P. MARCHAIS
Le concept de complexité fait surgir deux questions importantes :
- Comment peut-on aborder pratiquement un phénomène irréductible par définition ?
- Le rejet implicite que celui-ci suppose du dualisme cartésien infirme-t-il la valeur méthodologique d'une dynamique opératoire duelle virtuelle de bipartition-réunification qui se substitue à une division-reconstruction de phénomènes à l'aide d'éléments parcellisés ?
L'approche d'un domaine particulièrement complexe, comme celui des troubles psychiques, permet d'apporter une réponse à ces deux interrogations.
I- Hypothèse opératoire
Tout trouble mental a une signification. On peut toujours en extraire, au moins par approximation, deux composantes principales dont la combinaison ne suffit certes pas à traduire la signification plus ou moins complexe du trouble, mais qui permet cependant de l'approcher efficacement. Dans une perspective interdisciplinaire, ceci rejoint d'ailleurs l'affirmation épistémologique de Planck, selon laquelle : "Toute hypothèse féconde est la combinaison de deux représentations sensibles de nature différente".
L'exemple de la phobie qui associe l'angoisse à une représentation mentale pour bloquer l'action à déclencher en est illustratif. L'angoisse peut accompagner une action sans l'en empêcher. Une représentation mentale accompagne habituellement toute action. Or, la conjonction des deux peut, en fonction de certaines particularités, bloquer cette action, même si elle ne suffit pas à définir le trouble. Cette démarche duelle et réunificatrice confère par son ouverture dynamique à la boucle de pensée une efficacité certaine pour étudier et traiter le trouble (Fig. 1). Sur ce principe, une classification ensembliste des troubles mentaux a même pu être fondée.
Trois principes dynamiques élémentaires en résultent :
1- La réunion de deux ensembles flous constitutifs d'un même phénomène peut ainsi aboutir à une signification spécifique dépassant celle de leur simple juxtaposition.
2- Le principe dynamique de cette démarche duelle, à la fois bipartite et réunificatrice, peut engendrer par suite une trame de significations intégrées, ébauche de complexité.
3- La généralisation de cette démarche opératoire est alors capable de traduire progressivement des phénomènes de plus en plus complexes, sans pour autant jamais pouvoir les définir ni en figer la nature.
II- Réification
Ces principes ont été réifiés par l'étude du champ de la psychopathologie.
1- L'instrument opératoire
L'observateur, étant à la fois juge et partie de la situation complexe à laquelle il appartient, interagit avec le patient et le milieu. Ceci l'incite à une vue d'ensemble de données floues et mouvantes. Pour aborder cette situation difficile à analyser, il est ainsi incité à se forger un instrument aussi souple et rigoureux que possible, d'où son recours aux démarches d'ensembles et de logique du flou, méthode dénommée "systémale".
Sa démarche opératoire procède ainsi par une succession de bifurcations et réunifications intégrées. Elle part de la distinction des mondes observé et observant pour se diriger vers celle des multiples composantes de l'individu et du milieu, faisant surgir une complexité interrelationnelle croissante.
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2- L'objet d'étude
Dans le fonctionnement psychique, qui est irréductible en son essence, on peut ainsi distinguer une succession de composantes multiples.
a) Le référent spatio-temporel
Une première distinction concerne la spatio-temporalité de l'ensemble observateur-patient-milieu : objectivable universelle et vécue individuelle. Elle se poursuit ensuite sur le même mode pour chacun de leurs sous-ensembles.
b) L'individu
Dans un espace-temps psychique virtuel, différents niveaux d'organisations peuvent être distingués : soma et psyché, puis affectivité et intellect, puis au sein de ce dernier les synthèses mentales et leurs composants (représentations mentales, automatismes idéiques). Leur confrontation aux phénomènes observés permet d'envisager leurs intégrations, les communications internes et externes, puis les rétroactions, les auto-régulations, et enfin des auto-organisations, chaque stade analysé augmentant la complexité psychique.
c) Le milieu
Dans le milieu environnant, plusieurs composantes peuvent être aussi distinguées : éducatives et sociales, puis économiques et culturelles, climatiques et par-là le milieu physique (lesquelles rejoignent suivant une vaste boucle hyperensembliste les éléments et fonctions physiques qui composent l'être biologique).
