Erda ou le savoir


Chapitre IV Philosophie 2.1.Introduction



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2.Chapitre IV Philosophie



2.1.Introduction


Les philosophies sont-elles équivalentes à ces beaux objets du passé, devenus inutiles, sagement rangés au rayon des antiquités, qui n'ont plus que valeur de témoignage, et, éventuellement de beauté intrinsèque ? Autrement dit, ces œuvres du passé, ne sont-elles que des moments dépassés de la pensée humaine, œuvres mortes, que l'on visite avec respect, admiration et tendresse, mais dont l'usage est aussi puérile que celui des vieux appareils qui font moins vite et moins bien les tâches effectuées par les outils modernes ? Je crois qu'il faut faire preuve, d'aveuglement, de fatuité, et probablement d'ignorance pour tenir un tel langage216.

La philosophie poursuit le même but que la science : la recherche de la vérité - même si, aujourd'hui, une telle affirmation peut prêter à sourire. Faut-il faire preuve de candeur pour s'y risquer ? Il ne me semble pas que cette recherche, aussi vieille que le monde habité de conscience, ait perdu son actualité, ait changé de nature depuis que l'homme a laissé derrière lui des traces de sa pensée. Faut-il répondre également à l'éternelle question qu'est-ce que la vérité ? Même si c'est là, le vrai problème, il serait aussi vain de tenter d'y répondre que de vouloir définir la pensée elle-même. La vérité est l'expression de la manière dont une conscience perçoit le monde ; partagent la même vérité ceux qui perçoivent le monde de la même façon, et s'expriment de la même façon pour décrire ce qu'ils perçoivent. La vérité la plus évidente est celle qui exprime l'existence d'un fait indiscutable : « il pleut », parce que l'eau ruisselle du ciel, et qu'aucune personne de bonne foi, et disposant d'appareils sensitifs normaux, ne peut nier, à cet instant précis la réalité du phénomène. Mais ces vérités triviales sont strictement sans intérêt pour la pensée ; seuls les faits contestables présentent un intérêt, ceux justement dont la réalité, posant des problèmes, va séparer les hommes ! Lorsque l'on s'éloigne de la sphère de ce qui peut être directement appréhendable par les sens, seule la théorie permet de définir ce qui doit être considéré comme un fait. Cette remarque a une double conséquence :

- pour être d'accord sur un fait, il faut croire en la même théorie ;

- les hommes du passé ne possédant pas les mêmes théories que celles dont nous disposons aujourd'hui, ne pouvaient pas voir le monde tel que nous le voyons, si bien qu'il n'y a aucun sens à vouloir juger de la valeur des vérités qu'ils défendaient.


*

Dire que la philosophie et la science recherche la vérité c'est donc affirmer que l'une et l'autre travaillent à l'élaboration d'une vision du monde qui soit reconnue par tous ou plutôt par chacun comme étant sa propre vision. Idée apparemment utopique si l'on exige une identité complète de toutes les visions. Cette identité n'est pas d'ailleurs à souhaiter, car elle marquerait probablement la fin de toute pensée. L'homme vit en effet d'unité et de diversité ; ce qui fait de la pensée humaine une entité vivante, c'est justement la diversité des visions du monde qu'elle propose, et c'est cela que nous offrent les philosophies du passé. On ne peut leur demander de nous livrer une vérité qu'elles sont bien incapables de nous donner, mais elles nous offrent l'irremplaçable possibilité d'exercer notre jugement Pour penser selon notre temps, nous avons besoin des multiples visions du passé217. Nous avons besoin, au risque de répéter les mêmes errements, de revivre les tâtonnements, les erreurs, les incohérences même, qui ont amené la pensée jusqu'à sa forme actuelle. L'actualité des grandes œuvres du passé ne réside donc pas dans leur contenu, nécessairement dépassé au regard des connaissances actuelles, mais dans une présence indicible, le sentiment qui nous saisit qu'un autre a éprouvé jadis ou naguère, les mêmes élans, rencontré les mêmes problèmes, et cherché à les résoudre avec la même passion et la même détermination. Car ce qui compte, dans les relations humaines, c'est beaucoup plus l'accord sur la pertinence des questions posées que les réponses à ces mêmes questions.

*

La Tétralogie est une œuvre délibérément philosophique. Peut-être est-elle inspirée de la philosophie de Schopenhauer, mais ce n'est pas évident, même si Wagner a subi manifestement l'influence du philosophe. Sans doute ne fait-il même pas preuve d'originalité concernant les situations dans lesquelles il plonge ses personnages. Wagner n'est nullement le prophète d'un éclatement de la conscience humaine qui serait le drame que nous vivons aujourd'hui. Les penseurs de tous les temps ont vécu les mêmes déchirements, et tous se sont nourris du même espoir : construire ou tout au moins esquisser, une philosophie, un système de pensée qui permette à l'homme de trouver (ou de retrouver ?) l'équilibre spirituel qui lui manque pour vivre dans la paix et l'espoir. La paix et l'espoir intérieur ; car le monde lui-même ne peut échapper aux turbulences qui sont la condition même de son équilibre. On peut soupçonner aussi qu'il en est de même de l'homme confronté à lui-même, et que l'espoir de paix intérieure rejoint les visées mythiques du paradis ou du nirvana. Il n'y a pas de vie, aussi bien concrète que spirituelle, en dehors d'un mouvement permanent qui assure le renouvellement des formes dont l'absence est synonyme de mort.



Wagner, épris de connaissances, a-t-il souffert d'avoir été coupé du formidable mouvement scientifique, qui a commencé au dix-neuvième siècle à bouleverser le monde ? Peut-être certaines de ses œuvres littéraires le laissent-elles supposer, mais rien sans doute ne permet de l'affirmer nettement. Il n'en reste pas moins que le personnage à qui il s'identifie le plus, Wotan , souffre, lui du gouffre qui le sépare de la connaissance pure, incarnée par Erda, que le dieu a pu forcer physiquement, mais sans pénétrer sa conscience connaissante. Certes on peut toujours supposer qu'un créateur invente de toutes pièces ses personnages, mais est-ce crédible. La même question se pose d'ailleurs pour les interprètes. La plupart se défendent d'être jamais celui qu'il interprète ; mais peut-on jamais jouer un rôle sans être, sur un certain mode, le personnage lui-même ? Le garçon de café de Sartre joue son rôle ; mais pourquoi a-t-il justement choisi de jouer ce rôle ?

Jouer à être sur le chemin de la vérité, alors que pour la plupart des hommes, les jeux sont faits. L'illusion est morte, et pourtant elle continue à nous aveugler. Qui nous ? Ceux, bien sûr qui se savent déjà morts, mais à qui la vie colle encore à la peau et qui depuis toujours ont le renoncement en aversion. En vérité, la vérité ne se cherche-t-elle pas plus qu'elle ne se trouve ? Et n'apparaît-elle pas à l'homme, telle Brünnhilde à Siegmund, pour lui signifier qu'il n'appartient plus déjà au monde des vivants.



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