HYDRAULIQUE AGRICOLE
DES
SUBMERSIONS FERTILISANTES
COMPRENANT LES TRAVAUX
DE
COLMATAGE, LIMONAGE
IRRIGATIONS D’HIVER
HYDRAULIQUE AGRICOLE
DES
SUBMERSIONS FERTILISANTES
COMPRENANT LES TRAVAUX
DE
COLMATAGE, LIMONAGE
IRRIGATIONS D’HIVER
PAR
NADAULT DE BUFFON
INGÉNIEUR EN CHEF
membre de la société impériale et centrale d’agriculture de France
PARIS
DUNOD, éditeur
SUCCESSEUR DEvor DALMONT
LIBRAIRE DES CORPS IMPERIAUX DES PONTS ET CHAUSSEES ET DES MINES
Quai des Augustins, 49
DES
SUBMERSIONS FERTILISANTES.
CHAPITRE PREMIER.
DU COLMATAGE. — DÉFINITIONS. — NOTIONS GÉNÉRALES.
I. — Notions préliminaires d'hydrométrie ,
applicables à cette opération.
Les eaux qui circulent à la surface du globe sont
de deux espèces. Elles proviennent soit de ce que
la main de l’homme les a dérivées dans des lits arti-
ficiels, d’une capacité proportionnée à leur débit,
pour former des canaux, soit de l’écoulement natu-
rel. Dans ce dernier cas, les eaux arrivant, sous de
fortes pentes, des lieux élevés, vers les régions plus
basses, déposent naturellement les matières, par elles
détachées de ces régions supérieures.
La plupart des rivières, ainsi formées d’elles-
mêmes, c’est-à-dire par les seules lois de la gravité,
diffèrent beaucoup de celles, à régime régulier, qu’on
voit couler dans les régions les plus favorisées. Mais
les possesseurs des héritages riverains des cours
d’eau, cherchant toujours à agrandir le plus possible
leur terrain, s’efforcent généralement de restreindre
la largeur des lits naturels, au moyen de digues, de
plantations, ou autres obstacles, qui sont une cause
incessante de perturbation dans les conditions nor-
males de l’écoulement.
Lors même que les cours d’eau naturels sont com-
plètement abandonnés à eux-mêmes, ils travaillent
encore à la détérioration de leur régime.
En effet, il est excessivement rare de ne pas voir
ces courants naturels creuser et corroder la partie
supérieure de leur lit et en transporter irrégulière-
ment les matériaux dans la partie inférieure, qu’ils
tendent sans cesse à exhausser; de sorte qu’ils sont
obligés d’ouvrir ainsi une partie considérable de leur
cours à travers leurs propres alluvions.
L’observation attentive des diverses couches de ces
dépôts conduit généralement à cette conclusion, que
les plaines ont été formées par les atterrissements
d’un seul grand cours d’eau, qui en occupait toute
l’étendue.
Vers le milieu du xvic siècle, d’autres observations
du même genre ont conduit les ingénieurs italiens à
fixer d’une manière particulière leur attention sur
ces phénomènes naturels, et ils ont pu dès lors établir,
dès cette époque, quelques principes généraux parmi
lesquels on peut citer le suivant :
Introduire un volume d’eau claire dans une rivière
trouble, c’est accroître sa force de transmission. Et,
réciproquement l’introduction des eaux troubles dans
un canal d’eau claire produit l’effet opposé, à un
degré d’autant plus marqué que la pente est plusfaible. On pourrait donc ainsi compenser le défaut
de pente d’un cours d’eau, au point de vue des at-
terrissements, par l’introduction dans son lit d’un
volume de liquide supplémentaire.
Il faut un concours de circonstances très-rares à
rencontrer pour que deux bras d’une rivière sujette
à transporter des matières grossières puissent se main-
tenir, pendant un temps considérable. Presque tou-
jours le débouché de l’un s’accroît aux dépens de
l’autre; et cela amène bientôt le débit total à s’effec-
tuer par un seul bras.
Le Rhin, le Pô, le Tibre, l'Arno, et autres fleuves
ont offert, depuis moins d’un siècle, de nombreux
exemples de ce fait.
