Marie LaFlamme Tome 2



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diablement incommodée par les marin- gouins quand elle allait cueillir des herbes en forêt ou au bord de l’eau. Elle avait beau se protéger les bras, le cou, porter des bas et une coiffe serrée malgré la cha­leur, les maudits insectes parvenaient à leurs fins. Un soir, elle avait oublié de cou­vrir d’un voile le ber de Noémie et avait été effarée de voir que les maringouins s’atta­quaient même aux petits enfants. Déclarant la guerre aux insectes, elle avait déjà inter­rogé Mani sur la façon dont les Indiens se protégeaient contre eux. Les réponses de la Huronne ne l’avaient satisfaite qu’à demi ; elle cherchait toujours. Elle lui avait aussi parlé de son envie de faire une potion qui guérirait les gros buveurs. Oui, Marie LaFlamme était dépareillée; Guillaume Laviolette ne s’ennuyait jamais en sa compagnie.

  • Je serai ravi d’aller chez vous, mon­sieur Picot.

  • On ne fêtera pas à la basse-ville mais sur le bord de la rivière. Emeline tient à tout préparer là-bas ; c’est aussi la fête aux Blanchard. Leur première année chez moi.

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Marie assura Germain Picot qu’Emeline et René Blanchard lui étaient reconnais­sants de les avoir si bien accueillis.

  • J’irai vous chercher pour vous accom­pagner chez les Blanchard.

Marie refusa.

  • Je partirai très tôt le matin ; Noémie sera si heureuse de retrouver Jean-Jean ! Et sa nourrice !

  • Comme vous voulez...

Il regarda la chevelure de Marie ; au soleil de midi, elle brillait, brûlante comme le fer d’une hache. Mais à l’aube, elle devait glisser entre les mains, encore fraîche de la nuit.

Guillaume observait Germain Picot du coin de l’oeil; il ne l’aimait pas. Il ne l’avait jamais aimé. Il ne trouvait aucune raison à cette antipathie et en était un peu gêné : tous les habitants de Québec semblaient apprécier Picot et louaient sa générosité envers les Blanchard. N’eût été Marie, il ne serait pas allé chez lui. Picot sentit qu’on l’observait; il sourit si soudainement à Guillaume que ce dernier fut persuadé qu’il lui cachait quelque chose.

Mais quoi ?

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Et s’il passait par-dessus son malaise pour essayer d’en savoir plus? Il invita Picot à, chopiner avec lui chez Boisdon. Il voulait savoir pourquoi Picot regardait Marie avec tant d’intensité. Ils se séparèrent de cette dernière rue Saint-Louis, alors qu’elle allait retrouver M. du Puissac. Guillaume aurait aimé se joindre à elle car il goûtait l’esprit du chevalier, mais sachant Marie en sûreté, il se dirigea vers le cabaret. Germain Picot regarda Marie pousser la porte de la maison du che­valier et ne put retenir un long soupir.

  • Je sais que le chevalier est un hon­nête homme. Mais Marie fait jaser car elle le voit souvent sous son toit. Sans jamais être accompagnée.

  • Rose y va parfois, m’a dit Marie.

  • Marie devrait pourtant comprendre quelle ne doit pas visiter ainsi ces hommes !

  • Elle va bien soigner des colons chez eux.

  • Ce n’est pas la même chose.

Guillaume Laviolette se demandait en

quoi l’attitude de Marie troublait Germain Picot quand celui-ci lui dit que Marie devrait se marier.


  • Marie ?

  • Elle vit ici depuis un an et n’a tou­jours pas de galant. Les femmes qui vien­nent à Québec s y marient toutes, sauf les religieuses. Marie a bien parlé de vous...

Avec un sourire contraint, Guillaume assura Picot que Marie plaisantait.

  • Nous nous sommes vus peut-être cinq ou six fois !

  • Elle ne vous plaît pas ?

Guillaume haussa les épaules et pressa le

pas, embarrassé par les questions de Germain Picot. C’était pourtant lui qui devait l’inter­roger. A la brasserie, il commanda du cidre d’un ton enjoué. Avec le même air de gaieté, il demanda à Picot s’il envisageait de faire sa cour à Marie LaFlamme.

Picot rougit et protesta mollement : Marie était trop jeune. Mais il est vrai qu’il était très attaché à sa petite Noémie et qu’il admi­rait Marie de si bien soigner les gens. Il avait pensé à lui offrir de recevoir ses malades dans sa maison de la basse-ville. Hélas, elle ne pou­vait pas venir ainsi habiter chez lui, ce n’était pas décent. Où irait-elle cependant quand Mlle Mance retournerait à Ville-Marie ?

