De l’Ostéopathie dite crânienne
Bruno Ducoux DOMROF
De nombreuses recherches scientifiques jalonnent la recherche sur le concept crânien en ostéopathie ; il est envisagé dans cet article un survol de ces études qui n’ont toujours pas réussi à expliquer ce que les ostéopathes sentent exactement. La recherche dans le champ crânien est toujours une vaste terrain à défricher, recherche dont la méthodologie reste à élaborer.
« Tout ce qui est selon la Nature, est digne d’estime »
« De l’expérience, il faut entrer dans la nature (des choses) et scruter au fond ses exigences. Je quête partout sa piste : nous l’avons confondu de traces artificielles »
Montaigne1
Isaac Newton (1642-1727) a, pour la science, changé le cours de l’histoire. En abandonnant la condition de la connaissance positive des phénomènes naturels, il manifeste une coupure épistémologique dont l’assimilation substantielle n’est que balbutiante 2 :en voyant tomber une pomme dans son verger de Woolsthorpe, Newton a reçu l’intuition de la gravité que l’on explore encore aujourd’hui.
C’est dans l’aura de cette force centrifuge qui permet d’élargir son champ d’action tout en sortant d’un carcan scientifique qui n’en porte que le nom, que l’œuvre de Sutherland peut être approchée.
Rappel de l’intuition de W.G.Sutherland
« Alors que je restais à contempler (les os d’un squelette), tout en pensant , inspiré par la philosophie du Dr Still, mon attention fut attirée par les biseaux des surfaces articulaires de l’os sphénoïde. J’eus soudain cette pensée- comme une pensée guide3- : biseautées, comme les ouïes d’un poisson, indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire. »4
A partir de cette observation dans la vitrine du hall Nord du bâtiment central du Kirksville College of Osteopathic Medecine (KCOM) en 1899 et jusqu’à sa mort en 1954, la vie de Will Sutherland fût habitée par cette lumière directrice . Ce jeune journaliste devenu ostéopathe fit cheminer cette découverte en lui jusqu’en 1939, date de la sortie du Cranial Bowl5. Mais, depuis lors, les hypothèses foisonnent et un récapitulatif, qui ne peut être exhaustif, s’impose.
L’anatomie classique enseigne que la symphyse sphéno-basilaire est ossifiée définitivement à 25 ans et l’immobilité suturale crânienne normale chez l’adulte. Toutefois, le livre Anatomie Umana signale que l’ossification suturale du crâne est pathologique chez l’adulte.6
Sutherland, quand à lui, s’est focalisé d’abord sur une recherche de la mobilité des os du crâne sur lui même, par différents artifices ingénieux7, suivant la pensée de Still : les structures osseuses gouvernent les fonctions.
Puis, son modèle a évolué, la perception tactile, étayée par trente années d’expérimentations, prouvant l’existence du cranial rhytmic impulse (CRI)8 :
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motilité inhérente au cerveau et à la moelle épinière,
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fluctuation du liquide céphalorachidien,
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motilité des membranes intra-crâniennes,
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mobilité des os du crâne,
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mouvement involontaire du sacrum entre les iliaques.
Un mouvement respiratoire primaire (MRP) existant depuis le cinquième mois de la vie intra-utérine et persistant quelque heures après la mort dynamise le mouvement perçu.
Des techniques, comme la craniopathie de Cottam (1956) ou la technique sacro-occipitale (SOT)de Dejarnette (1975)9 dérivent de ce modèle initial, mais il existe égalemnent des recherches peu connues :
Les trois vertèbres crâniennes de Charlotte Weaver
Charlotte Weaver DO10 a beaucoup recherché, notamment à travers l’embryologie et par des dissections menées à Paris, dans l’établissement du Dr Auzoux, de 1927 à1933. Elle a identifié trois vertèbres, correspondant à la base crânienne, ayant des surfaces articulaires et des disques permettant le même fonctionnement que les vertèbres du rachis. C’est le travail de toute une vie mais il n’a pas été suivi aux Etats- Unis et ses implications ne sont pas encore étudiées.