Il a pour conséquence l’atterrissement plus ou
moins rapide des lits abandonnés; et cela, par le seul
fait de la diminution du débit et de là vitesse des
eaux ; surtout si elles sont habituellement chargées
de matières limoneuses. C’est là, surtout, ce qui a
fait concevoir la possibilité d’effectuer l’exhausse-
ment et la fertilisation de vastes territoires maréca-
geux en y provoquant, artificiellement, le dépôt des
eaux troubles, empruntées à certains cours d’eau
torrentiels, qui se trouvaient convenablement situés.
C’est cette opération que nous désignons sous le nom
de colmatage, mot dérivé d’un verbe italien (col-
mare, combler) (I).
(1) Le mot italien colmata, que M. de Prony, dans son ouvrage sur
les marais Pontins, a traduit par celui de colmate, n’a pas la même si-
gnification. Il désigne une terre colmatée.
Le savant ingénieur français Du Dual, auquel on
doit de savantes recherches sur le même objet, a éga-
lement posé quelques principes généraux, qui ne
peuvent donner que des idées justes et dont nous
croyons devoir citer quelques-uns.
« La surface de la terre n’avait point, dans les
temps reculés, comme de nos jours, ces grands ca-
naux, ces vastes décharges, toujours prêtes à écou-
ler les eaux de pluie, que l’aridité de la terre n’ab-
sorbe qu’en partie.
« Les rivières et les fleuves n’existaient pas encore,
ou n’étaient, toutau plus, que des torrents, dont l’eau,
rassemblée dans les vallons, cherchait une issue où
elle puisse s’échapper.
« De là naissait une multitude de vastes lacs, dans
les continents, tels qu’on en voit encore plusieurs,
dans l’Amérique septentrionale. Les plus éloignés
de la mer ne pouvant plus contenir leurs eaux, les
reversaient par un trop-plein dans les bassins infé-
rieurs. Ceux-ci. à leur tour, se déversaient dans d’au-
tres; ainsi de suite, jusqu’aux derniers, qui avoisi-
naient la mer.
« La communication d’un bassin à l’autre était
ouverte par un courant plus ou moins rapide; et le
sol, déchiré peu à peu par ce courant, présentait
bientôt l’ébauche d’un lit, qui s’approfondissait de
plus en plus. Mais les eaux de plusieurs bassins réu-
nies et coulant ensemble, en un grand volume, de-
vaient avoir, à pentes égales, beaucoup plus de vi-
tesse et de violence que celle des bassins reculés dans
les terres. La somme de tous les courants réunis
dans le bassin le plus voisin de la mer, après avoir
surmonté et rompu ces digues naturelles, devait for-
mer un torrent prodigieux, qui se creusait un lit
d’autant plus profond que l’eau avait plus de masse
et plus de pente.
« La formation des vallées, ouvertes par le cours
de ces torrents, donna lieu à beaucoup de sources
qui n’existaient pas auparavant, faute d’une issue ;
et les lacs primitifs ne se trouvèrent desséchés
que lorsque la digue qui les séparait fut suffisam-
ment approfondie pour en laisser le fond à sec, et
former par leur réunion un cours d’eau proprement
dit (1). »
Pour le colmatage, un des points les plus impor-
tants est de connaître la proportion plus ou moins
grande des limons qui peuvent être utilisés, par des
dépôts ou atterrissements artificiels convenablement
aménagés.
Il faut d’abord s’être assuré, à l’avance, que ces
limons sont fertiles et susceptibles d’une production
agricole, qui puisse couvrir les frais de cette opéra-
tion.
A cet égard, l’expérience est le meilleur guide à
consulter; caries données que l’on pourrait déduire
de l’analyse chimique de ces dépôts pourraient être
insuffisantes. Mais néanmoins cette analyse est tou-
jours très-utile.
Une observation attentive de la constitution géolo-
gique du bassin parcouru par le cours d’eau à utiliser,
et ses principaux affluents, peut fournir pour cette
étude de précieux enseignements ; en effet, si l’on
peut constater dans l’étendue de ce bassin l’exis-
tence de substances minérales, réunissant les condi-
tions désirables pour fournir les principes consti-
tuants des meilleurs terres arables ; s’il y existe une
étendue notable de terrains meubles et surtout de
champs en culture, on sera à peu près certain de
pouvoir obtenir, par le colmatage, des limons d’une
grande richesse, correspondant aux terres d’allu-
vion de la meilleure qualité.
