slate.fr Tuée à Ouagadougou, Leila Alaoui était une photographe «méditerranéenne»
19.01.2016 - 15 h 53 mis à jour le 19.01.2016 à 16 h 45
http://www.slate.fr/story/112931/photographe-leila-alaoui-attaque-terroriste-ouagadougou
http://www.slate.fr/sites/default/files/imagecache/1090x500/capture_decran_2016-01-19_a_13.07.59.png
Leila Alaoui, le 20 octobre 2014, dans l’émission «L’invité» de TV5 Monde | Capture d'écran YouTube
Des migrants aux villageois marocains, la Franco-Marocaine Leila Alaoui, décédée de ses blessures après l’attaque terroriste au Burkina Faso, axait son travail sur l'humain.
Grièvement blessée lors de l'attaque terroriste du Cappuccino à Ouagadougou, la photographe franco-marocaine Leila Alaoui est décédée le 18 janvier. Née en 1982, c’est dans le cinéma qu’elle a débuté avant de faire de la photo «par défaut [...] parce que quelque part c’était plus facile de partir seule», a-t-elle dit à OnOrient en novembre 2014. Son travail engagé et remarqué lui permettra d'accéder à de nombreuses expositions prestigieuses, comme à la Maison européenne de la photographie du 12 novembre 2015 jusqu’au 17 janvier.
En 2008, lorsqu’elle rentre des États-Unis (où elle travaille) au Maroc pour «faire un break», elle obtient un financement pour mener un travail photographique sur les migrants. Elle réalise alors No Pasara, une série sur les jeunes qui tentent de «brûler» les frontières et d’atteindre l’Europe, mais qui finissent «par brûler leur identité, leur passé et souvent leur vie», écrivait-elle.
https://youtu.be/h8ZzciUm0s0
Fragments
Elle se lance ensuite dans différents projets et réalise Crossings, une installation vidéo artistique sur trois écrans qui retrace l’expérience de migrants subsahariens qui quittent leur pays dans l’espoir d’avoir une vie meilleure au Maroc.
https://youtu.be/_YCoySTNNXA
«Après m’être investie humainement et avoir milité sur le sujet, je me suis dit comment est-ce que je peux parler de ce sujet pour leur rendre hommage [aux migrants] sans encore faire du misérabilisme», expliquait-elle en mai 2014 dans l’émission «Maghreb-Orient Express», sur TV5 Monde.
Elle intègre alors des «fragments de réalité» en utilisant des images de fiction recontruites inspirées d’histoires vraies pour témoigner de ces destins tragiques et du racisme ambiant au Maroc.
Elle s’installe ensuite à Beyrouth et produit en 2013 un travail sur l’attente des réfugiés syriens en insistant sur leurs histoires personnelles. Elle s’intéressait désormais à l’immigration postcoloniale en France à travers un projet sur la relation entre les mémoires individuelles et l’histoire collective des premières générations d’immigrés venus d’anciens territoires et de colonies françaises.
«Archive visuelle»
En parallèle, elle effectuait depuis plusieurs années une série intitulée Les Marocains et exposée à Paris dans le cadre de la première Biennale de la photographie arabe jusqu’au 17 janvier. Elle parcourait le Maroc rural avec un studio mobile «pour photographier les Marocains tels qu’ils sont», expliquait-elle dans une vidéo publiée par Les Échos en juin 2014. Elle réalise alors des portraits de 1,50 mètre sur 1 de femmes et d’hommes de différents groupes ethniques. Elle souhaitait ainsi constituer «une archive visuelle des traditions et des univers esthétiques marocains qui tendent à disparaître», écrivait-elle pour expliquer son travail sur le site la Maison européenne de la photographie.
https://twitter.com/PhotoMondeArabe/status/653513544185610240/photo/1?ref_src=twsrc%5Etfw
VoxEurop Der Spiegel 13 janvier 2016 L’Allemagne et les réfugiés : Les violences à Cologne changent tout
Tom Janssen Published in 4 languages 30 commentaires Share count index 40
http://www.voxeurop.eu/fr/content/news-brief/5035726-les-violences-cologne-changent-tout
Le soir du Nouvel An, au moins 500 femmes ont dénoncé avoir été aggressées, parfois sexuellement, par des groupes de plusieurs centaines d’hommes, dont la plupart “d’origine étrangère”. La police n’a pas su éviter les violences et l’affaire a brutalement remis en question la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel.
Der Spiegel, 9 janvier 2016
“Le réveillon pourrait avoir marqué un tournant dramatique”, écrit Der Spiegel. Les aggressions sexuelles ont été perpétrées en masse dans plusieurs villes, comme si elles avaient été coordonnées. Dans deux cas, à Cologne, il y a eu des viols.
Ce qui s’est passé à Cologne – et dans une moindre mesure à Hambourg – le soir du réveillon et les jours suivants “est la mise en œuvre d’un scénario dont nombreux étaient ceux qui craignaient qu’il ne se réalise. Les craintes des partisans de l’immigration et des xénophobes les plus virulents se sont avérées”, écrit le magazine :
Pour certains, ces événements ont enfin révélé au grand jour ce qu’ils disent depuis longtemps – que trop d’étrangers dans le pays apportent trop de problèmes avec eux. Pour d’autres, que ce qui s’est passé, c’est ce qu’ils craignent depuis le tout début : que des images terribles de comportements affreux de la part de migrants ne mettent en péril l’attitude globalement positive des Allemands vis-à-vis des réfugiés.