Pierre Tricot revient dans ce Journal de l’AO sur la difficulté de ce modèle controversé. Y a-t –il effectivement une mobilité suturale, un lien entre le crâne et le sacrum, qu’est ce qui produit le CRI ? Autant de questions et d’autres encore qui ont donné lieu à de nombreux travaux scientifiques traditionnels et plus modernes.
Recherches scientifiques autour du concept crânien
Si Gall avait émis l’idée que la forme (structure) du crâne pouvait influencer les fonctions en dépendant lui même et ses élèves étudièrent les fonctions du cerveau par la phrénologie11, et non une approche de la structure du crâne. La science phrénologiste fût appréhendée par A.T.Still en rencontrant le major Abbott12 en 1855 , mais c’est un de ses élèves de la promotion 1900, il y a un siècle qui développa l’intuition géniale du CRI
Le CRI existe-t-il ?
La plasticité des os du crâne des enfants est prouvée mais qu’en est-il chez l’adulte ?
Pour Mc Partland 13: « La plupart des nerfs crâniens sortent du crâne au niveau des sutures ; si restriction il y a, beaucoup de troubles peuvent en découler. » Mais comment prouver le CRI ?
Voici une liste non exhaustive de l’évolution des études scientifiques14 :
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Pour Woods J&R.,1961 : un rythme crânien de 6.7 cycles par minute est observable, indépendant des rythmes respiratoires et cardiaques ; étude sur 102 patients psychiatriques ; patients avec lobotomie : rythme de 4/min.
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Pour Wallace W.K. (1966 et 1975) : l’écho- encéphalographie est un outil fiable pour évaluer le CRI ; cycle indépendant de 9/min.
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Pour Baker E. 1970 : il est observé une variation de 1,5 millimètre de la largeur de l’arc maxillaire et ce à un rythme de 9/min.
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Greenman P1970 :Un étude aux rayons X montre les mouvements lésionnels de l’articulation sphéno-basilaire (flexion, extension, torsion, strains)…chez 25 patients.
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Fryman V 197115 :une mesure du diamètre crânien prouve que 3 rythmes différents sont perçus : les rythmes cardiaques, respiratoires et un autre rythme de 6 à 12/min.
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Tettambel M 1978 :étude sur 30 personnes : un troisième rythme est également enregistré à un rythme de 8/min.
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Upledger J 1979 :la comparaison entre les perceptions d’un praticien expérimenté et les résultats de mesures fines d’appareils électroniques (électromyographies, électrocardiographes…) sur des patients au repos permettent de confirmer les paramètres de palpation (rythme, vitesse, intensité, irrégularité, douceur…)
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Bunt E.A. 1979 :étude tomographique des ventricules cérébraux montrant un rythme inconnu de 8/min ; chez les enfants hydrocéphales, ce rythme est de 4/min.
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Brooks Denis, 1981, a publié qu’une personne psychiatrique avait un rythme de 9/min.
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Norton J. 1992 :étude sur 24 patients : rythme de 3,7/min.
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Kostopoulos D. et Keramides G., 1992 : Mesure significative, chez le cadavre, de l’allongement de la faux du cerveau quant on applique une traction sur l’os frontal.
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Retzlaff E., Mitchell F.Jr et Upledger J.,1975,1987:étude histologique des sutures crâniennes montrant une possibilité de mouvement : abondance de collagéne, fibres élastiques et vaisseaux sanguins.
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Lewandoski,1996 :. Au New York College of Osteopathic Medecine, le département de biomécanique, de physiologie en bioingénérie et neurosciences continuent des travaux remarquables à l’aide de marqueurs à infrarouge, sur les sutures. Les résultats sont étonnants avec des marqueurs placés sur le bregma et le lambda de sujets au repos et enregistrement sur des films en 3D. En plus de la malléabilité des os ,un mouvement des sutures crâniennes se révèle possible.
