404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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Conclusion

Avant de commencer cet article, nous avions réservé quelques lignes pour nous adresser à l'enseignant de langue étrangère et lui donner notre avis sur l'attitude éclairée qu'il pourrait avoir à propos de la norme linguis­

tique. Nous pensions pouvoir arriver à la conclusion que l'enseignant, jouissant d'une grande liberté dans sa salle de classe, doit en profiter pour discuter de la question de la norme avec ses élèves et pour enseigner les différentes variétés d'usage linguistique en tenant compte des variations de situations de communication. Nous espérions expliquer que du point de vue linguistique, il n'existe pas de norme unique, mais plusieurs registres appro­priés selon des variables sociales dont quelques-unes sont déjà connues.



Nous pensons que beaucoup d'enseignants, surtout ceux qui enseignent leur langue maternelle, connaissent déjà, ne serait-ce qu'intuitivement, ce qui convient ou ce qui ne convient pas à telle ou telle situation de commu­nication et peuvent déjà utiliser leur instinct de locuteur « natif » dans leurs salles de classe pour enseigner ou illustrer les variations linguistiques. Toute­fois, ces rapports entre variations linguistiques et variations de situations et de fonctions langagières sont encore mal définis par la science linguistique et il nous est impossible de donner aux enseignants un avis plus précis que celui que nous allons formuler.

De plus, la notion de norme à laquelle nous sommes parvenus ne nous autorise plus à confondre usage linguistique particulier et norme dominée par l'attitude sociolinguistique de toute une communauté. Il est bien entendu que l'usage particulier d'un registre linguistique est toujours le résultat d'un accord implicite entre ceux qui communiquent et correspond, à son niveau, à une certaine attitude à propos de ce qui convient ou ne convient pas à une situation ou à une fonction langagière particulière. Et cela justifie les linguistes de parler de norme pour décrire ce phénomène. Néanmoins, comme le phénomène que nous avons décrit ici se situe à un niveau beaucoup plus général et beaucoup plus large, nous arrivons à la conclusion que l'enseignant ne représente dans la chaîne des personnes concernées et des intervenants qu'un maillon relativement secondaire par rapport à la question telle que nous l'avons développée. En d'autres termes, l'enseignant qui voudrait et pourrait tenir compte des variations linguistiques dans son enseignement ne peut pas le faire sans un certain « consentement » de l'institution pour laquelle il travaille. Les orientations actuelles des programmes et de la pédagogie constituent peut­être une espèce de consentement dans ce sens, mais ce dernier est bien peu explicite et paraît bien faible lorsqu'on compare les objectifs généraux qui se

LA NORME LINGUISTIQUE



réfèrent à une langue soutenue et le matériel pédagogique qui se réfère à la même norme avec les objectifs pédagogiques qui parlent de communication active, « naturelle » et « courante ».

Comme on ne peut savoir si l'attitude du milieu social pourra évoluer ni espérer la faire évoluer par des moyens pédagogiques parce qu'il s'agit d'un phénomène social trop étendu et que les moyens pédagogiques sont trop spécifiques et trop réduits, on ne peut guère souhaiter mieux que les enseignants qui le peuvent s'appliquent à tenir compte des différents usages de ceux qui enseignent leur langue maternelle.

En conclusion, nous devons souligner fortement qu'il existe bien peu de recherches descriptives sur le phénomène de la norme en langue étran­gère et peu de données sur les composantes de l'attitude de même que sur les possibilités de changement de cette attitude. Comme nous venons de le signaler, il n'existe pas non plus beaucoup de travaux sur les registres et sur les variations linguistiques, travaux qui pourraient constituer en quelque sorte une espèce de contrepoids à la perspective normative actuelle, du moins pour l'enseignant.

Nous constatons que nous avons dû trop souvent nous contenter d'hypothèses ou de considérations générales, comme nous n'avons pas manqué de le souligner dans le corps de cet article. Nous constatons en même temps qu'il y a là un vaste champ pratiquement inexploré et dont les « richesses naturelles » seraient très utiles pour mieux comprendre le phénomène et pour mieux assurer la cohérence des objectifs tant linguis­tiques que pédagogiques.

Références bibliographiques

DAGENAIS, G. (1967), Nos écrivains et le français, Montréal, éd. du Jour.

GAGNÉ, G. (1974), « Quelques aspects du problème de la norme dans l'enseignement du français langue seconde au Québec », dans L'éla­boration du matériel didactique: principes et applications. Actes du 4' colloque de l'Association canadienne de linguistique appliquée.

KING, B.T. et E. McGINNIES (réd.) (1972), Attitudes, Conflict and Social Change, New York et Londres, Academic Press.

