Cet aperçu des tendances principales du développement des langues standard, lié aux cas particuliers que nous avons cités, justifie notre thèse selon laquelle la norme d'une langue standard n'est pas formée simplement de l'usage. Elle se forme, c'est-à-dire qu'elle naît et se développe à la base de différentes tendances et est sujette à différentes interventions, par lesquelles elle diffère de la norme d'une langue populaire. La théorie linguistique, entre autres facteurs, est donc intervenue et peut intervenir encore dans le développement d'une langue standard.
Nous avons déjà signalé que la norme d'une langue standard diffère de celle d'une langue populaire par une plus grande différenciation fonctionnelle et stylistique, par un plus haut degré de prise de conscience de
la norme, ainsi que par son caractère coercitif plus prononcé. Tout cela est lié à une exigence de stabilité plus grande.
L'exigence de stabilité est une marque immanente de la norme en général. N'importe quelle norme (par exemple, une norme de comportement) agit toujours comme si elle était permanente, immortelle. Dans le
cas de la langue standard, l'insistance sur l'exigence de stabilité, liée à un plus haut degré de prise de conscience et à un caractère obligatoire plus prononcé, surgit de considérations fonctionnelles: elle provient du fait que le rôle de la langue standard est de réunir le plus grand nombre possible de locuteurs et de rendre possibles des énoncés aussi complets et précis que possible (surtout pour l'écrit), parce que c'est par ces moyens qu'on atteint la plus grande compréhensibilité et la meilleure définition de l'énoncé.
C'est donc en conséquence de sa fonction que la langue standard profite de la plus grande stabilité possible, pourvu que cela ne contrarie pas ses autres rôles. Il faut pourtant souligner immédiatement qu'il ne s'agit ici ni de rigidité linguistique, ni de nivellement.
La question de la stabilité de la langue standard étant traitée dans l'article de Mathesius, je ne la commenterai pas en détail. Je me contenterai de mentionner que la stabilisation d'une langue standard peut être sujette à une intervention des linguistes [. . .]. Les directives pour les interventions théoriques normatives qui devraient promouvoir sa stabilité sont
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présentées dans les Thèses générales du Cercle linguistique de Prague (voir appendice 1).
Le travail de Mathesius sur la stabilité rejette aussi le type de tendances théoriques qui dérangent la stabilité de la langue standard ou pour des raisons de pureté historique, ou pour des raisons de régularité unilinéaire, ou encore simplement pour des raisons d'ignorance du véritable état de la langue. Il y a pourtant un autre danger: celui de l'appauvrissement de la langue standard par un nivellement créé dans le désir de la stabiliser, c'est-à-dire d'atteindre une uniformité totale (un plan unique) par l'élimination de toute oscillation et de tout dédoublement, de toute synonymie grammaticale et lexicale. Cela priverait la langue standard de certains des moyens de variabilité fonctionnelle et stylistique nécessaires à la différenciation fonctionnelle et à la multiplicité stylistique.
2. La différenciation fonctionnelle de la langue standard
Même dans la langue populaire, le choix des ressources linguistiques dans les énoncés particuliers est gouverné par le but de l'énoncé: il est dirigé par sa fonction. Nous voyons des différences considérables de ressources linguistiques selon les différentes occasions, p. ex. un message pratique de tous les jours ou le récit occasionnel (et solennel) d'un événement donné, une conversation ou le récit continu de souvenirs, une conversation entre gens de la même génération ou avec des enfants ou avec des personnes plus âgées (voire les différences morphologiques de personne et de nombre dans la façon de s'adresser aux interlocuteurs, pour ne pas parler des différences lexicales liées aux différents métiers). Dans la langue standard, les ressources linguistiques sont aussi déterminées par le but auquel sert un énoncé particulier. La différence réside dans le fait que les fonctions de la langue standard sont mieux développées et différenciées de façon plus précise. Dans la langue populaire (d'une communauté donnée, bien entendu), presque toutes les ressources linguistiques sont communes à tous, tandis que dans la langue standard il y aura toujours un bon nombre de ressources d'usage spécial qui seront l'apanage d'un groupe spécial.
