LES ENJEUX ECONOMIQUES
Bernard Bovier-Lapierre
Lettre de mission du Ministre
Ç Les enjeux Žconomiques de la recherche artistique sont considŽrables. Les arts alimentent les industries culturelles au marchŽ potentiel trs important. È
Introduction :
L’impact des technologies industrielles sur les activitŽs artistiques et sur la dŽmocratisation culturelle
Premire partie :
L’exemplaritŽ de l’Žconomie de la musique
Deuxime partie :
Culture, technologies et Žconomie de marchŽ
Conclusion :
Une stratŽgie de veille Žconomique
Introduction - L’impact des technologies industrielles sur les activitŽs artistiques et sur la dŽmocratisation culturelle
Ce questionnement doit porter non seulement sur les Ïuvres d’art du systme traditionnel des Beaux-Arts, mais aussi sur la crŽation et les activitŽs Žditoriales de diffusion, ainsi que sur la formation des crŽateurs, des interprtes et des mŽdiateurs culturels.
Ce questionnement doit Žgalement porter sur les technologies modernes, considŽrŽes sur la Ç longue durŽe È, de la fin du XIX sicle au XXI sicle, en soulignant l’accŽlŽration de l’innovation aprs 1950.
Ce questionnement pose le problme de l’unicitŽ des biens culturels :
· Le prix de l’Ïuvre d’art se dŽtermine par rŽfŽrence ˆ la thŽorie Žconomique de la Valeur0 alors mme que la notion Žconomique de raretŽ du bien s’efface au profit de la notion d’unicitŽ de l’Ïuvre d’art. Le prix est sans rapport direct avec le cožt de production, indique davantage un niveau de transaction qu’une valeur, et nŽcessite souvent des dŽlais d’intŽgration de l’Ïuvre dans l’Žconomie marchande.
· Les monuments historiques relvent de critres de raretŽ, d’anciennetŽ, et de non-reproductibilitŽ.
· Les biens culturels qui exigent ReprŽsentation pour trouver Žcho social, empruntent le mŽdium obligŽ de leurs interprtes, en un lieu spŽcialisŽ (le thŽ‰tre) et dans le cadre esthŽtique d’une mise en scne. La mise en scne, dont la dŽmarche esthŽtique est certes unique, vise nŽanmoins ˆ une rŽpŽtitivitŽ limitŽe de la prŽsentation de l’Ïuvre. Les cožt de la rŽpŽtitivitŽ doivent nŽanmoins tre supportŽs pour rŽunir une audience raisonnable, compte tenu des contraintes matŽrielles et spatiales des lieux de spectacle vivant.
Ce problme de l’unicitŽ des biens culturels a changŽ de nature avec le passage de l’artisanat ˆ l’industrie de certains vecteurs de la culture savante. Il convient donc de rappeler les dŽfinitions gŽnŽralement admises de ces deux modes de production :
• L’artisanat est le domaine du geste manuel rŽpŽtŽ dans le temps, du prototype unique ou en nombre trs limitŽ, dont la production est caractŽrisŽe par un cožt marginal non dŽcroissant et des gains de productivitŽ nuls ou trs faibles. Le produit issu de ce mode de production est unique ou parfois rŽpŽtitible, mais non reproductible en grand nombre : son marchŽ sera limitŽ en volume et souvent captif.
• L’industrie est le domaine de la machine permettant de reproduire le prototype en grand nombre, en sŽrie, avec un cožt marginal dŽcroissant induisant des Žconomies de production et avec de forts gains de productivitŽ. Le produit issu de ce mode de production est donc reproductible et standardisŽ : son marchŽ sera trs ŽlevŽ en volume, induisant d’importantes Žconomies d’Žchelle et permettant d’importantes baisses des prix ˆ la consommation.
A l’extension du mode de production industrielle ˆ certains vecteurs de la culture savante, s’ajoutent les effets prŽvisibles de l’impact des dispositifs technologiques relevant de l’intŽractivitŽ de contenu : fin du concept de reprŽsentation ; insertion-irruption du spectateur comme protagoniste de l’Ïuvre d’art comme de l’Ïuvre audiovisuelle ; disparition potentielle du spectacle vivant devant le triomphe de la ""domotique ; situation dŽfavorable de la culture savante au regard du loisir-divertissement.
