Thèse Lyon 2


- L’encadrement de la politique économique structurelle par la planification



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2- L’encadrement de la politique économique structurelle par la planification


L’intervention de la puissance publique étatique dans le fonctionnement de l’économie nationale durant les Trente Glorieuses s’organise à partir du principe de la planification, qui tend à couvrir l’ensemble des domaines relatifs à l’enjeu de modernisation et de développement économique. La politique économique s’exprime essentiellement à travers le Plan de Modernisation et d’Equipement de la France et le Plan de Développement Economique et Social de la nation (ou plan d’aménagement du territoire), tous deux conçus au niveau central sous l’égide du Commissariat Général au Plan (CGP) institué en 1946. Leur élaboration est disjointe au début des années 1950, conjointe entre 1955 et 1965, puis associée à la politique d’aménagement du territoire à partir du milieu des années 1960.

La planification est conçue comme un moyen de réduire les incertitudes, de guider et d’encadrer les efforts d’investissement de la puissance publique, mais aussi des acteurs privés, vers les secteurs considérés comme prioritaires pour la croissance, la modernisation et le développement des structures productives du pays. Elle n’a officiellement qu’une vocation indicative et technique, mais elle constitue également un projet politique cohérent, approuvé et encouragé par le Plan Marshall (Boneau, 2004). La première raison d’être de la planification française est en effet d’inscrire l’ensemble des interventions de la puissance publique dans le champ de l’économie dans un vaste projet collectif ayant une portée politique qui garantisse sa continuité et sa cohérence (Dufourt, 1976). Elle permet de confier la modernisation de l’économie française à des experts issus d’horizons divers, qui appliquent au technocratisme étatique leur caractère pragmatique de techniciens ou d’entrepreneurs.

Le recours à la planification s’appuie en outre sur le principe de la concertation. « L’esprit du Plan, c’est le concert de toutes les forces économiques et sociales de la nation » (Massé, 1965, p.153). Cette concertation, organisée à partir de commissions de modernisation réunissant des chefs d’entreprises, des hauts fonctionnaires, des syndicalistes et des experts divers, permet de valider les décisions stratégiques pour l’orientation de la politique économique nationale. La concertation apporte également une certaine dépolitisation des questions de politique économique, ballottées entre interventionnisme et libéralisme, au nom de l’intérêt général du pays face au contexte mondial d’internationalisation et de libéralisation des marchés, mais aussi à l’avantage des intérêts dominants du grand capital industriel national en pleine expansion. Elle fait ainsi la part belle aux intérêts du patronat français, appelé à participer directement à la conduite de la modernisation économique du pays aux côtés des instances étatiques.

Moderniser signifie essentiellement rendre l’économie française plus compétitive et adaptée au contexte d’ouverture des frontières et de mise en concurrence des entreprises nationales avec les firmes étrangères, en imposant les techniques managériales, l’organisation scientifique du travail et la mécanisation de la production aux agents économiques. La politique économique nationale déclinée à travers le Plan vise ainsi, de manière plus ou moins directe, à encourager le regroupement et la concentration des structures productives, à trouver de nouveaux marchés pour les entreprises du pays, à faciliter l’implantation des entreprises industrielles sur le territoire, à développer l’appareil productif, à soutenir la consolidation des groupes industriels privés et publics, à orienter massivement les investissements à vocation économique sur certains secteurs productifs industriels et tertiaires ou sur certaines portions clairement identifiées du territoire national, notamment pour corriger les effets négatifs de la concentration industrielle.

Elle s’oriente également à partir du milieu des années 1960 vers l’aménagement de l’environnement des entreprises, notamment dans les grandes villes du pays comme Lyon, par la mise en œuvre des principes du zoning industriel, la réalisation d’infrastructures de communication modernes et de grands équipements collectifs indispensables pour les activités économiques. D’abord conçue exclusivement en référence au niveau national, la planification française privilégie des objectifs d’ensemble du développement économique et de la modernisation des structures productives. Elle s’ouvre ensuite à la dimension spatiale de la régulation économique, en définissant de manière parallèle les objectifs de croissance au niveau national et leur déclinaison pratique au niveau des territoires locaux.