Je ne veux pas donner, ici, une énumération schématique des différentes fonctions de la langue standard, mais il est bien évident que les domaines dans lesquels elle sert â s'exprimer sont plus variés que ceux de la langue populaire. Parfois, ce sont des domaines dont il est impossible de parler en langue populaire. C'est ainsi que, par exemple, les ressources de cette dernière ne sont pas suffisantes pour la présentation sérieuse d'un problème épistémologique ou d'une question de mathématiques avancées. En revanche, dans les domaines où on emploie la langue populaire, on peut aussi utiliser la langue standard. Les emplois de la langue populaire peuvent être résumés sous le terme de fonction communicative; ils appartiennent donc au domaine de la communication quotidienne. Parmi les domaines spécialisés, la langue populaire ne possède que certains groupes
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lexicaux; enfin, la langue populaire peut parfois acquérir la fonction esthétique. Le domaine de l'expression professionnelle pratique est presque entièrement réservé à la langue standard, et celui de l'expression scientifique lui est réservé dans sa totalité. Enfin, c'est la langue standard qui normalement constitue la base régulière des manifestations du langage poétique.
Dans la fonction communicative, domaine propre à la langue populaire, même le membre d'un groupe social qui normalement parle et écrit en langue standard peut se servir d'une langue populaire, c'est-à-dire, un interdialecte (un dialecte commun à une région plus grande dans laquelle existent des dialectes locaux) ou un dialecte local ou de classe, dans la mesure où le locuteur domine une telle variété linguistique. Dans cette fonction on emploie aussi la langue standard dans sa forme dite « conversationnelle », c'est-à-dire dans la forme employée justement en conversation (la variété fonctionnelle « conversationnelle »). Cette forme « conversationnelle » ne doit pas être confondue [ ... ] avec un interdialecte, bien qu'elle ait quelques traits en commun avec lui et puisse même avoir une coloration locale. . . La différence entre ces deux variétés est clairement montrée, entre autres, par les formules « conversationnelles » et sociales qui peuvent être perçues comme des marques de classe. La différence entre ces formules et celles des dialectes populaires, qu'ils soient locaux ou de classe, est considérable. n n'y a qu'à comparer, par exemple, les formules de salutation, d'adresse, etc. [ ... ]. On pourrait donc être tenté de ne considérer cette forme « conversationnelle » que comme un dialecte de classe; mais si on adopte ce point de vue, la langue standard entière devient un dialecte de classe. Nous avons déjà mentionné son exclusivité de classe, différente selon les époques et les nations. Le même principe s'applique à ses formules sociales: elles sont ou bien une mesure de l'exclusivité de classe de la langue standard, ou bien, au contraire, une mesure de sa pénétration dans les couches populaires les plus vastes.
Parallèlement, les modalités et les situations des énoncés sont plus variées dans le cas de la langue standard que dans celui de la langue populaire: la langue populaire est normalement limitée à des énoncés oraux à caractère plutôt privé; la langue standard, qui n'est pas exclue de ces énoncés, s'emploie normalement pour les différentes formes des énoncés oraux publics et les énoncés écrits.
La différenciation fonctionnelle et stylistique de la langue est achevée de la façon la plus marquante par son aspect lexical et syntaxique, mais en pareil cas, on emploie aussi, bien que dans une moindre mesure, les systèmes phonologique et morphologique, et surtout les variations qu'offre leur structure sans oublier les styles fonctionnels de la prononciation. [ ... ] Du côté morphologique et phonologique, on emploie bien souvent, à des fins de différenciation, des ressources empruntées par la langue standard à d'autres normes, surtout à la norme de la langue populaire interdialectale (soit la couche vulgaire, qui apparaît aussi dans le lexique... ) [ ... ] .
