Gaston Bardet



Yüklə 1,41 Mb.
səhifə10/64
tarix29.10.2017
ölçüsü1,41 Mb.
#20341
1   ...   6   7   8   9   10   11   12   13   ...   64

DANS LES CELLIERS DU ROI.


Nous sommes en plein surnaturel. Il ne s'agit plus d'un ralentissement, d'un engourdissement, d'un semi-repos :

« Ici, toutes nos puissances sont endormies et même profondément endormies par rapport à toutes les choses du monde et à nous-mêmes. Et en vérité, l'âme est comme privée de sentiment durant le peu de temps que dure cette oraison d'union et le voudrait-elle, il lui serait impossible de penser à rien d'ici-bas. Aussi n'a-t-elle pas besoin d'artifice pour suspendre son entendement. Si elle aime, elle est dans un tel sommeil qu'elle ignore comment elle aime ; elle ne sait même pas ce qu'elle aime, ni ce qu'elle voudrait. Enfin, elle est complétement morte au monde pour vivre davantage en Dieu ; voilà pourquoi c'est une mort délicieuse. C'est une mort, car l'âme est affranchie de toutes les opérations qu'elle peut avoir, tout en étant unie à son corps, et cette mort est pleine de délices, parce que si l'âme semble vraiment se séparer de son corps, c'est pour mieux jouir de Dieu ; aussi, je ne sais même pas s'il reste assez de vie au corps pour respirer ».

Si, le corps respire mais très lentement. Au début de ces unions le ralentissement des échanges - comme en certaines léthargies - peut atteindre le 1/50°, le 1/10°, puis reviendra au ralentissement normal du sommeil ordinaire. C'est la « mort des anges » de saint Bernard, c'est-à-dire la rupture opératoire entre psyché et pneuma.

Les conséquences de cette « mort extatique », qu'on appelle communément « sommeil spirituel », mais qui est une mort particulière vous rendant imperméable à toutes influences extérieures 77, sont capitales.

« Sans doute, il est plus difficile aux bêtes venimeuses d'entrer dans les Quatrièmes Demeures que dans les précédentes, bien que les petits lézards, étant plus effilés, se glissent partout ; ils ne font pas de mal, surtout si on les méprise, comme je l'ai dit, mais ce sont des petites pensées qui procèdent de l'imagination ou des causes que j'ai signalées et qui ne laissent pas d'être souvent importunes. Dans cette Cinquième Demeure, au contraire, les lézards, si effilés qu'ils soient ne peuvent pénétrer, parce que ni l'imagination, ni la mémoire, ni l'entendement ne sauraient empêcher l'âme de goûter la faveur dont elle jouit ».

Cette union, c'est celle que chante l'Epouse du Cantique des Cantiques : « Le Roi m'a introduite dans ses appartements secrets » ou mieux, « dans ses celliers », et nous retrouvons le symbolisme de la caverne :

« C'est à Sa Majesté de nous introduire et de nous placer dans le centre de notre âme. Afin de mieux nous manifester ses merveilles, le Seigneur ne veut pas que nous y apportions d'autre coopération que celle de la volonté qui s'est soumise entièrement à lui, ni qu'on ouvre la porte des puissances et des sens qui sont tous endormis. Il entre dans le centre de notre âme, sans passer par aucune de ses portes, comme il entra chez ses disciples, quand il leur dit : La paix soit avec vous, ou qu'il sortit du sépulcre sans lever la pierre qui le fermait ».

Combien de temps dure cette mort ? Mère Thérèse dit « quelques instants, car ce temps, à mon avis, n'arrive jamais à une demi-heure ». Tout dépend des tempéraments et du degré d'habitude du corps. Nous le verrons. Si au début ces morts passagères ne durent qu'un quart d'heure... une demi-heure, elles atteignent aisément à trois-quarts d'heure, une heure au bout de quelques mois, et si Dieu veut, Il peut nous attirer en Son sein plusieurs fois de suite...

Cette séparation totale du monde, cette union intime avec Dieu produisent, dès la première grâce, en quelques instants, une transformation capitale - très exactement une métamorphose : le vilain petit ver à soie (mystique) est transformé « en gracieux papillon blanc ».

« Je vous le dis, en toute vérité, cette âme ne se reconnaît plus. Il y a la même différence entre son état passé et son état actuel qu’entre ce ver à soie difforme et le petit papillon blanc... Désormais, il compte pour rien les œuvres qu'il a accomplies quand il n'était quun simple ver et formait peu à peu le tissu de sa coque. Les ailes lui ont poussé ; comment se contenterait-il de marcher lorsqu'il peut voler ?... Il ne s'étonne plus de ce qu'ont enduré les Saints. Il comprend en effet, par sa propre expérience, comment le Seigneur aide et transforme l'âme ».

Comme l'Epouse du Cantique, « Dieu l'a placée dans le cellier du vin et il a réglé en elle la Charité ».

« Une telle faveur, à mon avis, il ne l'accordera jamais qu'à l'âme qu'il regarde déjà comme sienne. Il veut que, sans qu'elle sache comment, elle sorte de l'oraison d'union marquée de son sceau... ».

