Des épreuves de concours à profil très particulier
Les concours d’entrée à l’ENA (externe, interne et troisième concours) comportent des épreuves d’admissibilité écrites : composition sur des sujets juridiques économiques et financiers, évolution générale du monde, mouvement des idées, rédaction de notes à partir de dossier ou de cas pratiques ; en tout, près de 20 heures d’épreuves de contrôle portant sur des connaissances précédemment acquises et sanctionnées pour la plupart par des diplômes de très haut niveau. Les épreuves d’admissibilité peuvent être à dominante soit juridique soit économique. Les programmes sont encyclopédiques, les dossiers de synthèse très volumineux. La différenciation entre les candidats se fait sur l’étendue de connaissances dont les limites reculent sans cesse, et sur les capacités de présentation et de synthèse rapide.
On l’a vu, la formation dans le courant de la scolarité n’atténue pas ces différences, puisque les mêmes difficultés semblent s’opposer à ce que les femmes sortent de l’ENA sensiblement aussi bien classées que les hommes. On peut supposer avec une certaine vraisemblance que les talents et compétences des femmes ne sont pas ceux qui sont mis en valeur et sélectionnés à l’entrée et pendant la formation de cette école.
Les rapports des présidents des jurys successifs ne comportent de statistiques sexuées que depuis deux ans et ne font pas d’analyse sexuée épreuve par épreuve. Or la plus grande sélectivité du concours et de la scolarité envers les femmes devrait conduire à s’interroger à ce sujet : les femmes pour réussir à entrer à l’ENA, ne doivent-elles pas se soumettre à des épreuves construites à l’origine par les hommes pour se mesurer les uns aux autres ? Les épreuves choisies, leur contenu, les modalité de restitution des connaissances, ne favorisent-ils pas une forme sexuée de talents et de capacités, laissant sans emploi d’autres valeurs, plus féminines ? Au moins serait-il utile de connaître et d’étudier les résultats obtenus par les femmes et par les hommes aux différentes épreuves, tant à celles qui sélectionnent les candidats à l’entrée qu’à celles qui comptent pour le classement de sortie.
Un exemple d’universalité bien masculine
Un examen plus approfondi des conséquences de la mixité des Ecoles Normales Supérieures scientifiques, intervenue au début des années 80, écalire ce qui précède. Auparavant, le concours de l’Ecole normale supérieure de jeunes filles (ENSJF) créée en 1881, recrutait sur les mêmes épreuves que celles que subissaient les garçons pour entrer à l’ENS de la rue d’Ulm mais sur classements séparés. Les cours étaient communs et les diplômes universitaires parallèlement acquis étaient mixtes. Une situation semblable existait aux ENS de Saint Cloud (hommes) et de Fontenay-aux-Roses (femmes). Dès le premier concours suivant la fusion de ces écoles, le nombre de filles reçues a baissé dans toutes les matières. Cette situation perdure actuellement et n’a pas été compensée par l’augmentation, très lente, du recrutement féminin de l’Ecole polytechnique. Cependant les jeunes filles formées dans les écoles réservées aux filles ont été appréciées dans les différents débouchés à la sortie de ces écoles. Ainsi sur les 34 scientifiques de la promotion 1963 à l’ENSJF, on trouve six professeurs d’université ou assimilées, cinq directrices de recherche, cinq maîtres de conférences, quatre chargées de recherche, dix professeurs de classes préparatoires, quatre ingénieurs 19 .
Pas plus que les capacités des femmes, le principe même de la mixité n’est pour autant à remettre en cause. Il apparaît plus utile de s’interroger sur la façon dont elle s’est opérée. La fusion a consisté, en pratique, à supprimer les écoles de filles et à demander aux filles, pour leur intégration dans les écoles de garçons, de s’intégrer aux profils en vigueur dans celles-ci par le biais du classement commun. Pour autant, et sans s’interroger sur la pertinence de ce choix, on a continué à privilégier les qualités masculines évoquées plus haut sans faire place à la valorisation des qualités de type féminin.
Les critères de sélection à l’entrée des grandes écoles scientifiques qui forment les hauts fonctionnaires des corps techniques ou administratifs vont, on le constatera plus loin, de pair avec une organisation de l’administration qui fait la part belle aux qualités masculines énumérées ci-dessus. Mais ces critères sont-ils bien les seuls qu’il faudrait conserver pour sélectionner les fonctionnaires dont a besoin une administration moderne ?
Donnons ici, en passant, l’expérience des gestionnaires du personnel de France Télécom qui s’est révélée très intéressante. Le nouveau statut de cette entreprise et sa position sur le marché ont entraîné des nouvelles modalités de recrutement de personnels de droit privé. Les profils de cadres nécessaires à la stratégie nouvelle de l’entreprise ont été définis sur la base de capacités, devenues indispensables au développement de l’entreprise, d’intuition, d’aptitude au développement de partenariats, de capacité d’adaptation. Ainsi 1 300 cadres ont été recrutés en 1997. On trouve parmi eux 37 % de femmes alors qu’il n’y a que 23,3% de femmes parmi les cadres techniques de la fonction publique de l’Etat.
Les femmes dans la fonction publique sont partie prenante de “ l’universel ”
Le principe de l’égal accès des hommes et des femmes n’était abordé que par prétérition dans le statut général de la fonction publique issu de l’ordonnance du 4 février 1959. Il y était disposé qu’aucune distinction ne pouvait être faite sous réserve de dérogations autorisées par décret en Conseil d’Etat. Ces dérogations étaient étroitement encadrées par la notion de “ condition déterminante pour l’exercice des fonctions ” On a vu qu’au fil des années 80, la liste des dérogations s’était fortement réduite. Il est dès lors admis que les femmes peuvent exercer dans la fonction publique les mêmes métiers que les hommes et que pourvu qu’elle y parviennent, leurs mérites doivent être reconnus à l’égal de ceux des hommes.
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