Engagements de la France et des États-Unis en éducation de base,
au Mali, en RDC et au Sénégal, de 2008 à 2011, en M$ (231)
ii. La politique d'aide au développement en matière de santé
Comme l'éducation, la santé figure parmi les premières priorités de la politique d'aide au développement de notre pays, qui y consacre depuis longtemps des financements très importants : les montants déclarés au CAD à ce titre ont parfois dépassés les 800 M€ (en 2010). S'ils sont depuis un peu moins élevés, ils en restent encore proches. Ils transitent à plus de 80 % par le canal multilatéral, ce qui traduit clairement les choix stratégiques que notre pays a faits au tournant des années 2000 concernant un secteur pour lequel les effets de leviers que permettent les instruments multilatéraux sont opportuns eu égard aux coûts exigés par la lutte contre les grandes pandémies ou les principaux fléaux sanitaires et sociaux contemporains. Dans les quelque 150 M€, à peine, que la France continue de dépenser en bilatéral dans le secteur, les crédits consacrés aux seize pays pauvres prioritaires sont nettement résiduels, comme le montre le tableau ci-dessous, la santé étant parmi les moins dotés : moins de 2M€ par an et par pays.
Versements en M€
|
2 008
|
2 009
|
2 010
|
2 011
|
2 012
|
Éducation
|
193
|
202
|
204
|
209
|
196
|
Santé
|
27
|
33
|
29
|
29
|
31
|
Développement durable
|
35
|
53
|
47
|
47
|
40
|
Agriculture et sécurité alimentaire
|
63
|
42
|
49
|
45
|
50
|
Soutien à la croissance
|
23
|
17
|
22
|
17
|
18
|
Gouvernance
|
39
|
33
|
31
|
35
|
31
|
Total
|
380
|
381
|
382
|
383
|
366
|
Dons de la France consacrés aux OMD dans les 16 PPP, hors opérations de dette (dépenses bilatérales)
Depuis plusieurs années, la France a défini une stratégie spécifique pour le secteur, révisée en 2012. Ses priorités thématiques sont les suivantes : le « renforcement des systèmes de santé les plus fragiles (extrême pauvreté, situations de crise), notamment en Afrique francophone, via l’appui au financement durable et solidaire de la santé, la formation de ressources humaines compétentes et motivées, et le développement de systèmes d’information sanitaire fiables » ; la santé des femmes et des enfants, via la promotion de la santé, des droits sexuels et l'accès au planning familial, le soutien aux OMD 4, 5 et 6 (232), la lutte contre la malnutrition ; les maladies transmissibles, pour lesquelles la France met un accent particulier sur la lutte contre le VIH Sida, le paludisme, la tuberculose et les maladies tropicales négligées ; les maladies (ré)émergentes et l'approche « One Health », sur les maladies non transmissibles. Au plan géographique, les priorités définies ici mettent en avant en premier lieu les seize pays pauvres prioritaires d'Afrique francophone, les pays en crise et en sortie de crise, la zone méditerranéenne, l'outre-mer ; enfin, la coopération scientifique et universitaire avec les pays en développement est également soulignée.
Ces priorités amènent à trouver surprenant que la décision du CICID de juillet 2013 relative au secteur santé se contente d’indiquer que « La France met un accent particulier sur l’aide au développement dans le domaine de la santé. Le gouvernement français réitère son engagement pour combattre les trois grandes pandémies, notamment via le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, pour lutter contre les maladies négligées, améliorer la santé des mères et des enfants et pour promouvoir la couverture sanitaire universelle. La France entend maintenir son engagement parmi les tout premiers contributeurs mondiaux à l’aide au développement en matière de santé. » Le renforcement des systèmes de santé, pourtant première priorité de la stratégie, dont on a revu toute l'importance avec l'épidémie d'Ébola, est ici absent.
