La folie L'attaque se réalise principalement au niveau de la destruction du langage. Pouvoir écrire ce que l'on veut, comme on le veut, c'est à ne pas croire. Il faut dire que dans la vie ordinaire, on nous a appris, très tôt, à contrôler notre langage. On nous y a même rudement contraint dès la prime enfance.
- « Allons, cesse de dire des imbécillités ! As-tu fini de faire l'idiot ? Tu ne peux pas parler comme tout le monde ? Tu n'as pas honte ? Qu'est-ce qu'on va penser de toi ? Qu'est-ce qu'ils vont penser les gens ? Qu'est-ce qu'ils vont penser de nous si on te laisse faire le fou ? Parle comme il faut, je te prie ! Dis merci. Demande pardon. Dis « s'il te plait » - Fais attention à ce que tu dis - Ne dis pas de bêtises - Pourquoi qu'tu causes comme ça ? »
Maintenant encore, quand un message oral n'est pas signifiant, il devient immédiatement suspect. Suspect de folie. Et celui qui l'a énoncé risque d'être aussitôt rejeté, condamné, isolé. « Cachez ce singe, qu'on ne saurait entendre » A moins qu'il n'ait pris la précaution d'écrire son émission verbale dans le cadre d'une activité légalement reconnue : chanson, spectacle, poésie.
C'est qu'il faut tout de suite circonscrire la folie. Les gens ont tellement peur que leur propre folie n'échappe à leur contrôle qu'ils se hâtent d'annihiler toute odeur de déraison dans l'environnement de peur d'être entraînés sur cette pente socialement très dangereuse.
Et pourtant, lorsqu'on est enfant, quelle propension naturelle au délire verbal !! Ma longue expérience de la créativité enfantine me permet presque d'affirmer que cela correspond à un besoin de dérégler les règles pour mieux les assimiler. Et à un tâtonnement intensif pour maîtriser les divers éléments de la communication par essais sur les timbres, les hauteurs, les intensités, les durées, les attaques, les positions de la langue ou des lèvres, les variations du souffle, etc. Cela correspond également à un tâtonnement d'expression et même de projection par gémissements, plaintes, appels... Il semble que ce soit une étape obligée, normale, naturelle même. Et pourtant la société la réprime impitoyablement par la famille et l'école. Il faut tout de suite devenir adulte, c'est-à-dire : enfant aliéné. Alors que l'enfant rêve d'expérimenter et de transformer le monde, il faut qu'il apprenne à s'adapter au monde hiérarchisé.
Cette très forte coercition ancienne - et actuelle - est toujours fortement ressentie parce que la pression interne de la parole reste constamment présente en chacun. Et l'on conçoit aisément quel lot de souffrance ça peut apporter. C'est pour cette raison que la première liberté que donne le groupe d'écriture est si intensément appréciée : « C'est pas croyable ! On n'a jamais connu ça ».
C'est d'ailleurs la première certitude que le groupe doit se préoccuper d'offrir aux participants : ici, on écrit ce que l'on veut, comme on le veut, sans jamais avoir à craindre d'être sanctionné pour ses audaces de langage ou son orthographe. Et c'est aussi pour cette raison que l'animateur et, s'il se peut, deux ou trois initiés, doivent dérailler généreusement dès la première technique du mot tournant.
Le premier tour de participation des nouveaux venus est souvent très modéré : leur chien de déraison est bien tenu en laisse. Mais, dès le deuxième tour, ils ont compris. Et leur cabot dé-laissé batifole comme un sauvage en aboyant dans tous les coins. Quel merveilleux soulagement, pour une fois, de ne plus avoir à avoir l'air normal et intelligent ! Généralement - général allemand - c'est la censure, l'exigence de conformité à la norme qui était la règle. Et c'est à elle qu'on s'attaque en premier lieu dans les écrits. D'où le succès infaillible des définitions, proverbes, histoires, inventaires tournants.
Le premier rire naît donc du dérèglement de la parole. Mais il existe plusieurs façons de la dérégler : on peut dévier des sonorités, perturber l'ordre des syllabes ou l'ordre des mots, mêler les ordres de pensée, les angles de vision, déranger l'ordre sérieux ou introduire un mot sérieux dans une suite de folies... Cela nous fait déjà un joli début de canevas. Allons-y voir de plus près en examinant quelques productions spontanées. Prenons par exemple, trois définitions :