A l'extrême limite



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LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE


LITTÉRATURE RUSSE —

Mikhaïl Artsybachev



(Арцыбашев Михаил Петрович)

1878 – 1927

À L’EXTRÊME LIMITE

(У последней черты)

1910


Traduction de J. Povolozky, Paris, Grasset, 1913.
traduction non intégrale
TABLE

I 5

II 14

III 22

IV 29

V 42

VI 51

VII 54

VIII 61

IX 75

X 93

XI 104

XII 109

XIII 129

XIV 131

XV 143

XVII 153

XVIII 165

XIX 172

XX 176

XXI 185

XXII 201

XXIII 210

XXIV 215

XXVI 234

XXVII 245

XXVIII 251

XXIX 265

XXX 277

XXXI 286

XXXII 297

XXXIII 305

XXXIV 316

XXXV 320

AVERTISSEMENT
Cette traduction parue en 1913 est non intégrale : elle ne contient que la première partie de l’œuvre originale, qui fut publiée en 1910 et qui forme un roman à part entière. La seconde partie fut publiée en 1912.

I


Au cœur d’une steppe illimitée, c’était une petite ville... Et si l’on sortait de ses murs et si l’on contemplait la ligne lointaine des plaines, la silhouette des forêts, indécise et pâlie par la distance, la vanité et la fragilité de cette poignée d’hommes qui vivent, souffrent et meurent sur la terre, apparaissaient évidentes ; et ce n’était pas là de la littérature, mais une vérité simple, que l’on constatait même avec ennui.

Pendant l’hiver, la steppe était un immense cercle, blanc et froid ; en été, un soleil ardent la brûlait, ou bien des montagnes de nuages s’y accumulaient, et les éclats de la foudre dominaient sa sombre étendue. Mais, en toute saison, elle demeurait, pareillement triste, énigmatique, et, pour l’homme, étrangère.

Lorsqu’un vent desséchant y soufflait, il s’en élevait une poussière fine qui assaillait la cité comme une horde de fantômes gris, et s’abattait sans bruit sur les fenêtres, sur les toits, sur les eaux stagnantes de la rivière, couvrant de la même couche toute la contrée, soudain aussi caduque que le monde : et tout y était uniforme et indigent comme sous des cendres que la tempête ne disperse pas.

Or, c’est dans une ville telle que celle-ci, plutôt que parmi des arbres verts, des montagnes rosées et des édifices splendides, que devait naître une pensée assez puissante pour se propager sur la terre, telle qu’une blême vision de mort.

Un rocher précipité dans la mer y disparaît sans trace ; mais un simple caillou couvre de cercles la face de l’eau dormante ; et ainsi, ce qui fût demeuré inconnu et sans effet dans le fracas d’une grande ville, bouleversa ici le plus profond des âmes, et put ébranler plusieurs esprits.

Le petit pays triste, dont il s’agit, traversa une véritable crise. Lorsqu’on en chercha plus tard la cause, on crut la découvrir entièrement dans la personne d’un certain Naoumow, ingénieur à l’usine d’Arbousow, un richard de l’endroit. Il est vrai, en effet, que cet homme singulier joua un rôle dans l’accélération des événements et dans leur dénouement.

Mais dans le calme d’une vie journalière, dans la minutieuse observance des coutumes séculaires, mûrissait déjà depuis longtemps une étrange et terrible catastrophe. Cependant, trois ou quatre mois avant qu’elle ne se produisît, tout semblait si normal, si ordinaire, que personne n’eût prévu un autre lendemain.

La petite ville étouffait de chaleur, son existence banale et morne s’écoulait, et, morne comme elle, était l’existence du petit étudiant Tchige, courant en hâte de leçon en leçon. Une vieille casquette blanche, dont le bord jadis bleu était décoloré, couvrait jusqu’aux oreilles son crâne pointu où des pensées s’agitaient infatigablement. Expulsé, depuis deux années, d’une importante université, il s’embourbait dans ce petit pays, sans aucun espoir d’en jamais sortir ; aussi le haïssait-il de toutes les forces de son âme, jusqu’à l’angoisse, jusqu’à la souffrance.

Le soleil pesait d’aplomb, et l’air tremblotait de chaleur, ondoyant comme une gaze au long des clôtures. De piteux squelettes d’acacias inclinaient leurs branches dépouillées, et leur ombre sèche et rare était couchée sous eux. À cause du soleil, presque tous les volets des maisons étaient clos et, derrière, on devinait des hommes qui suaient, étouffant de chaleur et d’ennui, incapables de penser ni de sentir.