Ce constat invite à revenir sur l'évolution de cette politique sectorielle. Depuis plusieurs années, la représentation nationale comme de multiples experts et observateurs, ne cessent de critiquer le sort exceptionnellement favorable qui est réservé à un seul instrument multilatéral, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Sans revenir sur le détail de la question qui excède le propos de ce rapport, on rappellera simplement que depuis la création du Fonds, la France fait partie des tout premiers contributeurs, puisqu'elle se classe au deuxième rang des donateurs derrière les États-Unis, avec un cumul de quelque 3,8 Mds$ versés entre 2002 et 2012, auquel s'est ajouté un engagement supplémentaire de 1,4 Md$ pour la période 2014-2016.
La critique portée à ce financement ne vise pas l'instrument lui-même, même s'il a pu faire lui aussi l'objet de questionnements lors des évaluations qui en ont été faites. Elle porte surl’incohérence de notre politique. En consacrant des montants aussi élevés, qu'au demeurant elle sanctuarise maintenant au prix du non-respect de ses engagements envers d'autres actions et instruments multilatéraux, comme l'Alliance GAVI ou le Fonds pour l'initiative Muskoka, dernièrement amputés de fonds qui leur avaient été promis, notre pays privilégie un nombre très réduit de pathologies qui sont très loin d'être les plus responsables de la mortalité maternelle et infantile dans les pays en développement : selon l'OMS, c’est en effet la prématurité qui est la première cause de décès d’enfants de moins de cinq ans en 2013, environ la moitié de ces décès étant dus à des maladies infectieuses. Pour le dire autrement, les seules pathologies infectieuses sont cause du tiers de la mortalité infantile dans le monde, soit quelque 2,5 millions de décès d’enfants chaque année, plus de la moitié, 1,3 million, étant dus à la pneumonie. Les données de l'OMS montrent en outre que la situation dans les seize pays prioritaires de l'APD française, ne diffère pas de ce tableau général : 27 % des décès des enfants de moins de cinq ans au Bénin sont dus à deux pathologies seulement, la diarrhée et la pneumonie ; c’est aussi le cas de 30 % des causes de mortalité infantile au Burkina Faso, de 33 % de ceux constatés aux Comores, de 34 % au Burundi ou au Mali, et jusqu’à 36 % au Niger, qui n’est surpassé en Afrique que par la Somalie. (233) Plus largement, plus de 40 % de la mortalité en Afrique continuent de résulter de maladies infectieuses et d'infections respiratoires. Indépendamment du fait que l’évolution de certains indices relatifs à la mortalité néonatale en Afrique est préoccupante, qui nécessite que les efforts ne soient pas diminués, on doit aussi faire remarquer, par comparaison, que le sida tue aujourd'hui 1,7 million de personnes par an, la tuberculose 1,4 million et le paludisme 660 000.
Est ainsi mis en évidence le fait que l'allocation de nos ressources au profit d'un instrument ne permet pas de soutenir nos priorités stratégiques. Ce faisant, notre pays privilégie aussi un instrument critiqué pour ne pas contribuer au renforcement des systèmes de santé ; pour financer prioritairement des actions dans des pays non francophones, qui reçoivent déjà beaucoup d’aides, notamment anglo-saxonnes, publiques et privées, alors même que l'Afrique de l'ouest n’a pas bénéficié d'aides à la hauteur des enjeux auxquels elle fait face. Sans qu'il s'agisse de remettre en question l'utilité du Fonds mondial sur son créneau, on doit dénoncer l'incohérence que le soutien que la France lui porte traduit dans la conduite de sa politique. Cela d’autant plus que malgré l'unanimité des avis d'experts, y compris ceux sollicités par le gouvernement lui-même, notre pays persiste et signe en augmentant ses financements de 20 % depuis 2011. Or, pour Dominique Kérouédan (234), qui rappelait qu'on ne comptait plus les rapports - Morange, Gentilini, Kourilsky, etc. - qui avaient lancé des alertes sur la situation sanitaire de l'Afrique francophone et sur les insuffisances de notre politique d'aide au développement, sur ses déséquilibres, cette politique n'est finalement d'aucune efficacité, car il ne sert à rien de cibler trois maladies si dans le même temps on ne soutient pas les systèmes de santé des pays.