Une planification déconnectée des enjeux territoriaux

Dans le dispositif très centralisé de la planification à la française, le territoire n’assure qu’un rôle de réceptacle, de simple support spatial pour la réalisation des objectifs nationaux de développement et d’expansion économique, particulièrement au cours des années 1950 qui restent dominées par l’enjeu de la remise à niveau des structures productives. Les trois premiers Plans sont en effet dominés par l’objectif de la reconstruction des bases économiques et productives du pays. La dimension territoriale de la régulation économique est globalement absente de ces premiers programmes de politique économique, qui n’ont qu’une déclinaison nationale unique, à l’échelle de la France dans son ensemble.

Le premier Plan « Monnet » (1947-1952) est centré sur le double objectif de modernisation et d’équipement économiques. Il vise à reconstituer les industries de base afin d’atteindre le niveau de production d’avant la crise 1929, en redonnant à la France des moyens de production adéquats. Il suggère notamment des actions spécifiques dans la sidérurgie, la mécanique et le textile (regroupement des établissements, concentration et spécialisation productives afin d’optimiser les économies d’échelles potentielles) (Jenny, Weber, 1974). Il est particulièrement directif dans l’orientation des ressources et du crédit, et ambitieux quant à ses objectifs de production industrielle, qui sont rapidement et largement atteints.

Le deuxième Plan (1953-1957) est également axé sur l’augmentation de la production, l’amélioration de la qualité des produits et de la rentabilité, dans une optique de libéralisation des échanges (ouverture du marché commun européen après le Traité de Rome de 1957). Le principe du développement de l’industrie et des équipements à l’échelle nationale est encore au cœur du dispositif. Il encourage à la décentralisation industrielle de Paris vers les régions de province riches en main d’œuvre. Celui-ci inscrit en outre le principe de la spécialisation des entreprises au rang de moyen de réalisation des objectifs du Plan, comme un remède permettant de pallier la trop grande différenciation des activités des entreprises traditionnelles françaises et leur faible productivité qui en découle (Jenny, Weber, 1974).

Le lancement du troisième Plan (1958-1961) coïncide avec deux évènements majeurs dans l’évolution de la politique économique française : le début de la Communauté Economique Européenne et l’instauration de la Cinquième République. Cependant, il reprend et poursuit la ligne de conduite directrice des deux premiers Plans concernant les structures productives nationales, en incitant au regroupement des entreprises et à la spécialisation des unités productives. Il prône toutefois une plus grande ouverture de l’économie nationale à la concurrence extérieure et s’oriente vers la réalisation des équipements collectifs sur le territoire, afin d’améliorer l’environnement et la compétitivité des entreprises françaises dans le nouveau contexte concurrentiel européen. Son but est également de préparer le plein emploi de l’importante cohorte de jeunes issus du baby-boom d’après-guerre, en permettant le renouvellement des structures de formation professionnelle à l’échelle nationale.

Les trois premiers Plans nationaux de modernisation et d’équipement ont donc des objectifs essentiellement économiques et de portée nationale, concernant les différentes branches d’activités considérées comme des moteurs pour le développement économique de la France : reconstitution des grands équipements publics et des industries de base conditionnant la reconstruction du pays, développement des industries de transformation, modernisation de l’agriculture, effort de développement du secteur de la construction, décentralisation industrielle… Ils complètent, sans se confondre avec elles, les orientations définies dans le cadre des premiers plans de développement économique et social en matière d’aménagement du territoire. Le territoire national constitue la référence spatiale unique des programmes économiques.

