Thèse Lyon 2


- Les moyens directs de la régulation économique structurelle étatique



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4- Les moyens directs de la régulation économique structurelle étatique


L’Etat central utilise des leviers d’action très directs pour intervenir sur le fonctionnement de l’économie nationale et mettre en application les principes et objectifs de développement du Plan. Le système de l’économie dirigée lui offre en effet une forte légitimité à participer financièrement et institutionnellement à la réorganisation des structures économiques (bancaires et industrielles). Il soutient ainsi le développement et la modernisation des grandes branches industrielles au niveau national, en prenant le contrôle d’un vaste secteur économique public et en injectant d’importants volumes financiers dans des programmes sectoriels considérés comme stratégiques pour le positionnement de l’économie française dans le système international.

Des mesures financières incitatives complètent le dispositif d’action directe de l’Etat. Elles permettent de soutenir l’effort de modernisation et de restructuration des entreprises, de palier les difficultés d’adaptation ou de reconversion dans les zones du territoire français en crise, et d’orienter la localisation des firmes et des investissements à l’échelle du pays. Ces moyens financiers d’intervention publique s’appuient sur un nouvel appareillage juridique de contrainte, qui permet de renforcer l’encadrement normatif du comportement des agents économiques par les pouvoirs publics centraux.


La formation du secteur public et la logique de concentration économique

Parallèlement à la conduite de la planification économique, l’Etat français s’arroge la maîtrise d’un important secteur public financier et industriel durant les Trente Glorieuses, au service de la croissance nationale. La constitution d’un secteur public puissant correspond à une volonté rationnelle des pouvoirs centraux de contrôler les principaux leviers de commande financiers et productifs pour orienter le développement de l’économie : indépendance énergétique, capacité productive dans les secteurs industriels moteurs et capacité financière d’investissement.

L’Etat souhaite dans un premier temps (années 1950) pallier les insuffisances de l’investissement privé et favoriser la reconstitution de la puissance productive française de l’entre-deux-guerres en prenant le contrôle de plusieurs grandes entreprises existantes ou en en créant de nouvelles. A partir des années 1960, le souci de l’Etat se déplace vers la recherche d’une meilleure compétitivité des firmes françaises, à travers le renforcement de la dynamique de concentration de l’appareil productif initié depuis la fin de la guerre et le soutien appuyé au développement du secteur privé.

Hormis les entreprises publiques constituées par nationalisation à la Libération dans le secteur industriel pour sanctionner le comportement collaborationniste de certaines firmes pendant la guerre (Renault), les autres nationalisations de la fin des années 1940 s’opèrent essentiellement dans les domaines stratégiques de l’énergie et des industries de base (EDF, GDF, Charbonnages de France), indispensables au redécollage des activités productives du pays, ainsi que dans le secteur de la finance et du crédit. La Banque de France, les principaux organismes de crédit ou de dépôt (Crédit Lyonnais, Société Générale, Comptoir d’escompte de Paris, Banque nationale pour le commerce et l’industrie, Crédit Populaire, Crédit Foncier, Crédit National, Caisse des Dépôts et Consignations…) et les grandes sociétés d’assurances sont ainsi placés sous le contrôle de l’Etat, qui en devient le principal actionnaire.

La puissance publique intervient donc de manière directe dans le fonctionnement de l’économie nationale, en prenant le contrôle des entreprises appartenant aux secteurs jugés moteurs pour le développement de la croissance économique : énergie et finances pour l’essentiel. Divers aspects de la politique économique et industrielle convergent par ailleurs pour favoriser la constitution de grands groupes nationalisés, particulièrement à partir des années 1960. L’enjeu central de l’expansion industrielle des années 1950 se double en effet d’un impératif de compétitivité accrue des structures productives nationales dans les années 1960, motivé par l’augmentation de la concurrence internationale liée à l’abaissement des frontières économiques et à l’ouverture du marché commun européen (Dufourt, 1976).

Le 5ème Plan poursuit l’objectif central de la politique économique étatique : concentration et amélioration des structures industrielles, modernisation de l’appareil productif, qui passent par la constitution ou le renforcement des groupes industriels de taille internationale. Ce Plan, qualifié « d’ardente obligation » par le chef de l’Etat, place la préservation de l’indépendance économique nationale et l’accroissement de la compétitivité au cœur de la politique d’expansion, dans un contexte de très forte croissance et de concentration accrue de l’appareil productif. Il cherche notamment à favoriser les secteurs industriels de pointe et la recherche à travers le lancement de plusieurs grands programmes publics : Plan Calcul dans le domaine de l’informatique, programmes Concorde et Airbus dans l’aéronautique, Phénix et Rapsodie dans le nucléaire, ainsi que plusieurs programmes dans le domaine de la recherche spatiale (construction de satellites, aménagement d’un champ de tir en Guyane et réalisation d’un lanceur d’engins).