Causes de mortalité des enfants de moins de 5 ans (235)
Comme on l’a vu, l'épidémie d'Ébola est venue confirmer que l'essentiel réside effectivement dans les systèmes de santé robustes si l'on entend que les pays africains soient en mesure de faire face à une crise sanitaire comme celle-ci, qui ne manquera pas de se reproduire. Pour Dominique Kérouédan en effet, ce n'est pas le nombre de projets et de financements qui sont consacrés à quelques pathologies qui importent : les pays qui devraient bénéficier de plus d’attention sont ceux qui sont les plus vulnérables en termes de pauvreté, de menaces, c'est-à-dire de maladies mais surtout de manque de capacités, de professionnels, de gouvernance, etc., dans lesquels, au demeurant, les progrès des OMD sont également les plus en retard.
Une analyse historique de la coopération française en matière de santé :
« L’assistance technique de la coopération sanitaire française » (236)
« La caractéristique la plus singulière de la coopération française pendant toutes ces années a été de disposer d’un atout et d’un instrument majeurs qui la distinguent des autres coopérations : son assistance technique (…). Les assistants techniques, plongés dans les réalités quotidiennes et les contradictions nationales de l’entreprise du développement, acquièrent au fil des années auprès de partenaires nationaux, souvent exceptionnels, une expérience unique et irremplaçable. Véritables experts du développement, ils sont une source précieuse de connaissance des problématiques sanitaires et sociales de terrain au service de la décision en santé publique à l’échelle nationale, et de la définition des orientations politiques de la France et à l’échelle internationale. En 1982, l’assistance technique française sur le terrain représente à elle seule 50 % de l’assistance technique mise à disposition des pays en développement par les pays développés.
C’est grâce à la diversité et à la souplesse de cette assistance technique qu’ont pu être initiées, à la fin des années 1980, des expériences novatrices, qui ont, depuis lors, fait leurs preuves et constituent aujourd’hui des piliers du développement des systèmes de santé :
- la création des centres de santé communautaires, qui assurent la réalisation du service public de santé, dans le cadre du partenariat public-privé ;
- de manière prometteuse, et dans une approche pilote, l’installation de médecins de campagne qui ouvrent la voie à la médicalisation des zones rurales par des professionnels n’appartenant pas à la fonction publique, projet fortement soutenu par l’association Santé Sud dans de nombreux pays d’Afrique francophone ; Santé Sud Mali a reçu un prix pour ces initiatives à la Conférence mondiale sur les personnels de santé réunie à Bangkok en janvier 2011 sous l’égide de l’OMS.
- la mise en place de mutuelles de santé, destinées à assurer une protection sociale en complément des financements publics.
(…) l’Association des professionnels de santé en coopération, (…) prendra des positions remarquées dans les années 2000 auprès du Haut Conseil de la coopération internationale, de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, du réseau Coordination Sud, auprès d’autres instances nationales, ainsi que des institutions européennes et internationales, y compris de l’OMS. »
La réforme de la coopération française
« La dynamique novatrice et pertinente des années 1990 subit une inflexion soudaine à la fin de la décennie, liée à la réforme de l’aide publique au développement. (…) Privée de ses moyens humains et financiers, l’aide bilatérale française voit sa voilure considérablement réduite. Ceci nuit considérablement à la visibilité politique de la France là où sa coopération sanitaire est reconnue et attendue sur le continent africain en même temps qu’à l’échelle internationale, comme en préviennent et le déplorent à l’unanimité les rapports indépendants cités plus loin. Notons qu’en même temps que la France réduisait comme peau de chagrin sa contribution bilatérale en faveur des systèmes de santé, les coopérations techniques belge, allemande, canadienne et européenne diminuaient de manière substantielle leurs aides bilatérales aux pays d’Afrique francophone. »
|
d. Dans la région sahélienne, le cas du Mali
Si l’on regarde à présent une priorité géographique et non plus sectorielle, celle qui est menée en région sahélienne, les conclusions ne sont pas moins critiques.