La reconstruction des données ainsi obtenues de façon duelle fait ainsi apparaître une complexité psychique croissante que l'on peut figurer de façon abstraite par un modèle matriciel structural (Fig. 2).
III- Les degrés de complexité
La clinique nous a en outre montré divers degrés de complexité que nous avons pu représenter par différents modules à partir de ce modèle.
Ces modules sont constitués par divers types d'intégration de modèles matriciels structuraux : modèles homogènes à spatio-temporalité similaire, modèles à spatio-temporalité variable, modèles homogènes différents à spatio-temporalité similaire ou variable, agencement aléatoire de modèles hétérogènes à spatio-temporalité variable (Fig. 3, 4, 5, 6). Une généralisation de l'assemblage de ces divers modèles a permis de traduire des réseaux de réseaux, notamment les formes sociopsychiatriques interrelationnelles, à l'aide d'une vision fonctionnelle ensembliste, ce qui réalise une modélisation constructiviste ouverte (Fig. 7).
Ainsi s'est-il avéré possible d'aborder en clinique psychiatrique la complexité, d'en fournir une modélisation, et d'utiliser celle-ci à des fins thérapeutiques efficacesp.
Confiance, Accompagnement, Cognition collective, Retour sur expérience
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Alain-Charles MARTINET
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Session 18 M2
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Dialogue stratégique et cognition collective :
retour sur le Grand Atelier MCX1
Alain-Charles Martinet,
Professeur de Sciences de gestion, Directeur d'EURISTIK, ESA CNRS 5055
IAE de Lyon, Université Jean-Moulin Lyon 3
fax : 07-4-72-72-45-50 / Erreur! Signet non défini.
Notre intervention à Poitiers en novembre 98 a tenté de préciser quelques repères épistémiques pour le champ du management stratégique, R. Delorme s’ interrogeant dans le même espace-temps sur l’action économique en situation complexe, l’ensemble étant “ rapporté ” (interprété, synthétisé, enrichi...) par B. Tricoire. Nous avons en outre tenté de rapporter les interventions d’A. Colas - conditions pour actionner une connaissance collective - et de M. Mack - sur le dialogue exploratoire -. Ces deux moments actifs ne peuvent exclure l’ensemble du Grand Atelier et son atmosphère de confiance, de sérénité, d’écoute active et d’effacement des hiérarchies usuelles dans les colloques.
Cet ensemble nous a permis de mettre à l’épreuve les cinq repères affichés, d’en évaluer le champ de pertinence et d’en préciser l’énoncé. Commentons brièvement cet enrichissement après le rappel de chaque proposition. P1 : La “ connaissance actionnable ” se construit dans/par l’action réfléchie et demande davantage de recherche clinique, longitudinale, expérimentale. L’ensemble du Grand Atelier peut être perçu comme un vivant témoignage de cette préférence méthodologique. La plupart des contributions émanent d’acteurs-réflexifs simultanément chercheurs-actifs qui, peu ou prou, pratiquent la spirale schématisée par P. Trassaert articulant la connaissance actionnable (? actionnée) et l’action reconnue (? expliquée).
P2 : Le savoir fluide, malléable, offre des points d’appui à la conversation stratégique plutôt que de s’accumuler dans des silos subdisciplinaires. La plupart des intervenants sont confrontés à des problèmes de stratégie -bien au-delà de l’entreprise - et semblent assembler des connaissances relevant d’approches diverses en dépassant les querelles d’écoles, les divergences théoriques qu’affectionnent les pratiques disciplinaires.