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  • C est pour bientôt, paraît-il. Je m’in­quiète pour Marie mais je n’ose pas lui parler. Lui dire que je pourrais l’aider...

Guillaume n’en croyait pas ses oreilles ; Picot le priait à demi-mot d’intercéder pour lui auprès de Marie. Le coureur de bois était partagé entre le rire et la colère ; Picot était ridicule de croire que le fait de pos­séder une maison dans la basse-ville soit suffisant pour amener la jeune femme à l’épouser. S’était-il vu pour songer un ins­tant qu’elle s’accommoderait d’un vieillard ? Elle avait déjà subi Saint-Arnaud ; si elle se remariait un jour, ce serait avec un homme qui lui plaisait. Mais il lui faudrait d’abord apprendre la mort de l’armateur...

  • * *

Julien du Puissac tendit une coupe de fraises à Marie ; elles étaient bien rouges, bien juteuses, sucrées et plus fermes qu’en France. Marie en cueillait souvent en allant choisir ses plantes. Dans les bois, elle se gavait des plus petites, de la grosseur d’un pois ; leur parfum subtil l’enchantait. Toutefois, elle n’aurait pas eu la patience,

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comme Émeline, d’en cueillir de pleins paniers pour faire des confitures.

  • Vous savez que Jeanne Mance quit­tera Québec sous peu, dit Julien du Puissac. Que comptez-vous faire ?

Marie oublia de goûter la fraise quelle était en train de manger ; elle ne savait pas où aller, ni ce qu elle ferait. Elle voulait soi­gner les malades, mais il fallait bien quelle habite quelque part. Le chevalier voulait-il la réinviter à s’installer chez lui ?

  • Je retourne en France à la fin de l’été, Marie. Si Chahinian vous a protégée, je me dois de le faire aussi. Vous devriez vous marier.

Marie faillit cracher sa fraise; elle, épouser le chevalier ? Julien du Puissac s’es­claffa : il ne s’agissait pas de lui mais d’un homme qui l’aimait bien et ferait un bon époux.

  • Mais je ne veux épouser personne.

  • Pas même M. Laviolette?

Marie prit une autre fraise pour se donner une contenance. Elle n’avait pas envie de se marier, ayant perdu Simon à peine un mois plus tôt ; en dépit de ses

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efforts pour être plus joyeuse, elle était lasse de s’inquiéter de son avenir. Le soir, les mêmes questions l’empêchaient de s’en­dormir rapidement malgré une journée bien remplie : où vivrait-elle le mois pro­chain? Pourrait-elle garder Noémie chez de nouveaux maîtres ? La laisserait-on exercer son métier de guérisseuse ? L’agréerait-on un jour comme sage-femme ?

Rose lui avait confié qu’Alphonse Rousseau avait demandé sa main ; elle avait accepté. Elle n’avait plus de motif de retourner en France maintenant qu’un homme lui rendait sa dignité et s’offrait de la protéger. Elle avait conseillé à Marie de l’imiter.

Marie ne pouvait pas lui dire qu’elle était mariée à Geoffroy de Saint-Arnaud. Ni à elle ni au chevalier. Seul Guillaume savait cette partie de son histoire ; il rirait bien quand il apprendrait qu’on songeait à les marier.

  • Guillaume Laviolette n’est pas assez souvent à Québec, fit du Puissac. Cela déplaît au Gouverneur; il revient de la course chargé comme un mulet et son exemple décourage les colons. Ils pourraient avoir envie d’arrêter

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de défricher et de construire pour partir à l’aventure. Vous, vous êtes toujours ici, mais vous ne sauriez être matrone sans être mariée. Mgr de Laval n’aime pas trop votre liberté de mouvements.

  • Mais je ne peux pas me marier! répéta Marie.

  • Guillaume ne vous retiendrait pas de force chez vous. Il vous permettrait d’aller et venir comme bon vous semble; peu d’hommes comprendraient aussi bien que lui votre besoin d’indépendance. Et peu de femmes accepteraient de vivre seules la moitié de l’année. Soyez un peu sensée, pour une fois, et réfléchissez à cette idée. L’évêque unira deux couples en juillet, dont Rose et Alphonse. Vous devriez vous marier en même temps qu’eux.

  • C’est dans deux semaines !

  • C’est le temps qu’on laissera bientôt aux célibataires pour trouver un mari après leur arrivée en Nouvelle-France. Vous êtes ici pour fonder une colonie, ne l’oubliez pas.

  • Il n’y avait qu’une femme sur le Noir- d,Hollande\ Ce n’est tout de même pas de ma faute !