Désormais, l'âme fidèle, généreuse, brûlante, qui multiplie les occasions où Dieu peut se l'unir à nouveau, doit avancer à grands pas dans la vie mystique en chantant le refrain de l'Epouse : « Il a sa main gauche sous ma tête, et sa droite me tient embrassée ».

Nous ne saurions trop insister sur le rôle fondamental de la mémoire, ni sur ces grâces d'union des Cinquièmes Demeures que la Sainte appelle l'atajo, l'accourci - escamoté jusqu'ici dans la plupart des traités d'oraison - alors que seule leur action surnaturelle permet d'aller désormais « à pas de géants », dans les dernières demeures 78.

Certes, quelques-uns peuvent progresser sans passer par la « mort extatique ».

« Toutefois, mes filles, sachez bien que ce ver mystique doit mourir et qu'il nous en coûtera alors beaucoup plus. Dans les grâces [d'union], l'âme éprouve tant de joie de la vie nouvelle à laquelle elle est passée, qu'elle se trouve puissamment aidée pour faire mourir ce ver ».

Tandis que dans le chemin actif des mortifications, des « petites morts » volontaires, « il faut que l'âme, tout en vivant sa vie ordinaire, se donne elle-même la mort. Je vous avoue que le travail sera beaucoup plus pénible ». Ce seront les Nuits sous leur forme douloureuse, oppressante, voire tragique.

Si l'âme est fidèle, si elle ne cesse un instant d'être tournée vers son Principe, comme la boussole vers le Nord magnétique; si l'âme est généreuse ; si elle s'abandonne en toute passivité aux caresses de l'Esprit-Saint, elle pourra ignorer la Nuit diurne, et, bientôt les Fiançailles spirituelles lui indiqueront qu'elle est avant dans les Sixièmes Demeures.

C'est l'époque des paroles intérieures qui sont « paroles et œuvres tout à la fois», c'est-à-dire dont la réalisation immédiate authentifie l'origine divine ; l'époque des visions intellectuelles ou imaginaires qui confèrent certitude, paix et joie. A ce stade, Mère Thérèse assure que « les paroles qui viennent du démon ne sont plus à craindre », mais le contrôle par un directeur « éclairé, prudent et vrai serviteur de Dieu » reste nécessaire.

Nous n'insisterons pas sur les différentes sortes de ravissements que Dieu provoque, pour conclure les fiançailles. Ils diffèrent selon les âmes. Aux unes, Il parle doucement ou donne abondance de visions, aux autres surabondance de joie sans vision aucune, chez d'autres encore l'esprit est emporté avec une promptitude effrayante comme en un vol... Les sens et les puissances, désormais habitués à l'invasion de l'Esprit, au lieu d'être totalement suspendus sont, parfois, au sortir de l'oraison, rendus à la liberté de goûter la joie surhumaine qui, jusqu'ici, les faisait défaillir. Vous réalisez de quelle subtilité devra être doué votre corps de gloire afin de pouvoir supporter continuellement un tel « voltage » spirituel de Joie et de Lumière ; vous comprenez le sens et la nécessité des purifications par le feu d'amour.

L'amour croît sans cesse dans l'âme. Bientôt chacune des personnes de la Trinité est un ami, qui vous aime selon ses appropriations personnelles, sans oublier Marie, qui intervient « comme conciliatrice » dit saint Thomas, et, parfois, pour modérer les assauts de l'Esprit. Nous sommes loin du Dieu des philosophes, c'est le Dieu vivant, qui palpite et répond amour pour amour, ou plutôt : « Si l'âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche davantage » 79. Ainsi Jésus de dire à Angèle de Foligno : « Prépare-toi à recevoir, car Je suis bien plus prêt à donner que toi à recevoir ».

Pour comprendre ce merveilleux échange d'amour, penchons-nous un instant, sur les confidences de notre tertiaire, savoureusement traduites par le P. Paul Doncœur 80.

C'était au jour du Samedi-Saint :  « Cette fidèle du Christ, mise en ravissement d'esprit, se tint dans le sépulcre, ensemble avec le Christ. Et dit qu'elle baisa d'abord la poitrine du Christ. Et elle le voyait gisant, les yeux fermés comme Il gisait mort. Et puis baisa sa bouche. De laquelle bouche elle disait qu'elle avait reçu admirable et inénarablement délectable odeur qui respirait de sa bouche ».

« Et là dit que fut un petit repos ».

« Et puis, dit qu'elle posa sa joue sur la joue du Christ, et le Christ posa sa main sur l'autre joue et la serra vers Lui. Et cette fidèle du Christ entendit que ces paroles lui étaient dites : « Avant que je gise au sépulcre, Je te tins ainsi serrée ».

« Et quoiqu'elle comprît que le Christ disait les susdites paroles, cependant elle voyait le Christ gisant avec les yeux fermés et ne mouvant pas les lèvres, comme quand Il gisait au sépulcre. Et elle était en liesse inénarrablement ».

