Les mille et une nuits tome I



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LXXVIII NUIT.


« Le sultan d’Égypte, choqué du refus et de la hardiesse de Schemseddin Mohammed, lut dit avec un transport de colère qu’il ne put retenir : « Est-ce donc ainsi que vous répondez à la bonté que j’ai de vouloir bien m’abaisser jusqu’à faire alliance avec vous ? Je saurai me venger de la préférence que vous osez donner sur moi à un autre, et je jure que votre fille n’aura pas d’autre mari que le plus vil et le plus mal fait de tous mes esclaves. » En achevant ces mots, il renvoya brusquement le vizir, qui se retira chez lui plein de confusion et cruellement mortifié.

« Aujourd’hui, le sultan a fait venir un de ses palefreniers qui est bossu par-devant et par-derrière, et laid à faire peur ; et, après avoir ordonné à Schemseddin Mohammed de consentir au mariage de sa fille avec cet affreux esclave, il a fait dresser et signer le contrat par des témoins en sa présence. Les préparatifs de ces bizarres noces sont achevés, et à l’heure que je vous parle, tous les esclaves des seigneurs de la cour d’Égypte sont à la porte d’un bain, chacun avec un flambeau à la main. Ils attendent que le palefrenier bossu, qui y est et qui s’y lave, en sorte, pour le mener chez son épouse, qui, de son côté, est déjà coiffée et habillée. Dans le moment que je suis partie du Caire, les dames assemblées se disposaient à la conduire, avec tous ses ornements nuptiaux, dans la salle où elle doit recevoir le bossu et où elle l’attend présentement. Je l’ai vue et je vous assure qu’on ne peut la regarder sans admiration. »

« Quand la fée eut cessé de parler, le génie lui dit : « Quoique vous puissiez dire, je ne puis me persuader que la beauté de cette fille surpasse celle de ce jeune homme. – Je ne veux pas disputer contre vous, répliqua la fée ; je confesse qu’il mériterait d’épouser la charmante personne qu’on destine au bossu, et il me semble que nous ferions une action digne de nous, si, nous opposant à l’injustice du sultan d’Égypte, nous pouvions substituer ce jeune homme à la place de l’esclave. – Vous avez raison, repartit le génie ; vous ne sauriez croire combien je vous sais bon gré de la pensée qui vous est venue : trompons, j’y consens, la vengeance du sultan d’Égypte ; consolons un père affligé, et rendons sa fille aussi heureuse qu’elle se croit misérable : je n’oublierai rien pour faire réussir ce projet, et je suis persuadé que vous ne vous y épargnerez pas ; je me charge de le porter au Caire, sans qu’il se réveille, et je vous laisse le soin de le porter ailleurs quand nous aurons exécuté notre entreprise. »

« Après que la fée et le génie eurent concerté ensemble tout ce qu’ils voulaient faire, le génie enleva doucement Bedreddin, et le transportant par l’air d’une vitesse inconcevable, il alla le poser à la porte d’un logement public, et voisin du bain d’où le bossu était près de sortir avec la suite des esclaves qui l’attendaient.

« Bedreddin Hassan s’étant réveillé en ce moment, fut fort surpris de se voir au milieu d’une ville qui lui était inconnue. Il voulut crier pour demander où il était ; mais le génie lui donna un petit coup sur l’épaule et l’avertit de ne dire mot. Ensuite lui mettant un flambeau à la main : « Allez, lui dit-il, mêlez-vous parmi ces gens que vous voyez à la porte de ce bain, et marchez avec eux jusqu’à ce que vous entriez dans une salle où l’on va célébrer des noces. Le nouveau marié est un bossu que vous reconnaîtrez aisément. Mettez-vous à sa droite en entrant, et dès à présent ouvrez la bourse de sequins que vous avez dans votre sein, pour les distribuer aux joueurs d’instruments, aux danseurs et aux danseuses, dans la marche. Lorsque vous serez dans la salle, ne manquez pas d’en donner aussi aux femmes esclaves que vous verrez autour de la mariée quand elles s’approcheront de vous. Mais toutes les fois que vous mettrez la main dans la bourse, retirez-la pleine de sequins, et gardez-vous de les épargner. Faites exactement tout ce que je vous dis avec une grande présence d’esprit ; ne vous étonnez de rien, ne craignez personne, et vous reposez du reste sur une puissance supérieure qui en dispose à son gré. »

« Le jeune Bedreddin, bien instruit de tout ce qu’il avait à faire, s’avança vers la porte du bain : la première chose qu’il fit, fut d’allumer son flambeau à celui d’un esclave ; puis, se mêlant parmi les autres, comme s’il eût appartenu à quelque seigneur du Caire, il se mit en marche avec eux et accompagna le bossu, qui sortit du bain et monta sur un cheval de l’écurie du sultan ; »

Le jour, qui parut, imposa silence à Scheherazade, qui remit la suite de cette histoire au lendemain.

