Le sergent simplet travers les colonies françaises



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VII

OBOK


– William Sagger, mon intendant… Mais c’est un gentleman, M. Bérard.

– Alors, si je comprends qu’il soit licencié,… un autre problème se pose.

– Lequel ?

– Pourquoi gentleman et intendant ?

– Vous êtes curieux de le savoir ?

– Je l’avoue.

– Écoutez donc.

Ces répliques échangées, miss Diana sourit à ses auditeurs assis autour d’elle sur le pont du Fortune.

Le yacht avait contourné les côtes de France et d’Espagne, franchi le détroit de Gibraltar et filait, au sud de la Sicile, sur les flots bleus de la Méditerranée. Aucune aventure n’avait troublé le voyage. Claude et Simplet avaient seulement décidé qu’ils se tutoieraient désormais, et ils se donnaient du « tu » à qui mieux mieux.

À quelques pas du groupe, le factotum de l’Américaine, penché sur le bastingage, semblait absorbé par la contemplation des remous de l’hélice.

– Monsieur William Sagger ! appela doucement Diana.

Il se retourna aussitôt.

– Vous désirez, miss ?

– Approchez, je vous prie.

Et quand il eut obéi.

– Mes passagers, reprit-elle, ne sont pas des indifférents. J’ai été amenée à leur dévoiler votre qualité de gentleman. Ils me pressent de questions, trouvez-vous bon que je leur dise tout ?

– Si vous le jugez à propos, miss.

– Asseyez-vous donc.

Puis s’adressant aux Français, Diana commença ainsi :

– Vous saurez donc que sir William – pour un instant, je lui rends l’appellation qui lui convient – que sir William, dis-je, est un homme qui n’a pas de chance.

– Comme moi, murmura Yvonne.

– Comme moi, répéta Claude.

– Moi, fit à son tour Marcel, j’en ai et c’est…

Mlle Ribor l’interrompit.

– Tout simple. Nous connaissons le refrain. Je vous en prie, miss, continuez.

– Géographe des plus distingués, membre de la plupart des sociétés savantes d’Amérique, il avait épousé une femme charmante qu’il adorait. Une scierie à vapeur lui rapportait, bon an, mal an, quinze mille dollars. Il possédait deux enfants. Il était heureux.

Sagger détournait la tête, ses joues tremblotaient.

– Une nuit le feu consuma l’usine et, sous les décombres noircis, on chercha longtemps trois cadavres : mistress Sagger et ses babies surpris pendant leur sommeil…

– Permettez que je m’éloigne, demanda William. C’est trop pénible.

Il était pâle. Sur un signe de miss Pretty, il se leva, et à grandes enjambées, gagna l’avant du navire.

– Pauvre homme ! dit Yvonne d’une voix émue.

– Attendez. Le notaire, chargé de ses intérêts, avait négligé d’acquitter la prime d’assurance de la scierie. Sir Sagger se trouva donc isolé, ruiné et sans courage pour les luttes à venir. Il réfléchit et, seul en face de lui-même, résolut de mourir. Ainsi il fuirait sûrement la misère, et il rejoindrait peut-être les chers disparus.

Tous les yeux étaient humides.

– Alors, poursuivit l’Américaine avec un accent tremblé, un duel étrange s’engagea entre lui, pressé d’en finir, et la mort qui ne voulait pas de lui. Il essaya de tout. En vain ! Le pistolet rata ; la carabine éclata sans lui faire aucun mal ; la corde se rompit ; le poignard rencontra une côte et se brisa. Il s’était fusillé, pendu, poignardé pour arriver à se faire une égratignure ! La camarde résistait ; mais sir William est entêté. Sans armes il s’enfonça dans le Far-West, parcourut les territoires des Indiens insoumis. Surpris de son audace, ceux-ci le déclarèrent grand sorcier. Le poteau du supplice, le scalp se métamorphosèrent en présents. Un jour il aperçoit une bande de bisons migrateurs. Ces animaux renversent tout sur leur passage. – Enfin, pense le désespéré, voici le trépas ! Résolument il se campe en face de la colonne beuglante dont le galop ébranle la terre. Malédiction ! les bisons s’arrêtent à dix pas de lui et s’agenouillent. Ce n’était pas pour l’adorer, je me hâte de vous le dire ; mais pour lécher plus commodément des plaques de sel gemme qui affleuraient le sol ; ils en sont friands. Furieux, notre ami continue sa route. Les pieds et les mains solidement attachés, il se laisse tomber dans le Missouri. Il va se noyer. Erreur ! Une bande de pécaris, poursuivie par un jaguar, cherche un refuge dans les eaux et entraîne avec elle sur l’autre rive l’amant malheureux du suicide.