Trois secteurs industriels particulièrement exposés à la concurrence étrangère sont également retenus comme prioritaires par la politique économique gouvernementale : la chimie, l’aluminium et la mécanique lourde. Ils font l’objet d’importants transferts financiers de la part de la puissance publique, qui soutient ainsi directement le processus de concentration et de développement des activités productives. Les fusions, acquisitions et autres absorptions d’entités existantes dans ces secteurs sensibles permettent aussi à l’Etat de créer et de contrôler directement de grandes entreprises publiques industrielles, capables de concurrencer les autres firmes américaines et européennes sur les marchés mondiaux (Dufourt, 1976). Les entreprises publiques du secteur non concurrentiel (énergie, transports) se voient reconnaître l’autonomie de gestion et la liberté de tarification de leurs services, afin de libérer l’important volume de moyens financiers auparavant capté par ces entreprises publiques, au bénéfice du financement de l’industrie privée (Ferrandon, 2004).

Au niveau national, les opérations de concentration et de constitution de groupes de dimension internationale les plus emblématiques concernent Ugine Kuhlmann en 1965, fusionné ensuite avec Péchiney en 1973 pour donner le groupe PUK ; Thomson-Brandt en 1966, Dassault-Bréguet en 1970, BSN-Gervais-Danone, Saint Gobain, etc. (Laborie, Langumier, De Roo, 1985). Elles ont des répercussions importantes dans l’agglomération lyonnaise, où ses firmes possèdent des établissements.

Dans le secteur de la mécanique automobile, Berliet est absorbé par le géant nationalisé Renault (fusion avec la SAVIEM pour créer Renault Véhicules Industriels) et par Citroën, dans le secteur de la chimie et de la pharmacie, les sociétés Rhodiaceta et Gillet sont absorbées par le groupe Rhône-Poulenc, placé sous contrôle de l’Etat en 1969. Dans le secteur de la construction électrique également, le groupe de la Compagnie Générale d’Electricité (CGE) continue ses acquisitions entamées dès l’entre-deux-guerres avec Les Câbles de Lyon, essentiellement en dehors de la région lyonnaise, tandis que la société Dell-Alsthom concrétise les stratégies de fusions entre firmes, tout en étant détenue majoritairement par la CGE (Bonnet, 1975). Les principales filières industrielles lyonnaises sont ainsi concernées.

Cette stratégie de concentration économique et industrielle poursuivie par les autorités centrales durant les Trente Glorieuses a donc de très fortes répercussions sur la structure du tissu économique de la région lyonnaise, en raison de l’importance du secteur industriel dans le fonctionnement de l’économie locale et de la perte de pouvoir de commandement économique et financier qu’elle occasionne pour Lyon. Elle touche en effet les principales branches industrielles qui ont contribué à forger le système productif local et à asseoir sa puissance économique aux niveaux national et international, mais aussi les grandes banques lyonnaises, comme le Crédit Lyonnais, qui ont permis le développement et le rayonnement de la place de Lyon sur les marchés européens et mondiaux (voir infra, et Section 3).

Les leviers financiers et réglementaires

Durant les années 1950 et au début des années 1960, la mise en application de la politique économique sur le territoire national s’appuie essentiellement et de façon prioritaire sur des dispositions financières incitatives, développées sous la forme de primes de l’Etat à la localisation et à la modernisation structurelle pour les entreprises, et d’aides publiques en faveur des initiatives locales d’aménagement de l’espace destinées à favoriser la dynamique de croissance. Des outils juridiques et des procédures opérationnelles complètent ce dispositif financier incitatif, qui confère un rôle directif très important au niveau étatique, mais également aux collectivités locales et aux organismes patronaux locaux dans la mise en œuvre concrète des objectifs de la politique économique nationale à l’échelle des territoires locaux.

La loi du 14 août 1954 autorise le gouvernement à mettre en œuvre un programme d’équilibre financier, d’expansion économique et de progrès social. Une première série de décrets d’application30 crée les fonds d’adaptation et de reconversion de l’industrie, de reclassement de la main d’œuvre et de décentralisation industrielle, permettant d’octroyer des aides financières aux entreprises (prêts, bonifications d’intérêt, voire garantie de l’Etat). Ils étendent également aux opérations de décentralisation industrielle des dispositions de réduction fiscale prévue depuis 1953 pour les regroupements ou les reconversions d’entreprises. Un second train de décrets31 rend possible et facilite la construction de bâtiments industriels par les collectivités locales, les établissements publics et les sociétés d’économie mixte (SEM). Plus précisément, il permet de confier à un établissement public (structure intercommunale, organisme consulaire comme une CCI…) ou à une SEM la réalisation des opérations foncières, immobilières ou d’équipement inhérentes à l’aménagement des zones industrielles. Enfin, le décret du 11 décembre 1954 reconnaît officiellement les comités d’expansion économique, organismes d’étude et de réflexion à compétence régionale ou départementale spontanément constitués, comme c’est notamment le cas dans la région lyonnaise (voir infra).