Il est évident que ces dépôts artificiels auront
également une valeur d’autant plus grande qu’ils
pourront être produits sur une plus grande pro-
fondeur.
D’après les données expérimentales fournies par
un assez grand nombre d’observations, faites surtout
en Italie, les eaux troubles des torrents ou rivières
à fortes pentes, traversant dans la partie supérieure
de leurs cours des terrains cultivables, contiennent,
quelquefois, dans leurs crues, jusqu’à 5 à 6 millimè-
tres de leur volume de limon, qui y reste en suspen-
sion, par le seul effet de la vitesse du liquide, mais
qui se dépose de lui-même, soit par la cessation,
soit même par une atténuation notable de cette
vitesse.
Mais ces proportions exceptionnelles ne se rencon-
trent pas habituellement; et, dans la pratique, onpeut tirer un excellent parti des eaux troubles con-
tenant en moyenne 0m,002 de leur volume de limons
fertiles ; et l’on verra, par les détails donnés dans le
présent ouvrage, que cette dernière proportion peut
donner encore de très-beaux résultats.
II. — Des bonifications opérées par voie
d'alluvions artificielles.
Voici quelques considérations exprimées dans
divers mémoires de M. de Prony, qui, comme on
sait, a séjourné assez lontemps en Italie, où il a fait
une partie de ses savantes recherches sur l’hydrau-
lique appliquée.
Le colmatage par les eaux troubles s’opère de deux
manières : l’une naturelle, l’autre artificielle. Le
premier cas a lieu lorsqu’un cours d’eau limoneux
se répandant librement sur une partie de la vallée,
en exhausse graduellement le sol ; mais sans autre
influence que les circonstances locales, par suite des-
quelles les eaux troubles sont attirées plutôt dans
une direction que dans une autre. — Dans le second
cas la submersion artificielle est réglée par des digues
d’enceinte, qui obligent les eaux de colmatage à
séjourner, pendant un temps plus ou moins long,
sur le terrain à bonifier. Et elles en sortent ensuite,
par une ou plusieurs ouvertures, dépouillées des li-
mons qu’elles tenaient en suspension.
L’écoulement â assurer aux eaux clarifiées, au
sortir d’une enceinte de colmatage; celui qu’on doit
procurer aux eaux pluviales, tant sur les terrains de
nouvelle formation que sur la campagne, sont les
points les plus importants à envisager dans une opé-
ration de cette espèce ; mais ici la théorie seule ne
suffit pas, et il faut s’appuyer de beaucoup de con-
sidérations pratiques.
En effet, si le terrain à améliorer n’est entouré que
d’espaces marécageux, ou à fortes pentes, de la pro-
duction desquels on n’ait point à s’inquiéter lorsque
l’opération est terminée, on n’a pas à s’occuper
d’autre chose. Mais il n’en est pas de même quand
le périmètre de l’opération se trouve enclavé dans
des terrains à très-faible pente, produisant des ré-
coltes, que l’on est dans l’obligation de conserver.
Alors le colmatage ne peut s’effectuer qu’à l’aide de
grandes précautions, de manière à ne pas endom-
mager les terrains environnants.
Le problème se présente dans des conditions encore
plus complexes quand il s’agit d’opérer sur une
étendue déterminée, avec les eaux de plusieurs ri-
vières, qui sont dérivées, à des époques différentes sur
certains points de ce périmètre, dans le but d’y pro-
duire un exhaussement déterminé.
Les modifications qui, pendant la durée de l’en-
treprise, peuvent se produire sur le régime du cours
d’eau alimentaire par suite de l’élévation ou de l’abais-
sement de son débouché naturel, sont encore un des
éléments les plus importants de la question. On doit
aussi se rendre un compte aussi exact que possible
de la durée de l’opération et du mode le plus avan-
tageux pour assurer le transport et la distribution
des alluvions.
En effet, étant données l’étendue du terrain à
colmatage et la hauteur moyenne du dépôt à effec-
tuer, on doit toujours rechercher à obtenir ce résultat
avec le minimum du débit, le minimum du temps
et le minimum des travaux.