La régionalisation du Plan et l’ouverture de la régulation aux logiques spatiales

Cependant, les fluctuations profondes que subit la conjoncture économique nationale pendant la première moitié des années 1950, sur fond de construction européenne et de déconstruction des empires coloniaux (récession des branches industrielles traditionnelles, notamment dans la région lyonnaise : textile, cuir ; expansion rapide des industries dynamiques, centrée sur la capitale : chimie, pharmacie, mécanique, électronique ; problèmes de reconversion des régions minières et de vieille industrie), aggravent la distorsion région parisienne – province, déjà dénoncée par J.F. Gravier (1947). En 1953, un cinquième de la production industrielle française est ainsi localisée à Paris et dans les départements limitrophes (Laborie, Langumier, De Roo, 1985).

Dès 1950, le ministre de la reconstruction et de l’urbanisme Claudius-Petit propose au gouvernement la mise en œuvre d’une véritable politique d’aménagement du territoire, visant la répartition plus équilibrée des hommes et des activités dans l’espace national22. L’industrialisation décentralisée figure parmi les principaux moyens envisagés, à côté d’actions portant sur la réalisation d’équipements collectifs et sur le développement des autres secteurs de l’économie (énergie, transports, agriculture, tourisme, culture).

Cette situation conduit les pouvoirs publics à prendre dans les années 1950 une série de mesures financières et réglementaires nouvelles destinées à freiner la concentration économique dans la région parisienne et à faciliter l’expansion (ou la reconversion) industrielle dans les zones et les localités souffrant de l’insuffisance ou de la régression de leurs activités traditionnelles (Faucheux, Saillard, Novel, 1965). L’objectif de décentralisation industrielle s’accompagne de la mobilisation des forces vives et des représentants des intérêts économiques au niveau local et régional, invitées à participer à la définition collective et concertée des objectifs de la planification économique (voir infra).

Les décrets du 30 juin 1955 prescrivent ainsi la régionalisation du plan, par l’établissement de programmes d’action régionale destinés à promouvoir l’expansion économique et sociale des différentes régions. La loi du 7 août 1957 dispose que ces programmes soient complétés par des plans d’aménagement régional visant notamment à orienter l’implantation des équipements publics et privés sur le territoire. Ces deux documents sont fondus en un seul en 195823 : le Plan régional de développement économique et social et d’aménagement du territoire. La coordination entre le plan national de développement économique et l’ensemble de la politique d’aménagement du territoire est assurée par le Comité des plans régionaux. Le troisième Plan économique et social de la France (1958-1961) voit ainsi sa déclinaison régionale couplée avec l’élaboration des documents de planification spatiale, relatifs à l’aménagement du territoire. Ce nouveau dispositif permet notamment un meilleur encadrement de la décentralisation industrielle et de la répartition des grands équipements collectifs programmés sur le territoire national.

La dimension spatiale et la prise en compte des disparités territoriales se greffe donc au dispositif de régulation d’ensemble de l’économie par la planification à la fin des années 1950. Une politique de régulation économique par le territoire s’organise alors pour corriger les effets négatifs de la concentration industrielle – qui privilégie la région parisienne au détriment de la province –, répondre aux impératifs de la croissance productive et aider les foyers industriels locaux menacés par l’augmentation de la concurrence extérieure. La décentralisation industrielle, tant à l’échelle nationale qu’au niveau régional, est associée aux objectifs plus sectoriels et structuraux de la politique économique de l’Etat.

Jusqu’à 1963, les actions de planification et d’urbanisme relatives à l’aménagement, notamment industriel, du territoire restent toutefois globalement distinctes de la planification économique, même si le 3ème Plan marque l’amorce d’une prise en compte de la dimension spatiale de la planification et une certaine ouverture de la politique économique nationale aux spécificités régionales, conformément aux orientations définies par les instances européennes, qui entendent privilégier le niveau régional dans la définition et la conduite des politiques économiques.


L’intégration des logiques spatiales dans la régulation économique

A partir du 4ème Plan (1962-1965), l’accent est mis sur l’enjeu de la compétitivité de l’économie française, exposée à la concurrence internationale à l’échelle européenne et mondiale, et sur la nécessité qui en découle d’adapter les structures de l’appareil productif national. Il s’agit de privilégier toujours plus les logiques de concentration, de modernisation et d’innovation industrielles, mais aussi d’améliorer de façon significative l’environnement des entreprises pour faciliter la réalisation de ces objectifs et augmenter les externalités positives.

