Statut des fonctionnaires : les premières pistes du projet de loi sur leurs droits et devoirs


À défaut d'effet palpable sur les dispositifs, l'accompagnement en a-t-il sur les personnes accompagnées et leurs parcours ?



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À défaut d'effet palpable sur les dispositifs, l'accompagnement en a-t-il sur les personnes accompagnées et leurs parcours ?

Tout d'abord, il faut dire que les effets dépendent, bien sûr, des pratiques. Parler des effets de l'accompagnement suppose d'abord de pouvoir identifier des pratiques effectives « d'accompagnement », dont on pourra alors chercher à apprécier les effets. En d'autres termes, et dans le prolongement de ce qui précède, évaluer par exemple les effets de tel ou tel dispositif d'accompagnement suppose de savoir ce que, en réalité, on évalue : le dispositif n'a-t-il d'accompagnement « que le nom », ou bien sa mise en œuvre témoigne-t-elle effectivement de quelque chose de spécifique qui puisse être qualifié de pratique « d'accompagnement » - et non de suivi, etc. ? Ceci peut paraître évident, mais compte tenu de l'extrême diffusion de ce terme, et de la disparité des pratiques qui s'en réclament, c'est une précaution importante. De là vient d'ailleurs la difficulté de certaines évaluations quantitatives, lorsqu'elles n'entrent pas dans « la boîte noire » de l'accompagnement tel qu'il est effectivement réalisé. Elles concluent alors à un effet positif de l'accompagnement, mais sans éclairer ce qui opère vraiment, quelles sont les modalités concrètes d'accompagnement qui font système.



La première question est donc au fond, et avant tout, de savoir de quoi, de quel « accompagnement » parle-t-on ?

Le travail que nous avons conduit en 2014 à l'Ires, en partenariat avec le groupe Amnyos et pour la Dares sur le Contrat de sécurisation professionnelle (CSP), a cherché à ouvrir la boîte noire de ce dispositif précis. Le risque peut-être inévitable et ici souvent avéré, que l'esprit et la stratégie du dispositif se diluent dans les pratiques habituelles des opérateurs chargés de sa mise en œuvre, nécessite de qualifier d'abord précisément les pratiques effectivement mises en œuvre pour pouvoir en analyser les effets sur les personnes accompagnées (les effets de quoi ?). De ce point de vue, notre enquête éclaire les tensions qui traversent la mise en œuvre du CSP. Elle permet de pointer les difficultés que produisent certaines modalités concrètes « d'accompagnement » ou de suivi. Elle suggère également le potentiel et les bénéfices pour les personnes accompagnées d'autres pratiques, encore minoritaires mais plus conformes à l'esprit du dispositif.

Au titre des difficultés, on peut par exemple évoquer la tendance des conseillers à adopter une posture un peu passive et psychologisante, installant la relation d'accompagnement dans une forme de « cocooning », travaillant relativement peu le projet professionnel et le lien avec son contexte. Les difficultés qui en découlent et dont les bénéficiaires se font l'écho suggèrent, en creux, l'importance d'un accompagnement « actif », au sens de stimulant, donnant à penser et ouvert sur l'extérieur - même s'il est conduit dans le cadre d'un face à face. Cette tendance à réduire l'accompagnement au seul lien personnalisé entre le conseiller et la personne accompagnée, en survalorisant cette dimension, est également associée à une certaine conception du « mieux » en matière d'accompagnement : « faire mieux », ce serait plus de rendez-vous, de proximité, d'écoute, plus de temps pour « faire le point ». Les personnes accompagnées ne sont pas insensibles à ce soutien moral, dans un premier temps au moins, mais elles disent aussi que le contenu des entretiens s'étiole au fil du temps lorsqu'ils ne sont plus consacrés qu'à la nécessité - pour le conseiller - de « faire le point ». Elles témoignent alors des limites d'une relation d'accompagnement qui « plafonne », d'une prise de recul et d'échanges perçus comme relativement limités (quoique réguliers), ne permettant pas vraiment de « challenger » les projets, d'explorer différentes pistes, y compris des idées complémentaires auxquelles la personne n'aurait pas songé, etc.