Mais cela suppose la solution préalable de divers
problèmes, tels, par exemple, que ceux-ci : déter-
miner l’étendue la plus convenable des enceintes de
colmatage, en rapport avec le débit de la rivière
trouble dont on dispose; déterminer les meilleurs
dimensions des déversoirs régulateurs, en rapport
avec la hauteur des digues d’enceinte et la portée du
cours d’eau.
Ces considérations techniques vont d’ailleurs être
complétées par celles qui font spécialement l’objet
du Ciiap. m, ainsi que par les descriptions particu-
lières des travaux de colmatage, tant anciens que
modernes.
III. — Divers emplois agricoles des eaux
courantes.
Les plus illustres agronomes, tels que les Thaër,
les Dombasle, les Gasparin, les Fellemberg et autres,
ont été d’accord pour déplorer l’ensemble des causes
diverses, qui, de leur temps, concouraient à entra-
ver le développement des travaux ayant pour but la
plus large utilisation possible des eaux courantes dans
l’intérêt de la culture.
Et ils ont dit unanimement qu’en les abandon-
nant à elles-mêmes, sans en tirer parti, on laissait :
«... Des millions s’en aller à la mer! »
Bien qu’aux yeux de beaucoup de personnes cette
assertion doive paraître hyperbolique, ou tout au
moins un peu avancée, nous espérons pouvoir four-
nir ici des données tellement positives qu’elles en
seront, en quelque sorte, la confirmation palpable.
Mais, pour amener cette démontration à son plus
grand degré d’évidence, il ne faut pas se borner à
constater les avantages de l’irrigation d’été ; c’est au
contraire dans les emplois variés des eaux d’hiver
que se trouvent les preuves les plus concluantes.
Peu de mots suffisent d’ailleurs pour poser d’a-
bord nettement la question ; et quant à sa solution
complète, elle se trouve surtout établie par les faits
pratiques consignés dans ce volume.
Irrigation d'été. — Tout le monde connaît les
avantages de cette excellente pratique qui permet d’é-
tendre la culture si profitable des prairies naturelles
dans des situations et sous des climats où elles ne
pourraient pas exister autrement. Elle est également
indispensable à toute culture maraîchère, et à un
certain nombre de cultures spéciales.
Dans le Midi comme dans le Nord, l’irrigation pro-
prement dite est toujours pour le cultivateur un
avantage extrêmement précieux. — Mais il convient
de rechercher les éléments dont il se compose.
Or, même dans les contrées méridionales, si l’on
n’avait à retirer de cette pratique que l’humidité,
manquant à la terre et aux plantes, on s’apercevrait
bientôt d’une énorme réduction dans les profits
qui y correspondent.
On sait depuis bien longtemps que les eaux de
neige, ou plus généralement que les eaux très-pures
donnent des résultats désavantageux. On sait, de
plus, que les meilleures eaux pour l’arrosage, du
moment où elles ont coulé un certain temps sur les
planches ou billons d’une prairie, ou bien qu’elles
ont séjourné dans des encaissements, n’ont presque
plus d’efficacité ; car c’est de ce moment qu’on s’eu
débarrasse, sous forme de colatures.
Cela prouve d'abord que les eaux d’arrosage four-
nissent au sol et aux végétaux autre chose que l’hu-
midité proprement dite ; et c’est pourquoi il y a tou-
jours de grandes distinctions à faire en ce qui con-
cerne leurs qualités, plus ou moins fertilisantes.
Sous le rapport du volume, les eaux pour les irri-
gations d’été sont rarement en rapport avec le besoin
qu’on en éprouve. Comme l’époque la plus profi-
table pour leur emploi coïncide précisément avec
celle des grandes sécheresses, il en résulte non-seu-
lement la nécessité de s’imposer de grandes restric-
tions ; mais très-souvent des contestations et des
procès.
Nous avons encore à envisager un cas qui peut
devenir assez fréquent aujourd’hui et qui tend à di-
minuer les avantages effectifs de l’irrigation d’été;
c’est celui où l’ouverture d’une nouvelle dérivation
ne peut être obtenue qu’avec un ensemble de tra-
vaux, trop dispendieux pour pouvoir donner, au con-
cessionnaire, un intérêt suffisant de ses avances, eu
égard au volume restreint qui lui est accordé. —
En effet si, dans ce genre d’entreprises, on a à sup-
porter les frais extraordinaires qu’entraînent, soit
un canal d’amenée, d’une trop grande longueur,
relativement au périmètre arrosable, soit la traversée
onéreuse de terrains très-accidentés, exigeant des
tranchées profondes, des ouvrages d’art multipliés,
mais surtout une longueur notable de souterrains
ou galeries, on peut alors avoir à redouter les plus
graves mécomptes.