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  • Mais c est de votre faute si vous êtes à Québec ; c est vous qui vous êtes embarquée clandestinement sur l'Alouette. Vous devez accepter les règles de la colonie.

  • Vous-même n’êtes pas remarié !

Le chevalier faillit rétorquer qu’il laissait la chance à d’autres ; il y avait déjà si peu de femmes... Mais il se ravisa.

  • C’est pourquoi je dois repartir pour la France. On m’a fait comprendre qu’après l’affaire de Boissy et d’Alleret, un gentil­homme oisif comme moi gênait. Je n’ai manifesté aucune intention de fonder une famille, ni d’acheter de la terre ou de faire du commerce. Je doterai pourtant Alphonse d’un bon terrain, mais il est vrai que je n’ai jamais eu l’idée de vivre ici définitivement. On n’aime pas mes propos, ni vos visites chez moi. Jeanne Mance vous a défendue au souper de la Saint-Jean mais c’est une amie de M. de Maisonneuve que Saffray de Mézy déteste... Vous n’avez guère d’appuis en ce pays.

  • Et tous ceux que j’ai soignés ?

  • Ils n’auront pas envie d’être excom­muniés pour avoir fait appel à vos services.

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Vous êtes si douée qu’on s’interroge sur vos talents.

Marie devina qu’il allait parler d’enchan­tement, de magie, de sorcellerie.

  • C’est que vous ne faites rien comme tout le monde, Marie. Si vous vous mariez, tout rentrera dans l’ordre. Sinon, vous serez bientôt mise au ban de la société. Le fait de vivre sous le même toit que Boissy n’a pas arrangé vos affaires.

Marie quitta le chevalier avec un senti­ment de totale confusion ; elle ne savait pas comment réagir à ses propos car elle igno­rait elle-même ce qu’elle éprouvait depuis la mort de Simon. Elle avait toujours cru qu’elle le retrouverait et qu’ils vivraient ensemble. Maintenant que son rêve s’était évanoui, elle ne savait pas si elle désirait retourner en France ? Pourquoi ? Pour qui ? Elle n’avait plus de famille. Alors? Elle devait rester en Nouvelle-France où l’on avait besoin d’elle, où l’on admirait ses talents. Mais où elle ne serait plus en sûreté si on pensait qu’elle les tenait du Diable.

Epouser Guillaume ? Etre bigame ? Si on l’apprenait?

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Elle décida d’en parler au coureur aus­sitôt quelle le verrait. Elle lui répéterait les propos du chevalier, mais elle ajoute­rait quelle ne voulait pas se marier. Qu'il n’aille pas s’imaginer qu’elle se jetait à ses pieds ! Elle berça longuement Noémie après avoir préparé le souper de Mlle Mance qui lui parla de Ville-Marie.

C’était devenu un rituel; chaque soir, après la prière, Marie réclamait une autre histoire. Jeanne Mance s’exécutait avec plaisir, l’entretenant de la Compagnie du Saint-Sacrement, de M. de La Dauversière, de M. Olier, de Marguerite Bourgeoys. Et ce cher Chomedey de Maisonneuve qui n’avait pas reçu le moindre encouragement des autorités de Québec, le Gouverneur d’alors, M. de Montmagny, n’ayant montré qu’hos­tilité envers l’entreprise des Montréalistes. Jeanne Mance parlait aussi de son Hôtel- Dieu, des sanglantes embuscades des Iroquois, de la générosité de Mme de Bullion, de sa récente mission concernant la substitution à la Société Notre-Dame de Montréal de la Compagnie des prê­tres de Saint-Sulpice, à qui appartiendrait

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désormais l’île de Montréal. Jeanne Mance se pliait ensuite à un autre rituel ; Marie lui enveloppait le poignet dans des feuilles de rhubarbe où elle avait écrasé de l’herbe- aux-chats. Elle espérait ainsi que le membre retrouverait une certaine force musculaire. C’est tout ce qu elle pouvait faire pour sou­lager Mlle Mance de cette fracture dont elle s’était mal remise. Jeanne Mance soutenait que ce traitement valait mieux que celui du bailleul champenois qui avait pourtant une main sûre pour renouer les membres.

  • Et si je suivais Mlle Mance quand elle repartira? demanda Marie à Guillaume quand elle le vit sur la place publique, le surlendemain.

Elle espérait avoir l’air naturel en lui rappor­tant les paroles du chevalier, mais la situation était des plus embarrassantes et Guillaume fixait obstinément le Saint-Laurent.

  • Ville-Marie? Il est périlleux d’y vivre...

  • Mais je ne peux retourner en France sans craindre Geoffroy de Saint-Arnaud.

