1.5 Premier surgissement mémoriel
1.5.1. un ouvrage : « Olivier de Serres ou la Médina brumeuse »
Un premier travail de mémoire sur la cité Olivier de Serres va être produit en 1997. Il sera réalisé par un écrivain public en lien avec le centre social de Cusset.
J’ai eu une demande du centre social de Cusset pour une action d’écriture. Il s’agissait de faire écrire les gens. C’était surtout en lien avec des jeunes du quartier des Iris qui se trouvaient à proximité du centre, enfin des jeunes c’était déjà des adultes, mais ils venaient d’Olivier de Serres. Ils se présentaient un peu comme ça en roulant les mécaniques, ils le revendiquaient d’être d’Olivier de Serres. Je suis passé par le biais des éducateurs qui étaient en poste depuis très longtemps ainsi que par une assistante sociale. Ces gens m’ont donné des pistes. Je connaissais ce quartier en tant que lyonnaise, avant d’être écrivain publique, j’étais formatrice dans une école de travail social, donc j’en avais entendu parler. Les travailleurs sociaux avaient vécu des choses très fortes avec tous ces jeunes. Ils estimaient qu’ils avaient des choses à dire. L’idée du centre social, c’était de valoriser la parole des adhérents. Après, on peut pas dire que les archives de la ville m’aient accueilli à bras ouvert, ni que les élus se soient beaucoup manifesté. Ca a fait quatre lignes dans le journal municipal. Le livre a été présenté lors de la kermesse du centre social et pas plus. Une fois de plus, on a touché les limites de ce genre de travail qui est à la charnière du culturel et du social. Et comme les gens du social ont du mal à passer au culturel, que le financement venait du social, même s’il était venu du culturel, c’aurait été pareil, il y aurait pu avoir une suite à la condition que des artistes s’en saisissent. C’est ce que voulait la DRAC d’ailleurs. On a fait une lecture à la maison du livre et de l’image de Villeurbanne et c’est tout. Le livre a été mis en dépôt vente dans différents endroits de la ville.
Ce livre n’est pas resté anodin, il a circulé. Un enfant d’Olivier de Serres l’a constitué comme emblème de son agir futur, l’ayant avec lui dans ses démarches institutionnelles pour la réalisation d’un projet qui lui tenait à cœur : tourner un film sur Olivier de Serres, quartier au nom effacé mais présent dans certaines mémoires.
1.5.2. Un premier film
Le premier film réalisé est plus une quête identitaire entre la France et l’Algérie où Olivier de Serres sert de toile de fond. Il sera souvent projeté dans différentes salles de l’agglomération, dans les réseaux des équipements socio-culturels puis peu à peu un peu partout en France. Il va mettre le pied à l’étrier à son réalisateur pour son projet futur : reconstituer le quartier, le filmer et y filmer ses anciens habitants trente ans après.
J’ai habité une des douze villas. Ici, c’était vraiment un truc... Tous les jeunes de la rue se retrouvaient ici sous le porche. Ca créait tout plein de problèmes avec les voisins, la police était toujours là. Mais dès qu’elle arrivait, tout le monde partait. Il n’y avait que deux entrées aux villas donc on pouvait vite les repérer. Même Hernu venait souvent ici. Il habitait un peu plus loin, rue du 4 août, il prenait son vélo et il venait boire le thé et discuter avec les familles… Ma mère a gardé un très bon souvenir d’Hernu, elle disait, lui, au moins il vient nous voir… Les autres élus, on les voit pas. J’ai commencé à travailler sur le premier film, mon projet, je l’ai depuis très longtemps. Je savais que je voulais reconstituer la rue dans les villas, le long du mur. Après pour le faire, il m’a fallu du temps. Ca fait au moins six ou sept ans que j’y travaille. Après le premier film, j’ai déposé un projet au contrat de ville : faire des ateliers d’écriture dans différentes structures sociales pour commencer, c’est ce que j’ai fait. Ensuite, derrière, l’idée, c’était de déposer le projet de film avec les décors. La ville y croyait pas. Ils me disaient tu fais ça pour payer ton salaire. Sauf, que les 25000 euros qu’ils m’ont donnés pour les ateliers d’écriture, je n’y ai pas touché, j’ai vécu du RMI, de l’aide de ma femme et des projections du premier film. Quand ils ont vu que j’avais gardé l’argent, là ils ont commencé à me regarder différemment. Tout le monde s’est intéressé à moi tout d’un coup. Chabert1 est venu me voir, les élus de Villeurbanne m’ont payé le train pour aller voir Ségolène Royal à Paris, au moment du parlement des banlieues à Villeurbanne, ça commençait à monter… Il a fallu négocier avec les ateliers Frappaz pour qu’ils fassent les décors, ça a été toute une bagarre. Heureusement, la DRAC et le FASILD me soutenaient. Moi, je dépose mes dossiers au contrat de ville et après je vois… Evidemment, ils m’ont bien fait sentir que si je voulais, peut-être qu’ils pourraient m’aider pour une place d’élus… Je leur ai dit que je ne faisais pas de politique. Donc si tout va bien, on monte les décors à l’automne, il y aura plusieurs centaines de personnes qui doivent venir… des anciens d’Olivier de Serres. L’idée, c’est de les filmer en discutant avec eux le long du décor de la rue. Les mamans du quartier nous feront à manger. Mon père avait une caméra super 8. Les images qu’il y a dans mon premier film, c’est lui qui les a filmés. C’est fou parce qu’il filmait à l’intérieur de la villa, mais jamais à l’extérieur. J’en ai reparlé avec lui, je lui ai demandé mais pourquoi tu ne filmais jamais à l’extérieur, il ne pouvait pas…