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Dans le cas de ces moyens, surtout syntaxiques et lexicaux, de différenciation fonctionnelle et stylistique, il ne s'agit pas seulement d'un vocabulaire différent ou d'un répertoire de formes grammaticales différentes, mais aussi de différentes façons d'exploiter des ressources linguistiques ou de les adapter aux divers besoins de la langue standard.
Les types principaux de cette utilisation spéciale des ressources linguistiques dans la langue standard et dans ses différentes fonctions appartiennent d'une part à l'intellectualisation des ressources linguistiques et, d'autre part, aux fonctions différentes d'automatisation et de désautomatisation de ces ressources.
a) Intellectualisation
L'intellectualisation de la langue standard, qui pourrait aussi être appelée sa rationalisation, est l'adaptation de la langue dans le but de produire des énoncés définis et précis, du degré d'abstraction nécessaire, et capables d'exprimer la « connectivité » et la complexité de la pensée, donc, de renforcer le côté intellectuel de la parole. Cette intellectualisation culmine dans le langage scientifique (théorique) qui est dirigé par la nécessité d'utiliser l'expression la plus précise et le désir de trouver les moyens linguistiques pour exprimer la précision de la pensée objective (scientifique) selon laquelle les mots deviennent des termes techniques et les phrases, presque des propositions logiques. [ ... ]
Dans la langue standard, l'intellectualisation touche surtout la structure lexicale et partiellement aussi la structure grammaticale. [... ]
Du côté lexical, l'intellectualisation se manifeste non seulement par l'augmentation du vocabulaire à travers de nouveaux termes techniques, dont le contenu sémantique abstrait est étranger à l'homme de la rue et pour lesquels la langue populaire manque d'expressions, tels que poznatek (connaissance [dans le sens scientifique] ), pojem (concept), [... ] predstava (idée [au sens de l'allemand Vorstellung] ), jsoucno (être, au sens de « nature intime »), podmét (sujet), prisudek (prédicat), etc. Elle se manifeste aussi par des changements dans la structure du vocabulaire, car même si nous parlons des choses de la vie réelle dans le langage de la science, du droit, de l'administration ou des affaires, nous le faisons d'une manière différente de celle de la conversation ordinaire.
(a) Nous avons besoin d'expressions univoques. Ainsi, par exemple, la biologie introduit, en plus du motzvire (animal au sens ordinaire), le terme iiuocich (animal au sens taxinomique, par opposition à plante). L'ingénieur électricien a besoin, en plus du mot lampa (lampe), d'un mot comme svitidlo (dispositif d'éclairage), etc.
(b) Nous avons besoin de différenciations spécialisées, p. ex, pncina - dùvod - podnét (cause - raison - motivation); dans le langage juri-
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dique prestupek - prebn - zlocin (contravention - délit - crime), valstnik - drzitel - majitel (dominus - possessor - detentor), etc.
(c) Nous avons besoin de collectifs: plodina (produit agricole), rostlina (plante), vozidlo (véhicule), vyrobek (produit industriel).
L'intellectualisation correspond aussi au besoin d'exprimer les complexités de la pensée et des relations mentales, surtout du jugement et de l'évaluation. Cela se fait par la création de mots ou par leur adaptation pour exprimer certaines relations, comme celles de l'existence, de la possibilité, de la nécessité, de la causalité, du parallélisme, etc., tels que les substantifs 6ce1 (but), zdmér (intention), vysledek (résultat), dûsledek (conséquence), nâsledek (suite), ainsi que beaucoup de verbes, d'adjectifs, d'adverbes et de prépositions, p. ex. dociliti (atteindre) à côté de dosàhnouti (achever), odpovfdati (correspondre), sestâvati (consister), bezû~elnlr (sans but), bezvpslednsr (sans résultat), bezpodstatny (non essentiel), nâsledkem (en conséquence de), za ûcelem (afin de), etc. Par conséquent, dans la langue standard on peut observer l'expansion, la création et la spécialisation de toute une série de façons de former les mots. Ainsi, pour exprimer des abstractions surgies d'actions concrètes transférées à la catégorie de substance ou de qualité, il y a des substantifs déverbatifs [ ... ], des expressions participiales, et surtout des participes adjectives [... ], des noms d'agent [... ], des adjectifs y correspondant [...], etc. La langue standard a une tendance générale aux syntagmes nominaux, achevés au moyen ou d'une combinaison du substantif avec un attribut ou d'une prédication nominale à l'aide de verbes formels.