  • Tu pourrais habiter Paris ; cette ville est immense. Il ne t’y retrouverait pas.

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  • Et j’y vivrais comment ? Ici, on me res­pecte pour mes dons. Guillaume Laviolette dit à Marie que Germain Picot voulait bien l’épouser.

Elle écarquilla les yeux, puis éclata d’un rire qui la libérait de sa gêne.

  • C’est parfait : un monstre à Nantes et un vieillard à Québec. Vive le mariage !

  • Mais que feras-tu ?

Marie avoua qu elle devenait folle à force de se poser cette question.

  • Tu trouverais aisément un autre homme que Picot ; chaque colon serait flatté de t’épouser.

  • Mais je n’ai pas plus envie de défricher la terre que toi ! Renoncerais-tu à ta liberté ?

  • Elle me coûtera de plus en plus cher... J’ai entendu dire que les célibataires seraient lourdement taxés. On veut nous interdire la course !

  • Quels idiots ! Si vous n’existiez pas pour parler aux Indiens, les missionnaires auraient bien plus de travail à faire pour par­venir jusqu’à eux. Vous avez moins envie de changer les Indiens que de les comprendre.




Comment faire de bons marchés sans con­naître celui avec qui on traite? Ce qu’il désire, ce qu'il est prêt à donner?

Guillaume eut un sifflement admiratif.

  • Je vois que tu ne penses pas qu’au mariage...

Marie dit quelle avait parlé d’épou­sailles parce que tout le monde lui cassait les oreilles avec cela depuis des jours, mais elle ne voulait pas se marier.

  • Même pas avec moi? murmura Guillaume.

Marie le dévisagea. Il lui souriait mais son regard était grave ; la jeune femme com­prit qu’il était sérieux, pour une fois. Elle pensa à Simon. Puis à Noémie. A elle. A Anne LaFlamme.

  • Je suis toujours mariée avec Geoffroy de Saint-Arnaud. Et toi... avec cette Iroquoise.

Guillaume Laviolette expliqua à Marie que personne ne savait quelle avait été obligée d’épouser Saint-Arnaud. Elle ne serait pas la première bigame. Combien avaient oublié
une épouse en France? C’était dans leur intérêt à tous deux de se marier. Ils conserveraient ainsi cette liberté qui leur était si chère.

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  • Sinon, tôt ou tard, nous serons obligés de nous unir à quelqu’un qui nous ennuiera. Je t’avoue que ce n’est jamais le cas avec toi. Nous sommes de bons amis, pourquoi ne pas nous rendre mutuellement service ?

  • Mais je ne t’aime pas ! s’écria Marie.

  • Me détestes-tu ?

  • Non.

  • Alors, ça ira. Je ne serai pas là assez longtemps ni assez souvent pour que ma présence te pèse. Je partirai avant la fin de l’été et ne reviendrai qu’au printemps. Qu’en penses-tu?

Marie réussit à dire à Guillaume qu’elle lui donnerait une réponse à l’anniversaire de Noémie, puis fit signe à Rose et Alphonse de s’approcher : d’où venait ÏAigle-blanc- de-Flessingue
qui avait attiré tant de monde au port depuis midi ? Sachant maintenant que les navires provenaient de La Rochelle, de Dieppe, de Saint-Malo et très rarement de Nantes, Marie s’inquiétait moins d’être reconnue par un compatriote et jouis­sait du spectacle émouvant et drôle du débarquement.

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  • Il vient de Dieppe avec le capitaine Legagneur, envoyé par les marchands de Rouen.

  • Les passagers n’ont pas l’air d’avoir trop souffert du trajet de mer, remarqua Marie.

  • J’espère qu’on nous a envoyé les mar­chandises demandées, fit Alphonse Rousseau. Et le Conseil n’a pas à s’en faire, les barriques ne traîneront pas deux jours sur le quai ! Il y en aura bien une pour la noce...

Rose sourit à Alphonse, rayonnante. Elle était presque jolie, malgré sa tache de vin, tant ses yeux noirs brillaient de fierté. Elle portait trop souvent la jupe de drap et la coiffe de dentelle réservée aux grands jours, mais elle était si heureuse de plaire à un homme ! Denis Malescot avait été gentil avec elle, jusqu’à son agression, mais ils n’avaient jamais ri ensemble. Et elle ne lui aurait jamais conté son passé. Une Patte, lui, savait tout de la Cour des Miracles. A cause de sa tache de vin, on ne l’avait pas mutilée quand elle était enfant, mais elle avait dû se prostituer si vite ! Il lui avait même dit que sa fausse couche prouvait

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