– Une déveine carabinée ! fit Marcel en riant.

– Lassé, découragé, conclut Diana, il se fit présenter à moi par une agence. Je recrutais le personnel de mon yacht ; je l’engageai, sans me douter qu’il espérait mourir par mes soins.

– Par vos soins ?

– Mon Dieu oui. On me disait folle. – Une jeune fille très riche qui fuit le monde, vous comprenez ? – Sir William avait pensé qu’un bateau conduit par une lunatique ne naviguerait pas longtemps. Il m’a tout avoué plus tard, lorsque les brises saines de la mer eurent ramené le calme dans son esprit.

Et avec une grâce charmante, miss Pretty s’inclina devant son auditoire muet :

– Maintenant, vous savez pourquoi sir William est intendant.

Le steamer se trouvait alors par le travers de l’île de Malte.

Le 13 décembre, le phare d’Alexandrie fut signalé ; le lendemain, le Fortune traversait la rade de Port Saïd à l’entrée du canal de Suez et, bientôt halé par un remorqueur, il glissait mollement sur les eaux du chenal. Il passa à Suez et s’engagea sur les flots de la mer Rouge.

Le cinquième jour, au matin, le pavillon français de l’île Doumeïrah apparut. Le navire entrait dans les eaux du territoire d’Obok.

– Obok et non Obock, remarqua Sagger, bien que l’on ait l’habitude d’écrire incorrectement ce nom suivant la dernière orthographe.

En face, à l’extrême pointe de la péninsule Arabique, les voyageurs aperçurent le petit territoire de Cheik-Saïd, acheté mais non encore occupé par la France. Rangeant les îles Dzesirah-Soba, le steam longea les bancs du Curieux et du Surcouf qui ferment le port d’Obok, et reçut à son bord le pilote-major qui le guida à travers la passe du Sud.

Bientôt il s’arrêtait sur une ancre, en face du plateau des Gazelles, dominé par les habitations des fonctionnaires de la colonie, et près du dépôt de charbon de la pointe Obok. Ce voisinage était utile, car le steamer avait besoin de refaire du combustible.

L’escale en ce point n’avait pas d’autre but.

– Ma foi, dit Marcel, puisque nous sommes immobilisés pour vingt-quatre heures, visitons le pays. À nous, exilés de France, il sera doux de fouler une terre française. Et puis, ajouta-t-il après réflexion, depuis notre départ de Liverpool, il a pu arriver des nouvelles de Madagascar.

Aussi, au point du jour, les voyageurs, accompagnés par miss Diana et William Sagger, prirent-ils place dans le canot du Fortune, qui les conduisit à la côte, en face du village indigène établi entre la résidence du gouverneur et la mer.

D’un même mouvement tous regardèrent du côté du large. Un superbe spectacle s’offrait à eux. Fuyant vers l’est, les falaises du Ras-Bir venaient mourir au pied du plateau des Sources, qui borde au nord la rade d’Obok et supporte la factorerie Mesnier et la Tour Soleillet. À l’ouest, dans la dépression qui sépare les collines des Sources et des Gazelles, la vallée des Jardins, luxuriante oasis arrosée par la rivière d’Obok et limitée par une rangée de palétuviers penchés sur la mer.

Les voyageurs montèrent lentement la rampe du plateau des Gazelles. Bientôt ils atteignirent les premières maisons du quartier arabe, et pénétrèrent dans l’unique rue dont il est composé. De chaque côté s’alignaient les maisons en pierres ou en terre glaise, revêtues d’une couche de chaux.

La ville rapidement parcourue, les promeneurs se rapprochèrent des établissements du gouvernement, élevés au sud du plateau. Ils visitèrent l’hôpital, les casernes, les magasins, les mess des officiers et des fonctionnaires ; baraques provisoires à charpentes de fer appuyées sur des piliers de maçonnerie.

Ils achevaient cette rapide promenade quand un personnage, qui débouchait de l’avenue de l’Hôpital, s’avança vers les voyageurs. Un pantalon de toile, un veston de surah ouvert sur une chemise large serrée aux flancs par une ceinture de flanelle, indiquaient sa qualité de blanc ; la façon dont il salua de son casque colonial trahit celle de civilisé.

– Mesdames, messieurs, dit-il, j’ai été averti, un peu tard, que des touristes visitaient nos établissements. N’importe, j’ai tenu à me mettre à votre disposition. Je suis le gouverneur.