On est donc ainsi amené à reconnaître que si, en
principe l’irrigation ordinaire, ou d’été, est un des
plus grands bienfaits dont on puisse doter une con-
trée, il y a lieu de n’aborder les applications nou-
velles qu’avec prudence, puisque des circonstances
défavorables peuvent mettre en question les béné-
fices à retirer de l’entreprise.
Emploi des eaux d'hiver. — La situation n’est
plus la même quand, renonçant à surmonter les nom-
breuses difficultés inhérentes à toute demande d’une
nouvelle dérivation, à pratiquer en temps de séche-
resse, on se rattache aux usages, non moins profi-
tables, que représentent les eaux courantes em-
ployées en hiver.
Elles servent à effectuer, par voie de colmatage,
deprécieuses alluvions, au moyen desquelles on peut :
premièrement dessécher et assainir les bas-fonds,
ou les marais les plus insalubres dans des situations
où aucun autre procédé ne pourrait être appliqué ;
secondement fertiliser des landes, ou grèves, entière-
ment stériles.
Mais un autre emploi des eaux courantes, dans la
saison d’hiver, bien plus général que celui-ci, con-
siste à les répandre soit par des submersions plus
ou moins prolongées, soit par déversement, comme
pour un arrosage ordinaire, sur les plaines et ter-
rains en pente, cultivés en prairies, herbages, ou au-
tres cultures quelconques. Car alors ces eaux, enri-
chies de divers principes fertilisants, s’en dépouillent
dans un temps très-court au profit du sol, qui en
retire toujours les plus grands avantages.
Ayant traité dans un chapitre spécial de ce mode
de bonification, il n’y a pas lieu d’en parler ici, avec
détails. Mais il devait être nécessairement mentionné,
d’après la généralité de son emploi.
Reprenant maintenant la comparaison entre les
emplois des eaux dérivées, dans l’une ou l’autre sai-
son, une première remarque se présente immédiate-
ment: c’est celle qui concerne leurs volumes respec-
tifs. — Car en mettant au chiffre le plus bas le
rapport moyen qui existe entre ces volumes, on peut
s’assurer par l’expérience qu’il est au moins de
1 à 50; sauf toutefois dans la région septentrionale,
où l’on rencontre, exceptionnellement, des cours
d’eau à régime presque invariable.
Mais dans la région moyenne, et surtout méridio-
nale de la France, on peut affirmer sans crainte que
les débits correspondant aux six mois d’été sont ra-
rement plus de la cinquantième partie de ceux cor-
respondant aux six mois d’hiver (1).
On conçoit de suite que cela ouvre un champ très-
vaste aux applications agricoles de cette nature, pour
lesquelles certains territoires semblent d’ailleurs
admirablement disposés.
L’abondance, et souvent même la surabondance
des eaux, dans les six mois allant du 15 octobre au
15 avril de chaque année, permettent, en effet, d’é-
tendre, presque autant qu’on le désirera, ce mode
de bonification; qui, comme nous pensons pouvoir
l’établir dans cet ouvrage, est une source intaris-
sable de richesse.
CHAPITRE II
SUITE DES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
I. — Étude sur la formation
des graviers, des eaux limoneuses
et des atterrissements.
Dans l’ouvrage publié, en 1810 (1), par le comte
Mengotti, sénateur sous le premier Empire, on trouve
d’utiles données, ainsi que des considérations inté-
ressantes, pour l’étude de la question dont il s’agit.
Nous en traduisons ici quelques passages.
Déboisement. — La nature avait pourvu d’elle-
même au moyen le plus efficace d’atténuer les crues
subites et dévastatrices des rivières et torrents. Les
cimes et les pentes rapides des montagnes avaient
été recouvertes de forêts, ou au moins d’arbustes et
autres végétaux, de moindres dimensions. Leur effet
était d’arrêter les eaux provenant des pluies et des
fontes de neiges, de manière à en retarder l’écoule-
ment et à empêcher qu’elles ne puissent se préci-
piter, subitement, dans les vallées inférieures et y
produire le débordement des fleuves.