Les oiseaux eux-mêmes se taisaient. Tchige suivait le boulevard, en nage, indigné :

— Les diables verts ? Il leur a fallu bâtir une ville dans cet endroit maudit !... Vraiment, on croirait qu’il était impossible de trouver un autre coin. Qui les a attirés ici ? N’y a-t-il pas par le monde, des bois, des rivières ?... Mais non ! ils éprouvaient le besoin de se mortifier, les malheureux idiots !

De l’autre extrémité de la voie, un homme, coiffé d’une casquette d’uniforme, venait à sa rencontre. L’endroit était si désert et si mort qu’un visage vivant y causait une impression de gêne.

Malgré sa myopie, Tchige reconnut d’assez loin le fonctionnaire de la trésorerie Ryskov, qui était de ses relations. Celui-ci marchait lentement, balançant sa canne, il semblait insouciant et même étourdi. Lorsqu’ils furent près l’un de l’autre, Tchige jeta un regard indifférent sur sa figure jaune et longue, aux dents de cheval et aux petits yeux incolores. Ryskov souleva sa casquette et, toujours balançant sa canne, continua son chemin ; Tchige de son côté se hâta davantage ; ils n’avaient rien à se dire.

Cependant, si l’étudiant avait examiné plus attentivement le visage de Ryskov, il eût été frappé de son expression. Les petits yeux troubles du fonctionnaire de la trésorerie regardaient, immobiles, mais il s’y fixait une pensée tendue, et comme figée ; le mouvement cadencé de ses longs pieds et l’immobilité de sa tête levée donnaient à toute sa personne quelque chose d’irréel et d’automatique. On eût pu croire qu’il marchait et marcherait désormais, ainsi qu’une machine remontée, jusqu’au moment où une volonté étrangère l’arrêterait ou l’ôterait du chemin, comme un inutile et stupide jouet mécanique.

Mais tout ennuyait Tchige dans cette ville maudite où il lui semblait que rien ne pût exister en dehors d’une trivialité paisible. Il méprisait en outre sincèrement Ryskov, comme il méprisait tous ceux qui n’étaient pas dans le cercle de ses intérêts ; et la vue de ce fonctionnaire ne fit que déterminer en lui un nouvel accès de cruauté et d’ennui.

— En voilà encore un qui vit ! pensa-t-il, en essuyant son front blême, et il croit jouer un grand rôle. Toute la journée, en moiteur, parmi les mouches, il écrit ; il écrit le diable sait quoi ; il se courbe devant le trésorier, flatte le premier comptable, puis il se promène sur le boulevard avec des demoiselles, dans l’espoir de rendre heureuse l’une d’elles, et de mettre au monde une demi-douzaine de nouveaux fonctionnaires de la trésorerie, et même, ô bonheur, un premier teneur de livres.

Il semblait à Tchige qu’il ne pouvait continuer de vivre ainsi seulement trois jours, et il pensait avec irritation, inconsciemment.

— ... Qu’il arrive au moins quelque chose ! Un tremblement de terre par exemple. Cela a donc lieu quelque part un tremblement de terre ?... On appelle cela une catastrophe : moi, je dirais que c’est une bénédiction... J’en serais heureux... Une catastrophe ! Mais non, ce n’est pas une catastrophe. Ce qui en est une vérité, c’est que des millions d’hommes sentent le cadavre, comme ici... pouah !

Tchige cracha de fureur et de dégoût, et il s’arrêta brusquement.

— Il est encore bien tôt pour aller donner ma leçon aux enfants du marchand. Si j’allais passer un instant chez Davidenko ?

Et sans être bien décidé sur ce qu’il devait faire, Tchige s’engagea machinalement dans une ruelle, ouvrit une porte et pénétra dans une cour tapissée d’herbe poudreuse. Soudain, il commença à s’ennuyer comme s’il eût été extraordinairement gai l’instant d’auparavant. Il voulut même retourner sur ses pas. Chaque jour, il esquissait ce mouvement, et, comme chaque jour, Tchige ne l’accomplit point ; il s’engagea d’un air dégoûté sur le sentier tracé dans l’herbe, pour gagner le pavillon bleu et lépreux qui occupait le fond de la cour.

Quelque part, sous un hangar, un chien aboya, mais ne sortit pas à la chaleur. Trois poules et un coq, hérissant leurs plumes, se tenaient dans l’ombre d’une clôture. Derrière le pavillon, les arbres poussiéreux du jardin somnolaient.

Tchige pénétra dans un vestibule obscur, atteignit le bouton de la porte et entra sans frapper dans une grande chambre sale, fraîche comme une cave. Deux lits défaits étalaient leurs draps malpropres et fripés. Sur le rebord de la fenêtre, des bouteilles de bière étaient alignées. Par terre, sous un balai jeté en travers de la chambre, il y avait des livres ouverts, des bouts de cigarettes et d’innombrables débris. Devant une table, deux étudiants silencieux fixaient avec ténacité un jeu d’échecs. Leurs têtes chevelues s’enfonçaient entre des épaules larges et jeunes et leurs dos se voûtaient.