On peut voir comment l'intellectualisation atteint la structure grammaticale de la langue. Elle se manifeste surtout dans la structure de la phrase par la préférence qu'a la langue standard pour les propositions bipartites normalisées consistant en un sujet et un prédicat montrant une claire distinction formelle. C'est ainsi que la linguistique, dans la mesure où sa syntaxe est basée sur la langue standard, a globalement considéré ce type de phrase comme le type normal. Le désir d'achever un parallélisme entre la structure grammaticale et la structure logique a contribué, par exemple, à l'expansion du passif dans la langue standard. Finalement, nous voyons dans la langue standard, au lieu de la libre concaténation de phrases de la langue populaire, une configuration compacte de propositions et de phrases avec une hiérarchie bien élaborée (principales et subordonnées) exprimant différentes relations de causalité, finalité, parallélisme, etc.; cette tendance se manifeste aussi dans la spécialisation des conjonctions: alors que la langue populaire introduit les propositions subordonnées par des conjonctions multivalentes comme ie (que), dys (quand), la langue standard peut les différencier par des conjonctions spécialisées comme protoze (parce que), ponévadz (car), etc. [...]
II faut ajouter ici encore deux remarques importantes pour l'emploi pratique de la langue.
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1. La précision de l'expression dans les énoncés en langue standard est graduelle: j'ai déjà fait remarquer qu'elle culmine dans la langue scientifique où les mots doivent exprimer des concepts exacts. Si nous appelons cette univocité requise dans la langue scientifique « exactitude » et si donc nous distinguons l' « exactitude » de la notion plus ample de la « précision », nous pouvons exprimer cette échelle par le schéma suivant: compréhensibilité -précision - exactitude, allant de la notion plus large à la plus étroite. La compréhensibilité pure et simple est en jeu dans le langage du contact quotidien (conversationnel), où la précision est donnée non seulement par la convention mais aussi par la situation et la connaissance des circonstances et des interlocuteurs. Son objectivité est donc considérablement limitée, même quand il s'agit d'un contenu très concret; voir par exemple le grand nombre de pronoms employés dans une conversation ou le fait bien connu de notre expérience quotidienne qu'une conversation entendue par hasard nous paraît mystérieuse, même si les moyens linguistiques employés sont des plus courants. Dans la langue du travail (administratif, commercial, journalistique, etc.), il s'agit normalement de la précision de l'expression. Cette dernière est donnée par une convention ou une simple décision commune; l'objectivité de l'énoncé, c'est-à-dire son indépendance par rapport à la situation et à des personnes particulières, est beaucoup plus grande que dans le cas du langage « conversationnel ». Il n'est que de comparer une lettre personnelle à une lettre de commande commerciale. Enfin, dans la langue de la science il s'agit plutôt d'exactitude; cette dernière est achevée par définition ou codification, et en conformité avec l'exactitude de la pensée objective; l'exactitude tend vers une objectivité généralement valable. (II est pourtant nécessaire de faire une distinction entre l'exactitude de l'expression, des ternes techniques, et l'exactitude des concepts, de la pensée; par exemple, il peut y avoir un concept précis pour lequel une expression exacte n'a pas encore été trouvée. Inversement, on peut rejeter l'inexactitude d'un terme et en même temps reconnaître l'exactitude du concept.)