En effet, il est hors de doute qu’une forêt est apte
à retenir une immense quantité d’eau, par les ra-
cines, les tiges, les feuilles des végétaux dont elle se
compose et qui en absorbent une partie notable pour
leur propre accroissement.
Mais l’effet le plus important est celui qui résulte
de la consolidation du sol, par les innombrables ra-
cines qui s’y entre-croisent, en tout sens, et la pré-
servent complètement contre toutes les corrosions.
On peut citer, presque partout, des exemples de
montagnes au pied desquelles coulaient des sources
pérennes, d’eau abondante et pure, tant qu’elles
eurent leur surface revêtue de forêts; et aussitôt
que celles-ci furent détruites, les eaux pérennes
disparurent, pour faire place à des ravins, où se
précipitent, à certaines époques, des eaux torren-
tielles, qui entraînent la terre végétale et dévastent
tout sur leur passage.
On conçoit donc aisément combien grave est
l’imprudence de l’homme qui, en arrachant les fo-
rêts , existant sur les pentes des montagnes, transgresse
formellement les dispositions providentielles de la
nature, puisque la conséquence de ce fait est de
détériorer le régime primitif des eaux courantes et
de porter la désolation dans les vallées.
C’est en vain que nous voudrions lutter, avec le
secours des travaux hydrauliques, contre ces consé-
quences désastreuses, tant que nous en laisserons
subsister et même que nous en aggraverons les
causes. C’est en intervertissant ainsi les lois de la
nature que nous avons rendu si difficile et souvent
impossible le succès des opérations ayant pour but
de régulariser le régime des fleuves.
Aujourd’hui, que nous avons de nos propres
mains dépouillé le flanc des montagnes de ce qui
faisait leur défense naturelle, de ce qui les proté-
geait contre l’action corrosive des eaux, pouvons-
nous nous étonner de voir que les masses énormes
des matériaux arrachés de leurs flancs, viennent
encombrer le lit des fleuves, y former des îles et
atterrissements, des bancs de graviers, qui amènent
des variations continuelles dans leur régime et sou-
vent font changer leur direction ?
Les blocs et galets, du plus gros volume, détachés
des régions supérieures et entraînés sous des pentes
rapides, en roulant et se heurtant les uns les autres,
s’usent, se liment en quelque sorte, et en effet, vont
sans cesse en décroissant de volume ; de sorte que,
par l’atténuation successive des -pentes, il n’arrive
plus dans la région inférieure du cours d’eau que
des limons proprement dits, c’est-à-dire des parties
terreuses, mélangées à une proportion plus ou moins
grande de sable très-fin.
Ces limons essentiellement fertiles, quand ils peu-
vent être conquis sur les eaux, sont toujours nuisi-
bles lorsque, étant enchaînés jusqu’à la partiela plus
basse des vallées, ils s’y déposent irrégulièrement
sous forme d’atterrissements, souvent instables, ou
sont transportés jusqu’à la mer.
D’après l’inégale répartition des pluies, il arrive
souvent que les plus violentes sont exclusivement
concentrées sur une même région. C’est alors que
l’on voit des torrents, à fortes pentes et chargés
d’eaux limoneuses, se déverser dans un récipient in-
férieur, dont le débit n’a pas encore été modifié.
Alors les eaux troubles introduites dans un lit plus
large et moins incliné, en perdant ainsi de leur vi-
tesse, y déposent la majeure partie des matières
étrangères dont elles étaient chargées.
Mais quand même la répartition des pluies se trou-
verait, par exception, être uniforme, les vallons par-
courus par les affluents étant de longueurs et de
pentes inégales, leurs eaux n’arriveraient toujours
pas d’une manière uniforme au récipient commun.
— Dans l’ordre naturel des choses, c’est la crue des
affluents inférieurs qui arrive la première dans le
fleuve, en y entraînant toutes les matières charriées.
Puis vient la crue correspondante aux affluents plus
éloignés, qui dépose encore une nouvelle couche de
graviers, ou limons et ainsi de suite; ce qui tend à
remplir, ou à exhausser, de proche en proche, la
partie inférieure du lit des fleuves.
Les crues des affluents produisent dans les parties
inférieures du bassin des dépôts d’autant plus con-
sidérables qu’elles y arrivent généralement sous de
très-fortes pentes, et avec des vitesses considérables.