La question que cela pose est : est-ce que faire plus (mais plus de quoi ?), c'est forcément faire mieux ? Ou encore : est-ce que faire mieux, c'est simplement faire plus (de la même chose) ? Les cahiers des charges des dispositifs (du CSP et de la Garantie Jeunes), dans leurs dimensions les plus innovantes, tout comme certaines pratiques d'accompagnement émergentes ou encore minoritaires, suggèrent autre chose : faire mieux ce peut-être aussi, voire surtout parfois, faire autrement. Par exemple : aller au-delà d'une intermédiation ou d'une mise en relation classique entre une entreprise et un demandeur d'emploi et privilégier plutôt d'autres formes de médiation lorsqu'elles paraissent plus adaptées au projet, à la personne et au contexte. Le CSP comme la Garantie jeunes invitent ainsi à mettre en œuvre de nouvelles stratégies de médiation consistant, dans certaines situations, non pas à mettre en relation des profils de demandeurs d'emploi et des offres d'emploi déjà constituées, mais à travailler en amont de toute formalisation d'une offre et d'une demande d'emploi : l'accompagnement, dans cette perspective, ne s'adresse plus exclusivement au demandeur d'emploi, au jeune, etc., mais aussi à une entreprise, à un ou des employeurs potentiels. L'accompagnement cherche alors à renforcer l'offre de travail (du côté de la personne) et à faire émerger simultanément une demande de travail (du côté de l'entreprise). Ou encore, et c'est étroitement lié à ce qui précède, l'accompagnement peut miser davantage sur les expériences de travail, les mises en situation professionnelle (sous quelque forme que ce soit) et les retours d'expérience. C'est à l'occasion de ces immersions que peuvent en effet se révéler les capacités de la personne à tenir un poste, et se préciser également les besoins d'un employeur. Les immersions peuvent alors devenir un outil décisif et central de l'accompagnement. L'accompagnement peut donc ouvrir l'éventail des pratiques de médiation possibles, sans faire d'aucune une one best way. Mais cela suppose que l'organisation de l'opérateur le permette.

Dans tous les cas, ce qui importe, c'est que la personne puisse intégrer toutes les ressources et les outils nécessaires à sa recherche d'emploi, tout en donnant à sa recherche une orientation, une direction qui soit la plus ajustée possible à son projet. Certaines personnes peuvent tout à fait y parvenir sans être aidées. D'autres ont besoin d'être accompagnées, et d'élaborer cette orientation et cette stratégie avec celui ou celle qui est chargé de l'accompagner. Il y a donc dans tous les cas un effort d'intégration des ressources et des outils à faire, qui peut être partagé ou qui peut être le fait de la personne seule. En pratique, cela n'empêche pas que plusieurs intervenants soient mobilisés, si les ressources nécessaires sont de natures différentes. Un consultant nous expliquait qu'il s'était construit un réseau de partenaires de proximité spécialisés (y compris des avocats par exemple), qu'il avait lui-même qualifiés en s'assurant de leur compétence. Cet éclatement des ressources n'est pas en soi problématique, dès lors que la personne parvient à les mobiliser en construisant une stratégie ajustée à son projet, ou que l'accompagnement l'aide à la construire.

Certains considèrent que si l'on veut véritablement sécuriser les parcours professionnels, il faut être en capacité de répondre à « un immense besoin d'accompagnement ». Tout le monde a-t-il besoin d'accompagnement ?

