A la memoire des 1 500 000 victimes armeniennes



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ARMENIE


Terre mythique en quête de plumes

L'Hebdo


Arménie

Par Tasha Rumley - Mis en ligne le 20.04.2011 à 14:04


Hôte d’honneur du Salon du livre, l’Arménie vacille entre passéisme et présent confus. Reportage chez les amoureux des lettres, prisonniers d’un alphabet opaque.

Le regard perdu dans ses souvenirs, Mkrtich Matevosian s’abandonne à l’ostalgie. Dans ses jeunes années, il dévorait les livres comme on abat du travail à la chaîne, transmettant les pages volantes une à une au suivant. Assis en cercle, les dissidents n’avaient que quelques heures pour lire un ouvrage censuré, qui reprenait ensuite les chemins de la clandestinité.
Au Bureaucrat, la librairie-café que j’ai créée, le milieu des artistes se réunit. L’autre jour, un réalisateur a trouvé ici une actrice pour son film! Mais économiquement, c’est très dur. Je vais encore créer un restaurant afin qu’il finance la librairie.» Samvel Hovhannisyan, libraire engagé,30 ans

Trente ans plus tard, comme l’éditeur Mkrtich l’avait souhaité, la censure a cédé. «Mais si on peut écrire tout ce qu’on veut, c’est parce que les publications n’ont plus aucun impact!» se désole la poétesse Mariné Petrossian. Dans sa chute, l’URSS a emporté le parfum d’interdit qui enrobait les livres. Aux écrivains, l’indépendance politique n’a offert qu’indifférence.

Dès lors, quand le Salon du livre de Genève reçoit l’Arménie comme hôte d’honneur et que son gouvernement entreprend d’inviter des journalistes suisses à découvrir sa culture, le malaise s’installe. Que leur montrer? Des monastères jusqu’à la nausée; la sainte lance qui a achevé le Christ, dûment authentifiée, promis juré; des manuscrits aux enluminures sublimes, des Evangiles.

On se croirait en course d’école par l’Intourist, à la différence près que les splendeurs religieuses remplacent la propagande soviétique.

Car l’Arménie vit un retour à la foi depuis 1991, vecteur d’un nationalisme de bon goût, qui l’aveugle. Retirez-lui sa chrétienté - elle qui fut la première a l’adopter comme religion d’Etat en 301 - elle se retrouve nue.
Si ma poésie passait à la télévision américaine, il y aurait des biiip de censure! Je contourne les règles, je la rends accessible. Mais c’est en diaspora que se dictent les tendances, là où il y a l’argent. Ils sont les seuls à poser encore le génocide comme fondement de l’identité arménienne.» Mariné Petrossian, poétesse, 50 ans

Le minuscule Etat caucasien, à l’étroit entre ses sommets enneigés et ses voisins qui ne lui veulent pas du bien (Azerbaïdjan, Turquie, Iran et Géorgie) se nourrit de grandeurs passées, lorsqu’il s’étendait sur une surface dix fois supérieure, cultivait les sciences dans ses universités et caressait le biblique mont Ararat, devenu turc. La culture contemporaine? Un embarras pour le gouvernement, la misère pour les écrivains et le fantasme d’une terre mythique pour la diaspora.

Pourtant, sous l’épaisse couche de poussière, des embryons de création remuent. Sur Facebook, Mariné Petrossian s’est remise à la poésie. «Les lecteurs réagissent, postent des commentaires, c’est beaucoup plus stimulant», s’emballe la quinquagénaire. L’internet entre en parfaite résonance avec les mutations que traverse l’art. La poésie, qui constitue depuis des siècles le noyau de la création arménienne, se décline depuis cinq ou six ans version «antipoétique».

«C’était un art supérieur, élitiste, dénonce Mariné Petrossian. Nous la rendons concrète, réelle, moins métaphorique. Nous changeons les normes grammaticales, écrivons de l’oral. Si mes vers passaient à la télévision américaine, ils seraient criblés de biiip!» «Bureaucrat», refuge d’artistes. Cet anticonformisme tente de chasser les fantômes des grands écrivains qui nomment chaque artère d’Erevan.

A la bibliothèque nationale, le conservateur David Saigsyan dit carrément «ne pas voir de génies dans la littérature contemporaine. Beaucoup d’écrivains n’ont rien à dire, ni aux lecteurs, ni à eux mêmes.» Même sentence chez la ministre de la Culture, Hasmik Poghosyan, qui n’a à la bouche que des auteurs morts ou diasporiques.

A ce classicisme étouffant, une charmante échoppe toute neuve fait la nique: le «Bureaucrat», à l’angle de la rue Pouchkine, jolie dérision des noms. Samvel Hovhannisyan a créé cette librairie en rendez-vous des artistes. On y boit un thé, on y juge les expos itinérantes, on y serre la patte des écrivains.

Passé sa porte en verre, l’Arménie s’évapore. Les jeunes femmes se baladent ici en frippes vintage, collants fluos et souliers plats. Certaines ne portent même pas de maquillage: des extraterrestres dans une société marquée, comme tout l’espace exsoviétique, par une vulgarité ostentatoire. «Les gens qui viennent ici sont tournés vers l’étranger, ils ont besoin d’air et de liberté, ils se sentent mal en Arménie», pense Samvel Hovhannisyan.