RICHER, E. (1964), Français parlé - Français écrit, Bruges et Paris, Desclée de Brouwer.

SABOURIN, C. et R LAMARCHE (1979), Le français québécois (biblio­graphie analytique), Québec, Office de la langue française (Gouver­nement du Québec).


Norme et dictionnaires (domaine du français)

Par Alain Rey

Avant toute réflexion sur deux sujets coordonnés, s'interroger sur le sens de cette coordination. L'insuffisance du et, mais aussi son ouverture. De la norme dans le dictionnaire, avec le dictionnaire, par le dictionnaire - ou peut-être du dictionnaire au sein de la norme?

Cette norme, ce singulier trompeur, évoquant -je l'ai noté ailleurs (Rey, 1972) - l'ambiguïté du mot « loi », impératif culturel ou évidence observée, il faut en redire quelques caractères. Puisque ce recueil est con­sacré au concept de « norme langagière », je me bornerai à évoquer ici les ambiguïtés à l'intérieur de cette thématique précise, la lexicographie. Nomme sociale, la norme de langage est toujours en cours d'élaboration. L'observation et les statistiques ne saisissent que le passé, leur objet est irrémédiablement partiel: les notions de « normal » et d'« anormal », liées à l'objectivité d'une relation de connaissance où l'objet est constitué, peu­vent bien concerner la physique ou la biologie (Canguilhem, 1943, 1966); elles sont illusoires et dangereuses en matière de vie sociale, et donc de langage, là où rien n'est anormal, mais où fon rencontre pourtant des anomalies.

L'observateur est pris dans l'observable, auquel il participe, ne serait­ce que comme destinaire de messages. Pour parler de la norme d'une langue que j'ignore (le chinois, par exemple), l'observation ne m'est d'aucun se­cours; c'est le discours second, le métalangage de locuteurs-observateurs, eux-mêmes pris dans leur objet, que je dois requérir. Si la langue m'est connue de l'extérieur, je manipulerai mieux les exemples, je pourrai inter­préter, enrichir les jugements, mais il me manquera une spontanéité de compétence. Au contraire, s'il s'agit de ma langue maternelle, étudier la norme devient à la fois possible - puisque je maîtrise intuitivement son existence, ses subdivisions, la position des discours par rapport à elle -, et impossible - puisque mon propre discours est soit dans la norme que je veux étudier, soit à côté d'elle, dans l'anomalie, largement à mon insu.

Dans tout ceci, une autre difficulté. II n'y a pas, dans une situation con­crète donnée, une nomme, de même qu'il n'y a pas une langue. Déjà la distinction élémentaire, obligatoire, entre norme objective - l' « usage » au

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sens de Hjelmslev - et norme prescriptive suggère une opposition quanti­tative: la première, la langue en tant qu'« usage » est, pour un même système abstrait dénommé historiquement, culturellement mais aussi lin­guistiquement (le français, l'anglais, le chinois), pluriel. Nous savons tous qu'il existe un français du Canada, un anglais d'Australie, un chinois de Canton - pour ne citer que des usages premiers, maternels - et d'autres français, d'autres anglais, d'autres chinois, pour édifier cet objet inobser­vable et unique qu'étudie dans la simulation théorique la linguistique « pure »: le français, etc. Au contraire, la norme prescriptive n'a de sens que si elle est unique: c'est une image réductrice, à la fois volontaire et fantasmatique, empruntant de-ci de-là ses caractères; cette norme est autodéfinie comme volonté d'unité.

L'objet-langage ne peut se percevoir convenablement que sous trois éclairages (au moins): les discours et leurs conditions de production (straté­gies de la parole et de l'écriture), les usages, donc (géographiques, chrono­logiques, sociaux, peut-être culturels, idéologiques), et enfin, très abstraite­ment, le système de la langue. De même, l'objet que constitue la norme langagière est triple: pluralité sociale évidente des « normes objectives » ou usages, pluralité conflictuelle des « normes évaluatives » (jugements de valeur), unicité ou plutôt tension vers l'unicité de la « norme prescriptive » (lanorme, pour parodier Jacques Lacan).

La première « trichotomie » devait être rappelée ici, parce que le diction­naire se situe avec précision en elle. Comme je pense l'avoir montré (Rey, 1977), le dictionnaire dit; « de langue », et avec lui le dictionnaire hybride (encyclopédie), ne décrit nullement le système abstrait, il en exemplifie des actualisations, ce qui est bien différent Non plus, il ne décrit « le » discours, tâche inachevable, mais utilise une sélection de discours à ses fins propres, qui sont - enfin - de décrire des usages, avec leurs dimensions séman­tiques, pragmatiques, et culturelles. Cette description intensément sélective d'usages construit une « image » (et non pas un modèle scientifique, et non pas une photo fidèle) d'où peut, à travers les conflits des normes éva­luatives, se dégager ou non la figure d'une norme unique.