Faut-il le redire ? Paroles et caresses sont intérieures, ne proviennent pas des sens externes, d'un toucher extérieur, mais d'une « touche substantielle à la substance de l'âme », d'une projection issue du centre de l'âme (où réside Dieu) vers notre sac-de-peau sensible. Saint Bernard le montre avec finesse lorsqu'il observe que l'Epouse du Cantique s'écrie : « Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche » ! et non directement « de Sa bouche », simplement d'un baiser, lequel est le souffle de l'Esprit d'Amour - la bouche étant l'organe du Verbe et de l'Amour.

C'est l'Esprit dAmour, transmetteur de toutes les fonctions divines, qui suscite en notre volonté purifiée - des sensations volontaires analogues aux sensations de la sensibilité, mais de toute autre origine que les « goûts » ou « sentiments » des Quatrièmes Demeures. Ainsi le Christ dira à Angèle :

« Je fus souvent avec mes apôtres, et ils Me voyaient des yeux du corps, mais ils ne sentaient pas ce que tu sens : et Tu ne Me vois pas [des yeux du corps], mais tu me sens ».

Dans l'ordre naturel, le sens le plus noble est l'œil, en contact avec les vibrations les plus subtiles, celles de la lumière. Dans l'ordre surnaturel, ici-bas, c'est le toucher spirituel car il est en contact avec la Lumière, laquelle rejaillit en feu intérieur. C'est d'ailleurs pourquoi ce qu'on appelle « l'œil spirituel » est un toucher interne.

Tout ceci est ineffable, peu croyable, et ne peut se comprendre effectivement que d'expérience. Il s'agit non seulement de la connaissance par « sympathie » qu'avait Adam avant la faute, mais de la compénétration, des épousailles de chacune de nos cellules par l'Esprit d'Amour. Car la Rédemption est destinée à ramener l'homme non point seulement aux privilèges de l'état adamique, mais à l'instaurer immédiatement dans l'état christique incomparablement supérieur.

C'est parce que l'homme actuel est psychique, enchaîné au sensible, à l'appétit inférieur, qu'il n'a plus – ordinairement - l'expérience de cette plongée directe de l'appétit supérieur, de la volonté pure en Dieu, forme primordiale de la connaissance amoureuse, ni de ses rejaillissements corporels.

Par contre, si les joies procurées par ces touches en l'intelligence et la volonté sont ineffables, les douleurs senties « non dans le corps, mais dans l'intérieur de l'âme surpassent ceux du corps », observe la Mère du Carmel.

« Elle vit, en outre, que celles du purgatoire sont de cette sorte et que l'âme, bien que séparée de son corps, y souffre beaucoup plus que tous ceux qui gémissent, ici bas, dans leur corps » 81.

Enfin, Sa Majesté introduit l'âme élue « avant de contracter avec elle le mariage spirituel, dans Sa Demeure qui est la Septième ». C'est une faveur qui diffère des grâces d'union mystique où l'on est « mort », des ravissements où l'on est « violenté » ; ici tout est paix, rien n'est plus transitoire, passager. L'âme « demeure toujours avec Dieu dans ce centre dont nous avons parlé ». C'est l'union transformante en laquelle la Sainte a été introduite cinq ans auparavant :

« Cette faveur se comprend mieux encore, dans la suite, par les effets qu'elle produit. L'âme voit clairement que c'est Dieu qui lui donne la vie, car elle éprouve souvent de ces aspirations mystérieuses tellement ardentes qu'elle ne peut avoir le moindre doute sur ce point. Elle les sent très vivement, mais elle ne saurait les exprimer. Parfois les sentiments qu'elle éprouve ont tant de force qu'ils s'échappent en paroles pleines d'amour, et elle ne peut s'empêcher de dire : Ô vie de ma vie, Ô soutien qui me protégez, ou autre parole de ce sens ».

« De ce sein divin où, ce semble, le Seigneur sustente l'âme continuellement, sortent des ruisseaux de lait qui vont fortifier tous les habitants du Château [c'est-à-dire les sens et puissances]. On dirait que le Seigneur veut les faire participer en quelque manière à la joie intense de l'âme. Ce grand fleuve de vie où s'est perdue la petite fontaine lance parfois quelque filet de cette eau qui fortifie ceux de la partie corporelle qui doivent servir ces deux Epoux ».

Et nous retrouvons la Vive Flamme qui est également Eau Vive. Mère Thérèse « aime tant cet élément » qu'elle avoue l'avoir « considéré avec plus d'attention que d'autres choses » 82. Père Jean, lui, est plus attiré vers le Feu. Tout nous confirme leur symbolisme personnel, Jean veut monter sur la montagne comme monte la Flamme. Thérèse elle, comme l'Eau, recherche la caverne, le cellier, le centre le plus profond. Ce sont deux tempéraments admirablement complémentaires. Mère Thérèse, fille de l'Eau, verra surtout la continuité fluviale de la vie mystique ; elle insistera sur ce qu'il y a, avant et après, les moments de suspensions, tous ces reflets sensibles qui peuvent se décrire. Pour Jean, fils du Feu, pour lui, tout n'est que Nuit avant les flamboiements du sommet. Il ne s'attarde pas au fil de l'eau ; il brûle les étapes.



Yüklə 1,41 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   ...   6   7   8   9   10   11   12   13   ...   64




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin