Conclusion : Toutes ces méthodes ne sont pas exhaustives de ce que l’on peut essayer dans une classe de malentendants , mais elles sont représentatives de l’esprit dans lequel il faut travailler avec eux . D’autre part, elles conviennent aux entendants, surtout s’ils ont des difficultés. Il faut toujours garder à l’esprit les règles de base : Expliciter au maximum, visualiser, faire raisonner. Etre exigeants, avec soi-même, avec eux. En restant fidèle à ces lignes directrices, on obtient, lentement , mais sûrement, des résultats.
EIII Analyse de l’action
1) Pourquoi ce groupe a-t-il marché ?
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Des valeurs communes
Ce qui a fondé notre groupe, c’est le besoin de solidarité, et de partage, face à des difficultés communes. Ce qui nous a soutenus au cours de ces deux années, c’est notre volonté de faire œuvre utile, de servir la cause des sourds, d'aider les collègues.
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Une programmation rigoureuse
Toutes les réunions étaient programmées sur un an ou presque, l'ordre du jour strictement défini chaque fois. Ainsi nous avons pu tenir nos objectifs, sans nous perdre dans les discussions , comme l'amplitude du sujet aurait pu nous inciter à le faire.
c)Un lieu
Nos réunions ont bénéficié de l'hospitalité du lycée La Martinière Duchère, de même que notre stage. Cela nous a libérés des problèmes matériels.
d)Un compte-rendu à chaque réunion
Chaque réunion était suivi d'un compte-rendu complet, qui annonçait également l'ordre du jour de la réunion suivante. La somme de ces comptes-rendus a constitué un document très solide pour la partie analyse.
F f)Un responsable, Thérèse Mangeret
La création de ce groupe, constitué d’enseignants qui ne se connaissaient pas, qui travaillaient dans des environnements différents ,a nécessité un responsable très motivé , et résolu à aboutir .Il lui a fallu gérer la partie administrative, rédiger les comptes-rendus, régler les problèmes matériels ,maintenir la cohésion .
2) Originalité du groupe : du primaire au lycée
Pour notre sujet , c’est la continuité pédagogique, allant du CP au lycée, qui constitue le point fort. Ce sont les difficultés rencontrées par les petits de Corinne, et la manière dont elles sont traitées, qui éclairent la suite de leur scolarité. De même, les élèves en grande difficultés de Laurent constituent un révélateur, une loupe pour nos élèves de collège et lycée . L’apport de nos collègues de primaire a été déterminant, sans lui, nous aurions été aveugles et démunis.
3) Freins et points d’appui
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Difficultés liées à notre dispersion
Contrairement aux groupes fonctionnant dans le même établissement, nous ne nous connaissions pas Il a fallu faire connaissance. Nous ne nous rencontrons pas en dehors des réunions programmées Cela pose un problème de communication , et prend du temps. Heureusement , le courrier électronique a simplifié la communication.
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Difficultés pour la collègue de primaire, à participer aux réunions
Notre collègue de primaire a rencontré de grandes difficultés pour venir aux réunions, et pour nous recevoir dans sa classe. Il lui fallait chaque fois une autorisation de son inspecteur. D’autre part, comme nous ne recevions les ordres de mission qu’à la fin de l’année scolaire, elle ne disposait jamais de papier officiel justifiant son travail avec nous. Nous avons été obligés de doubler une partie de nos réunions le mercredi après-midi .Cela nécessite une très forte motivation pour tous.
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Intérêt de la participation du professeur ressource et de la collaboration du SSEFIS.
Comme nous souhaitons aider le maximum de collègues , il est essentiel que notre travail soit divulgué par les organismes et personnes travaillant avec les enseignants des élèves sourds .
D’autre part, nous avons pu bénéficier de leurs contacts, et de leurs compétences.
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Aide du PASI
En nous donnant un cadre légal, et méthodologique, le PASI a rendu possible notre projet. Les accompagnatrices nous ont soutenus avec efficacité.
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Témoignages
Qu’est-ce que le groupe nous a apporté, pour nous-même, pour notre pratique professionnelle ?
Corinne
La collaboration avec des professeurs du secondaire a modifié positivement mon regard, quant à certaines réalités vécues, au début de ma carrière… Les élèves sourds étaient parfois essentiellement perçus, par les enseignants d’intégration, comme des jeunes « atteints de nombreux déficits : communicationnels, langagiers, intellectuels, conceptuels ». Ils se retrouvaient alors en difficulté pour comprendre un enseignement majoritairement centré sur la transmission orale des connaissances. J’ai ainsi, pu mesuré, combien le regard, les méthodes d’enseignement et les réflexions pédagogiques des enseignants avaient évolué… A l’ère du seul constat négatif que j’avais vécue a succédé une ère de recherche de solutions et de différenciations pédagogiques adaptées aux difficultés (qui n’étaient pas occultées pour autant.)