Deux remarques s'imposent avant d'aller plus loin. Noter, d'abord, que le dictionnaire n'est pas seul dans cette situation. Le Bon Usage de M Grevisse, admirablement titré, répond à l'évidence à ce programme: il sélectionne des discours, fait se rencontrer et s'opposer des usages, construit une norme souple qui laisse sans résolution autoritaire des observations contradictoires sur des points précis. Normatif, il ne l'est certes pas; constructeur d'une norme (la « bonne »), oui. Mais des idées fausses prévalent Le Bon Usage est souvent perçu comme une « grammaire' », ce qu'il n'est pas en profondeur, ne serait-ce que parce qu'il déborde la syntaxe systématique - qu'il décrit d'ailleurs mal. Quant au dictionnaire, il est censé avoir pour objet le lexique,

1. 1 porte en sous-titre: . grammaire française ».

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alors que, puisant sa matière dans les discours, il déploie - à propos des unités lexicales, c'est vrai -toutes les dimensions de la sémiotique langa­gière: syntaxe, sémantique et pragmatique.

Deuxième remarque: les types de dictionnaires sont nombreux; il ne sera question ici que des dictionnaires « de langue » française généraux et notam­ment des ouvrages pédagogiques, sélectifs, et des descriptions extensives

à caractère culturel et souvent littéraire, qu'ils soient (les premiers) plutôt synchroniques ou (les seconds) éventuellement diachroniques. Pour me contredire immédiatement, j'évoquerai tout de même un type de diction­naire spécial, qui incarne un étonnant paradoxe, et illustre à merveille la dialectique du choix, de la sélection, qui est au centre du problème. En effet, on le verra plus loin, c'est bien plutôt par la sélection, par l'exclusion, que par un discours d'interdiction, que procède la normativité du diction­naire. Mais un type d'ouvrage choisit précisément d'exclure ce qu'un point de vue absolument normatif admet, de n'inclure que ce qu'il rejette. Cette folie logique, c'est le dictionnaire de fautes, le « ne-dites-pas-mais-dites » où les entrées sont toujours niées (ce sont des « ne-dites-pas ») et où l'on ne montre, révélant ainsi son existence, que ce que l'on veut voir disparaître. Tout historien des langues le sait, ces listes d'interdits sont précieuses pour l'étude de la réalité des usages.



J'ai par exemple sous les yeux un « Dictionnaire des expressions vi­cieuses usitées dans un grand nombre de départements et notamment dans la ci-devant province de Lorraine », compilé par le directeur d'école nancéen J.-F. Michel en 1807. Son titre porte en tout petits caractères que ces mani­festations du vice sont « accompagnées de leur correction, d'après la Ve édi­tion du dictionnaire de l'Académie ». Témoin d'un usage régional français au début du XIXe siècle, ce recueil, aujourd'hui détourné de son objectif, ne corrige plus des fautes, il atteste des faits d'usage étrangers à la norme cen­trale, parisienne. Ce type d'ouvrages tend à disparaître; les pédagogues de l'usage préfèrent répertorier sous les entrées canoniques et normées du dictionnaire banal les difficultés et les sujets d'hésitation. Les « fautes » n'y figurent plus en nomenclature, ce qui réduit l'illogisme signalé plus haut, - mais rend pour les chercheurs de l'avenir la consultation moins aisée!

Dans les deux cas, (attitude normative, généralement articulée sur l'institution pédagogique, fonctionne explicitement: le discours de ces dic­tionnaires est clair, il procède par négation (« n'est pas français », disait le directeur d'école lorrain, ou « on ne dit pas », pseudo-constatation; plus franchement: « ne dites pas » - injonction, ordre) ou par jugement péjorant, « locution très-vicieuse ». Mais le discours normatif, puriste ou libéral, et sa rhétorique simplette, tendent à disparaître ou se camouflent

Comment le dictionnaire général aborde-t-il la pluralité des usages de la « langue » qu'il prétend décrire? Quels sont ses critières de sélection? Quelle, son attitude face à la volonté unificatrice d'une norme, d'un (bon)

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usage? Pour tenter de répondre à ces questions, il faut interroger la finalité sociale du dictionnaire et les conditions même de son existence.