D faut noter qu'une expression univoque, exacte, ou même celle qui n'est que conventionnellement précise, n'est pas nécessairement compréhensible pour tout le monde. Ce peut être un terme ou même une idée qui est étrangère à beaucoup de gens. Ainsi, on ne peut pas se servir de la compréhensibilité générale pour mesurer l'exactitude d'expression d'un traité mathématique sur les nombres imaginaires ou la différence juridique entre « detentor » et « dominus ».
2. Il ne faut pas oublier, ni dans l'emploi pratique de la langue, ni dans la critique de l'usage linguistique, que ce ne sont pas seulement les substantifs qui contribuent à l'intellectualisation nécessaire de la langue standard (graduée selon ses fonctions), mais aussi les autres classes de mots qui servent à exprimer différentes relations. [... ] A l'index des prohibitions linguistiques [ ... ] nous trouvons un plus grand nombre de verbes, d'adjectifs, d'adverbes, de prépositions, que de substantifs. En fonction de ce point
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de vue, le tchèque standard devrait se développer en acceptant de nouveaux substantifs (surtout des termes pour les choses concrètes) et en rejetant les verbes et les autres mots exprimant les relations. En fait, nous pouvons voir que le tchèque standard châtié des puristes n'aurait presque pas de moyens pour exprimer les différents degrés d'incertitude, un parallélisme sans relation de congruence, l'éventualité, etc.
b) Automatisation et désautomatisation
Une autre façon d'utiliser les ressources linguistiques pour les différentes fonctions de la langue standard est ce que j'ai appelé l'automatisation et la désautomatisation de ses ressources.
Que veulent dire l'automatisation et la désautomatisation des ressources linguistiques? Je commence avec un exemple de deux langues différentes et où la différence sera plus marquée. Prenons, par exemple, la salutation russe bien connue de « zdraustuouite ». Si nous la traduisons littéralement par « soyez en bonne santé », quiconque en connaît le sens sera d'accord pour dire que ce n'est pas une bonne traduction, puisqu'il correspond à cette salutation russe toute une série de salutations tchèques. La forme courante d'une salutation russe a ainsi été traduite par une forme qui n'est pas habituelle à des propos de salutations; voilà comment l'on transforme une expression automatisée en une expression désautomatisée [... ].
L'automatisation indique donc un emploi des ressources linguistiques (isolées ou combinées), habituel pour une certaine tâche expressive. C'est un emploi qui n'attire pas l'attention, une expression qui, du point de vue de la forme linguistique, est produite et acceptée comme conventionnelle et qui prétend être « compréhensible » comme faisant partie du système linguistique, sans qu'il soit besoin de recourir aux informations supplémentaires dérivées de la situation et du contexte dans un énoncé particulier.
[... ] Nous ne pouvons parler d'automatisation que dans des cas où l'intention du locuteur ne peut pas manquer son effet, sauf s'il s'agit d'un changement du milieu auquel l'énoncé était destiné, ou d'un changement d'époque.
La désautomatisation, par contraste, indique un emploi des ressources linguistiques d'une façon qui retient l'attention et est perçue comme peu habituelle, privée d'automatisation [... ], comme par exemple une métaphore poétique vivante (par contraste à une métaphore déjà lexicalisée qui est devenue automatisée).
Dans la conversation nous avons de bons exemples d'automatisation et de désautomatisation: tous les moyens « conversationnels » conventionnels sont, bien sûr, des automatisations; par contraste, pour ranimer la conversation et pour surprendre (épater) on se sert de désautomatisations, c'est-à-dire de ressources linguistiques peu habituelles dans le langage courant
LA NORME LINGUISTIQUE
ou dont la signification est peu habituelle, et dans des combinaisons peu courantes (pour ne pas parler du contenu). Selon la mode, ce peuvent être des ressources du langage poétique ou de l'argot, ou bien d'autres couches linguistiques, y compris la langue de la science.