P3 : Ce savoir est “ connaissance ordinaire ”. Ce principe a pu engendrer quelque méprise d’autant qu’on a dit la stratégie être une discipline ancillaire. Explicitons donc, grâce au Grand Atelier, ce point. Connaissance ordinaire, c’est-à-dire d’un point de vue épistémologique, le refus de la hiérarchie insuffisamment discutée - connaissance fondamentale (produite par des “ savants ”/ connaissance appliquée - . Le souci de produire de la connaissance actionnable ne retranche rien aux ambitions théoriques et passe même, selon notre expérience, par un intense travail épistémique “ chemin faisant ” qui sert à affiner tant le caractère opératoire que la fondation des concepts. D’un point de vue méthodologique, la connaissance ordinaire privilégie la co-construction, l’amplification par l’inter-action pragmatique. Connaissance “ ancillaire ” cependant qui perd son sens si elle n’est pas rapportée aux projets de l’homme. Si l’exploration des galaxies peut procurer en soi quelque “ mélodie secrète ”, la connaissance stratégique n’a comme vocation que d’être “ mise en/au service ” des constructions sociales dont il faut dès lors expliciter les dimensions éthiques et politiques.
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P4 : La proposition de connaissance actionnable passe par un travail épistémique qui accepte au coeur l’ago-antagonisme complexification/simplification. Il s’agit bien de construire du sens - et donc de travailler dans les complexités - mais pour aider à agir - et donc de poser des actes qui nécessitent des simplifications -. Les chercheurs ne peuvent se contenter d’accumuler des connaissances sophistiquées sur leurs sujets préférés en saturant les champs cognitifs de praticiens auxquels ils diraient : “ Débrouillez-vous, choisissez ”. Si l’on veut “ penser selon le réel de la situation ” plutôt que de “ faire la leçon au réel ” comme l’a dit B. Tricoire, il convient de penser selon les complexités de la situation pour faire sens comme le réclame la situation.
P5 : La modélisation actionnable en stratégie est médiatrice, heuristique de la conversation collective. Elle s’engendre à partir d’un double ago-antagonisme : cognitif (déclaratif/procédural) et politique (imposé/négocié). Nos concepts et nos modèles ne sont des tableaux de rien mais ils ne peuvent s’engendrer à partir de rien. Les modèles procéduraux procèdent de l ’interrogation inlassable de la “ substance ” qu’ils (trans)-“ forment ”, formes (figures, schémas..) qui doivent à leur tour être nourries contextuellement etc... Mais le dialogue stratégique postule aussi que personne ne sait vraiment a priori : pas plus le “ dirigeant ” que le “ savant ”. La connaissance ainsi produite est largement négociée.
Au-delà de l’affinement des cinq propositions de départ, l’ensemble du Grand Atelier illustre d’autres ago-antagonismes que la construction en commun de connaissances à visée d’action sollicitent et qui peuvent être ainsi schématisés :… p.
Ecologie Humaine, entre Ruralité et Complexité
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Laurent MASSERON
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Session 18 AM5
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ACTIONS COLLECTIVES ET DEVELOPPEMENT RURAL
VERS UNE STRATEGIE DE RELIANCE DES PRODUCTEURS FERMIERS DU PAYS DE LA CHATRE EN BERRY
L. Masseron
En moins d’un demi-siècle l’agriculture et le milieu rural ont subi plus de transformations économiques et sociales qu’en dix mille ans d’histoire. D’une agriculture de subsistance, nous sommes passés à une agriculture productrice et exportatrice à la hauteur de la compétitivité planétaire.
Plus tardive que la révolution industrielle, la révolution agricole en a été que plus bouleversante, elle est aujourd’hui pleinement intégrée dans la logique ultra libéraliste de notre société moderne. C’est pourquoi, nous ne pouvons désormais appréhender l’agriculture hors du contexte économique, social et culturel dans lesquels elle s’imbrique.
Taylorisme et fordisme sont deux concepts qui ont contribué à conduire notre société vers une hypermodernité exacerbée où la rationalité limitée des déterminismes économiques fait rage. Les cadences de travail étant poussées à l’extrême et le stress quotidien étant à son comble, une destruction significative des liens sociaux n’a pu être évitée. Cette déliance* est à l’origine des maux dont souffre notre société actuelle. Nombre de personnes sont en quête de sens car les repères spatio-temporels et les valeurs humaines ont disparus.