La volonté normative du dictionnaire dépend de bien des facteurs, attitude et idéologie des auteurs, situation historique de la communauté, etc., mais c'est surtout une finalité sociale, correspondant à un public visé économiquement, à un marché, qui donne à chaque ouvrage des caractères distincts. Certains dictionnaires, bilingues et monolingues, sont destinés à l'apprentissage; ils ne peuvent fonctionner qu'avec l'approbation de l'insti­tution pédagogique (ou andragogique), l'École, l'Éducation; leur norme est celle de cette institution. S'adressant fréquemment à des enfants, à des adolescents, ils sélectionnent fortement, évacuant les mots-scandales, mais aussi les emplois spéciaux, marqués, archaïques ... ; ils éliminent tout emploi déviant (considéré comme tel par l'École) pour appuyer le processus de « reproduction » (Bourdieu-Passeron). Encore plus volontaristes, les dictionnaires correctifs - dont il a été question. Ceux-ci explicitent la norme, mais peuvent être conservateurs (Encyclopédie du bon français, de Dupré), libéraux (Dictionnaire des difficultés du français, de J.-P. Colin) ou sévères avec un ton serein (Dictionnaire du bon français, de J. Girodet), ce qui repose des invectives en usage naguère (Abel Hermant, Thérive... ).

En effet, le ton du dictionnaire, sa rhétorique prescriptive ou évaluatrice, doit être soigneusement distingué de la construction du modèle normatif. Tel lexicographe peut condamner avec vigueur certains écarts, mais tolérer plus de variations que tel autre, qui gardera un discours calme et bienveillant en éliminant tout ce qui gêne. Le purisme flamboyant et violent de l'Esthéti­que de la langue française n'empêche pas Gourmont (Gourmont, 1926) d'accepter maint usage rural, que d'autres condamneraient sèchement Mais il ne s'agit pas là d'un dictionnaire; en effet, l'exigence structurale du genre lexicographique empêche en général le romantisme de l'interdit

Aux dictionnaires pédagogiques et correctifs, qui se doivent de mani­puler le choix, l'éviction ou la condamnation, s'opposent les dictionnaires descriptifs, dont les plus amples, pour maintes raisons de contenu, peuvent être appelés dictionnaires « culturels ». Ceux-ci mettent en oeuvre un autre didactisme, non institutionnel, non pédagogique, et ne s'appuient plus sur un modèle d'usage aussi unifié, aussi sélectif, aussi aplati que les premiers. Certains recourent à l'intuition de « compétence » et dépendent alors de la maîtrise plus ou moins grande des rédacteurs quant aux usages de la langue décrite. La plupart s'appuient en outre sur l'observation de discours ras­semblés pour l'occasion. Mais ces discours, aussi nombreux soient-ils, ré­sultent d'un choix toujours quantitativement dérisoire au sein de la masse indéfinie des produits discursifs d'une langue. Les 70 millions d'occurrences littéraires, les 30 millions d'occurrences scientifiques et techniques du Trésor de la langue française lui fournissent une base observée sans précédent Mais cette base, faite de discours pourtant hétérogènes (Claudel et Céline, Aragon et Brasillach... ), reste encore trop homogène s'il s'agit de décrire


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les usages du français. Le discours littéraire (de France) écrase tous les autres, même s'il véhicule beaucoup d'éléments appartenant à divers usages, à titre de témoin (l'usage populaire parisien passe par Céline ou Queneau, quelques usages régionaux par George Sand ou Henri Pourrat, des textes québécois, belges ou suisses ... ). La remarque est valable a fortiori pour le Robert ou pour le Grand Larousse de la langue française, mais ces dic­tionnaires - le premier surtout - font appel sans scrupules et sans complexes à la maîtrise d'une équipe rédactionnelle variée, alors que les rédacteurs du Trésor de la langue française sont (au moins en principe) tenus à ne s'exprimer que par leur métalangage. La doctrine purement philologique conduit à éli­miner le témoignage du lexicographe: celui-ci n'est plus qu'un lecteur et un commentateur; sa qualité de « locuteur natif », maître d'une partie des usages, lui est déniée - ou n'est pas utilisée. Fondé sur l'observation, le dic­tionnaire philologique se prive de l'observable le plus précieux, le plus vivant, et se place volontairement dans la situation d'infirmité du dictionnaire de langue morte.

