Innombrables sont les récits du monde


V. 6. Développement de la référence temporo-aspectuelle de 3/4 ans à l'âge adulte



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V. 6. Développement de la référence temporo-aspectuelle de 3/4 ans à l'âge adulte

Après avoir examiné le système temporo-aspectuel par tranche d'âge, nous observons maintenant son évolution de façon transversale.



V. 6. 1. Les erreurs de 3/4 ans à l'âge adulte

Nous procédons ici à une comparaison du nombre et des types d'erreurs relevés sur les formes verbales à travers les âges. Une étude quantitative mais également qualitative de ces phénomènes peut contribuer à apporter un certain éclairage sur le stade de développement des enfants (Ochs, 1985). En effet, les erreurs sont les indices d'une connaissance incomplète du domaine considéré, leur analyse un moyen de connaître les parties du système qui ne sont pas encore complètement automatisées. Le tableau (23) ci-dessous est un tableau récapitulatif concernant le nombre et les différents types d'erreurs sur le verbe fléchi les plus fréquemment rencontrés dans nos données.




Erreurs

3/4 ans

(N=14)


5 ans

(N=20)


7 ans

(N=12)


10/11 ans

(N=12)


Adultes

(N=12)





61Index de fréquence

2

6.5

4.5

1.5

-

Surgénéralisation au PS

36 (4)

46 (28)

41,5 (10)

70 (7)

-

Auxiliaire PC

37 (3)

16,5 (10)

16,5 (4)

-

-

Accord Sujet/Verbe

18 (2)

10 (6)

8,5 (2)

10 (1)

-

il ail y a

-

18 (11)

4 (1)

-

-

Autres

18 (2)

10 (6)

29 (7)

20 (2)

-

Total

100 (11)

100 (61)

100 (24)

100 (10)

-

Tableau (23) : Index de fréquence, pourcentage et nombre d'erreurs par type en fonction de l'âge.

Les résultats montrent que du point de vue quantitatif, le nombre d'erreurs sur les verbes fléchis ne connaît pas une courbe unidirectionnelle : les enfants de 5 et de 7 ans présentent un index de fréquence supérieur à celui des 3/4 ans et inférieur à celui des 10/11 ans, celui des adultes étant nul. Cette observation va à l'encontre de l'attente d'une diminution progressive en fonction de l'âge des sujets. Néanmoins, il faut veiller à ne pas interpréter de manière erronée la présence ou au contraire l'absence d'erreurs. En effet, si il est clair que la présence d'erreurs est le signe d'une maîtrise partielle d'un domaine, par contre l'absence d'erreurs peut s'expliquer de deux manières : soit ce domaine n'est pas utilisé, soit il est déjà maîtrisé par les sujets. C'est en tenant compte de ce nouvel éclairage, ainsi que de l'observation des différents types d'erreurs relevés dans nos données que nous analysons le tableau (23).

La première remarque à formuler concerne la diminution de l'éventail des types d'erreurs en fonction de l'âge des sujets. Cet éventail est plus restreint à partir de l'âge de 11 ans, ce qui semble indiquer une plus grande maîtrise d'au moins certains aspects des verbes et de leur conjugaison. À 10/11 ans par exemple, les enfants n'hésitent plus entre utiliser l'auxiliaire avoir ou être pour former le passé composé, ou encore ne commettent plus d'erreurs sur la forme présentationnelle il y a. Une des principales différences observables est le plus haut pourcentage d'erreurs des enfants de 5, 7 et surtout de 10/11 ans sur les formes du passé simple par rapport aux 3/4 ans. Ces résultats ne sont pas synonymes d'une maîtrise du passé simple par les plus jeunes enfants, puisqu'en fait le passé simple est beaucoup moins utilisé par les 3/4 ans que par les plus âgés. D'une part, cela est le signe que la conjugaison du passé simple n'est pas encore complètement automatisée chez les plus âgés qui surgénéralisent les formes des verbes du premier groupe aux verbes du deuxième et du troisième groupe. D'autre part, cette utilisation "à tout prix" des formes du passé simple est un indice du fait que les enfants se situent bien dans un cadre de texte narratif.

V. 6. 2. Développement des clauses à verbe non fléchi

Dans les parties précédentes, nous avons vu que le nombre, le type ainsi que la fonction des clauses à verbe non fléchi diffèrent en fonction de l'âge des sujets. Le tableau (24) suivant est une récapitulation de ces résultats.