Ma participation à cette réflexion m’a conduite à privilégier ou à renforcer certains aspects des mathématiques : compréhension de la numération de position, recherches et tris d’informations dans des énoncés dessinés ou signés en Langue des Signes, justification de réponses proposées, propositions de réponses erronées…
Laurent
Sur un plan personnel, les visites dans nos classes respectives, m’ont beaucoup enseigné sur la pratique de chacun , qui s’étendait des classes primaires jusqu’au lycée. Puis, dans un second temps, nous avons pu échanger, à partir de situations concrètes observées, sur les approches pédagogiques de chacun et les théories sous-jacentes. C’est particulièrement ces aller-retour, entre les éléments théoriques que l’on a pu trouver sur la pédagogie adaptée à la surdité et la façon dont chacun se débrouille «intuitivement » sur le terrain, qui m’ont intéressé. Nous en sommes venus à chercher ce qui pouvait différer entre l’enseignement à un enfant sourd et à un enfant en difficulté scolaire, étant donné que certains enseignants avaient une expérience en Z.E.P.
Ces échanges ont influencé ma pratique professionnelle. Ils m’ont montré à quel point le langage était important dans l’acquisition et la prise de conscience des concepts mathématiques. C’est ainsi que je me suis penché sur des techniques d’aide à l’évocation comme l’entretien d’explicitation. Mais face à des élèves sourds qui éprouvent des difficultés de langue, comment les aider à verbaliser, à reformuler leur raisonnement. Je me suis ainsi interrogé sur le rôle de l’image comme support à l’évocation. Je me suis ainsi rendu compte qu’il était très important de poser des éléments qui n’étaient pas entendus par les élèves, de délinéariser notre discours et que l’image, l’utilisation de l’espace de la classe, du tableau, des couleurs étaient autant de petites astuces facilitant l’accès aux connaissances pour les jeunes sourds.
D’autre part, le fait d’écouter les préoccupations des enseignants du groupe à des niveaux supérieurs au mien m’a permis de me rendre compte de ce qui était demandé, ce qui m’a donné la possibilité d’adapter mon enseignement par rapport à ce qui pouvait être attendu pour mes élèves dans la suite de leur scolarité. Notamment, j’ai été amené à être plus exigent sur la présentation et la rédaction des devoirs de mes élèves tout particulièrement en ce qui concerne les explications qu’ils pouvaient me donner.
Monique
Ce qui a changé dans ma pratique depuis 3 ans
Je connaissais déjà l’enseignement des mathématiques en primaire et en lycée ; mais je ne connaissais pas du tout l’enseignement à des élèves sourds ; voici ce qui a changé dans ma pratique depuis 3 ans
parler face aux élèves et ne pas parler quand j’écris au tableau ; répéter ce que dit un élève pour que les autres lisent sur mes lèvres, articuler, parler plus lentement,…
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utiliser plus de moyens visuels :
- plus de dessins, de schémas, de symboles
– plus grande utilisation de la couleur
– meilleure utilisation du rétroprojecteur : transparents plus nombreux, plus lisibles, des transparents « dynamiques » en géométrie utiliser caméra télé qui remplacent l’épiscope approfondir le travail sur le vocabulaire des mathématiques, les consignes, énoncés ; les erreurs dues au français
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adapter mes exigences (qui avaient beaucoup baissé au départ, mais c’était une erreur) :
- concernant la discipline et le comportement en classe
– concernant la mémorisation, la récitation des leçons
– concernant la communication orale
– concernant le niveau des exercices, des activités
– concernant les évaluations, les textes, le temps donné pour ces évaluations
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me méfier davantage des manques culturels, et de l’impression que ces élèves savent donner d’avoir compris ; pour les élèves peu sourds, me méfier de croire qu’ils entendent aussi bien qu’ils parlent…
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utiliser des signes en classe spécifique (sourds non oralisants) ; cela relève plus du langage commun entre eux et moi que de véritables signes de LSF, mais cela facilite leur compréhension, accélère la communication, me permet de vérifier parfois qu’ils parlent bien de maths entre eux, me permet de mieux les comprendre car ils signent en me parlant, …
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Ce qui n’a pas changé :
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travailler le sens des notions, le raisonnement, être rigoureuse dans les méthodes, cohérente au maximum
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mettre les élèves en activité, bâtir à partir de ce qu’ils savent
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motiver la recherche des réponses, l’analyse de leur pertinence et des erreurs par des confrontations entre élèves (voire des débats avec des oralisants) ou des situations problèmes
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utiliser des questions issues du questionnement d’explicitation
Toutes ces adaptations sont en évolution constante et changent selon le public ; mais toutes sont petit à petit réinvesties d’une façon ou d’une autre auprès des élèves entendants, notamment de ceux qui sont en difficulté, mathématiques ou surtout, langagières…
Présence d’un interface dans ma classe
Cette année, je bénéficie pour la classe spécifique (élèves non oralisants) de la présence durant la moitié du temps d’un interface. Celui ci possède les deux langages (LSF et français parlé) et facilite la communication et l’activité des élèves dans la classe. Je reste l’enseignante et le référent de la matière. Cela demande à l’enseignant de s’habituer à une présence adulte dans sa classe, mais le gain de communication est tellement énorme que la présence de l’interface me paraît tout à fait indispensable. Quand il n’est pas là, je suis contrainte d’écrire et de faire écrire les élèves, sans cesse.