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Pelletier R., Wurm E. ; Montreal 1998 :un rythme de 4 à 12/min a été observé dans ce travail de fin d’étude ; à vérifier.
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Serrus P. 1998 INSA Toulouse : modélisation des sutures crâniennes avec le logiciel I-DEAS.
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Lalauze-Pol R. DOMROF 1998 16; le manque de liberté des sutures crâniennes est en relation avec des pathologies néonatales ; étude très significative; au Vietnam sur 415 nouveaux-nés.
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Enfin, citons le travail de Jean Claude Herniou, ostéopathe français, qui cherche à prendre le contre pied de toutes ces recherches , mais qui garde ces recherches pour lui.17
Au-delà de ces recherches sur le tissu le plus densifié, les recherches sur les membranes crâniennes ne datent pas d’hier.
L’importance des membranes
Dans son Traité des membranes Bichat,18décrit et classifie (en 1816) avec précision les différentes membranes du corps et ce qu’elles ont en commun (m. séreuse :arachnoïde ;m. fibreuse : dure-mère par exemple) ; ainsi recherche –t-il l’organisation simple qui permet de lier les organes et de transmettre les informations pathogènes. Il établit la continuité anatomique de la bouche à l’anus, par exemple. Il prouve ainsi, anatomiquement, que la présence de vers dans le rectum, par l’intermédiaire des membranes en lien avec le sympathique, va entraîner une démangeaison au bout du nez 19. Il explique également les réactions négatives à distance quant on touche des muqueuses qui n’ont pas été constituées pour cet fonction.20 . Il prouve, chez l’animal, qu’en injectant un fluide coloré dans l’arachnoïde, une large quantité est dispersé au bout de huit heures.21Pour lui, la mobilité de ces membranes permet au cerveau de vivre, comme les autre organes du corps humain.(le péricarde pour le cœur et le diaphragme par exemple). Il relève une « parfaite analogie » entre les membranes crâniennes et le péritoine….mais il soulève plus de questions qu’il n’en résout !22 Il observe ainsi qu’en enlevant le contenant osseux de la colonne vertébrale, le sac fibreux et la moelle épinière « se recourbent en demi cercle en se rétractant »23 ; il se demande pourquoi « les maladies de la tête sont plus fréquentes dans les premiers instants de la vie » et si il n’y a pas un lien avec l’importance des membranes ?
Les membranes crâniennes semblent étudiées pour servir de support en trois dimensions pour l’architecture osseuse, avec un clé de voûte à la jonction de la faux du cerveau et de la tente du cervelet,24 ce qui explique leur appellation de « membranes de tension réciproque ».
Pour John Upledger, la dure-mère implique le sacrum dans cet exercice et toute tension sur le sacrum ou un os crânien va entraîner un changement du « core-link25 », dans un système hydraulique. Cependant, cette hypothèse est sérieusement prise en défaut par James Norton26 ou David Butler27. Butler a prouvé qu’il fallait imposer au sujet le maximum de la flexion cervicale, dorsale et des membres inférieurs pour espérer obtenir une réponse du sacrum à une sollicitation occipitale.
Afin de simplifier les choses, il semblerait que l’équipe du New York College of Osteopathic Medecine28 et ses marqueurs à infra rouge aient prouvé objectivement que la flexion du sacrum peut être palpée à l’occiput.
Faut-il rechercher plus subtilement ?