Dans un traité scientifique, l'auteur se sert, d'un côté, de mots et de combinaisons de mots qui ont, pour le spécialiste, une signification exacte, basée sur une définition scientifique, une codification ou une convention (une signification qui ne pose donc pas de problèmes et qui par conséquent est tout automatisée); d'un autre côté, l'auteur scientifique se sert aussi d'expressions nouvelles qui, bien qu'elles soient inusitées, reçoivent une signification bien délimitée ou pour l'auteur lui-même ou pour le groupe qu'il représente. De cette façon, même les expressions nouvelles deviennent automatisées au moins dans les limites d'une certaine oeuvre ou parmi les membres d'une certaine école. Si de telles expressions ou façons de parler sont transposées dans un énoncé destiné à des non-spécialistes, elles perdent l'automatisation acquise de la façon susdite (qu'on pourrait appeler « de spécialisation ») [... ]. Elles deviennent alors ou bien incompréhensibles (dans le cas des moyens d'expression totalement étrangers aux non-spécialistes) ou bien elles sont automatisées différemment ou même désautomatisées. Parallèlement, chaque terme technique a une signification automatisée quand on l'emploie dans son contexte spécialisé. Aussitôt qu'il est transporté dans un nouveau milieu, il peut devenir désautomatisé et même se transformer en injure (cf. l'emploi injurieux de termes comme « symphonie » et « physique » dans le langage populaire tchèque).
Beaucoup de jeux de mots sont basés sur une telle transposition d'automatisations d'un domaine à un autre où ces expressions sont peu usitées et deviennent donc désautomatisées [... ].
[... ] C'est dans le langage poétique que nous rencontrons la désautomatisation maximale et produite pour ses propres buts. Même dans le langage des essais nous trouvons une certaine désautomatisation. Ce langage s'apparente au langage spécialisé [... ]. II choisit et combine les ressources à la fois du langage spécialisé et du langage « conversationnel » de façon à les désautomatiser. Le langage des essais est donc dirigé vers l'expression désautomatisée du message en question (de son contenu) - expression désautomatisée d'une façon ordonnée un peu comme ce qui se passe dans le langage poétique - tandis que la langue scientifique vise à une expression exacte du contenu, 1e langage du travail à une expression précise, et le langage « conversationnel » à un message accessible à tous [... ].
u est évident par cette confrontation concise et assez simplifiée des différentes variétés fonctionnelles de la langue que chacune d'elles a ses ressources particulières et sa façon propre de les utiliser. En conclusion, nous affirmons donc qu'il est impossible et incorrect d'élever l'une ou l'autre de ces variétés au rang de critère d'évaluation auquel les autres devront se soumettre [... ].
APPENDICE 111
[ ... ] Un énoncé donné ne peut être évalué qu'à la base du degré auquel il est adéquat à son but, du degré auquel il remplit sa tâche [... ].
[ ... ] Ajoutons encore une [ ... ] remarque: on ne peut pas évaluer des termes isolés séparés de leur emploi fonctionnel et des combinaisons automatisées dont ils peuvent faire part - ou prendre la signification automatisée dans un contexte et une fonction donnés pour l'unique signification [...].
En conclusion à cette partie portant sur la différenciation fonctionnelle de la langue standard, j'ajoute un schéma de cette différenciation. Ce n'est pas une classification de toutes les fonctions de la langue, mais seulement une énumération systématique des différences déjà considérées et qui sont les plus importantes du point de vue d'une langue standard [... ]:
Fonctions de la
langue standard
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Variétés fonctionnelles
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1. communicative
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« conversationnelle »
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2. spécialisée pratique
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de signalisation
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langue du travail
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3. spécialisée théorique
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langue de la science
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4. esthétique
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langue poétique
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