Ce qui est certain, ajoute Der Spiegel, c’est que “nous avons des jours difficiles devant nous”, et que deux questions se posent à présent, poursuit Der Spiegel :
L’Allemagne est-elle sûre d’être capable de gérer l’afflux de réfugiés ? Et a-t-elle vraiment le courage et l’envie de devenir le pays d’Europe accueillant le plus grand nombre de migrants ? Il semble que le temps est venu pour un vaste débat sur l’avenir de l’Allemagne – et le mantra d’Angela Merkel “Nous pouvons le faire” ne suffit plus à l’occulter. […] Intégration, politique d'intégration, répression, politique d'immigration, quotas d'immigrés : les événements de Cologne ont profondément changé les dynamiques politiques à Berlin. La chancelière Merkel et ses proches craignent qu'il sera à présent plus difficile de mettre en œuvre leur politique vis-à-vis des réfugiés.
La chancelière a déjà infléchi sa position, du moins en pour ce qui est des mots. S’exprimant, contrairement à sa prudence habituelle, quelques jours après les violences à Cologne, elle a dit qu'elles méritaient une “réponse forte de la part du gouvernement” et qualifié d’”absurde” le cliché selon lequel elle “apprécie le fait que de nombreux réfugiés viennent en Allemagne”.
Mais Angela Merkel ne peut dévier excessivement de sa ligne politique non plus :
Si l’Allemagne devait commencer à renvoyer les gens à ses frontières, le système de libre circulation de Schengen s’effondrerait.
Alors que les médias ont pris plusieurs jours pour réaliser pleinement l’amplitude des violences à Cologne et à Hambourg et l’absence de réponse de la part de la police, au risque d’en faire crier certains au complot médiatico-politique, Der Spiegel estime que la première chose à faire, c’est d'être complètement honnête à propos des faits et de la situation :
Les Allemands ne sont pas des enfants qui doivent être protégés de la vérité, même si c’est avec les meilleures intentions. Et une partie de la vérité, c’est que les politiques aiment à parler d’intégration, mais ils n’ont pas donné le moindre indice du fait qu’ils comprennent l’ampleur du défi qu’ils ont en face d’eux. Une autre partie de la vérité est la suivante : la société allemande est de plus en plus divisée.
L’Obs - Publié le 20-01-2016 à 19h26
Les mille salopards de Cologne, par Slavoj Zizek
http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160120.OBS3101/les-mille-salopards-de-cologne-par-slavoj-i-ek.html
http://referentiel.nouvelobs.com/file/14768486.jpg
A Cologne, le 12 janvier 2016. (Martin Meissner/AP/SIPA)
Qui sont les «huit salopards» du film éponyme de Quentin Tarantino ? Le groupe entier des protagonistes, c’est-à-dire les racistes blancs et le soldat de l’Union noir, les hommes et les femmes, les officiers de justice et les criminels: tous se montrent mauvais, brutaux, bouffis de ressentiment – et tous dans les mêmes proportions.
Le moment le plus embarrassant du film est celui où l’officier noir (joué par le superbe Samuel Jackson) raconte avec un luxe de détails, et un plaisir évident, à un vieux général confédéré comment il a tué son fils, un raciste responsable de nombreuses morts de noirs: après l’avoir forcé à marcher nu dans le vent glacé, il avait promis à cet homme blanc et frigorifié qu’il lui donnerait une couverture chaude à la condition qu’il lui fasse une fellation… Mais une fois la chose faite, il était revenu sur sa promesse et l’avait laissé mourir…
Nous n’avons donc ici, dans cette histoire relatant la lutte contre le racisme, aucun homme bon: tous s’adonnent à la brutalité la plus outrancière. Et la leçon des récentes agressions sexuelles de Cologne ne se montre-t-elle pas étrangement similaire à celle de ce film ? Même si les réfugiés sont effectivement (pour la plupart) des victimes fuyant des pays ravagés, cela n’empêche manifestement pas certains de se comporter de façon méprisable. Nous avons tendance à oublier qu’il n’y a rien de rédimant dans la souffrance: être une victime tout au bas de l’échelle sociale ne fait pas de vous une sorte de voix par excellence de la morale et de la justice.
Slavoj Žižek, à New York, en 2011pendant les manifestations d'Occupy Wall Street. (Showalter Aaron/Sipa)
Mais il est pour autant impossible de se satisfaire de ce seul aperçu général: il nous faut nous pencher avec plus d’attention sur la situation qui est à l’origine des incidents de Cologne. Dans «Notre mal vient de plus loin», son analyse de la situation globale suite aux attentats de Paris du 13 novembre 2015 (1), Alain Badiou discerne trois types prédominants de subjectivité dans le capitalisme global d’aujourd’hui: le sujet occidental «civilisé», libéral-démocrate et appartenant à la classe moyenne ; le sujet extra-occidental, possédé par «le désir d’Occident», qui s’efforce désespérément d’imiter le mode de vie «civilisé» des classes moyennes occidentales ; enfin, les nihilistes fascistes, ceux dont l’envie d’Occident se mue en une haine autodestructrice mortelle.
Badiou montre avec clarté que ce que les médias appellent la«radicalisation» des musulmans est fascisation pure et simple: «Ce fascisme est le revers d’un désir d’Occident frustré, organisé plus ou moins militairement sur le modèle flexible de la bande maffieuse et avec des colorations idéologiques variables où la religion tient une place purement formelle.»
L’idéologie de la classe moyenne occidentale présente deux traits caractéristiques opposés: elle se montre arrogante, persuadée de la supériorité de ses valeurs (les libertés et droits de l’homme universels menacés par les outsiders barbares), mais, dans le même temps, elle est obsédée par la peur de voir son domaine limité envahi par les milliards d’êtres vivant à l’extérieur, des populations qui ne comptent pour rien dans le capitalisme global puisqu’elles ne produisent pas de biens ni n’en consomment. La peur ici ressentie est en fait peur de rejoindre les rangs de ces exclus.
Les réfugiés, eux, incarnent la manifestation la plus évidente de ce «désir d’Occident»: leur désir n’est en rien révolutionnaire ; ils n’aspiraient à rien d’autre que laisser derrière eux leur pays dévasté pour rejoindre la terre promise de l’Occident développé. Ceux qui restent sur place tentent, pour leur part, de créer de pathétiques copies de la prospérité occidentale, comme ces quartiers dits «modernisés» avec leurs galeries marchandes et cafétérias vendant des capuccinos, que l’on trouve dans n’importe quelle métropole du Tiers Monde, à Luanda par exemple, ou encore à Lagos.
Mais dans la mesure où, pour la grande majorité des prétendants, ce désir ne peut être satisfait, l’une des options restantes est le renversement nihiliste: la frustration et l’envie se radicalisent pour se retourner en une haine de l’Occident, meurtrière et autodestructrice. Le ressentiment vengeur et violent l’emporte alors.
Badiou affirme que cette violence est une expression pure et dure d’une pulsion de mort, qui atteint son point culminant dans des actes de destruction et d’autodestruction orgiaques, leurs auteurs ne nourrissant pas la moindre vision politique alternative sérieuse. Badiou a raison de souligner qu’il n’existe aucun potentiel émancipatoire dans la violence fondamentaliste, quand bien même celle-ci se proclamerait-elle anticapitaliste: cette violence fondamentaliste, il la considère comme un phénomène strictement intrinsèque à l’univers capitaliste global, son «fantôme caché».
Le fait de base du fascisme fondamentaliste est l’envie: dans sa haine même de l’Occident, le fondamentalisme reste enraciné dans le désir d’Occident. Nous avons ici affaire au renversement classique, décrit par la psychanalyse, du désir frustré en agressivité – l’Islam ne fournissant que la forme permettant de fonder cette haine (auto)destructrice. Ce potentiel destructeur de l’envie est à la base de la distinction bien connue que Rousseau opère entre l’amour de soi (qui est naturel) et l’amour-propre, perversion consistant à se comparer soi-même sans cesse à autrui, et qui conduit celui qui s’y abandonne à se focaliser non pas sur la réalisation d’un objectif mais sur la destruction de tout obstacle à cet objectif:
Les passions primitives, qui toutes tendent directement à notre bonheur, ne nous occupent que des objets qui s’y rapportent, et, n’ayant que l’amour de soi pour principe, sont toutes aimantes et douces par leur essence ; mais quand,détournées de leur objet par des obstacles, elles s’occupent plus de l’obstacle pour l’écarter que de l’objet pour l’atteindre, alors elles changent de nature et deviennent irascibles et haineuses ; et voilà comment l’amour de soi, qui est un sentiment bon et absolu, devient amour-propre, c’est-à-dire un sentiment relatif par lequel on se compare, qui demande des préférences, dont la jouissance est purement négative, et qui ne cherche plus à se satisfaire par notre propre bien, mais seulement par le mal d’autrui». (2)
Une personne malveillante n’est donc pas une égotiste, «qui ne se soucie que de ses intérêts propres». Un véritable égotiste est trop occupé par ses intérêts personnels, son bien propre, pour perdre son temps à nuire à autrui. Le vice premier d’une personne malveillante, c’est qu’elle se préoccupe bien plus d’autrui que d’elle-même.