D’après une loi générale, il y a décroissance de ces
mêmes pentes, à mesure que le cours d’eau s’éloigne
de la région montagneuse,
Ces eaux torrentielles abandonnent d’abord des
blocs d’un gros volume, de forme irrégulière et
pleines d’aspérités; plus loin, ce sont des blocs
moins gros ou d'énormes cailloux, mais dont les
formes sont déjà arrondies, par le trajet qu’ils ont
fait sur des lits de rochers; ensuite vient la région
des graviers, puis celle des sables fins et des ma-
tières limoneuses les plus ténues ; enfin la terre vé-
gétale, que malgré la très-grande diminution des
vitesses, les fleuves entraînent généralement jusque
dans la mer.
C’est à la conquête de ces dernières substances
à l’exclusion du sable et des graviers que s’appli-
que l’opération connue en Italie sous le nom de col-
matage.
Les régions distinctes correspondantes à ces diver-
ses natures de matières charriées sont, en général,
bien délimitées sur chaque cours d’eau; sauf les
modifications accidentelles pouvant résulter, d’une
année à l’autre, par le fait d’une grande variation
dans le volume d’eau en mouvement.
Néanmoins ou observe dans ce cas de très-notables
anomalies. En effet, les lits naturels étant exposés
à s’encombrer, ou au moins à s’exhausser, par ces
dépôts successifs de graviers, qui caractérisent la
région moyenne des vallées, les eaux tendent tou-
jours à s’en ouvrir un nouveau ; ce qui amène, en
certains points, une complète instabilité dans leur
direction.
C’est ainsi que se forment les gués, les plages et
les bancs de graviers, laissés à sec par le retrait des
eaux. Ils se consolident peu à peu, soit par le seuleffet du tassement naturel, soit avec le secours des
végétaux, et finissent par se trouver, au bout d’un
certain nombre d’années, en état de résister à faction
des plus fortes crues.
On explique de la même manière la formation des
grandes et nombreuses sinuosités que présentent
certains cours d’eau, principalement en amont de
leurs confluents.
A mesure que les graviers, formés comme il est dit
plus haut, sont entraînés par les crues, le frottement
continuel qu’ils éprouvent les use et les réduit pro-
gressivement en sables fins, puis en matières limo-
neuses, qui étant susceptibles d’être tenues eu sus-
pension dans l’eau, sont entraînées jusqu’à la mer. —
C’est d’après cela que les auteurs italiens ont dit,
avec raison, que les rivières consomment les graviers
qu’elles reçoivent des régions supérieures; ce qui
explique comment les exhaussements des lits n’ont
lieu souvent que d’une manière insensible ou incer-
taine.
Il est incontestable que, surtout par l’effet des
déboisements effectués, d’une manière si générale,
depuis un demi-siècle, il se précipite, de la région
supérieure des bassins dans le lit des rivières et tor-
rents, une immense quantité de matériaux, dont les
eaux s’emparent, puis les remanient continuellement ;
de telle sorte qu’après les dépôts successifs qui opè-
rent le triage des cailloux et graviers, les matières ter-
reuses restent seules en suspension dans l’eau.
On se ferait difficilement une idée de la masse
énorme des matières solides qui sont ainsi détachées
du flanc des montagnes et descendent dans le lit des
cours d’eau.
Le volume des graviers, charriés dans une année,
serait difficile à évaluer, parce qu’ils se superposent
les uns aux autres sans aucune règle fixe.
Quant aux limons prprement dits, leur proportion
peut toujours être calculée à priori. Il suffit de re-
cueillir, en temps de crue, un volume d’eau trouble
déterminé, et de le faire reposer, pendant un délai
suffisant pour que le dépôt s’opère. On établit en-
suite la proportion entre le volume du limon et celui
de l’eau qui l’a fourni.
Il est à remarquer que la plupart des grands cours
d’eau ont, dans leurs crues, un débit souvent cen-
tuple de celui qui correspond à l’étiage, et que, dans
tous les cas, le volume total des eaux claires dépasse
rarement le dixième de celui des eaux troubles. —
Cette considération a de l'importance dans les opéra-
tions de colmatage (1).
II. — Des terrains d'alluvion.
De leur composition et cle leur valeur,
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