Non ! - mais là encore, cela dépend à quel type de service on renvoie en parlant d'accompagnement. Il faudrait sans doute pouvoir reconnaître un droit au non-accompagnement. Il y a ceux qui en ont besoin, à des degrés divers, ceux qui n'en ont pas besoin, ou qui ne sont pas seuls avec leurs difficultés. Mais ce ne sont pas les seules dispositions a priori de la personne, ou les plus visibles, qui sont déterminantes pour apprécier ce besoin. Ce sont plutôt ses capacités effectives en situation, sa capacité à faire face à la situation qui est la sienne et à engager les actions qui lui sont utiles, qui en décident. De ce point de vue, des personnes habituellement reconnues comme très autonomes peuvent se retrouver particulièrement désarmées et démunies face à une situation de recherche d'emploi, suite à un licenciement pour motif économique par exemple. Les types d'emploi et les niveaux de qualification ne permettent pas non plus de préjuger de la capacité de la personne à se débrouiller seule, sans le soutien d'un accompagnement. Cela dit, on peut considérer en effet que le besoin d'accompagnement est immense, mais sous réserve qu'il soit conduit à chaque fois de manière ajustée aux besoins de la personne, pour qu'il puisse lui être profitable. Et lorsque ces besoins sont importants, il ne peut se borner à un simple suivi, même si sa « cadence » est soutenue.



L'accompagnement ne souffre-t-il pas d'une profonde ambiguïté ? Après tout, en matière d'emploi, ceux qui accompagnent sont le plus souvent aussi ceux qui contrôlent ou qui sanctionnent.

Là aussi, tout dépend des besoins de la personne et du contenu de l'accompagnement. S'il reste relativement « à distance » - parce que la personne est en mesure de mettre en œuvre la stratégie nécessaire à sa recherche d'emploi et de mobiliser les ressources et les outils disponibles de la façon qui lui est la plus utile - il peut s'agir uniquement, pour le conseiller qui la « suit » ponctuellement, de s'assurer que cela produit bien des effets (que « ça marche »). Si la personne a besoin d'être accompagnée, la question du contrôle se pose dans des termes différents et il faut être précis sur ce qu'il s'agit de contrôler.

Le contrôle de la recherche d'emploi vise à vérifier l'effectivité des démarches des demandeurs d'emplois dans leur recherche de travail, l'engagement actif dans des démarches de recherche d'emploi étant vu comme la contrepartie de l'allocation chômage versée. La difficulté de la question, récurrente, du contrôle de la recherche d'emploi est qu'elle tend à imputer à la seule personne (accompagnée) la responsabilité des modalités de sa recherche d'emploi. Mais il faudrait contrôler cette recherche au regard de ses conditions réelles d'effectuation. Or, dès lors que la personne est accompagnée, ces modalités procèdent en principe d'une co-construction, d'une élaboration conjointe. Il faut donc à nouveau se pencher sur le contenu effectif de l'accompagnement. Cela remet en perspective la question du contrôle : s'agit-il, au fond, de contrôler les chômeurs, ou de contrôler les conditions réelles dans lesquelles s'effectue la recherche d'emploi ? Ou, dit autrement, qui ou que faut-il « activer » et contrôler ?

Pour en savoir plus

- Anne Fretel (Economiste, Lille 1 et IRES) et Solveig Grimault (Sociologue, IRES)

- Fretel A. et Grimault S. (2016), « L'évaluation de l'accompagnement dans les politiques d'emploi : stratégies et pratiques probantes », audition au COE, Groupe de travail « L'accompagnement vers et dans l'emploi », 2 février
- Amnyos, Ires (2014), « Enquêtes monographiques sur la mise en œuvre du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) », Document d'étude de la Dares, n°187, novembre

- Fretel A. (2013), « La notion d'accompagnement dans les dispositifs de la politique d'emploi : entre centralité et indétermination », Revue française de socio-économie, n° 11, p. 55-79


Accompagnement personnalisé et bénévole : le cas de SNC

par Fanny Barbier - 03 Avril 2016

Un dossier consacré à l'accompagnement ne pouvait faire l'impasse sur l'engagement des milliers de bénévoles qui remplissent ce rôle quel que soit le domaine : accompagnement de personnes en souffrance, soutien scolaire, alphabétisation, accueil, intégration, insertion, etc. Dans la foulée des articles de Jean-Marie Bergère et de Martin Richer, voici ce qui ressort de l'entretien que nous ont accordé deux bénévoles de l'association Solidarités nouvelles face au chômage, Geneviève de Beco et Micha Ricciardi.