Rousseau décrit un mécanisme libidinal précis: ce retournement qui génère un glissement de l’investissement libidinal, le faisant se porter non plus sur l’objet mais sur l’obstacle lui-même. Un tel mécanisme me semble être celui de la violence fondamentaliste – de l’attentat d’Oklahoma City aux attaques contre les Twin Towers. Dans les deux cas, nous avons affaire à de la haine pure et dure: ce qui importait ici réellement, c’était de détruire l’obstacle – l’immeuble fédéral de Oklahoma City, les tours jumelles de New York –, et non de parvenir au noble objectif d’une société authentiquement chrétienne ou musulmane. (3)
Une telle fascisation peut exercer un certain attrait auprès d’une jeunesse immigrée frustrée qui ne peut trouver sa place au sein des sociétés occidentales, ou ne peut trouver une perspective d’avenir à laquelle s’identifier. La fascisation offre à cette jeunesse une issue facile à son sentiment de frustration: elle lui offre une vie risquée, riche en événements, revêtant le déguisement du dévouement religieux sacrificiel, le tout agrémenté d’une certaine satisfaction matérielle (sexe, voitures, armes, etc.).
Il ne faudrait pas oublier que l’Etat islamique est aussi une grande entreprise maffieuse, qui vend du pétrole, des statues antiques, du coton, des armes et des femmes esclaves, «un mélange, comme l’écrit Badiou, de propositions héroïques mortifères et, en même temps, de corruption occidentale par les produits».
Il va de soi que cette violence fondamentaliste-fasciste n’est que l’une des formes de violence liées au capitalisme global, et qu’il nous faudrait garder à l’esprit non seulement les formes de violence extrémiste à l’œuvre dans les pays occidentaux eux-mêmes (populisme anti-immigrés, etc.) mais surtout la violence systématique du capitalisme lui-même – des conséquences catastrophiques de l’économie globale à la longue histoire des interventions militaires occidentales.
L’islamo-fascisme est un phénomène profondément réactif au sens nietzschéen du terme – une manifestation d’impuissance convertie en rage autodestructrice.
Il me semble toutefois important de ne pas réduire la religion, la forme religieuse du nihilisme fasciste, à un simple trait secondaire superficiel. Le fait que le terrorisme islamiste d’aujourd’hui parte en quête de ses racines dans les textes religieux anciens (la rengaine du «Tout est déjà dans le Coran») est trompeur, c’est certain: nous devrions plutôt focaliser notre attention sur le capitalisme global d’aujourd’hui et concevoir l’islamo-fascisme comme l’un des modes de réaction à l’attrait exercé par ce capitalisme global – réaction prenant, je l’ai dit, la forme d’un renversement de l’envie en haine.
Mais la religion n’est-elle pas toujours une sorte d’habillage ? La religion n’est-elle pas fondamentalement une «forme de subjectivation» d’une très délicate situation ? Et ne faut-il pas en déduire, pour cette raison même, qu’un habillage du type Etat islamique constitue en un certain sens le «cœur même du sujet» ? C’est ce type même d’habillage qui permet aux individus de «vivre» la situation qui est la leur: il n’y a pas moyen pour eux de procéder autrement, de prendre de la distance par rapport à cette situation, distance qui leur permettrait d’envisager les choses «telles qu’elles sont».
Les réfugiés et les migrants ne doivent donc pas être trop vite identifiés à une sorte de prolétariat nomade, d’avant-garde virtuelle de cette gigantesque masse des laissés-pour-compte du capitalisme global. Les migrants (du moins la majeure partie d’entre eux) ne sont-ils pas ceux qui sont les plus fortement possédés par «le désir d’Occident», les plus fortement enferrés dans la servitude de l’idéologie hégémonique ? Ils se montrent complètement désorientés, dévorés par ces attitudes antinomiques que sont l’envie et la haine – une haine qui, en définitive, exprime son propre désir refoulé d’Occident (raison pour laquelle elle se mue en autodestruction).
Une métaphysique humaniste naïve présuppose volontiers qu’existe, sous ce cercle vicieux de désir, d’envie et de haine, un noyau dur humain «plus profond», aidant l’homme à trouver le chemin d’une solidarité globale. Les histoires abondent quant au comportement exemplaire – faisant figure d’exception – des réfugiés syriens: dans les camps de transit, ils nettoient les pièces qu’ils ont occupé avant de les laisser à d’autres ; ils se comportent de façon polie et respectueuse ; nombre d’entre eux sont éduqués et parlent anglais ; ils payent même souvent ce qu’ils consomment… Bref, ils sont comme nous ; ils ressemblent à nos classes moyennes éduquées et civilisées.
(Et ils tentent même d’instaurer des rapports de solidarité avec les Européens ; en Slovénie, les médias ont fait état de conversations entre des immigrés issus de la classe moyenne syrienne et des Slovènes qui leur venaient en aide, les premiers mettant en garde les seconds contre la majorité des autres réfugiés, décrits par eux comme brutaux, primitifs.)
Il est de bon ton d’affirmer que les réfugiés violents ne sont qu’une minorité et que la grande majorité d’entre eux montre un profond respect pour les femmes. Si cela est bien évidemment vrai, il nous faudrait néanmoins jeter un regard plus attentif sur la structure même de ce respect: quel type de femme est «respecté» ici ? Et qu’est-il attendu de cette femme dans ce respect même ? Et si une femme n’était ici «respectée» qu’à la condition (seulement à la condition) de correspondre à l’idéal d’une servante servile accomplissant sans sourciller ses corvées domestiques, de sorte que son époux aurait le droit d’exploser de fureur à la moindre velléité d’autonomie ?