Clauses

à verbe non fléchi



3/4 ans

(N=14)


5 ans

(N=20)


7 ans

(N=12)


10/11 ans

(N=12)


Adultes

(N=12)





Index de fréquence

8.5

6

3

7.5

13.5

1) "Labelling"

45,5 (24)

27 (17)

16,5 (3)

8,5 (4)

-

2) Ellipse du verbe

27 (14)

25,5 (16)

44,5 (8)

21 (10)

25,5 (26)

3) Adverbiales

15 (8)

18,5 (13)

5,5 (1)

16,5 (8)

25,5 (26)

4) Participiales

3,5 (2)

3,5 (3)

28 (5)

16,5 (8)

14,5 (15)

5) Gérondives

3,5 (2)

-

-

12,5 (6)

14,5 (15)

6) Infinitives

-

13,5 (9)

5,5 (1)

16,5 (8)

7 (7)

7) Autres

5,5 (3)

8,5 (6)

-

8,5 (4)

13 (13)

Tableau (24) : Pourcentage (et nombre) des différents types de clauses à verbe non fléchi en fonction de l'âge.

En se basant sur le tableau ci-dessus, on peut remarquer que l'index de fréquence des clauses à verbe non fléchi passe par trois stades. L'index est relativement semblable chez les enfants de 3/4 ans et de 5 ans, diminue dans les productions des 7 ans avant de reprendre son envol et de culminer à 13.5 chez les adultes. Ces résultats sont synonymes d'une complexification du discours en fonction de l'âge. Cette lecture des résultats est confortée par l'analyse de la répartition de ces types de structure en fonction de l'âge. Les 3/4 ans et les 5 ans présentent un profil assez semblable, dans la mesure où ils privilégient les catégories "labelling" et ellipse du verbe avec toutefois un pourcentage plus important dans ces deux catégories pour les sujets les plus jeunes. À 7 ans, les clauses sans verbe ont encore un pourcentage plus élevé, par contre, le "labelling" n'occupe plus que la troisième position derrière les participiales. Cette tendance s'accentue encore davantage chez les 10/11 ans. Mais on peut remarquer par ailleurs, que d'autres outils prennent une place plus importante tels que les adverbiales, les infinitives ou les gérondives, comme c'est également le cas chez les adultes.

Cette première analyse quantitative est complétée par une observation qualitative des fonctions remplies par ces formes en fonction de l'âge, ce qui permet un aperçu plus juste des changements qui ont lieu de 3/4 ans à l'âge adulte.

1) "Labelling"

Le nombre d'occurrences de "labelling" diminue progressivement en fonction de l'âge pour disparaître complètement chez les adultes. Cette courbe développementale indique que les sujets les plus jeunes (3/4 et 5 ans) se bornent à introduire des référents sur la scène, sans leur attribuer d'actions. Cette façon de procéder reflète la stratégie de ces enfants à se baser sur les images pour construire leur discours.

2) Ellipse du verbe

L'index de fréquence des ellipses verbales reste à peu de chose près le même de 3/4 à 10/11 ans. Nous notons toutefois son augmentation entre 10/11 ans et l'âge adulte. Les enfants utilisent ce procédé pour exprimer les actions identiques du petit garçon et de son chien dans deux clauses successives, alors que les adultes s'en servent pour lier les actions simultanées d'un même acteur. Dans les deux cas, les ellipses rendent le discours plus cohésif mais expriment des notions différentes de simultanéité. De plus, nous pouvons ajouter que le comportement langagier des adultes est le reflet de la perspective qu'ils adoptent pour raconter l'histoire, puisque dans leurs productions la référence au couple garçon/chien est supérieure à celle des enfants. Aussi leur arrive-t-il moins souvent qu'aux enfants de parler des actions des deux participants de manière séparée.

3) Adverbiales (cat. 3), participiales (cat. 4) et gérondives (cat. 5)

Nous rassemblons ces types de clauses à verbe non fléchi, dans la mesure où elles connaissent un développement relativement similaire chez nos sujets, à savoir une apparition tardive avec des occurrences peu nombreuses, puis une augmentation chez les adultes. De plus, ces clauses introduisent des compléments circonstanciels à valeurs sémantiques variées : cause, conséquence, but, etc. Ces valeurs sémantiques se diversifient avec l'âge, comme nous le verrons dans la partie portant sur la subordination.