La toute première expérience de Geneviève dans l'accompagnement de chercheurs d'emploi remonte au « premier choc pétrolier ». Nous sommes dans les années 70, Geneviève travaille pour le CESI à qui l'ANPE et l'APEC confient l'accompagnement de ces précurseurs, « en majorité des hommes, autodidactes, dont les femmes ne travaillent pas, dont les CV ont l'allure de faire-part mortuaire qui mentionnent en première ligne « licencié pour cause économique » ! À l'époque, on cachait être au chômage. » Geneviève les forme aux techniques de recherche d'emploi, à la rédaction de CV, à l'entretien d'embauche, à l'expression orale... Parallèlement à cette expérience, elle poursuit une carrière de freelance dans la formation pour adultes, la créativité, les études qualitatives, etc. En 2010, une amie d'enfance lui fait connaître Solidarités nouvelles face au chômage. Elle décide de rejoindre le mouvement « plutôt que de balayer le café associatif dont je suis bénévole, autant faire quelque chose que je sais faire ! ».

Micha, psychologue du travail et gestionnaire RH, commence sa carrière au Liban dans le conseil et le recrutement. Elle arrive en France en 2000 et intègre les RH d'un cabinet d'audit (Deloitte). Elle le quitte en 2012 et se forme au métier de coach et à la gestion des risques psychosociaux, qu'elle pratique à son compte depuis. Dans le cadre de cette formation, elle rencontre une personne de SNC et décide de rejoindre l'association. « Ce qui m'a attirée, c'est la vitalité de SNC et l'accompagnement en binôme ».

Geneviève et Micha se retrouvent souvent dans le même binôme. C'est le principe de SNC : deux accompagnateurs pour un accompagné, des rencontres qui se font dans des lieux publics - les cafés sont sans doute les premiers espaces de travail en France - pour des séances ne dépassant pas 1h30, au rythme souhaité par la personne accompagnée.



Une grosse boutique

SNC a été créée par Jean-Baptiste de Foucauld en 1985. L'association compte aujourd'hui 3 000 accompagnateurs - plus de 1 000 à Paris - répartis dans 200 groupes sur toute la France. Chaque groupe compte en moyenne 15 accompagnateurs pour 25 accompagnés. SNC suit environ 5 000 personnes, de tous profils, tous métiers, tous âges, qui approchent l'association via leur réseau, la communication institutionnelle ou bien qui sont envoyées par Pôle Emploi. L'association est financée par des dons (de personnes physiques et morales), a noué de nombreux partenariats notamment dans l'objectif de créer et mettre en place des emplois solidaires. Le taux de réussite des accompagnements SNC - trouver un emploi ou une situation satisfaisante - s'élève à 66 %, ce qui est un très bon résultat notamment lorsqu'on le ramène aux chiffres donnés par Martin Richer dans son article (57 % des licenciés économiques accompagnés par Pôle emploi sont en emploi 13 mois après le début de l'accompagnement et 49 % pour ceux suivis par un opérateur privé). 

Il convient de noter toutefois que les caractéristiques de l'accompagnement SNC empêchent ces comparaisons puisque tous les chercheurs d'emploi accompagnés par SNC ont volontairement rejoint l'association, puisque l'accompagnement n'est pas limité dans le temps, puisque les accompagnateurs ont in fine plus de temps disponible pour chaque personne que n'en ont les conseillers Pôle Emploi ou les consultants des opérateurs privés de placement.