LXXIX NUIT.


Sire, dit-elle, le vizir Giafar continuant de parler au calife : « Bedreddin Hassan, poursuivit-il, se trouvant près des joueurs d’instruments, des danseurs et des danseuses, qui marchaient immédiatement devant le bossu, tirait de temps en temps de sa bourse des poignées de sequins qu’il leur distribuait. Comme il faisait ses largesses avec une grâce sans pareille et un air très-obligeant, tous ceux qui les recevaient jetaient les yeux sur lui, et dès qu’ils l’avaient envisagé, ils le trouvaient si bien fait et si beau qu’ils ne pouvaient plus en détourner leurs regards.

« On arriva enfin à la porte du vizir Schemseddin Mohammed, oncle de Bedreddin Hassan, qui était bien éloigné de s’imaginer que son neveu fût si près de lui. Des huissiers, pour empêcher la confusion, arrêtèrent tous les esclaves qui portaient des flambeaux, et ne voulurent pas les laisser entrer. Ils repoussèrent même Bedreddin Hassan ; mais les joueurs d’instruments, pour qui la porte était ouverte, s’arrêtèrent en protestant qu’ils n’entreraient pas si on ne le laissait entrer avec eux. « Il n’est pas du nombre des esclaves, disaient-ils ; il n’y a qu’à le regarder pour en être persuadé. C’est sans doute un jeune étranger qui veut voir, par curiosité, les cérémonies que l’on observe aux noces en cette ville. » En disant cela, ils le mirent au milieu d’eux, et le firent entrer malgré les huissiers. Ils lui ôtèrent son flambeau, qu’ils donnèrent au premier qui se présenta, et après l’avoir introduit dans la salle, ils le placèrent à la droite du bossu, qui s’assit sur un trône magnifiquement orné, près de la fille du vizir.

« On la voyait parée de tous ses atours ; mais il paraissait sur son visage une langueur, ou plutôt une tristesse mortelle dont il n’était pas difficile de deviner la cause, en voyant à côté d’elle un mari si difforme et si peu digne de son amour. Le trône de ces époux si mal assortis était au milieu d’un sofa. Les femmes des émirs, des vizirs, des officiers de la chambre du sultan, et plusieurs autres dames de la cour et de la ville étaient assises de chaque côté, un peu plus bas, chacune selon son rang, et toutes habillées d’une manière si avantageuse et si riche que c’était un spectacle très-agréable à voir. Elles tenaient de grandes bougies allumées.

« Lorsqu’elles virent entrer Bedreddin Hassan, elles jetèrent les yeux sur lui, et admirant sa taille, son air et la beauté de son visage, elles ne pouvaient se lasser de le regarder. Quand il fut assis, il n’y en eut pas une qui ne quittât sa place pour s’approcher de lui et le considérer de plus près ; et il n’y en eut guère qui, en se retirant pour aller reprendre leurs places, ne se sentissent agitées d’un tendre mouvement.

« La différence qu’il y avait entre Bedreddin Hassan et le palefrenier bossu dont la figure faisait horreur, excita des murmures dans l’assemblée. « C’est à ce beau jeune homme, s’écrièrent les dames, qu’il faut donner notre épousée, et non pas à ce vilain bossu. » Elles n’en demeurèrent pas là : elles osèrent faire des imprécations contre le sultan, qui, abusant de son pouvoir absolu, unissait la laideur avec la beauté. Elles chargèrent aussi d’injures le bossu et lui firent perdre contenance, au grand plaisir des spectateurs, dont les huées interrompirent pour quelque temps la symphonie qui se faisait entendre dans la salle. À la fin, les joueurs d’instruments recommencèrent leurs concerts, et les femmes qui avaient habillé la mariée s’approchèrent d’elle. »

En prononçant ces dernières paroles, Scheherazade remarqua qu’il était jour. Elle garda aussitôt le silence, et, la nuit suivante, elle reprit ainsi son discours :



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