Origine cellulaire du CRI
Pour Viola Fryman : « L’activité perpétuelle cérébrale maintient l’équilibre postural et l’homéostasie chimique, elle peut donc multiplier l’activité cellulaire permettant au cerveau d’avoir un mouvement, certes invisible à l’œil nu mais suffisant pour mobiliser le liquide céphalo- rachidien qui, à son tour va mobiliser le subtile mécanisme articulaire crânien »
Des études japonaises vont dans le sens d’une vague pulsatile de liquide céphalo rachidien mû par des pulsations cérébrales.29 . Une étude tomographique du cerveau humain montrant des vagues et considérant le cerveau comme une pompe ont été menées.30
Cependant, le rythme des pulsations des cellules gliales diffère du CRI31, trop lent pour envoyer le LCR, dont la production est insuffisante pour expliquer cette « vague ».32
Y aurait-il une contractilité lymphatique produisant le CRI, c’est l’hypothèse de Michael Kuchera.33 . Une approche multifactorielle est-elle envisageable34, ce qui rejoint le modèle de R.Becker et ses successeurs.
Y aurait-il d’autres mécanismes plus subtils ou la méthode scientifique positiviste n’est-elle pas adaptée ?
Recherches biodynamiques autour du concept crânien
Sutherland ne s’est pas arrété au CRI, mais, curieusement, ses expériences ultérieures ont été supprimé des publications postérieures à 1954, année de sa mort. Ainsi en est-il de Osteopathy in the cranial field de Harold I.Magoun, réedité par la Sutherland Cranial Teaching Fondation(SCTF) en supprimant certaines observations de Sutherland.
Le testament de Sutherland
William Sutherland a considérablement évolué à la fin de sa vie35, passant d’un mouvement des os à un système mû de l’intérieur par les membranes de tension réciproques puis une fluctuation liquidienne et enfin, à75 ans , il propose l’idée d’un système qui s’auto-corrige dans un fonctionnement biodynamique impliquant humilité et abandon 36; il rejoint ainsi son maître A.T.Still et ses principes d’auto guérison, de libre circulation et de « laisser faire ».
L’approche biodynamique
Rollin F.Becker37 insiste sur la mobilité des liquides et des fluides, suivant l’orientation de Sutherland à la fin de sa vie.38Pour James Jealous39, reprenant le travail de R.Becker, il existe différents rythmes et sensations, dépendant aussi bien du thérapeute que du patient ou de l’environnement. Les notions de Souffle de vie, de fulcrums, de neutre, de still point, d’harmonisation liquidienne, fluidique ou lumineuse s’ajoutent au vocabulaire de l’ostéopathe en élargissant le champ de l’Ostéopathie.
H.Louwette40 également insiste sur l’importance du mécanisme involontaire s’exprimant par une approche biodynamique et sur l’importance du fulcrum.
Le champ d’investigation semble infini, à l’image de la nature et de nouveaux outils méthodologiques sont nécessaires.
Déjà, certains ostéopathes ont prospecté aux marges de l’ostéopathie en cherchant des explications dans d’autres systèmes de pensée.
Rechercher les liens plutôt que les différences
Il n’est plus ignoré l’importance électromagnétique de la relation praticien- patient. Les sciences orientales ont depuis longtemps élaboré un système de référence fiable incluant l’importance de la relation thérapeutique ; l’observateur n’est pas neutre. Les approches scientifiques quantiques ouvrent des voies de compréhension et des ostéopathes ont cherché à établir des liens .
Fritz Smith a matérialisé les passerelles entre la médecine traditionnelle chinoise et l’ostéopathie41, alors que le SQUID a permis de mesurer les ondes électromagnétiques générées par les mains et le cerveau humain42, impliquant des interférences dés que la main touche un tissu humain. L’électrophotographie permet de voir ces échanges.43Enfin, le travail visionnaire de Hugh Milne cherche les correspondances du travail crânio-sacré avec les approches traditionnelles de guérison.44
Ouverture :
Si l’ostéopathie est « la loi de l’esprit, du mouvement et de la matière » 45et si le mouvement permet la vie, l’ostéopathie accompagne la vie , la perception de l’ostéopathe est une conception qui donne la vie en modelant l’anatomie et permettant la santé.4618520
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