Le numéro 68 de la rue Joseph-Claes présente une façade comme une autre. Il faut connaître le lieu pour savoir qu’il s’agit d’une mosquée. « Moi, je l’ai googlisée, explique tout net Safia, jeune diplômée en journalisme de l’ULB. J’ai tapé «mosquée en français, Bruxelles», il n’y en a qu’une ! »Ailleurs, l’arabe est encore dominant, même si de plus en plus de prêches sont traduits en français. Pour Salima, Jalila, Wisam et Safia, qui ont toutes entre vingt et trente ans, le choix de la mosquée Arabita s’imposait : « Pendant toute notre enfance, on a suivi nos parents à la mosquée… sans rien comprendre ! »
A la Mosquée de Saint-Gilles © Hatim Kaghat / Le Soir
Le bref couloir s’ouvre sur une grande pièce couverte d’un tapis vert, à l’entrée duquel les hommes se déchaussent. On nous désigne le local des femmes, plus petit. En un quart d’heure, une quinzaine de femmes arrivent, majoritairement jeunes, certaines avec des enfants en bas âge. Les haut-parleurs crépitent et précèdent l’appel à la prière de l’imam Mouhameth Galaye Ndiaye, un jeune Belge d’origine sénégalaise :« Allaaaaaaaah… Akbar. » C’est par des excuses somme toute très prosaïques que le cheikh prend la parole : « Chers frères et sœurs, je m’excuse pour le retard, vu la circulation dans Bruxelles… Le thème d’aujourd’hui sera la distraction en islam. »L’imam livre son sermon dans un langage courant, en français donc : « Beaucoup de musulmans qui pensent bien faire estiment qu’ils ne peuvent pas s’amuser. Nous avons aujourd’hui beaucoup de divinités : la musique, le football, l’internet. Que nous dit l’islam ? Que l’excès est nuisible en tout. Mais évidemment que nous pouvons aller boire un café en terrasse, écouter de la musique. Nous devons prendre des moments pour nous-mêmes, prendre du plaisir, comme pour recharger les batteries d’un téléphone et mieux aller vers Allah ensuite. »
Le prédicateur n’hésite pas à rattacher son prêche à l’actualité : « Aujourd’hui, on étouffe avec l’islam. Ce qui mène des gens frustrés à commettre des choses abominables. L’islam doit donner le sourire, et nous aider à vivre avec les autres, pas nous enfermer. » Le sermon laisse place à la prière. Les femmes se mettent toutes en ligne dans la pièce, serrées épaule contre épaule. Elles prient d’abord debout, en s’inclinant, puis se prosternent à terre, se redressent sur leurs genoux, avant de se prosterner à nouveau et de se relever. A la fin, elles effectuent un mouvement de la tête à droite, puis à gauche.
Pour Salima, Jalila, Wisam et Safia, le prêche du vendredi est un moment privilégié.« On en apprend chaque semaine », entame Salima. Pour Jalila, c’est un « moment d’apaisement, pour déconnecter, après une semaine de boulot ». Safia, elle, en profite pour réfléchir aux « questions existentielles ». Wisam est séduite par la façon qu’ont les prédicateurs de cette mosquée de relier discours religieux et problèmes de société.
Le prêche de ce vendredi sur les distractions a parlé aux jeunes femmes. « Le discours dominant est quand même aujourd’hui celui des salafistes, estime Safia.Mais dans ma famille, on en rit ! » « Chez nous, on a toujours été des fêtards, on aime écouter de la musique, on est cool, poursuit Wisam. Pour moi, le discours salafiste, c’est ce qui est en train de pourrir le monde musulman. Alors cela fait du bien d’entendre l’imam. » Salima, pour sa part, n’écoute plus de musique, « mais c’est un choix », se défend-elle. « C’est un sujet parmi d’autres sur lesquels il y a des divergences, tempère Jalila. Mais chacun fait comme il le ressent, on n’a pas à juger. »
Vendredi soir à la synagogue, une heure rien qu’en hébreu, pour initiés seulement
Deux militaires devant l’entrée. Pour les Juifs qui fréquentent la grande synagogue de Bruxelles, c’est chose commune depuis longtemps. En tant qu’externe à la communauté, il faut également donner son nom pour rentrer. Sécurité oblige. Une fois à l’intérieur, le cadre prestigieux est assez clairsemé. La fermeture du tunnel Stéphanie a bloqué plusieurs fidèles. Les femmes sont séparées des hommes. Pour que l’office commence, il faut d’ailleurs que dix hommes adultes soient présents : c’est ce qu’on appelle un miniane.
L’office du shabbat commence par la « lecture de quelques psaumes », nous souffle la voisine… Comprenez que le cantor ou hazan, c’est-à-dire le « ministre officiant » chante en hébreu avec vocalises et autres effets de voix. Les fidèles suivent dans leur livre – le sidour. Autant dire que pour un novice, c’est parfaitement inaccessible.« Maintenant, c’est le chant de bienvenue du shabbat, nous sauve encore Evelyne, à nos côtés. On accueille le jour du shabbat, comme une fiancée. Vous verrez, à la fin, tout le monde se retourne vers l’entrée, pour accueillir la fiancée. » En effet.« Maintenant, c’est le kaddish des endeuillés, la prière pour les gens qui ont perdu un proche. »
L’office du Shabbat à la Grande Synagogue de Bruxelles. © Mathieux Golinvaux / Le Soir
Le grand rabbin Guigui n’interviendra à aucun moment pour parler en français, donner une explication ou annoncer une transition. Il lance quelques chants. Des chants qui se suivent et, pour un non-initié, se ressemblent. Vient la sanctification du vin. L’office qui dure à peine une quarantaine de minutes le vendredi soir se clôture par une prière collective.
« Toute la cérémonie suit un schéma très bien établi », nous explique plus tard Evelyne. Gérard, un autre pratiquant qui vit la moitié de l’année en Israël, explique que l’on retrouve à peu près les mêmes offices où que l’on soit dans le monde. Avec quelques différences selon les tendances : « Chez les libéraux, que je fréquente également, il y a l’égalité entre hommes et femmes », explique Evelyne, qui se revendique ULBiste convaincue.
Pour Gérard, célébrer le shabbat à la synagogue est une façon de se « couper de la vie trépidante, de laisser tomber les choses profanes et de s’offrir un moment de spiritualité ». Evelyne approuve : « Retrouver sa communauté aussi, et se retrouver soi. Personnellement, je ne connais pas l’hébreu. Je me concentre donc sur le texte, avec sa traduction. C’est très beau. » Par « définition », le shabbat est le jour de repos du Seigneur. En pratique, le shabbat consiste à arrêter toute activité, à se couper des contingences matérielles. « Pour moi, l’important est de respecter l’esprit du shabbat, à savoir en faire un jour différent des autres », développe Evelyne. Il nous sera néanmoins impossible, pour ces raisons, de faire des photos pendant la cérémonie et à l’intérieur de la synagogue. Ce soir-là, comme une fois par mois, les fidèles restent à la synagogue pour manger ensemble. Le rabbin sanctifie le vin puis le pain. Et les conversations s’animent comme lors de n’importe quel repas. Mais pas question de prendre des notes !
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