Professionnalisme
Les accompagnateurs sont attachés à un groupe qui se réunit en général une fois par mois. Deux moments ponctuent chacune de ces rencontres. Dans un premier temps, on constitue les binômes qui s'occuperont de la ou des nouvelles personnes à accompagner. Celles-ci auront d'abord été reçues à une des permanences d'accueil et « acceptées » : parce qu'elles sont en état de rechercher un job, elles sont en règle avec l'administration, elles ne sont pas déjà suivies par de multiples structures. « Certains n'en ont jamais assez, et vu la liste d'attente des demandes d'accompagnement, nous ne pouvons pas accueillir tout le monde ! » souligne Geneviève. Ensuite, le groupe fait le point sur les accompagnements en cours. « Le binôme est souverain dans son accompagnement, quand il le souhaite, il peut demander conseil au groupe et alors on s'y attarde ». La particularité de SNC par rapport à un cabinet d'outplacement est que « nous n'avons pas de limite dans l'accompagnement. Certains peuvent durer très longtemps, ils sont alors quelquefois à l'état dormant. Cette absence de pression n'implique pas un dilettantisme de notre part. Nous nous adaptons à la demande de la personne ».

Au-delà de leur binôme, les chercheurs d'emploi peuvent solliciter d'autres bénévoles, appartenant à des satellites de SNC, dont l'action complète l'accompagnement. Ainsi, une structure spécifique a été créée. « Dire et faire ensemble » propose un programme d'expression et de formation dans l'objectif de favoriser les échanges entre chercheurs d'emploi (avec l'organisation de sorties), de les aider à développer l'efficacité dans leur recherche via des ateliers et in fine de les aider à reprendre confiance en eux. Il existe également une cellule psychologique qui reçoit des personnes accompagnées en cas de difficulté et qui sortent du registre des accompagnateurs.

SNC ne fixe aucun prérequis pour devenir accompagnateurs, à part le bénévolat et le paiement de sa cotisation annuelle (minimum 10 €). « Certains ne supportent pas le job et s'en vont d'eux-mêmes. D'autres font ça pour le CV. Ça fait bien d'avoir été accompagnateurs chez SNC ». Cela fait peut-être bien, mais c'est certainement une bonne école. L'association est puissante, c'est d'ailleurs un des critères du choix de SNC chez les accompagnateurs comme chez les accompagnés. Elle met à la disposition des bénévoles un panel d'outils et de ressources tels que des formations - dispensées en général le samedi de 9 à 17 heures - qui ne sont pas obligatoires, une méthodologie, des aides psychologiques, etc. En 30 ans d'existence, SNC est devenue un acteur important de l'accompagnement des chercheurs d'emploi - sans doute le plus gros cabinet d'outplacement en France - comme en témoigne l'établissement de relations institutionnelles avec Pôle emploi.

Bénévolat et liberté

Pour Micha Ricciardi, rejoindre SNC relève d'une démarche spontanée. « J'ai toujours fait ça, je trouve naturel de participer à la vie sociale. C'est une activité qui m'intéresse, le travail, la souffrance au travail... Pouvoir apporter quelque chose à des personnes en recherche d'emploi me permet de me sentir mieux et de faire en sorte que ça aille mieux dans la société. On est très content quand un chercheur d'emploi trouve une solution, on fait la fête ! ».

