriétaire du steamer. Et parfois il avait conscience de n’être plus le même. Alors il s’arrêtait court, promenait autour de lui un regard étonné et longtemps gardait le silence.

Enfin, le 26 février au matin, c’est-à-dire après plus de trois jours, la tempête s’apaisa. Le vent tomba, le ciel s’éclaircit et le matelot de vigie cria :

– Terre !

Ce cri avait à peine retenti que matelots et passagers se précipitaient sur le pont. Entraînés vers le sud par l’ouragan, en vue de quelle terre se trouvaient-ils ? Les cartes n’en indiquaient aucune. Le Fortune était à l’entrée d’une vaste baie. À l’est, une montagne formait promontoire. Au fond de l’estuaire s’ouvraient une série de fjords, aux falaises plongeant à pic dans la mer ; à l’ouest une multitude d’îles, d’îlots, de rochers, séparés par d’étroites passes.

– Des hommes, fit Yvonne désignant des êtres rangés en ligne sur le rivage.

– Non, des pingouins, riposta miss Pretty qui, à l’aide d’une lorgnette, examinait la contrée.

En effet, les grotesques oiseaux se distinguaient, avec leurs becs allongés, leurs embryons d’ailes, leurs pattes courtes comme écrasées sous le poids des ventres énormes.

– Et, reprit l’Américaine, le pays semble assez désolé. Pas d’arbres, des plaques d’herbes ou de mousses. À l’intérieur, des montagnes couvertes de neige.

– Il fait froid du reste.

Le thermomètre consulté marquait 8° centigrades. Pour des voyageurs arrivant de régions inondées de soleil, cette température pouvait à bon droit passer pour fraîche.

– Mais où sommes nous ?

À l’avant, William Sagger dessinait sur une plaque de carton appuyée au bastingage. Miss Pretty l’appela.

– Voyons, monsieur le géographe, dit-elle, ne pourriez-vous nous apprendre en quelle contrée du monde nous sommes en ce moment ?

Pour toute réponse l’intendant présenta son dessin à la jeune fille.

– Tiens, la carte de la baie, pourquoi ?

– Je l’ai dressée. Précisément, Miss, pour vous donner l’explication que vous cherchez.

– Ce croquis ne me renseigne pas.

– Aussi vais-je le compléter. J’ai dans la tête la forme cartographique des moindres parcelles de terre. J’ai donc établi le plan de ce que j’ai sous les yeux.

– Et ?


– Cette terre est une possession française.

– Ça ?


Marcel, Claude et Yvonne poussèrent en même temps cette exclamation !

– Ça, poursuivit le savant. Découverte en 1772 par un navigateur français… Il s’appelait Kerguelen, et c’est aussi la désignation de l’île.

– Kerguelen, répéta Dalvan, je voulais laisser cette terre de côté dans notre voyage, le ciel en a décidé autrement.

– C’est impossible, fit une voix.

Tous se retournèrent. Le capitaine était près d’eux. Il avait tout entendu.

– Pourquoi impossible ? interrogea Sagger.

– Parce que nous avons quitté la Réunion par 21° de longitude et que nous serions par 49°.

– Eh bien ?

– Le cyclone nous aurait donc portés à trois mille kilomètres au sud ?

– Comme l’archipel Kerguelen n’a pas bougé, il me paraît évident que le navire a franchi cette distance. D’ailleurs, vous pourrez vous en assurer bientôt. Le ciel est clair, le soleil brillant. Le point nous départagera.

À midi, le capitaine fit le point. Le Fortune était par 49° 7’de latitude et 67° 10’de longitude. L’intendant avait eu pleinement raison.

Dans ce port, on procéda à une visite du Fortune qui démontra que le navire avait peu souffert. Il était encore en état de faire une longue traversée.

– Pouvons-nous gagner l’Inde ?

À cette question de l’Américaine, le capitaine inclina la tête.

– Parfaitement, miss. Mais là, il sera nécessaire de procéder à une réparation sérieuse. Sans cela, les avaries légères s’aggraveraient et compromettraient un bon et brave navire.

Deux journées employées à faire la toilette du yacht, un peu « ébouriffé » par la tourmente, lui rendirent son aspect coquet. Et le 1er mars, sous petite vapeur, le steamer franchit les passes de la baie Hillsborough et se dirigea droit au nord. Mais une fois au large, on fit éteindre les feux et on navigua à la voile. Le vent favorable le permettait et il était urgent d’économiser le combustible. La cale, en effet, contenait du charbon pour deux jours seulement. La brise ayant tourné, il fallut de nouveau recourir à l’hélice, si bien que, le 5, le navire dut mettre en panne, ses chaudières refroidies, pour attendre un vent favorable. Le vapeur n’était plus qu’un voilier, et pour se ravitailler, il devait atteindre l’île Maurice par 20° de longitude sud.

L’équipage connut tous les ennuis de la navigation à voiles. Retardé par des vents contraires, immobilisé par un calme plat qui dura une semaine entière, le navire ne mouilla en rade de Port-Louis, chef-lieu de l’île Maurice, que le 28 mars au soir. Il avait mis près d’un mois à effectuer le trajet, que la tempête lui avait fait parcourir en trois jours. Le 29 fut employé à remplir les soutes de charbon. Le lendemain, le yacht reprit la mer, et le 10 avril, il jetait l’ancre en face de Mahé, le seul port français de la côte de Malabar. À un kilomètre au nord, on apercevait le remous causé par l’embouchure de la rivière de Mahé, et le mât de pavillon se dressait, avec sa flèche menue et ses cordages, en face de la route qui va du débarcadère à la ville. Les voyageurs posèrent le pied sur le sol de l’Inde.



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