Nos médias opposent généralement les réfugiés appartenant aux classes moyennes «civilisées» et les «barbares» des classes inférieures, qui volent, qui harcèlent les femmes et les violentent, qui défèquent en public, etc. Au lieu de dénigrer tout ce discours en le présentant comme une propagande raciste, nous devrions avoir le courage de discerner un élément de vérité en lui: la brutalité, qui va jusqu’à la cruauté absolue pour les faibles, pour les animaux, les femmes, etc., est un trait caractéristique traditionnel des «classes inférieures» ; l’une de leurs stratégies de résistance face aux détenteurs du pouvoir a toujours consisté à faire un terrifiant étalage de brutalité, destiné à perturber le sens de la décence des classes moyennes. Et il est tentant d’interpréter ainsi ce qui s’est passé à Cologne durant la nuit de la Saint-Sylvestre, il est tentant d’interpréter ces événements comme un obscène carnaval de classes inférieures:
La police allemande enquête sur des récits laissant penser que des vingtaines de jeunes femmes ont été agressées sexuellement dans le centre ville de Cologne au cours des célébrations du nouvel an – des événements qu’un ministre n’a pas hésité à présenter comme une “dimension absolument inédite de criminalité”. Selon la police, les individus soupçonnés d’avoir commis ces agressions sexuelles et de nombreux vols sont d’origine arabe et nord-africaine.
Plus d’une centaine de plaintes ont été déposées auprès de la police, un tiers d’entre elles l’étant pour agression sexuelle. Le centre ville de Cologne s’est transformé ce soir-là en une “zone de non droit”: entre 500 et 1000 hommes décrits comme saouls et agressifs sont suspectés d’avoir commis ces agressions. La question consistant à savoir s’ils ont agi en un seul groupe ou en gangs séparés reste à élucider.
Les femmes agressées ont raconté avoir été cernées, plus qu’étroitement, par des groupes d’hommes qui les ont harcelé avant de les agresser. Certains individus ont jeté dans la foule des feux d’artifice, ajoutant ce faisant au chaos régnant. L’une des victimes a été violée. Une policière fait partie des femmes agressées sexuellement ce soir-là.» (4)
De façon assez prévisible, l’événement gagne en ampleur au fil des jours: ce sont désormais plus de 500 femmes qui ont porté plainte, des incidents similaires ayant été constatés dans d’autres villes allemandes (ainsi qu’en Suède) cette même nuit-là ; certains éléments laissent penser que ces agressions étaient préméditées et coordonnées ; par ailleurs, des «défenseurs de l’Occident civilisé», barbares d’extrême-droite anti-immigrés, contre-attaquent en agressant des immigrés, de sorte que la spirale de la violence menace de se déchaîner… Et, de façon là encore prévisible, la gauche libérale politiquement correcte a mobilisé ses troupes pour minimiser l’événement, de la même façon qu’elle l’avait fait dans le cas de Rotherham il y a un an. (5)
Mais il y a plus, bien plus. C’est qu’il nous faudrait intégrer le carnaval de Cologne à cette longue histoire qui débute sans doute dans le Paris des années 1730 et dont le dit «grand massacre des chats» décrit par Robert Darnton – au cours duquel des ouvriers d’imprimerie torturèrent et tuèrent rituellement tous les chats sur lesquels ils purent mettre la main, y compris l’animal chéri de la femme de leur maître – constitue un jalon essentiel. (6)
Ces apprentis-là étaient moins bien traités que des animaux, moins bien traités que les chats tant adorés par l’épouse de leur maître. Une nuit, les gars décidèrent de réparer cette injustice: ivres de joie, de chaos, hilares, ils déversèrent des sacs entiers de chats à demi-morts dans la cour de l’imprimerie avant de les pendre à un gibet improvisé.
Pourquoi ce massacre était-il si amusant ? Durant le carnaval, les gens de peu suspendaient les règles normales régissant le comportement de chacun ; ils renversaient l’ordre social, cérémonieusement pour ainsi dire: ils le retournaient cul par dessus tête au cours de processions séditieuses. Le carnaval était cette parenthèse laissant libre cours à l’hilarité, à la sexualité, à l’émeute – et la foule incorporait souvent la thématique de la torture des chats dans ses chants et morceaux de musique. Tout en moquant un cocu, ou quelque autre victime, les séditieux faisaient un sort à un chat, ils lui arrachaient sa fourrure pour le faire hurler. Faire le chat, appelait-on cela en France. Les Allemands, eux, parlent de Katzenmusik – un terme dont l’origine remonte très probablement à ces pratiques, à ces hurlements de chats torturés.
La torture des animaux, et particulièrement des chats, fut un divertissement populaire tout au long des débuts de la modernité européenne. C’est que les chats étaient associés à l’aspect le plus intime de la vie domestique: le sexe.Le chat, la chatte, le minet sont des termes de l’argot français qui signifient ce que signifie pussy en anglais, et ils ont été utilisés des siècles durant dans un registre obscène.
