Nos rêves sont mesquins ; ils manquent d'ambition ; ils ne portent pas d'avenir. Nous les limitons à des satisfactions passagères, à des jouissances éphémères. Nous ne vivons pas, par crainte de mourir. Nous nous resserrons parce que nous avons peur des renoncements nécessaires.
Bienheureux Henri Suso (vers 1295-1366), dominicain Le Livre de la Sagesse éternelle (trad Ancelet-Hustache ; cf. Bouchet, Lectionnaire, p. 389) Jn 16,33 « Pour que vous trouviez en moi la paix »
« Seigneur, depuis les jours de ma jeunesse, mon esprit a cherché un je ne sais quoi, avec une soif impatiente. Qu'était-ce donc, Seigneur? Je ne l'ai pas encore parfaitement saisi. Voici bien des années que je le désire ardemment et je n'ai pas encore pu le saisir... Et pourtant c'est bien cela qui attire mon coeur et mon âme, et sans quoi je ne peux pas m'établir en une paix véritable.
Seigneur, je voulais chercher mon bonheur dans les créatures de ce monde, comme je voyais tant de gens faire autour de moi. Mais plus je cherchais, moins je trouvais ; plus je m'approchais, plus je m'éloignais. Car toute chose me disait : « Je ne suis pas ce que tu cherches ». Est-ce donc toi, Seigneur, que j'ai si longtemps cherché? Est-ce donc vers toi que l'attrait de mon coeur toujours et sans cesse luttait? Pourquoi alors ne t'es-tu pas montré à moi? Comment as-tu pu si longtemps différer cette rencontre? En combien de chemins harassants ne me suis-je pas embourbé? Car il est vraiment heureux l'homme que tu préviens avec tant d'amour ; tu ne le laisses pas en repos jusqu'à ce qu'il cherche son repos en toi seul.
Guerric d'Igny (Sermo 1 de resur., 5: SC 202, 224-226)
Maintenant, mes frères, en quoi la joie de votre coeur estelle un témoignage de votre amour du Christ? Pour moi, voici ce que je pense ; à vous de voir si j'ai raison; si jamais vous avez aimé jésus, vivant, mort, puis rendu à la vie, en ce jour où, dans l'Église, les messagers de sa résurrection annoncent celle-ci et la proclament d'un commun accord et à tant de reprises, votre coeur se réjouit au-dedans de vous et dit: « On me l'a annoncé, jésus, mon Dieu, est en vie ! Voilà qu'à cette nouvelle mon esprit se ranime, lui qui était assoupi de tristesse, languissant de tiédeur, ou prêt à succomber au découragement. »
En effet, le son de cet heureux message parvient même à tirer de la mort les criminels. S'il en allait autrement, il ne resterait plus qu'à désespérer et à ensevelir dans l'oubli celui que Jésus, en sortant des enfers, aurait laissé dans l'abîme. Tu seras en droit de reconnaître que ton esprit a pleinement recouvré la vie dans le Christ, s'il peut dire avec une conviction intime: « Cela me suffit, si jésus est en vie. » Comme cette parole exprime un attachement profond, qu'elle est digne des amis de Jésus ! Qu'elle est pure, l'affection qui parle ainsi : « Cela me suffit, si jésus est en vie ! » S'il vit, je vis, car mon âme est suspendue à lui; bien plus, il est ma vie, et tout ce dont j'ai besoin.
Que peut-il me manquer, en effet, si jésus est en vie? Quand bien même tout me manquerait, cela n'aurait aucune importance pour moi, pourvu que Jésus soit vivant. Si même il lui plaît qu'il me manque à moi-même, il me suffit qu'il vive, même si ce n'est que pour lui-même. Lorsque l'amour du Christ absorbe ainsi totalement le coeur de l'homme, de telle sorte qu'il se néglige et s'oublie lui-même et n'est plus sensible qu'à Jésus-Christ et à ce qui concerne Jésus-Christ, alors seulement la charité est parfaite en lui. Certes, à celui dont le coeur est ainsi touché, la pauvreté n'est plus à charge ; il ne ressent plus les injures, il se rit des opprobres, il ne tient plus
compte de celui qui lui fait du tort, et il estime la mort comme un gain. Il ne pense même pas qu'il meurt, car il a plutôt conscience de passer de la mort à la vie; aussi dit-il avec confiance: J'irai le voir avant de mourir.
Aug S 158,8, PL 38, 866: Quelles que soient les promesses de Dieu, sans lui tout n'est rien. Dieu ne me satisferait pas s'il ne se promettait lui-même à moi.
Qu'est-ce que toute la terre, toute la mer, le ciel entier et tous les astres, le soleil et la lune et le choeur des anges? J'ai soif du Créateur de toutes ces merveilles ; j'ai faim de lui, j'ai
soif de lui et je lui dis : En toi se trouve la source de la vie. Il me dit: Je suis le pain descendu du ciel. Que j'en aie faim et soif dans mon pèlerinage, pour en être rassasié une fois en sa présence. Le monde me sourit par une variété de choses éclatantes en beauté et en force, mais leur Créateur est plus beau et plus puissant, plus éclatant encore et plus agréable. Je serai rassasié quand se manifestera ta gloire.