i. Une aide conséquente depuis longtemps
Notre pays a toujours été un acteur important dans la région sahélienne, où son action de développement a notamment visé six pays d’Afrique de l'ouest : Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Sénégal et Tchad, pour ce qui concerne la partie ouest-africaine de l’arc sahélien. Ce sont des pays qui n’ont jamais été des « orphelins de l’aide », puisque sur les dernières années, plusieurs d’entre eux, tels le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali, recevait en moyenne environ un milliard de dollars, comme en témoigne le tableau ci-dessous, construit sur la base des données statistiques de l’OCDE (237).
Année
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
2012
|
2013
|
Burkina Faso
|
953,87
|
1018,97
|
1071,92
|
1081,36
|
993,2
|
1155,12
|
1040,14
|
Mali
|
1018,27
|
963,65
|
997,2
|
1154,13
|
1284,3
|
995,18
|
1382,15
|
Mauritanie
|
357,84
|
450,68
|
351,68
|
422,07
|
438,08
|
711,42
|
416,44
|
Niger
|
546,89
|
609,53
|
453,05
|
726,38
|
628,46
|
895,94
|
780,43
|
Sénégal
|
849,87
|
1191,03
|
1099,21
|
917,08
|
1019,21
|
1122,9
|
947,47
|
Tchad
|
363,37
|
395,28
|
553,7
|
518,96
|
475,35
|
504,74
|
397,42
|
Montant d'APD pour six pays sahéliens (2007-2013), en millions de dollars
Parmi ceux-ci, on voit que le Mali était souvent le mieux doté, bien mieux que la Mauritanie ou le Tchad notamment, et la totalité des bailleurs internationaux était auprès de lui : la Banque mondiale, via l'Association internationale de développement, AID, l’Union européenne, la Banque africaine de développement, ainsi que les institutions onusiennes, PNUD, UNICEF, Programme alimentaire mondial (PAM) ou Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP). L’Union européenne, via le 10e FED, était le premier bailleur dans la région, avec des moyens destinés aux six pays de la région supérieurs à 2,7 Mds€. Une stratégie intégrée pour le Sahel en 2011, notamment centrée sur le Mali, la Mauritanie et le Niger, était articulée sur le développement, la bonne gouvernance et le règlement des conflits internes ; la politique et la diplomatie ; la sécurité et l’État de droit ; la prévention et la lutte contre l'extrémisme violent et la radicalisation.
De la part de la France, les pays de la région recevaient également des financements fort importants, que retrace le tableau ci-dessous.
|
APD bilatérale nette
|
APD multilatérale imputée nette
|
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
Sahel (périmètre restreint)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Burkina Faso
|
131,4
|
114,8
|
142,0
|
77,4
|
63,8
|
53,7
|
58,8
|
58,3
|
79,3
|
69,4
|
Mali
|
81,6
|
214,0
|
81,9
|
74,7
|
77,6
|
61,0
|
52,1
|
54,2
|
40,0
|
41,7
|
Mauritanie
|
31,6
|
37,9
|
29,4
|
35,0
|
32,2
|
23,7
|
26,1
|
16,7
|
12,2
|
14,8
|
Niger
|
88,8
|
56,7
|
67,8
|
57,4
|
50,0
|
43,1
|
36,6
|
44,9
|
25,1
|
42,1
|
Tchad
|
42,1
|
47,9
|
39,5
|
41,0
|
40,7
|
14,4
|
20,1
|
33,2
|
32,2
|
30,0
|
Sénégal
|
287,5
|
176,7
|
189,0
|
140,9
|
157,2
|
49,2
|
35,8
|
57,5
|
80,4
|
43,6
|
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