Après de multiples circonvolutions propres à un projet de ce type, le tournage a pris du retard. Dans un premier temps, le projet de tourner dans les villas s’est trouvé compliqué par la prise de décision de leur démolition. L’arrivée d’un producteur local, sur les conseils du chargé de mission du FASILD a donné plus de poids au réalisateur dans son projet de tournage même si celui-ci a pris du retard : d’un démarrage à l’automne 2007, on est passé au printemps 2008. La date de démolition des villas a elle aussi connu des fluctuations et donc obéré un tournage in situ. Prévue pour le 15 décembre 2007, elle ne débutera vraisemblablement que fin janvier 2008. Le tournage doit démarrer par une journée portes ouvertes aux Ateliers Frappaz, lieu culturel villeurbannais où sont construits les décors. Cette soirée doit préluder au tournage qui se déroulera dans la foulée si tout va bien.
1.5.3. Le centre de la mémoire à Villeurbanne
La commune de Villeurbanne présente la particularité d’avoir instauré en 2001 une délégation d’adjoint au patrimoine architectural, aux anciens combattants et à la mémoire.
Ce poste d’adjoint à la mémoire, c’était dans l’air du temps. Lorsque le maire avait fait sa lettre aux villeurbannais dans sa campagne en 2001, c’était quelque chose qu’il avait abordé. Il y a une forme d’exception villeurbannaise, une mémoire qui fait la force d’une ville ouvrière et multiethnique. Il y a eu un vingtième siècle fort avec un monde humain et inhumain, donc garder la mémoire du XXème siècle d’une ville, c’est dans l’air du temps. C’est peut-être aussi dû au vieillissement d’une génération de personnes ! L’idée c’est de garder trace tant de mémoire individuelle que collective. Evidemment, la mémoire, c’est un concept simple et très compliqué. C’est pas un sujet clé en main et en plus, c’est un sujet très politique. L’idée c’est d’essayer de rendre les choses moins opaques. En plus, moi, je suis d’origine italienne, j’ai vécu au Tonkin, mes grands-parents se sont installés ici en 1924… Donc on a commencé à travailler sur différents thèmes, les Gratte-Ciel, les cinémas à Villeurbanne, les usines, les arméniens, les italiens, la résistance, les brigades internationales, … On a associé un historien du CNRS, Philippe Videlier, qui a réalisé différents ouvrages. On a travaillé à la préfiguration d’un espace mémoire qui doit ouvrir début 2008 et qui sera à la fois le lieu pour les archives, une médiathèque et un espace culturel.
Le centre mémoire et société ouvrira en janvier 2008. Il remplira trois missions d’études, d’archivage (avec le déménagement des archives municipales) et d’espace culturel. Force est de constater que la mémoire de l’immigration maghrébine dans la ville n’y est pas encore centrale. « Un cosmopolitisme que la municipalité revendique comme une richesse, mais qu’il ne faudra pas taire afin de vouloir l’unité des différences. L’hétérogénéité culturelle transpire dans les mémoires, elle s’exprime et s’attache à ses travailleurs de mémoire, que nous sommes tous. Il faudra se frotter à ces mémoires, mémoires de villeurbannais, mais pas forcément mémoires de Villeurbanne. Mémoires d’expatriés, mémoires d’immigrés, mémoires d’anciens habitants de bidonville, mémoires d’ailleurs mais de personnes devenues d’ici. Prendre en compte la fragmentation, la multiplicité des mémoires qui ne se résument pas à l’ancrage dans un territoire. »1
1.5.4. 2008 : l’entrée en commémoration ?
Cette recherche se situe donc juste avant l’ouverture d’un centre mémoires et société et du tournage d’un film consacré à Olivier de Serres. Au regard des délais impartis, il n’a pas été possible d’investiguer plus avant en avant ces deux entrées mémorielles sur Villeurbanne. Néanmoins, elles ouvrent peut-être sur une entrée en commémoration dont l’avenir certifiera la pertinence ou les écueils. Elle participerait d’une construction identitaire de la ville qui nécessiterait à elle seule un autre travail, relatif à « une pratique de réaffirmation identitaire de la ville, de revendication de sa continuité historique et de renouvellement de la légitimité des autorités municipales ».2
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