Et si nous envisagions les événements de Cologne comme une version contemporaine du faire le chat ? Comme une rébellion carnavalesque des laissés-pour-compte ? Je ne crois pas qu’il s’agissait simplement pour ces hommes jeunes et affamés de sexe de satisfaire de toute urgence leurs pulsions: cela, ils auraient pu le faire de façon plus discrète, dissimulée. Le plus important pour eux, me semble-t-il, était de donner un spectacle public destiné à installer dans les esprits des sentiments de peur et d’humiliation: les pussies, les chattes des Allemandes des classes privilégiées devaient faire l’expérience d’une douloureuse vulnérabilité. Il ne faut naturellement pas chercher dans un tel carnaval le moindre élément synonyme de rédemption, d’émancipation ou de libération effective – mais c’est bien ainsi que se déroulent les carnavals.
Voilà pourquoi les tentatives naïves visant à «éclairer» les immigrants (visant à leur expliquer que nos mœurs sexuelles sont différentes, qu’une femme marchant tout sourire dans la rue en mini-jupe n’invite pas ce faisant à un rapport sexuel, etc.) sont d’une impressionnante bêtise. Ils savent très bien tout cela, et c’est précisément pourquoi ils agissent ainsi. Ils savent parfaitement que ce qu’ils font est radicalement étranger à notre culture, et ils le font dans le but précis de blesser nos sensibilités. Voilà pourquoi nous devons contribuer à ce que change cette posture faite d’envie et d’agressivité vengeresse, et non pas leur enseigner ce qu’ils savent déjà parfaitement.
Slavoj Žižek
Traduit de l’anglais par Frédéric Joly
1. Voir Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin, Paris, Fayard, 2016.
2. Rousseau juge de Jean-Jacques, 1er dialogue, texte établi et annoté par R. Osmont, OC, t. I, 1959, p. 669.
3. Voir Jean-Pierre Dupuy, Petite métaphysique des tsunamis, Paris, Le Seuil, 2005, p. 68.
4. Une citation d’un article du Guardian en date du 5 janvier 2016.
5. Entre 1997 et 2013, environ 1400 adolescentes ont été abusées sexuellement à Rotherham, une ville industrielle du nord de l’Angleterre – et par des hommes pour beaucoup originaires du Pakistan. Le scandale, longtemps étouffé par les autorités, qui craignaient de passer pour racistes en le dévoilant, n’a véritablement éclaté qu’en 2014 (N.d.T.).
6. Voir Robert Darnton, Le grand massacre des chats. Attitudes et croyances dans l’ancienne France, trad. de l’anglais (Etats-Unis) de M.-A. Revellat, Paris, Les belles lettres, «le Goût des idées», 2011 (N.d.T.).
slate.fr
Le multiculturalisme, faux coupable de l'affaire de Cologne
Nicolas Lebourg
20.01.2016 - 4 h 18
mis à jour le 20.01.2016 à 4 h 18
http://www.slate.fr/story/112957/multiculturalisme-faux-coupable-cologne
Des Syriens manifestent le 16 janvier 2016 devant la gare de Cologne avec les slogans «Nous respectons les valeurs de la société allemande» et «Nous sommes Cologne». REUTERS/Wolfgang Rattay.
Le chaos de la nuit du 31 décembre n'est pas la résultante de la société multiculturelle allemande ou française, mais de la déficience de l’État allemand.
Les faits qui se sont déroulés la nuit du 31 décembre 2015 à Cologne n'ont pas encore trouvé leur vérité judiciaire, encore moins leur sens dans l'espace public. Il y a assaut d'interprétations, avec leur cohorte de billevesées.
Sous diverses formes, l'angle généralement choisi est celui de la remise en question de la société multiculturelle, puis de la politique migratoire et enfin celui de la qualification d'actes de masse. Quoique l'on soit fort respectueux par principe des avis de nos contemporains, ce ciblage est moins adapté aux faits qu'à leur représentation depuis Paris. Surtout, ces représentations oblitèrent les vrais enjeux démocratiques que désignent les faits. Nous sommes dans le jeu de Magritte, lorsqu'il écrit sur un tableau représentant une pipe «Ceci n'est pas une pipe»: nous confondons Cologne en tant que phénomène et sa représentation.
Qualifier la violence sexuelle
Les violences sexuelles de Cologne seraient des actes de guerre, interprètent certains: ainsi, pour le magazine Causeur, l'absence de réactivité des autorités allemandes serait la faute de l'antiracisme qui eût fait que «depuis les invasions barbares jusqu’aux soldats de l’Armée rouge, les Allemands avaient un peu perdu l’habitude que des mâles allogènes en bandes organisées se jettent sur des femmes seules indigènes». Le raisonnement est plus explicite dans Boulevard Voltaire, où la présidente des Antigones (association d'extrême droite qui se veut féministe anti-Femen) qualifie les faits de «guerre des ventres» que le féminisme de gauche se refuserait à voir.