— Ils sont encore assis, les maudits garçons ! dit Tchige, mi-indigné, mi-plaisant, en posant sa canne dans un coin ; vous ne l’avez pas encore été assez ?

Les deux joueurs d’échées se redressèrent, lui tendirent la main sans le regarder et se plongèrent à nouveau dans leurs calculs.

— Que le diable emporte cette chaleur ! s’écria Tchige, avez-vous au moins de la bière à m’offrir ? Il ôta sa casquette et épongea son front pâli, de chaleur et de fatigue. Ses cheveux mouillés se dressaient, et, collés, ils ornaient sa tête d’une risible houppe d’oiseau.

Silencieusement un des joueurs désigna du doigt la fenêtre et les bouteilles, puis déplaça quelque chose sur l’échiquier.

— Bonjour, fit l’autre d’une voix basse et paresseuse.

Tchige se remplit un verre de bière et savoura lentement le liquide exquis et froid, avec, dans la gorge, des glouglous de délices.

— Ouf ! c’est bon ! dit-il en essuyant sa moustache. Davidenko, as-tu reçu les journaux ?

— Eh ! fit le bel étudiant dont les épaules larges, que moulait une chemise de perse fanée, semblaient être celles, puissantes, d’une statue de bronze, plutôt que celles d’un homme.

— Michka, où sont les journaux ? insista Tchige dépité et ennuyé d’être seul sans occupation.

Le maigre Michka leva sa tête blonde et intelligente, fixa le plafond de ses yeux pensifs et, un peu triste, prononça :

— Sous le lit.

Tchige cracha, étendit le bras sous le lit, secoua les feuilles pour en faire tomber les ordures et les bouts de cigarettes, et s’assit près de la fenêtre.

Il se mit à lire, très sérieux, tournant les grandes feuilles d’une main adroite. De temps en temps, il se versait de la bière, la buvait lentement en imbibant d’écume toute sa moustache et se plongeait à nouveau dans sa lecture. Devant lui se déroulait, en courtes lignes d’imprimerie, la vie combative et bariolée des grandes cités. La vive imagination de Tchige la reconstituait nettement. Il voyait en lisant tous les journalistes écrire, les paysans mourir de faim, les députés discutant, les bourreaux occupés à pendre, et les empereurs, se saluant solennellement comme dans les ballets.

C’était une grande partie d’échecs qui se continuait indéfiniment malgré la situation désespérée de tel ou tel des adversaires.

Or le petit étudiant n’envisageait pas avec indifférence ce perpétuel et monotone recommencement.

Tous les événements actuels, tout ce qui emplissait les journaux de cris rageurs l’inquiétait et le révoltait.

— Le Diable sait ce qu’il y a... Davidenko, tu as lu ? commença Tchige d’une voix vibrante et agitée, à Samara...

— Diantre ! j’ai encore une fois manqué mon coup, dit Michka dépité, et il se remua sur sa chaise, en ébouriffant ses cheveux clairs.

— Et tu bayes aux corneilles comme si tu jouais aux osselets, observa Davidenko.

Tchige les regarda avec pitié, haussa les épaules et se versa de la bière.

— Quel tour lui jouerais-je bien ? murmura Michka en se grattant derrière l’oreille et en examinant son jeu.

Il réfléchit, déplaça quelque chose sur l’échiquier, et prononça sans grande assurance :

— Échec !

Tchige poussa un soupir. Il lui apparut soudain que la pendaison de sept individus à Samara n’avait pas en somme une si grande importance :

Il se présenta sept hommes dans le genre de Ryskov, Michka et Davidenko ; il évoqua leurs regards atones et ennuyés, et murmura presque inconsciemment :

— Que le diable les emporte !...

Il plia les journaux et se leva d’un air dégoûté.

— Eh bien, je m’en vais, dit-il, comme à part soi, en saisissant sa canne.

Les joueurs ne levèrent pas la tête. Une fumée bleue planait sur eux comme les volutes d’encens d’une cérémonie funèbre.

Les ombres vertes glissaient sans bruit sur le plafond, comme mues par un sortilège.

Tchige traversa de nouveau la cour déserte, entendit l’aboiement nonchalant du chien, regarda les trois poules et le coq, et pensa machinalement en débouchant dans la rue :

— Est-ce que les poules suent ?

Cette question l’occupa sérieusement. Il essaya d’assembler ses connaissances, feuilleta mentalement quantité de livres, tenta une solution par la logique, puis par l’imagination. Enfin, il arriva à cette conclusion que les poules devaient suer ; mais qu’une poule couverte de sueur représentait quelque chose de parfaitement absurde.

Il cracha avec fureur et quitta la ruelle en courant.


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