« Au cours de ma carrière, j'ai eu l'occasion de mettre ma force de travail au service de très mauvaises causes, telles que l'industrie pharmaceutique ou le marketing de barres chocolatées... » explique Geneviève. « Avec SNC, j'ai l'impression d'avoir une utilité sociale. Toute ma vie, j'ai eu des chômeurs entre les mains. Je sais un peu faire. Dans cette association, j'ai l'impression de le faire bien. Il y a des moyens, des règles connues de tous qui sont autant de repères. Le fait d'être bénévoles nous permet d'échapper à la pression du résultat. Cela nous permet de prodiguer un conseil ‘' soft ‘', respectueux de la personne et de sa demande. Cette relative liberté permet aussi de faire preuve de créativité. Pour certains, il faudra être stimulants, pour d'autres, plus maternants. C'est sûr que nous avons une relation de pouvoir... mais c'est pour la bonne cause ! » Geneviève cite le cas d'une dame qui vient aux rendez-vous avec ses accompagnateurs avec un jeune enfant dans une poussette : « pas question de nous voir dans un café ! Nous nous retrouvons chez moi, même si ce n'est pas dans les règles. On est obligés de s'adapter, d'inventer parfois...». Cette liberté permet d'endosser plusieurs rôles, de pousser le conseil juste un peu plus loin que d'habitude : « à ceux qui souffrent de solitude, nous n'allons pas conseiller de devenir auto entrepreneurs ou de créer leur start-up. Ils ont besoin d'avoir des collègues, un arbre de Noël organisé par le comité d'entreprise ».

Engagement sociétal

Être accompagnateurs chez SNC, c'est aussi être en prise avec la société. « Nous avons un rôle sociétal. Les chômeurs demandent toute l'attention du monde. Certains vont toucher le fond souvent plusieurs fois avant de refaire surface. Très vite, ils risquent de perdre le sens du temps et de l'espace. Les conseillers de Pôle emploi sont débordés, ils ne peuvent accompagner au plus près les plus fragiles. Nous, nous pouvons le faire. Et nous avons aussi la chance d'observer la société et de prendre des options sur son devenir. Je chéris les mots développement durable, ville durable, économie circulaire... Il faut réfléchir à ce que nous voulons vivre ».

C'est sur ces mots que s'achève notre entretien. J'ai rencontré deux femmes puissantes et qui communiquent leur force. Geneviève et Micha me font penser aux premiers consultants enoutplacement (avant qu'ils ne vendent leurs cabinets aux financiers.
Travail indépendant: l’essor des actifs aux semelles de vent


  • Monique Dagnaud 6 avril 2016

Une partie de la jeunesse n’envisage l’emploi que sous l’angle du contrat salarial à durée indéterminée – celle-ci manifeste contre la loi El Khomri, et accuse le travail indépendant de recouvrir exploitation et précarité. Une autre partie de la jeunesse se projette volontiers et sans état d’âme dans ces nouvelles modalités de l’emploi, soit comme choix délibéré, soit comme option contrainte mais acceptée – c’est à elle que s’adresse l’article phare de la loi, celui du compte personnel d’activité destiné à sécuriser des parcours professionnels. Certes, le salariat n’est pas mort, il restera dominant pour longtemps, mais avec la numérisation de l’économie, l’essor de l’activité fragmentée et indépendante est programmé.

L’économie collaborative promeut les formes du travail indépendant, car celles-ci lui sont particulièrement bien adaptées. Elles prennent mille visages : indépendant chef d’entreprise, profession libérale, consultant, créateur, autoentrepreneur, free-lancer, pigiste, intermittent du spectacle. Les idées de liberté ou de préférence personnelle sont souvent accolées à ce profil, mais, de fait, s’agit-il du choix délibéré d’un style de vie – par exemple, maximiser sa liberté plutôt que sa stabilité ou même ses revenus – ou s’agit-il seulement, à l’ère numérique, d’une contrainte imposée par les conditions du marché du travail à certains individus pour lesquels l’emploi salarié est devenu hors d’atteinte ? Dans le monde contemporain, où les situations face au travail ne cessent de se complexifier, et où les systèmes de valeur évoluent à grande vitesse, il est hasardeux de catégoriser trop radicalement les options laissées à l’individu. On distinguera trois profils : le consultant et/ou le créateur d’entreprise, le travailleur ubérisé, le slasher.