En 1955, un nouveau décret subordonne les créations et extensions d’installations industrielles, puis des établissements scientifiques et techniques relevant de l’Etat, en région parisienne à un agrément spécial délivré par le ministre de la construction. La loi du 2 avril 1955 accorde au gouvernement de nouveaux pouvoirs spéciaux en matière économique, sociale et fiscale. Ses décrets d’application32 consacrent le principe de la régionalisation du Plan en renforçant les moyens mis à la disposition de la politique d’expansion régionale : regroupement des fonds créés en 1954 au sein du Fonds de Développement Economique et Social (FDES) ; institution d’une prime spéciale d’équipement en faveur des créations, extensions et conversions d’entreprises industrielles dans les zones et localités dont la situation est jugée critique ; création des Sociétés de Développement Régional (SDR), chargées de concourir au financement de l’industrialisation régionale et d’orienter les investissements de l’épargne privée vers les PME régionales ; élargissement des exonérations fiscales aux créations nouvelles d’entreprises dans les zones en difficulté.

La mise en œuvre et la déclinaison territoriale du Plan s’appuient ainsi sur une batterie de mesures financières et réglementaires, qui organisent progressivement le dispositif de régulation économique à l’articulation entre niveaux national et régional. Elles constituent l’amorce d’une politique d’aménagement du territoire au service du développement économique national, au moment où le développement industriel de la France s’intensifie et que les investissements privés rattrapent puis remplacent, dans une certaine mesure seulement, les efforts financiers très importants consentis par la puissance publique depuis la Libération. Les dépenses publiques d’investissement soutenues par le Plan Marshall passent en effet de plus de 50 % à la fin des années 1940 à moins de 35 % à la fin des années 1950, les entreprises privées augmentant leur participation à la modernisation des structures économiques françaises sous l’effet de la croissance et de l’ouverture internationale (Ferrandon, 2004).

Ces mesures sont amendées ou complétées dans les années qui suivent, particulièrement après l’instauration de la Cinquième République et le retour du Général De Gaulle aux affaires nationales. L’intervention du FDES devient de plus en plus exceptionnelle à mesure que les entreprises sont orientées vers les établissements de crédit spécialisés soutenus par le gouvernement (Crédit National, Crédit Hôtelier, Industriel et Commercial…). La réédition de l’ouvrage de J.F. Gravier (1958) plaide également en faveur du renforcement du dispositif de contrôle des implantations d’activités en région parisienne, élargi aux locaux de bureaux en 1958 et complété par un système de primes au départ et de redevances à la construction en 1960. Les aides financières destinées à favoriser la décentralisation industrielle, l’adaptation, la reconversion ou la modernisation des structures productives mises en place au milieu des années 1950 (mesures fiscales d’exonération surtout) sont complétées par des dispositifs relevant de l’aménagement du territoire à partir du milieu des années 1960.

Les leviers financiers et réglementaires utilisés par l’Etat permettent à la puissance publique d’être directement impliquée dans le contrôle de la localisation des activités économiques sur le territoire (Joye, 2002). Les aides fiscales, après leur essor sectoriel durant les années 1950, sont massivement mises au service de l’aménagement du territoire au cours des années 1960. Les exonérations d’impôts accordées aux entreprises permettent d’orienter le développement et la répartition de la croissance dans l’espace national, ainsi qu’à l’échelle des ensembles urbains et régionaux locaux. L’Etat accorde directement les aides et subventions par le biais de sa politique budgétaire d’investissement ou par le biais d’organismes financiers dont il est actionnaire, comme les SDR créées en 1955 et les Sociétés Immobilières pour le Commerce et l’Industrie (SICOMI) créées en 1967, qui participent aux opérations d’aménagement pour faciliter la construction ou la location de bâtiments à usage professionnel par les pouvoirs publics.

Les volets financier, juridique et réglementaire de la régulation économique au niveau national sont par ailleurs progressivement appuyés par des outils et procédures qui donnent au niveau local un rôle important dans la mise en œuvre du développement économique et de l’aménagement de la croissance sur le territoire. Ce rôle passe essentiellement par le biais de l’aménagement spatial et notamment de la réalisation de zones industrielles adaptées aux besoins des entreprises et le développement d’un vaste dispositif de planification territoriale au niveau local.


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