Plus subtilement, mais avec la même volonté d'opposer féminisme et immigration, Marine Le Pen, dans une tribune publiée par L'Opinion, lie le «crime contre la sûreté des peuples» que serait l'accueil migratoire et le fait qu'à Cologne des réfugiés «agissent comme des criminels (viol et tentative de viol sont des crimes, ne l’oublions pas)». Enfin, le parallèle belliciste va jusqu'à l'autre bord politique, Clémentine Autain, du Front de gauche, ayant tweeté «Entre avril et septembre 1945, deux millions d'Allemandes violées par des soldats. La faute à l'Islam?», pour exposer en un raccourci obscur qu'il ne fallait pas amalgamer la question de l'islam et celle de la violence sexuelle de masse.
Essayons de mettre un peu d'ordre. Tout d'abord, il faut noter que le droit allemand n'est pas le français: il est nettement moins coercitif, comme l'explique cet article. Le drame de Cologne a enfin permis de faire avancer la proposition des Verts allemands faisant valoir qu'une relation sexuelle non désirée mais qui n'a pas été obtenue par la force, la violence ou sous la menace constitue un viol, ou que le fait pour quelqu'un de mettre sa main par surprise sous la jupe d'une femme constitue un délit d'agression sexuelle.
Dans notre droit national, la prise en compte sérieuse de la violence sexuelle est plus avancée, mais relativement récente. La Cour de cassation a déclaré que le refus d’une relation sexuelle engendrait la qualification de viol par un arrêt du 10 juillet 1973; cependant, le droit relatif au viol n’a été réellement repensé qu’à compter du procès devant la Cour d’Aix-en-Provence du viol collectif d’un couple de lesbiennes en 1978, aboutissant à une transformation de l’appareil législatif répressif, qui a redéfini le viol et l’a extrait de la catégorie des délits.
Au niveau du viol comme arme de guerre, la représentation faite de Cologne correspond à un cas récent. La convention de La Haye (1907) et celle de Genève (1949) n’abordent pas explicitement la question. En 1946, le Tribunal de Nuremberg ne l’a pas retenue, tandis que celui de Tokyo l’a fait à l’encontre de deux officiers mais non pour la question globale des «femmes de réconfort» –terme officiel de l’armée japonaise pour les environ 300.000 esclaves sexuelles utilisées de 1937 à 1945. L'avancée juridique a été obtenue suite à l'usage du viol durant le conflit en ex-Yougoslavie, le crime y étant réalisé dans le cadre d’une terreur poussant les populations civiles en avant et permettant l’épuration ethnique. Cette étatisation rationaliste du sadisme provoqua un vif émoi et la prise en compte de ces stratégies de viol dans la redéfinition juridique du crime contre l'humanité (avec un achèvement du processus juridique en 2008).
Reconfigurations de l'extrême
Autrement dit, si l'essentiel des faits survenus à Cologne ne relèvent pas d'un délit dans le droit allemand actuel, leur représentation en tant que viols de masse planifiés montre une assimilation par la société française de la gravité des violences sexuelles et de leur pénalisation. Le discours anti-immigrés qui sous-tend une part des réactions témoigne également d'une intégration de ce rejet aux valeurs libérales. En effet, Marine Le Pen ne choisit pas par hasard d'offrir sa tribune à L'Opinion, et ne s'y proclame pas pour rien féministe. L'Opinion est un journal politiquement modéré mais acquis au libéralisme économique. Marine Le Pen continue donc son recadrement au sein des droites, ayant compris que son interventionnisme économique freinait sa progression dans cet électorat.
Elle va en ce milieu pour lier la cause des femmes, la défense de leurs droits à disposer de leurs libertés et la question migratoire. Il s'agit là très exactement de la stratégie néopopuliste initiée par l'ultralibéral Geert Wilders aux Pays-Bas il y a une quinzaine d'années: inscrire l'extrême droite au sein des valeurs libérales des sociétés européennes et assurer défendre les acquis des libertés face à une société multiculturelle qui se limiterait à l'importation d'un islam et de populations d'origine extra-européenne qui représenteraient le totalitarisme et la barbarie. Marine Le Pen ne fait pas que condamner les violences de Cologne: elle définit une stratégie apte à mieux l'insérer dans le marché électoral des droites en prenant acte de la nécessité de lier demande autoritaire altérophobe et valeurs libérales.
La démarche est d'autant plus efficace que l'imaginaire droitisé sait habilement retourner le legs de la guerre en ex-Yougoslavie. En 2000, l'écrivain d'extrême droite Guillaume Faye avait connu le succès avec un ouvrage intitulé La Colonisation de l'Europe où il assurait que les affaires de «tournantes» (c'est-à-dire de viols collectifs) en France n'étaient pas des crimes isolés les uns des autres mais les éléments d’une«guerre civile ethnique dans un but de conquête territoriale intérieure […] d’épuration ethnique des Européens de zones entières». C'est bien cette représentation qui est à l’œuvre –même si, au vu des faits, on a quelque mal à imaginer Daech ordonner à des hommes de se saouler massivement... une coordination des faits devrait plutôt faire songer à un protagoniste plus laïque. Cologne vient justifier les représentations préétablies, le site Résistance républicaine, lié à Riposte laïque, arguant ainsi le 4 septembre dernier que «l’extermination du peuple français est en marche: un immense viol collectif des Françaises va avoir lieu afin de casser le moral des Français».