4) Infinitives

Ce n'est qu'à l'âge de 10/11 ans que les infinitives ont un index de fréquence égal ou supérieur à 1. Elles sont majoritairement du type suivant :

(126) 10;08n 13a 045 le chien i disa - le garçon disa


046 de se taire au chien.

Dans ce cas là, il s'agit d'un infinitif utilisé comme complément d'objet du verbe de la clause précédente. Par contre, les rares occurrences d'infinitives relevées chez les plus jeunes se présentent plutôt sous la forme qui suit :

(127) 07;08t 4a 014 et le jean regarda le chien
015 tomber, RIRES -

c'est-à-dire comme moyen de promouvoir l'objet d'une clause en position de sujet, ce qui est aussi réalisé par les adultes par le biais des relatives.



V. 6. 3. Développement des temps d'ancrage

Après avoir observé l'évolution des formes verbales comportant des erreurs et des clauses à verbe non fléchi, passons à l'examen des temps d'ancrage adoptés par les sujets en fonction de leur âge.




Temps d'ancrage ≥ 75%

3/4 ans

(N=14)


5 ans

(N=20)


7 ans

(N=12)


10/11 ans

(N=12)


Adultes

(N=12)





Présent

10

10

5

7

9

Passé

1

3

7

4

2

Mixte

(Présent)

(Passé)


3

(2)


(1)

7

(2)


(5)

-

-

-



1

(1)


-

1

(1)


-

Tableau (25) : Nombre de sujets en fonction du temps d'ancrage de 3/4 ans à l'âge adulte.

Le tableau (25) montre que 58,5% des sujets favorisent le présent comme temps d'ancrage dans leur narration. Cette tendance est particulièrement claire chez les 3/4 ans, les 5 ans et les adultes. Elle s'explique par un traitement plus déictique, plus focalisé sur le ici-et-maintenant de la tâche par les plus jeunes sujets. Par contre, il ne nous est pas possible d'interpréter les résultats des adultes de la même manière. En ce qui les concerne, nous attribuons la domination du présent à la définition qu'ils se font de la tâche à accomplir, c'est-à-dire raconter une histoire pour un enfant sur un mode plus vivant, plus direct, moins "littéraire" que les sujets qui optent pour un temps d'ancrage au passé. Ce sont en effet plus particulièrement les 7 ans et les 10/11 ans, qui fréquentent l'école primaire, qui choisissent cette deuxième stratégie. On constate par là même l'influence des activités scolaires telles que la compréhension et la production d'histoires orales et écrites, la lecture. Ce changement confirme également l'hypothèse selon laquelle les enfants passent de l'âge de 5 ans à l'âge de 7 ans d'un mode descriptif à un mode narratif. De plus, le tableau (25) ci-dessus montre une quasi-disparition, à partir de 7 ans, des narrations mixtes, dans lesquelles les locuteurs effectuent des va-et-vient entre les temps du passé et le présent. Plus de 20% et 30% chez les 3/4 ans et les 5 ans emploient cette stratégie qui ne respecte pas le principe d'un temps dominant. Ils passent d'un temps à un autre sans motivation fonctionnelle apparente.

Nous pouvons également nous demander si les stratégies des enfants et des adultes francophones quant à la sélection et au maintien d'un temps d'ancrage, diffèrent de celles d'autres sujets dans d'autres langues. Plusieurs recherches ayant étudié cet aspect, nous avons la possibilité de comparer nos résultats aux leurs : Aksu-Koç (1994) sur le turc, Bamberg (1987) sur l'allemand, Berman (1988) sur l'hébreu, Hickmann & Roland (1992) sur l'anglais et le français, Sebastián & Slobin (1994) sur l'espagnol, Stephany (1994) sur le grec62.


Langues

Temps

3 ans

4 ans

5 ans

7 ans

9 ans

10 ans

11 ans

Adultes




Hébreu

(N=16)


PR

PA

M



12,5

31,5


56

6

56,5


37,5

25

62,5


28

6,5

87

6,5



-

94

6






25

75

-



44

50

6



Grec

(N=10)


PR

PA

M









-

100


-

-

90

10



-

80

20









30

50

20



Turc

(N=10)


PR

PA

M



30

10

60






40

30

30






70

30

-









60

40

-



63Allemand

(N=8/9)


PR

PA

M






100

-

-



75

25

-






75

25

-









87,5

12,5


-

Espagnol

(N=12)


PR

PA

M






16,5

67,5


16,5

25,5

58,5


16,5




67

33

-









83,5

16,5


-

Anglais

(N=20/15)



PR

PA

M






35

50

15






55

45

-






45

55

-






86,5

13,5


-

Français

(N=10)


PR

PA

M






90

10

-






90

10

-






70

30

-






90

10

-



Tableau (26) : Pourcentage des différents types d'ancrage en fonction de l'âge et de la langue.