Si la mission patrimoniale - inventorier, analyser, protŽger, restaurer, valoriser les Ïuvres d’art - trouve des instruments nouveaux et efficaces dans les technologies nouvelles0, il convient surtout de souligner la succession de plus en plus rapide des phŽnomnes de reproductibilitŽ :
• L’extension de la reproductibilitŽ ˆ des domaines esthŽtiques nouveaux et diffŽrents, caractŽrise le sicle 1850-1950. Au milieu du XIX sicle, la photographie, technologie nouvelle, marque la rupture entre l’art et la rŽalitŽ et conduit vers les chemins de l’abstraction. A la fin du XIX sicle, le cinŽma, nouvelle technologie, devient un art en instaurant progressivement son esthŽtique propre. Aprs la Seconde Guerre mondiale, la filire du son reproductible s’installe dans les foyers avec la haute-fidŽlitŽ et la relative multiplication des lecteurs et des programmes. Depuis les annŽes 1950-1960, la filire-image se conjugue ˆ la filire du son en un renouvellement constant des gŽnŽrations de matŽriels.
• Les technologies instaurent et dŽveloppent exponentiellement la diffusion massive des produits culturels. Les supports techniques sont vecteurs de diffusion massive car fondŽs sur la rationalisation et la standardisation. La diffusion massive a un prix pour les publics (la standardisation des produits) et pour les professionnels (la substitution croissante du capital au travail).
• Les loisirs industriels, consŽquence totalement logique de la reproductibilitŽ, constituent, dans un contexte de temps de non-travail croissant, une concurrence redoutable pour les vecteurs traditionnels et bien Žtablis de la culture savante. Le Ç pattern È de divertissement (parcs de loisirs, de Disneyland ˆ Aqualand ; sports et activitŽs dites de convivialitŽ) s’inscrit, contrairement ˆ la majoritŽ des vecteurs de la culture savante, dans la logique de l’Žconomie marchande. Ses difficultŽs (alŽas du retour sur des investissements qu’il est impŽratif de renouveler constamment ; lourds frais financiers ; Žchecs relatifs des politiques de marketing) ne sont finalement que le lot quotidien de la gestion capitaliste, alors que l’ampleur de son marchŽ effectif et potentiel autorise la pratique de politiques tarifaires dŽvastatrices pour nombre de manifestations de la culture savante.
• Le dŽveloppement des produits industriels Ç culturalisŽs È constitue l’ultime consŽquence de la reproductibilitŽ. Si la crŽation industrielle a eu pour ambition de rŽtablir le lien conception/exŽcution rompu par le taylorisme, de rŽintroduire la crŽation artistique dans les objets visuels, si le design recherche l’adŽquation forme/matire/fonction afin de crŽer des styles, la culture de l’objet industriel, technologique, ne peut occulter quelques paradoxes significatifs : l’objet de consommation immŽdiate devient l’objet de collection ; le produit industriel usuel est musŽifiŽ de son vivant ; le bien reproductible par essence devient pice unique.
L’objectif des stratŽgies de dŽmocratisation culturelle est de mettre ˆ la disposition du plus grand nombre les Ïuvres majeures de l’esprit, en diffusant, au delˆ du petit cercle de connaisseurs, la haute-culture. Cette mission bŽnŽficie de fondements juridiques0 et d’un large consensus dans les appareils politiques et administratifs et, semble-t-il, dans une partie non nŽgligeable de l’opinion pour laquelle Ç se cultiver, se substituerait ˆ la problŽmatique du salut religieux et/ou idŽologique È0. Les moyens mis en Ïuvre apparaissent importants, croissants sur trente ans et pŽrennisŽs au delˆ des changements de majoritŽ politique. DŽpassant, en 1993, 90 Milliards de Francs,0 les dŽpenses culturelles de l’ensemble des CollectivitŽs Publiques franaises, financent une offre trs considŽrable de biens et de services culturels0 crŽŽs, produits, distribuŽs et mŽdiatisŽs, par les ressources humaines non nŽgligeables du ministre de la Culture, de ses Žtablissements publics, et des industries culturelle.
NŽanmoins, les enqutes sur longue pŽriode rŽvlent davantage la baisse ou la stagnation des pratiques de la culture savante0, et, donc, la pŽrennitŽ des dŽterminismes fondamentaux que la stratŽgie de dŽmocratisation culturelle se proposait d’Žradiquer. Disponible ˆ travers le rŽseau des institutions culturelles publiques et ˆ travers les marchŽs des industries culturelles, la culture savante n’est pas encore accessible ˆ tous.
Au-delˆ des difficultŽs du systme scolaire ˆ initier ˆ la culture savante, des interrogations sur la capacitŽ de nature de la tŽlŽvision ˆ y supplŽer, l’impact dŽcisif, fondamental, est celui des technologies. Elles fabriquent des pratiques culturelles et des loisirs dont le champ et les usagers Žchappent ˆ l’action volontariste des pouvoirs publics. La tendance ˆ la hausse des prix rŽels ˆ la consommation des vecteurs de la culture savante et ˆ la baisse des prix des produits des industries culturelles qui prŽsentent, en outre, l’avantage de s’adapter aux conditions de vie concrtes de la majeure partie des individus, confirment cette influence dŽcisive des technologies.
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