Linguisterie.
Le signe qu'on change de discours.
La signifiance à tire-larigot.
Bêtise du signant. La substance jouissante.
Il me paraît difficile de ne pas parler bêtement du langage. C'est pourtant, Jakobson, tu es là, ce que tu réussis à faire.
Une fois de plus, dans les entretiens que Jakobson nous a donnés ces derniers jours au Collège de France, j'ai pu l'admirer assez pour lui en faire maintenant l'hommage.
Il faut pourtant nourrir la bêtise. Est-ce que tout ce qu'on nourrit est, de ce fait même, bête? Non pas. Mais il est démontré que se nourrir fait partie de la bêtise. Ai-je à en dire davantage devant cette salle où l'on est en somme au restaurant, et où l'on s'imagine qu'on se nourrit parce qu'on n'est pas au restaurant universitaire? La dimension imaginative, c'est justement de ça qu'on se nourrit.
Je vous fais confiance pour vous souvenir de ce qu'enseigne le discours analytique sur la vieille liaison avec la nourrice, mère en plus comme par hasard, avec, derrière, l'histoire infernale de son désir [désir de la mère] et tout ce qui s'ensuit. C'est bien ce dont il s'agit dans la nourriture, de quelque sorte de bêtise, mais que le discours analytique assoit dans son droit.
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Un jour, je me suis aperçu qu'il était difficile de ne pas entrer dans la linguistique à partir du moment où l'inconscient était découvert.
D'où j'ai fait quelque chose qui me parait à vrai dire la seule objection que je puisse formuler à ce que vous avez pu entendre l'autre jour de la
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bouche de Jakobson, à savoir que tout ce qui est du langage relèverait de la linguistique, c'est-à-dire, en dernier terme, du linguiste.
Non que je ne le lui accorde très aisément quand il s'agit de la poésie à propos de laquelle il a avancé cet argument. Mais si on considère tout ce qui, de la définition du langage, s'ensuit quant à la fondation du sujet [si je prends tout ce qui s'ensuit du langage, et nommément de ce qui en résulte dans cette fondation du sujet], si renouvelée, si subvertie par Freud que c'est là que s'assure tout ce qui de sa bouche s'est affirmé comme l'inconscient, alors il faudra, pour laisser à Jakobson son domaine réservé, forger quelque autre mot. J'appellerai cela la linguisterie.
Cela me laisse quelque part au linguiste, et n'est pas sans expliquer que tant de fois, de la part de tant de linguistes, je subisse plus d'une remontrance - certes, pas de Jakobson, mais c'est parce qu'il m'a à la bonne, autrement dit il m'aime, c'est la façon dont j'exprime ça dans l'intimité.
Mon dire, que l'inconscient est structuré comme un langage, n'est pas du champ de la linguistique. C'est une porte ouverte sur ce que vous verrez commenter dans le texte qui paraîtra dans le prochain numéro de mon bien connu apériodique sous le titre l'Étourdit - d, i, t - une porte ouverte sur cette phrase que j'ai l'année dernière, à plusieurs reprises, écrite au tableau sans jamais lui donner de développements - Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend.
C'est pourtant aux conséquences du dit que se juge le dire. Mais ce qu'on fait du dit reste ouvert. Car on peut en aire es tas e choses, comme on fait avec des meubles, à partir du moment par exemple où l'on a essuyé un siège ou un bombardement.
Il y a un texte de Rimbaud dont j'ai fait état l'année dernière, qui s'appelle A une raison, et qui se scande de cette réplique qui en termine chaque verset - Un nouvel amour. Puisque je suis censé avoir la dernière fois parlé de l'amour, pourquoi ne pas le reprendre à ce niveau, et toujours avec l'idée de marquer la distance de la linguistique à la linguisterie?
L'amour, c'est dans ce texte le signe, pointé comme tel, de ce qu'on change de raison, et c'est pourquoi le poète s'adresse à cette raison. On change de raison, c'est-à-dire - on change de discours.
Je vous rappellerai ici les quatre discours que j'ai distingués. Il n'en existe quatre que sur le fondement de ce discours psychanalytique que j'articule de quatre places, chacune de la prise de quelque effet de signifiant, et que je situe en dernier dans ce déploiement. Ce n'est à prendre en aucun cas comme une suite d'émergences historiques - que l'un soit apparu depuis plus longtemps que les autres n'est pas ce qui importe ici. Eh bien, je dirai maintenant que de ce discours psychanalytique il y a toujours quelque émergence à chaque passage d'un discours à un autre.
A appliquer ces catégories qui ne sont elles-mêmes structurées que de l'existence du discours psychanalytique, il faut dresser l'oreille à la mise
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à l’épreuve de cette vérité qu'il y a de l'émergence du discours analytique à chaque franchissement d'un discours à un autre. Je ne dis pas autre chose en disant que l'amour, c'est le signe qu'on change de discours.
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