Dénonciations de la société multiculturelle
Cette représentation racisée n'a pas le monopole des articulations faites entre présence de populations d'origine arabo-musulmanes et violences de Cologne. Élisabeth Lévy nous expose que Cologne, ce sont des «tournantes ethniques à ciel ouvert» face auxquelles «les hommes d’Occident» doivent se lever. Certes, elle n'amalgame pas l'ensemble des musulmans et la violence sexuelle, et son propos représente sans doute plutôt bien ce que pensent de larges secteurs de l'opinion:
«Ce qui s'est passé à Cologne, c'est au sens propre un choc des cultures, un choc entre deux systèmes anthropologiques. La liberté des femmes est au cœur de la culture démocratique contemporaine, et peut-être plus encore au cœur de la culture française. Bien sûr, il faut vraiment se garder des amalgames. Le terrorisme et les agressions sexuelles, ce n'est pas la même chose. Et bien entendu, de même que tous les musulmans ne sont pas islamistes et que tous les islamistes ne sont pas terroristes, tous les migrants ne sont pas violeurs. Cela dit, les événements de Cologne, comme les attentats, traduisent une situation d'affrontement, d'antagonisme entre certains traits culturels arabo-musulmans et les valeurs libérales de l'Occident.»
Autrement dit, le réalisme nous sommerait de comprendre que la responsabilité de Cologne revient à la société multiculturelle. C'est le propos de Laurent Bouvet dans ces colonnes, appelant la gauche à admettre«la fin des illusions du multiculturalisme» car «la défense de la cause des femmes (de leur émancipation, de leur liberté, et de leur égalité avec les hommes) est strictement incompatible avec certaines habitudes, conceptions ou représentations culturelles et religieuses, du moins sans un effort conséquent d’éducation et d’exigence».
Articuler État et société
L'ensemble de ces représentations se caractérise par le fait de déterminer le politique par la société. Or, le chaos de Cologne n'est pas la résultante de la société multiculturelle française, mais de la déficience de l’État allemand. Ce qui est producteur du désordre, c'est le fait que sur une place et une gare, des centaines d'individus aient pu, une nuit durant, commettre des centaines d'agressions, alors que les lieux eussent dû être investis par les forces de l'ordre qui auraient dû réaliser la répression nécessaire. La faute allemande n'est pas celle de l'extension des fonctions de son État social qu'a représenté son ouverture aux réfugiés, mais donc celle de la contraction de son État pénal, avec des forces de police absentes de la rue de Cologne et une loi a minima sur les violences sexuelles.
Or, nous connaissons parfaitement cette erreur en France. Depuis trente ans, nos alternances politiques consistent en des transactions entre État social (plus pour la gauche, moins pour la droite) et État pénal (plus pour la droite, moins pour la gauche). Le bilan de cette pratique n'est pas la preuve qu'elle soit la solution. L'enjeu est donc d'élaborer de nouvelles pistes.
Le néopopulisme s'est présenté comme une solution à l'Ouest, mais il n'a pas su dégager une proposition étatique. A l'Est, un modèle est en train d'émerger, en tentant l'hybridation de l'autoritarisme et de la démocratie parlementaire (voir ce qu'écrit très justement Frédéric Zalewski à ce propos à partir du cas polonais). Le bénéfice du dispositif va nettement plus dans le sens pénal que social, faisant figure de nouveau stade dans cette droitisation qui frappe les démocraties depuis quarante ans et qui voit l’État social et l'humanisme égalitaire régresser au bénéfice du marché et de l’État pénal. Les succès électoraux de Marine Le Pen laissent à penser qu'une telle voie puisse séduire de nombreux Français –et cela souligne l'intérêt pour elle de son recentrage économique et sociétal dans le sens du néopopulisme: c'est bien en ce sens qu'il faut comprendre le féminisme de sa tribune à L'Opinion.
Si on ne souhaite pas faire litière de l'humanisme égalitaire, et donc également du caractère multiethnique et pluriculturel acquis par les sociétés européennes, si on n'a pas confiance dans les dispositifs autoritaires, l'extension du domaine de l’État doit dès lors aller de pair avec celui de la société. L'extension conjointe de l'État pénal et de l'État social réclamerait une société où le politique ne se limite pas à la délégation du pouvoir mais participe de son exercice. Ainsi, Cologne ne nous dit pas que notre société multiculturelle est à effacer et changer, mais que notre articulation entre ce que nous voulons de l’État et ce que nous voulons être comme société est inadéquate. Cologne n'est pas un révélateur culturel mais politique, c'est-à-dire non pas de la défense de «nos modes de vie», comme on nous le dit, mais de notre organisation sociale et juridique.
Nicolas Lebourg
Nouvelobs -
J'ai monté un spectacle avec des migrants syriens : je voulais créer un espace de paix
Publié le 23-01-2016 à 11h50 - Modifié à 18h05
Par Aurélie Ruby
Comédienne, metteuse en scène
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1472345-j-ai-monte-un-spectacle-avec-des-migrants-syriens-je-voulais-creer-un-espace-de-paix.html#xtor=EPR-2
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