Le renforcement de la position compétitive de l’économie nationale nécessite en effet la constitution et/ou la consolidation d’un petit nombre d’entreprises et de groupes de dimension internationale, capables d’affronter la concurrence des grands leaders étrangers (voir infra). La modernisation, la spécialisation et le développement de la sous-traitance doivent renforcer l’intégration des petites et moyennes entreprises (PME) dans le système productif national aux côtés des grandes firmes, et leur permettre de participer au nouveau marché commun européen en s’adaptant aux enjeux de la concurrence internationale (Jenny, Weber, 1974). Les capacités d’intervention de l’Etat dans la réorganisation des structures productives sont assez importantes à l’échelle nationale (soutien aux branches d’activités industrielles, aides financières aux entreprises…).

Mais la question des économies externes potentiellement mobilisables par les firmes sur le territoire français est également directement soulevée par le nouvel objectif de compétitivité économique et par la nécessité d’encourager les entreprises à participer au processus de développement et de modernisation national. Le Plan visant l’expansion économique, la modernisation des structures et le développement des investissements, mais aussi une meilleure répartition des fruits de la croissance sur le territoire national et l’amélioration de l’environnement des entreprises, justifie pleinement l’intégration de la politique d’aménagement du territoire et de la politique d’expansion économique au sein d’un même programme de développement économique du territoire national.

Toutefois, les capacités d’intervention de l’Etat au niveau local sont beaucoup plus limitées qu’au niveau national, et n’ont qu’une influence indirecte sur les dynamiques de développement, de concentration et de modernisation industrielles. Elles passent essentiellement par le développement du volet spatial de l’intervention économique publique : planification territoriale, aménagement de zones industrialo-portaires adaptées aux besoins de la grande industrie pétrochimique et sidérurgique, aménagement de centres directionnels pour accueillir le redéploiement des sièges sociaux et des activités financières, intensification de la production de zones industrielles pour faciliter le desserrement et la modernisation des PME traditionnelles à la périphérie des grandes villes, accélération du rythme de réalisation des grands équipements collectifs (aéroports, ports, marchés de gros) et des infrastructures de communication (autoroutes, liaisons ferroviaires et fluviales, câbles et téléphone) (Limouzin, 1988).

L’aménagement du territoire et l’action régionale deviennent donc des volets très importants de la politique économique française, constitutifs du système de la planification incitative dans la deuxième moitié des années 1960. La politique d’aménagement du territoire est intégrée organiquement au volet régionalisé de la planification économique, parallèlement à un intense processus de création institutionnelle au niveau étatique (voir infra). La politique des métropoles d’équilibre s’inscrit dans ce dispositif volontaire de l’Etat, qui vise à la fois le renforcement de la compétitivité de l’économie nationale grâce à l’amélioration de l’environnement spatial des entreprises (aménagement, urbanisme, équipements, infrastructures) et une meilleure répartition de la croissance et du développement économique sur le territoire (réduction de la centralisation économique parisienne au profit des principales grandes villes de province)24.

Le mouvement d’ouverture de la régulation économique publique à la dimension spatiale se poursuit et se consolide avec le 5ème Plan (1966-1970). L’horizon temporel de la planification économique est allongé au-delà du quadriennal (plans quinquennaux), afin de permettre un meilleur couplage entre les objectifs économiques et les enjeux propres à la planification spatiale. Les équipements collectifs à caractère productif (autoroutes, laboratoires de recherche, infrastructures de télécommunication, équipements et aménagements urbains) figurent parmi les moyens prioritaires de mise en œuvre la politique industrielle, à côté des investissements productifs (Dufourt, 1976).

L’aménagement du territoire prend ainsi une place importante dans la mise en application de la politique économique étatique au cours des années 1960. Cette situation confère un rôle de premier ordre aux outils et moyens d’intervention publique dans le champ de l’économie dévolus au niveau local, et donc aux acteurs politiques et économiques locaux (voir infra).


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