Et comme tous ébauchaient un remerciement, il les arrêta :

– Si vous saviez combien cela m’est agréable. Ils sont rares ceux qui s’aventurent sur notre plage, et je leur suis obligé de leur visite.

Puis, changeant de ton :

– À la guerre comme à la guerre. Présentons-nous, et permettez-moi de vous offrir à dîner à la Résidence, sans façon. Je le répète, vous m’enchanterez. Votre nationalité m’est déjà connue ; le pavillon américain flotte à la corne de votre steamer.

Claude ouvrit la bouche pour répondre ; Marcel le prévint et avec un flegme très saxon :



– Yes, sir, fit-il.

Après quoi, il présenta ainsi ses compagnons :

– Miss Diana Pretty. – Le gouverneur s’inclina, il avait sûrement ouï parler de la riche Américaine. – Miss Mable, sa sœur.

Yvonne, désignée ainsi, ouvrit des yeux effarés. Simplet poursuivit :

– Sir William Sagger, notre ami ; sir Claudio, et moi sir James, cousins de miss Diana.

Le fonctionnaire répétait ses saluts. Enfin offrant le bras à Diana, il la guida vers son habitation.

Yvonne retint son frère de lait en arrière.

– Pourquoi toutes ces inventions ?

– Parce que, petite sœur, dans notre situation alors même qu’aucun danger n’apparaît, il convient d’être prudent. C’est tout…

– Simple, acheva la jeune fille avec un peu d’impatience. Mais permets-moi de te le dire. En ce moment ta simplicité m’a l’air d’une complication.

– C’est possible. Souviens-toi seulement que tu es Mable ; Claude, Claudio ; et moi, James.

Le gouverneur était marié. Sa femme, gracieuse mais loquace personne, se surpassa. Elle était enchantée de pouvoir débiter comme nouvelles de vieilles histoires usées dans le cercle habituel de la colonie.

Elle mit les « petits plats dans les grands ». L’outarde et la gazelle figurèrent sur la table, assaisonnées de récits incroyables, où la faune du pays jouait un rôle un peu exagéré sans doute. Rencontres avec les guépards, tigres minuscules ; chasses à l’âne sauvage, à l’autruche, au chacal, à l’hyène ; tout y passa.

La flore même eut son tour. Madame la gouverneur la décrivit, ne faisant grâce d’aucun détail. Elle vanta le mimosa dont le feuillage court, sous le nom de kabata, nourrit les troupeaux ; les palétuviers, les genêts, les euphorbes. Et pour finir en artiste qui ménage ses effets, elle laissa tomber cette phrase :

– Ah ! mes chers hôtes, que je suis heureuse de vous savoir Américains ! Dire que si vous étiez Français, je ne pourrais vous recevoir sans arrière-pensée.

Marcel lança un regard à Yvonne.

– Et pourquoi donc ? demanda-t-il tranquillement.

– Je vais vous l’apprendre. Mon mari me fait les gros yeux, mais cela m’est égal. Voilà-t-il pas un mystère ! Figurez-vous que le parquet de Lyon nous a envoyé, en même temps qu’aux fonctionnaires de toutes les colonies françaises, l’ordre d’arrêter trois Français : deux hommes et une femme, accusés de vol, d’évasion.

– Mais, ma chère amie, interrompit le gouverneur, cela n’a aucun intérêt.

– Aucun intérêt. Est-ce la fonction d’un résident d’arrêter les voleurs ? Mes chers hôtes, je vous fais juges.

Tous demeuraient immobiles, pétrifiés par la révélation de l’aimable femme. Canetègne, qu’ils avaient cru vaincu, les pourchassait au delà des océans, ayant la justice française pour servante !

– Et comment se nomment ces misérables ? questionna Simplet.

Sa voix était calme.

– Je ne me souviens plus. Ah si ! Yvonne Ribor, Marcel Dalvan et Claude Bérard.

– Pauvres diables ! je vous remercie, madame.

Le repas terminé, on se sépara avec de grandes effusions. Le gouverneur accompagna ses hôtes jusqu’à leur canot. L’embarcation quitta le rivage se dirigeant vers le Fortune, dont la silhouette élégante se découpait dans la pénombre bleutée de la nuit. Alors Marcel murmura :

– Nous sommes gentils maintenant ! La police nous guette sur toutes les terres françaises, et précisément nous n’avons à faire que là ?

– La main de la justice est sur nous, gémit Yvonne. Le sous-officier l’empêcha de continuer sur ce ton.

– Tu sais ce que l’on fait pour éviter une main menaçante ?

– Non !

– C’est bien simple. On glisse entre ses doigts.





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