Le travailleur indépendant peut être incarné par l’ingénieur, le consultant, le designer, ou le créateur de startup qui sillonnent les sphères du High Tech, et dont la haute qualification garantit les marges de manœuvre : il choisit ses conditions de travail, peut-être même ses lieux d’intervention, il organise ses temps d’activité, ses horaires, et se fait payer à prix d’or pour les missions qu’il accomplit. C’est sous les auspices du tournant écologico-culturel des années 2010 et d’une certaine « fatigue des jeunes élites » que croit cette aspiration à l’indépendance. S’y mêlent quantité de projections : la recherche de sens dans son travail, la quête d’un épanouissement personnel, le goût du faire – pouvoir suivre de bout en bout le produit de son travail – le plaisir de la créativité, et le rejet du salariat dans les grandes entreprises avec sa dose de rapports hiérarchique et de compétition. Ces nouveaux venus plébiscitent une société fondée sur les échanges et la coopération plutôt que sur la rivalité. « Nous entrons sur un nouveau territoire, il n’y a jamais eu de société fondée sur la coopération et non la compétition », exprime un des militants du mouvement Ouishare, carrefour culturel de l’économie collaborative. Devenir cadre constituait, il n’y a pas si longtemps, le ciel d’espérance du salarié : un gage pour des avantages monétaires, une meilleure protection sociale et aussi un statut flatteur, qui s’auréole d’une autorité symbolique. Un nombre croissant de hauts diplômés est sensible à un autre chant des sirènes, celui d’être maître chez soi.

Dans une configuration toute autre, le travailleur indépendant peut être perçu comme le laissé pour compte des aléas de l’économie libérale, celui qui n’a d’autre alternative que de vendre sa force de travail ponctuellement en fonction des opportunités. Pour une fraction des jeunes, les possibilités d’accéder au marché du travail sont réduites en raison de leur absence de qualification. Pour ces jeunes, le statut d’indépendant est, d’une certaine manière, un moyen de se créer un emploi. Vue sous cet angle, l’économie collaborative, qui a ouvert un marché d’emplois peu qualifiés, tombe facilement sous le coup des critiques – on a tôt fait de dénoncer l’ubérisation du travail. «The sharing economy isn’t about trust, it’s about desperation » écrit un journaliste dans un article du NYMagazine, notant que le boom de l’économie collaborative a suivi la crise financière de 2008 et la montée du chômage aux Etats-Unis.

Chez Uber, les modalités d’entrée pour accéder à l’emploi sont assez simples : détenir une autorisation de transport de personnes, délivrer ses pièces d’identité et ses certificats médicaux, avoir le statut d’entrepreneur ; et de surcroît, on peut choisir sa durée de travail et ses horaires. Toutefois le niveau de qualification de ces travailleurs est plus élevé qu’on l’imagine. Une étude conduite aux Etats-Unis montre que les chauffeurs UberX ont un niveau scolaire moyen (53% sont allés au college ou plus), qu’ils n’exercent cette activité qu’à temps partiel, qu’ils sont plutôt jeunes, et principalement masculins (79%) : pour eux, c’est un travail complémentaire à d’autres activités. Il en est tout autre pour les chauffeurs UberX Pros dont l’âge est sensiblement plus élevé (30-49 ans), dont les deux tiers n’ont pas fait d’études supérieures et qui sont aussi presque tous des hommes. En France, un tiers des travailleurs d’Uber a moins de trente ans, et leur niveau de qualification équivaut à celui de la moyenne française : de ce fait, il est plus élevé que celui des chauffeurs de taxis (étude 2015 d’Augustin Landier et David Thesmar). En France comme aux Etats-Unis, Uber offre une opportunité pour l’emploi à des jeunes issus de la diversité, et donc offre une voie pour l’insertion.