Le bouillonnant trentenaire croît aux règles enfreintes, à l’art débordant. Il va jusqu’à fournir à ses clients des marqueurs pour griffonner sur le mur des titres de livres, qu’il commandera. Le timide Aram Pachyan caresse du regard son roman dans la vitrine. A 28 ans, l’écrivain ne semble pas remis de ses deux ans de service militaire à la frontière azérie. «Dans mon livre, l’armée tue l’âme du héros.

Il ne sait plus comment continuer à vivre.» La douceur fragile d’Aram trahit son vécu. Pour continuer, lui a pris la plume, qui raconte la solitude et la violence des hommes. Aram Pachyan n’y gagnera pas sa croûte, irréaliste en Arménie, mais on lui promet un brillant avenir.

Le vieux David Muradyan y décèle l’incarnation de la relève. «Cela fait 30 ans que j’entends que la littérature n’existe plus!», s’emporte cet écrivain qui a été ministre de la Culture. «Au contraire, il y a une nouvelle génération. Mais les gens sont devenus paresseux de lire, alors ils préfèrent dire que la qualité est mauvaise. Quel snobisme.»

Prisonnier de leur langue. Ce qu’il manque à ce bourgeonnement pour éclore, ce sont des repères. «A l’époque de Gorbatchev, un écrivain qui publiait dans la revue Garoun devenait instantanément connu, se souvient Mariné Petrossian. A l’indépendance, le système s’est disloqué. Les médias de référence ont disparu et la presse ne prête pas attention à la culture.»

D’autant plus que la littérature est un suicide économique. Cinq cents exemplaires, voilà le tirage moyen. Atteindre le millier n’arrive qu’exceptionnellement. Car le marché est risible. Au pays, «les livres coûtent cher et les gens fortunés ne lisent pas», déplore l’éditeur Mkrtich Matevosian.


C’est après deux ans d’armée que j’ai écrit mon premier roman, pour gérer cette expérience. La littérature ne me permettra pas de vivre. Je suis juriste de formation, j’écris des critiques dans un journal pour gagner ma vie, mais je dois penser à un avenir professionnel.» Aram Pachyan, écrivain, 28 ans

Surtout, le marché extérieur ne peut compter que sur la diaspora. Car, bien que ravissant, l’alphabet arménien évoque une succession de «u» et de «n», indéchiffrable pour un occidental ou un russophone. Cette langue chérie, conservée sous clé en lettres d’or et de diamants dans les monastères, se révèle prison de l’esprit. Les 3,2 millions d’Arméniens vivent sur une île déserte linguistique.

La traduction est leur radeau. La très officielle Union des écrivains - pompeux vestige soviétique - et le ministère de la Culture soutiennent cet unique vecteur de rayonnement mondial. A l’autre bout de la chaîne, en diaspora, les communautés jouent leur part. Aux Etats-Unis, en Russie ou en France, les Arméniens cultivent l’amour des lettres, à l’excès peut-être. «Il y a plus de publications en diaspora qu’en Arménie, explique le conservateur de la bibliothèque nationale.

Pour eux, l’accomplissement ultime est de construire une église et d’écrire un livre!» Les communautés entretiennent aussi la culture et la langue – enseignement ultra-confidentiel – dans les universités. En Suisse, Genève détient l’unique chaire d’arménien, qui n’emploie qu’un seul professeur – Valentina Calzolari Bouvier – et son assistante.

Difficile de rivaliser en visibilité contre les exilés à l’étranger, qui écrivent souvent dans la langue du cru. «Ils écrivent sur leur propre réalité, mais sont à la recherche de l’Arménien en eux, explique David Muradyan. La mémoire nationale occupe une place immense.»

Cette vision mythique, fantasmée, de la terre semble fatiguer ceux qui y sont restés, qui vivent les hivers par -30° et les coupures d’électricité. «Il n’y a plus que les diasporiques pour voir encore dans le génocide un fondement de notre identité», réprouve Mariné Petrossian.

Le génocide, la mémoire, l’attachement à la terre originelle: les similitudes avec la littérature juive frappent. Mais plus encore qu’entre l’Etat hébreu et sa diaspora, la disproportion économique biaise les rapports entre l’Arménie et ses fils éparpillés dans le monde. «L’argent est en diaspora. Ce sont eux qui donnent les tendances», lâche la poétesse, désabusée.

Salon du livre et de la presse de Genève. Du vendredi 29 avril au mardi 3 mai 2011. Palexpo. www.salondulivre.ch


Les incontournables de la littérature

Grégoire de Narek - «Le livre de prières». Cerf

Raffi - «Le fou». Bleu autour

Aram Andonian - «En ces sombres jours». MétisPresses

Daniel Varoujan - «Le chant du pain». Parenthèses

Vahan Terian - «Choix de poèmes». Astrid

Krikor Zohrab - «La vie comme elle est». Parenthèses

Chahan Chahnour - «La retraite sans fanfare». Comp’Act

Yéghiché Tcharents - «La maison de rééducation». Parenthèses

Hrant Matevossian - «Soleil d’automne». Albin Michel

Zabel Essayan - «Les jardins de Silihdar». Albin Michel

Violette Krikorian - «Amour». Actual Art

Mariné Petrossian - «Erevan». Comp’Act

Peter Balakian - «Le chien noir du destin». MétisPresses



http://www.hebdo.ch/terre_mythique_en_quete_de_plumes_99407_.html

http://www.collectifvan.org/article.php?r=4&id=53579


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