Les résultats des adultes sur le tableau (26) nous permettent d'établir des sous-groupes de langues en fonction du temps d'ancrage favorisé par les locuteurs de ces langues : l'hébreu et le grec préfèrent un ancrage au passé ; l'allemand, l'espagnol, l'anglais et le français optent pour l'ancrage au présent ; le turc se situant à mi-chemin entre ces deux pôles mais en étant tout de même plus proche du second groupe que du premier. Il nous faut cependant être prudent quant à la validité de cette dernière remarque eu égard aux résultats de Hickmann & Roland (1992) en français. En effet, contrairement à nos résultats dans lesquels la préférence des adultes francophones pour le présent n'est pas si fortement marquée, ceux d'Hickmann & Roland (1992) soulignent une nette tendance des adultes francophones à privilégier ce type d'ancrage (90% contre 75% dans nos données). Mais, ces différences peuvent trouver leur origine dans le matériel utilisé : Hickmann & Roland (1992) se servent de deux séries de 6 et 7 images représentées sur une page unique, ce qui peut avoir pour conséquence un mode plus descriptif et donc une domination de l'ancrage présent.

Le tableau (26) souligne donc qu'il existe bien des préférences culturelles quant au choix du temps d'ancrage, bien qu'à l'exception des grecs et des hébreux, tous les sujets préfèrent le présent au passé. Cette préférence générale pour le présent est certainement liée aux caractéristiques de la tâche et de la procédure : une histoire basée sur des images statiques que le locuteur garde sous les yeux au moment de la production. En effet, même chez les grecs où les contes sont racontés de manière générale au passé, on trouve un nombre non négligeable de productions ancrées dans le présent. Néanmoins, dans une étude sur la narration, Erguvanli-Taylan (1987) observe l'utilisation du présent turc pour rapporter un film immédiatement après son visionnement. Dans cette expérience 70% des narrateurs utilisent le présent en -iyor comme temps d'ancrage, ce qui tend à minimiser - tout au moins en turc - l'influence des images statiques sur l'utilisation du présent.

Pour ce qui est des enfants, deux remarques principales s'imposent. La première concerne les systèmes mixtes qui diminuent dans toutes les langues en fonction de l'âge. À partir de 7 ans, il existe un pourcentage très faible de sujets (2%) qui ne se bornent pas à un temps dominant mais passent du présent au passé et inversement. Nous pouvons encore souligner une tendance générale à l'apparition et à l'augmentation des productions ancrées dans le passé pour les tranches d'âge moyennes (7 ans et 10/11 ans). Mais, il est difficile de tirer des conclusions claires sur le développement, dans la mesure où dans plusieurs langues, les enfants les plus jeunes ont déjà 4 ans, voire 5 ans dans le cas du grec, au moment du premier enregistrement. Cet état de choses ne nous permet donc pas de savoir qu'elles sont les stratégies de leurs cadets et à quel stade développemental ils se situent. Néanmoins, il semble que les habitudes culturelles transmises par l'école primaire soient à l'origine des changements dans les productions. Cette remarque s'adapte bien à nos propres résultats, puisque le pourcentage de productions ancrées au passé passe de 15% chez les 5 ans à 58,5% chez les 7 ans, pour ensuite diminuer à 33,5% chez les 10/11 ans. Ces résultats contredisent en partie ceux de Hickmann et Roland (1992) qui relèvent 10% pour les 5 ans et les 7 ans, 30% pour les 10/11 ans. Là encore nous pouvons imputer ces différences au matériel utilisé.

En conclusion, nous pouvons observer un certain nombre de différences dans les productions des sujets qui sont liées aux habitudes culturelles auxquelles ces sujets sont exposés. Cependant, les profils sont assez semblables des uns aux autres, et cela peut s'expliquer par une exposition à des cultures somme toute assez proches. Nous soupçonnons que l'étude de productions réalisées dans des contextes culturels plus éloignés (langue à tradition orale ; enfants non scolarisés) révéleraient des différences plus flagrantes.


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