Dans le jargon du marketing, un mot, slasher, désigne les individus qui complètent un boulot alimentaire en louant ponctuellement leur voiture ou leur appartement, ou en participant à des activités rémunérées proposées par le biais de sites collaboratifs : une façon aussi de se dégager du temps libre pour des activités plus créatives ou étudier. De multiples profils peuvent être intéressés par cette jonglerie, allant de personnes qui vivent dans la débrouille – étudiants ayant du mal à joindre les deux bouts, chômeurs aux revenus issus d’indemnités ou du RSA, artistes qui se cherchent, accidentés de la vie, personnes ayant fait le choix de vivre dans les interstices de la société – à des individus ayant seulement besoin d’un complément de revenus et qui usent de l’économie collaborative comme d’une opportunité temporaire. Plus généralement, par sa souplesse, cette modalité d’obtention de revenus la rend séduisante pour des jeunes qui peinent à s’insérer par les voies classiques, souvent faute de diplôme suffisant, de compétence de base ou de relations, ou en situation d’attente d’un revenu stable. Une étude sur les coursiers de l’application Stuart (mise en relation directe de clients ayant besoin de faire livrer des produits de toute nature et des coursiers qui peuvent être piétons, à vélo ou motorisés) montre que 60% d’entre eux ont moins de 30 ans, 39% sont étudiants, 18% salariés, 42% demandeurs d’emploi (rapport Terrasse sur l’économie collaborative).

Entre l’expert ou le manager enfantés par la Silicon Valley, le chauffeur d’Uber, et les slashers, ces configurations illustrent bien l’évolution de l’emploi. Entre hyper professionnalisation et économie grise – travail parfois déclaré, et parfois dissimulé – s’étend une large palette de situations de travailleurs aux semelles de vent. L’emploi à vie, rythmé par les horaires et les vacances, cette façon d’envisager le travail qui a prévalu durant les Trente Glorieuses, est en train de s’affaiblir, en particulier pour les nouvelles générations. Tout y concourt, et en premier lieu les transformations économiques : bien sûr, l’émergence du secteur collaboratif, et aussi l’obsession de l’innovation, les fluctuations de croissance des pays occidentaux, l’instabilité et les contraintes de gestion des entreprises, le besoin de renouvellement fréquent des savoirs et des qualifications, la délocalisation des emplois, l’ouverture des activités le weekend. Mais aussi, à l’autre bout de la chaîne, et pour une partie de la jeunesse, des arbitrages entre diverses perspectives : faire carrière ou vivre de peu, jongler entre des tâches alimentaires et des activités de prédilection, s’investir comme un fou dans un travail exaltant ou opter pour le rythme allegro ma non troppo.

Quelques chiffres permettent de cerner la montée du statut de l’indépendance dans la période récente (hors du secteur de l’agriculture). Les indépendants composent déjà 30% de la main d’œuvre aux Etats-Unis (53 millions de personnes), et bientôt, en 2020, la moitié, comme l’affirme Sara Horowitz, présidente du Feelancers Union. En France, d’après l’INSEE (Empli et revenus des indépendants, édition 2015), ils recouvrent 11% des actifs. Après avoir longtemps diminué, ils ont crû de 26% entre 2006 et 2011 (+70% dans le secteur spectacles et activités créatrices), en particulier grâce à l’autoentreprenariat, dont le statut a été créé en 2009. Fin 2014, 982 000 personnes détenaient un compte d’autoentrepreneur et 46% d’entre elles avaient moins de 39 ans – elles sont nombreuses dans les services, en particulier les domaines de la communication, de l’information et de la culture, mais ce sont les secteurs des transports et de la santé qui connaissent les hausses les plus fortes en 2014. À ce chiffre sur les autoentrepreneurs, il faut ajouter 950 000 travailleurs indépendants déclarés depuis 2009 et toujours en activité : ce groupe, plus âgé que les autoentrepreneurs, rassemble des catégories hétérogènes, dont un quart de professions libérales.


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