L'accumulation du matériel discursif conduit enfin ces dictionnaires cul­turels à n'inclure dans la description qu'une faible partie de leurs richesses; sinon, la redondance les guette. Cependant, leur choix est empirique et dépend des disponibilités d'espace; il n'est pas normatif. En résulte un visible libéralisme en ce qui concerne les tabous rejetés par la convention, les constructions et emplois condamnés par l'institution, etc. Reste que l'exces­sive représentativité des « grands textes » - sélectionnés par des juge­ments de valeur esthétiques et culturels, qui ont l'avantage de traverser et parfois de contrecarrer la configuration des usages évaluatifs= - aboutit à une image langagière socialement marquée. La norme est ici orientée vers l'« élite cultivée », unie par ses pratiques intellectuelles, par son « capital » scolaire et universitaire - récupérant heureusement à l'intérieur de ce modèle maintes déviations, reflétées (donc déformées) par le discours litté­raire, qui a l'immense avantage d'être le plus libéral, le plus polyvalent de tous les discours.

Le problème se pose encore différemment avec les dictionnaires mixtes, où la « langue » (usages syntactiques, fonctionnement des unités) est rela­tivement sacrifiée à la sémantique terminologique et à la description encyclo­pédique (Larousse, Hachette aujourd'hui, pratiquent pour le français cette formule, très répandue pour l'anglais, notamment aux États-Unis. Webster. Random House). Ce type de dictionnaire tend à élargir le modèle lexical en y intégrant des éléments de désignation scientifiques et techniques: on sait que le Petit Larousse a été vivement critiqué pour avoir introduit des an­glicismes à cette occasion. Sans renoncer à cette politique, ce dictionnaire

2. Ainsi le jugement global positif porté sur Balzac, sur Hugo, sur Céline, sur Genet, jugement de nature esthétique, discursive, socio-sémantique, emporte la prise en considération de pans entiers d'usages étrangers au modèle unifié, et même aux évaluations qui leur ont donné l'existence culturelle-l'argot, le jargon de l'argent, la variété des discours sociaux, l'usage des proscrits de la société...

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enregistre maintenant (comme le fait le Petit Robent) les condamnations et recommandations officielles en matière de termes techniques jugés in­désirables: l'intrusion de la norme prend ici figure officielle, ministérielle - et les dictionnaires ne peuvent refuser cette manifestation évaluative et prescriptive, alors même qu'ils se veulent descriptifs. Cependant, les ou­vrages à tendance encyclopédique sont plus réservés que certains diction­naires de langue dans le domaine des usages familiers, argotiques, qui con­cernent l'ensemble des faits langagiers exclus ou ignorés par une convention, institutionnelle (l'École, l'Académie) plutôt que sociale. Le « langage peuple », comme on disait en France au XIXe siècle, est entré dans la norme bourgeoise, au moins en partie, et le lexique argotique, dévié de sa fonction initiale, alimente la littérature la plus valorisée. Ces usages, qui pénètrent partiellement des dictionnaires comme le Trésor de la langue française ou le Petit Robert (et le Robent par son supplément de 1972), sont relative­ment exclus du Petit Larousse et traités avec discrétion dans les grands ouvrages mixtes, tel le Grand Larousse encyclopédique.

Cependant, la politique d'inclusion des néologismes - ou plus objec­tivement, des entrées nouvelles, ce qui est tout différent -est assez sem­blable. Ceci permet de traiter ce problème pour l'ensemble de la lexicogra­phie - en réservant toutefois les descriptions « philologiques », en principe bloquées par un corpus, en fait obligées de s'ouvrir ou condamnées à être décalées par rapport à l'état du lexique, du fait des délais de publication.

Quelle norme, dans quels dictionnaires?

Tout dictionnaire puise dans une pluralité d'usages et prétend fournir une image de la « langue »; en fait, il construit une proposition d'usage fondée sur une hiérarchie. 1 est donc d'abord soumis à une normalité sta­tistique, objective. La chose est claire pour le dictionnaire philologique, qui s'alimente de discours effectifs; elle reste valable pour ceux qui utilisent la compétence de leurs auteurs. Ceux-ci, même s'ils veulent observer avec neutralité un maximum de variantes, sont absorbés par leur propre pratique langagière; tous sont plus ou moins sanctionnés par l'institution (ils ont fait des études, ont des diplômes ... ) et illustrent l'usage du « capital scolaire ». Si je prends le cas du lexicographe que je connais le mieux (Alain Rey), l'arrière-plan sociolinguistique est le suivant: une langue maternelle régiona­lisée - traces d'occitanismes et régionalismes explicites de grands-parents et de parents, bordelais d'une part, auvergnats de l'autre -, une enfance parisienne - neutralisation par le brassage de l'école, corrections et hyper­corrections phonétiques et syntaxiques, « vulgarismes » lexicaux ignorés du terroir, hésitations et contraintes -, un ressourcement régional occitan (Brive, Aix-en Provence), puis le creuset parisien des études supérieures - et les prétentionnismes, les modes, la conscience parfois pénible des dé-


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