- parler face aux élèves et ne pas parler quand j’écris au tableau ; répéter ce que dit un élève pour que les autres lisent sur mes lèvres, articuler, parler plus lentement,…
utiliser plus de moyens visuels :
- plus de dessins, de schémas, de symboles
- plus grande utilisation de la couleur
- meilleure utilisation du rétroprojecteur : transparents plus nombreux, plus lisibles, des
transparents «dynamiques » en géométrie (techniques issues du stage PAF «rétroprojecteur », où
l’on apprend à mettre en mouvement les transparents…)
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utiliser les technologies nouvelles, petitement parce que je suis un peu réfractaire…
Yves
La première année de notre travail de groupe a été une phase d’observation des différentes pratiques d’enseignement depuis le primaire jusqu’au lycée. A tour de rôle nous assistions à une séance de cours, découvrant ainsi des méthodes différentes souvent innovantes et parfois même surprenantes. Cette expérience a été pour moi une formidable ouverture vers les autres.
Nous avions tous rencontrés les mêmes problèmes, nous avions tous eu les mêmes interrogations et nous restions souvent seul face à nos doutes. La dynamique du groupe nous a permis de rompre notre isolement. Nous étions réconfortés à l’idée de surmonter ensemble nos difficultés personnelles.
Dans un deuxième temps nous avons analysé nos différentes observations et rassemblé par écrit nos nombreux échanges. Toute cette période m’a permis de mieux connaître le monde de la surdité, l’aspect psychologique et humain de l’élève HA, son mode de fonctionnement. Il ne suffit pas de répéter ou d’écrire ce que l’enfant sourd n’entend pas, son apprentissage passe par d’autres clefs.
Sur le plan professionnel, j’ai été amené au fil du temps à bouleverser mes habitudes d’enseignement. J’ai testé de nouvelles pratiques, j’en ai abandonné d’autres. Le suivi de nos différentes expériences, de l’école primaire jusqu’au lycée, m’a permis d’envisager les programmes de mathématiques de notre système scolaire sous un éclairage diffèrent et de mieux percevoir les articulations entre les différents niveaux.
Enfin un dernier point important nous a marqués : nous avons constaté que les problèmes rencontrés chez les enfants HA se retrouvent à des degrés plus ou moins apparents chez d’autres élèves non atteints de surdité. Ainsi tout ce qui est fait pour l’enseignement à un HA peut être transcrit à un élève entendant.
Françoise
Au cours de ses 3 années, mes plus grandes découvertes ont été la révélation sur le terrain du travail de l'enseignante du 1er degré (je suis restée ébahie devant l'utilisation associée du LPC et de la LSF5 pour tirer le meilleur des petits élèves sourds), ainsi que l'ingéniosité dont doit faire preuve notre collègue pour éveiller ses élèves qui en plus d'être sourds sont en grandes difficultés.
La méconnaissance des pratiques d'enseignement du 1er degré et des classes spécialisées m'est apparue comme un frein immense à l'amélioration de l'enseignement dans le 2nd degré. Cette constatation doit certainement s'appliquer aussi aux classes dites " ordinaires", si bien qu'un travail de réflexion au sein d'équipes composées d'enseignants du primaire, du collège et du lycée serait sans doute très bénéfique.
Thérèse
Ces trois années de travail ont été très riches. Rétrospectivement, je réalise combien cela pouvait paraître utopique de vouloir réunir des enseignants de tous niveaux, et pourtant, nous avons surmonté les obstacles, et fait de cette différence, dans le respect mutuel, notre principale réussite.
Sur le plan de ma pratique en classe, j’ai pu améliorer mes méthodes, et surmonter des obstacles qui me paraissaient insurmontables, par exemple, la démonstration. Ce fut une école de rigueur, certes, mais pour une fois, je n’étais pas seule face aux problèmes, nous les partagions. Cela m’a donné le courage d’avancer, malgré la charge de travail.
Nous sommes au bout de notre projet, dans la phase d’écriture, nous allons transmettre aux collègues qui nous suivent quelques bases pour réussir.
C’est une très grande satisfaction pour moi.
IV Conclusion
A nos lecteurs
Nous espérons que ces pages répondront à quelques-unes de vos questions et vous permettront d’en régler d’autres. Notre texte final sera beaucoup plus complet.
Nous avons pris un grand plaisir à participer à ce groupe, à nous co-former à travers la diversité de nos expériences. Nous en sortons enrichis, avec une envie renouvelée de poursuivre notre travail.
Il reste beaucoup à faire et peut-être certains prendront-ils la relève, en mathématiques ou dans d’autres disciplines.
[Notre production finale, une brochure d’environ 50 pages, sera disponible au CRDP, et sur les sites de la DAFAP et de l’IREM à partir de la rentrée 2004.]
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