Augustin (Tract. 2, 8-9: SC 75, 166-168) sur la première lettre de Jean (1Jn 2)
Mais comment pourrons-nous aimer Dieu, si nous aimons le monde? Dieu prépare donc en nous l'inhabitation de la charité. Il y a deux amours : du monde et de Dieu ; là où habite l'amour du monde, nul accès à l'amour de Dieu. Que l'amour du monde cède la place, et que Dieu habite en nous : que le meilleur occupe la place. Tu aimais le monde, renonce à l'amour du monde; lorsque tu auras vidé ton coeur de tout amour terrestre, tu puiseras l'amour de Dieu : et déjà commence d'habiter en toi la charité, d'où ne peut provenir aucun mal. Écoutez donc les paroles de celui qui ne veut que purifier. Le coeur humain est pour lui comme un champ : mais en quel état le trouve-t-il? S'il y trouve une forêt, il défriche; s'il trouve un champ nettoyé, il plante. Il veut y planter un arbre, la charité. Et quelle forêt veut-il défricher? L'amour du monde. Écoute ce que dit le défricheur de forêt : N'aimez pas le monde -c'est le verset qui suit -ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, la dilection du Père n'est pas en lui.
Augustin Livre 13,9 CCL 27,247
Le feu monte,… l'huile répandue dans l'eau monte au-dessus de l'eau… Les choses qui ne sont pas en place s'agitent ; mais quand elles ont trouvé leur place, elles restent en repos. Mon poids, c'est mon amour ; en quelque endroit que je sois emporté, c'est lui qui m'emporte. Ton don nous enflamme et nous soulève : nous brûlons et nous allons. Nous montons les degrés du cœur et chantons le cantique des degrés. C'est de ton feu, de ton feu bienfaisant que nous brûlons et nous allons, nous montons vers la paix de la Jérusalem céleste. Je me suis réjoui d'entendre ces paroles : C'est dans la maison du Seigneur que nous irons ! C'est là que nous installera ta bonne volonté, et nous ne désirerons rien de plus que d'y demeurer éternellement.
Pierre Chrysologue (vers 406-450), évêque de Ravenne, docteur de l'Église
Sermon 147 ; PL 52, 594-596 (trad. Orval)
« Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez »
Dès que Dieu a vu le monde bouleversé par la crainte, il a mis en oeuvre son amour pour le rappeler à lui, sa grâce pour l'inviter, son affection pour l'embrasser. Lors du déluge.il appelle Noé à engendrer un monde nouveau, l'encourage par de douces paroles, lui donne sa confiance familière, l'instruit avec bonté sur le présent et le console par sa grâce au sujet de l'avenir. Il prend part à son labeur et enferme dans l'arche le germe du monde entier, pour que l'amour de son alliance bannisse la crainte.
Ensuite Dieu appelle Abraham du milieu des nations, il magnifie son nom et le fait père des croyants. Il l'accompagne en chemin, le protège à l'étranger, le comble de richesses, l'honore de victoires, l'assure de ses promesses, l'arrache aux injustices, le console dans son hospitalité et l'émerveille par une naissance inespérée afin que attiré par la grande douceur de l'amour divin, il apprenne à.adorer Dieu en l'aimant et non plus en tremblant.
Plus tard Dieu console par des rêves Jacob en fuite. A son retour, il le provoque au combat et, dans la lutte, il l'étreint dans ses bras afin qu'il aime le père des combats et ne le craigne plus. Puis il appelle Moïse et lui parle avec l'amour d'un père pour l'inviter à délivrer son peuple.
Dans tous ces événements, la flamme de la charité divine a embrasé le coeur des hommes., et ceux-ci, l'âme blessée, ont commencé à désirer voir Dieu avec leurs yeux de chair. L'amour n'admet pas ne pas voir ce qu'il aime. Tous les saints n'ont-ils pas considéré comme peu de chose tout ce qu'ils obtenaient tant qu'ils ne voyaient pas Dieu?. Que personne donc ne pense que Dieu a eu tort de venir aux hommes par un homme. Il a pris chair parmi nous pour être vu de nous.
BdC Trouver l’équilibre entre l’intériorité et le travail nécessaire: De consideratione, un bref écrit adressé au pape Eugène III. Ici, dans ce livre très personnel, le thème dominant est l’importance du recueillement intérieur – et il le dit à un pape – un élément essentiel de la piété. Il est nécessaire, observe le saint, de se préserver des dangers d’une activité excessive, quels que soient sa situation ou le poste que l’on occupe car – dit-il au pape de l’époque et à tous les papes, et à nous tous – les nombreuses occupations conduisent souvent à la « dureté de cœur », elles ne font que « tourmenter l'esprit, épuiser le coeur et… faire perdre la grâce » (II, 3). Cette mise en garde vaut pour tout type d’occupations, y compris celles qui sont inhérentes au gouvernement de l’Eglise. La parole que Bernard adresse à ce propos au pontife, son ancien disciple à Clairvaux, est provocatrice : « Voilà, écrit-il, où toutes ces maudites occupations qui vous absorbent ne peuvent manquer de vous conduire, si vous continuez… à vous y livrer tout entier, sans rien réserver de vous-même » (ibid.). Combien ce rappel de la primauté de la prière est utile pour nous également ! Que saint Bernard, qui sut concilier l’aspiration du moine à la solitude et au silence du cloître avec l’urgence de missions importantes et complexes au service de l’Eglise, nous aide à concrétiser cette primauté dans notre vie.
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