Ainsi, la tendance actuelle de notre société vise à vénérer tout ce qui touche à la tradition, dont les traces sont encore perceptibles en milieu rural. De ce fait, en terme de consommation, l’engouement est grandissant pour les produits de qualité ; tels que les produits fermiers ou ceux issus de l’agriculture biologique. Désormais, il semble évident que le milieu rural a un grand rôle à jouer dans le devenir de notre société puisqu’il est encore, au regard du grand public, détenteur des valeurs humaines.
Mais, le mode rural souffre de la désertification des campagnes et d’une recomposition anarchique de sa structure sociale (zone périurbaine transformée en cité dortoir, diminution croissante du nombre d’agriculteurs, néo-ruraux...). C’est pourquoi, le développement du milieu rural doit intégrer toute cette complexité. Il faut relier les hommes et les énergies pour construire de nouveaux outils pour que les générations à venir les utilisent. L’action collective doit être l’essence même de la reliance.
L’Association pour le Développement Agricole et Rural (ADAR) a pour objet l’animation et le développement du milieu rural à l’échelle du pays de la Châtre en Berry, soit quatre cantons pour un total de cinquante communes. Cette association, créée suivant la loi de 1901, est née en 1984 suite aux états généraux du développement agricole, initiés par Edith Cresson, alors ministre de l’agriculture. Sa première mission a été de réaliser un aménagement foncier à l’échelle de deux cantons. Des animateurs ont été employés pour élaborer des cartes foncières afin d’initier des échanges amiables et des remembrements dans les communes. L’image actuelle de la restructuration foncière fait très mauvaise presse auprès de l’opinion publique. “ Le remembrement détruit le paysage parce que les paysans abattent les haies ”. Ainsi, cette action a pris son terme dans le début des années 1990.
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En 1995, l’ADAR, consciente de l’évolution du monde rural et de l’agriculture, a demandé à un étudiant de réaliser un état des lieux sur la production fermière locale. Le constat était le suivant :
Une trentaine de producteurs fermiers exercent leur activité de producteurs-transformateurs-vendeurs sur le pays de La Châtre en Berry. Cette étude a permis, d’une part, de mettre en évidence que la production fermière répond à une véritable demande grandissante de la part du consommateur et d’autre part de montrer qu’elle est une agriculture alternative qui assure la pérennisation des exploitations agricoles et qui s’inscrit dans une démarche de qualité et de respect de l’environnement.
Cependant, ce type d’agriculture n’est pas encore reconnue par la profession agricole. De plus, elle n’est pas organisée et évolue dans l’anarchie ce qui n’est pas sans perdre le consommateur. De ce fait, la conception de la production fermière diffère d’un producteur à l’autre. La démarche intellectuelle du producteur fermier est différente de celle de l’agriculteur conventionnel. Il doit produire, transformer et vendre son produit ce qui n’est pas sans créer certains bouleversements dans la conception du métier d’agriculteur. De plus la démarche intellectuelle est encore différente entre le paysan berrichon, éleveur en polyculture élevage de bovins allaitants, en difficultés financières qui a dû diversifier sa production pour faire survivre son exploitation et le “ néo-paysan ”, ancien VRP, architecte ou autre, qui désire redonner du sens à sa vie et qui voit dans l’agriculture une image idyllique de la vie.
C’est dans ce contexte grossièrement détaillé, que l’ADAR mène un projet de développement de la production fermière locale. Derrière ce projet, il faut bien entendre qu’il s’agit bien de développement rural et non pas seulement agricole. En effet, la production fermière s’inscrit parfaitement dans une logique de développement rural global et durable.
Plus précisément, le projet consiste à recréer une certaine forme de lien social entre les producteurs par la conduite d’actions collectives de développement. L’action collective doit permettre de regrouper les synergies pour mieux valoriser l’image de ce type d’agriculture ainsi que celle du pays.
La difficulté actuelle réside dans la constitution d’un groupe de producteurs capables de mener des actions collectives dans l’intérêt général. Dans le contexte économique et social actuel, l’organisation de la production fermière ne pourra être efficiente qu’au travers d’actions collectives, vecteur de reliance p.
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