404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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LA NORME LINGUIS11QUE

un certain type de parler que l'on considère comme représentatif de la langue nationale. En ce qui a trait au mot indigène, outre le grand nombre de dictionnaires -notamment ceux des aztéquismes de Cabrera et de Robelo (1974 et 1904 respectivement), des mexicanismes de Francisco Santamarfa (1959) et des américanismes du même auteur (1942), de Monnigo (1966) et de Malaret (1925) -dont le but est de réunir le plus grand nombre possible de vocables de cette source dans l'espagnol, il existe deux études descriptives: celle de J.M. Lope Blanch (1969) et celle que nous avons réalisée pour le Diccionario del espanol de México, qui n'en est encore qu'à un stade préparatoire.

Pour son étude, Lope Blanch s'est servi des 225 bandes magnétiques sur lesquelles il a enregistré des entrevues avec 490 citoyens de Mexico, classés selon leur niveau d'instruction, et des réponses de 100 personnes

à qui il a présenté un corpus regroupant des vocables provenant des enre­gistrements et du dictionnaire de Robelo. Voici le résultat de cette étude: abstraction des doutes que suscite le calcul numérique, Lope Blanch a relevé 160 vocables indigènes couramment employés par les répondants « instruits » et 250 autres mots que ces derniers connaissaient un peu moins bien; tous les répondants employaient en moyenne 313 vocables et en connaissaient 218 autres sans nécessairement les utiliser.



L'étude de Lope Blanch montre que l'influence du vocable indigène sur l'espagnol du Mexique est extrêmement faible; il est donc clair que sa valeur normative ne correspond pas à son usage.

L'étude réalisée pour le Diccionario del espanol de México est fondée sur un corpus regroupant deux millions d'occurrences3 relevées dans des textes et des conversations de tout genre (Laya et Ham, 1980) ainsi que dans la langue nationale « cultivée ». En d'autres mots, le corpus précise moins les usages régionaux ou particuliers que les usages courants et cultivés. Cette étude vient confirmer les conclusions de Lope Blanch même si les résultats ne sont que provisoires et même si la quantification est moins claire et simple que chez lui. Parmi les mots qui constituent l'espagnol mexicain fondamental du point de vue statistique (Laya et Ham, 1980; Ham, 1980), seuls mexicano et chile apparaissent dans notre corpus. Parmi les 5 000 mots les plus souvent employés et les mieux répartis dans toutes sortes d'usages, on a retenu les suivants: mole (mets typique de la cuisine mexicaine), chocolats (chocolat), jitomate (tomate), coyote (loup américain), tamal (aliment à base de maïs), chamaco (enfant), atole (boisson à base de maïs), nixtamal (maïs transformé en pâte avec laquelle on prépare les tortillas, aliment aussi fondamental que le pain), milpa (champ de mais) et azteca (aztèque). Pour confirmer le calcul de fréquence de l'usage du mot indigène avancé par Lope Blanch, j'ai comparé les listes de mots indigènes

3. Le corpus du Diccionario del espa»o! de México contient quelque deux millions d'occur­rences réparties en près de 68 000 lemmes. Je remercie Diana Maciel qui a comparé les listes de Lope Blanch avec notre corpus et calculé les pourcentages respectifs.

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qu'il a dressées après son enquête et les mots qui, signale-t-il, même s'ils n'ont pas ressorti de son enquête, sont employés dans la ville de Mexico, avec les résultats relatifs à ces vocables dans notre corpus. En voici la con­clusion: on a obtenu 236 occurrences qui correspondent à 83 lemmes. Selon Lope Blanch (1969: 29), l'incidence des mots indigènes dans l'espagnol « cultivé » du Mexique est de 0,07%; selon nos calculs, elle serait de 0,083%. Une fois notre enquête terminée, notre corpus contiendra certainement un plus grand nombre de mots indigènes. Toutefois, l'évaluation globale de Lope Blanch semble être exacte.

ll ressort donc que l'usage du mot indigène dans la langue nationale ne correspond pas à sa valeur normative. Toutefois, il faut également noter qu'on relèverait un plus grand nombre de mots indigènes si on réalisait des études régionales axées sur les sujets concrets de la vie quotidienne tels que la médecine traditionnelle, les plantes, les insectes, les aliments, certaines coutumes religieuses, quelques institutions sociales qui survivent depuis l'époque précoloniale, la morale contenue dans les contes et légendes, etc.

On a l'habitude de prétendre que ce genre d'étude aurait pour effet de fausser les résultats car elle augmenterait artificiellement le nombre de vocables indigènes. D'autre part, les études axées sur la langue nationale, l'espagnol général ou la langue des citadins instruits entraînent une dimi­nution dans le nombre de mots relevés, diminution qui, du point de vue régional ou particulier, pourrait elle aussi être considérée comme artificielle. Autrement dit, il est légitime d'axer une étude sur certains parlers choisis pour des raisons normatives, théoriques ou pratiques, pourvu qu'on en fixe les limites. Au contraire, il n'existe aucune unité linguistique en soi dans ce qu'on peut appeler la « langue espagnole », dont le nombre de vocables ne peut être déterminé. La langue est le fruit de la pratique verbale; elle est aussi variable et aléatoire que le sens des expressions linguistiques donné par les sujets parlants. C'est pourquoi, il est impossible d'affirmer qu'une langue possède tant de vocables de l'une ou l'autre source. Par exemple, les dictionnaires n'incluent pas tous les vocables qui existent.

On peut également tirer la conclusion qu'il existe un écart important entre l'usage d'une langue et l'image que projette la langue nationale standard - qui équivaut déjà à un choix - ainsi que la norme qui y est sous-jacente.

Les anglicismes dans l'usage

Si les résultats de l'étude des mots indigènes sont étonnants, ceux de l'étude des anglicismes le sont encore plus. Dans notre corpus, seuls les mots club, fiitbol, turismo et automôvil figurent comme des emprunts de l'anglais parmi les 1451 mots qui constituent l'espagnol mexicain fondamental

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(Ham, 1980); parmi les 5 000 mots les plus souvent rencontrés et les mieux répartis, le corpus n'inclut que capo (voiture), lider (leader), filmer (filmer) et côctel (cocktail), soit huit vocables empruntés à l'anglais par l'espagnol mexicain courant. Pourtant, les anglicismes s'introduisent réellement dans le domaine des affaires, des communications, de la technique et dans des secteurs importants de la science. On pourrait fort bien lire un texte qui serait rédigé de la façon suivante: « un paper comprensivo que eventual­mente permita realizar la importancia de un issue » qu'il faudrait presque traduire en espagnol par « un trabajo abarcador que, al final o en su momento, permita darse cuenta de la importancia de un asunto ». Dans certains secteurs de Mexico et de sa banlieue, par exemple celle qui s'appelle Ciudad Satélite, on trouve des posters qui annoncent des desarrollos urbanos, un certain parque memorial, un stand commercial ou un show en indiquant en haut de l'affiche favor llamar (please call) un numéro de téléphone donné. Dans ce même secteur, il existe un certain quartier ou desarrollo urbano qu'on a appelé Condado (comté) de Sayavedra, copie conforme mais erronée des divisions politiques territoriales des États-Unis, la colonia ou le municipio mexicain n'ayant pas du tout le même attrait que Los Angeles ou San Diego. Et ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d'autres des anglicismes qui s'introduisent aujourd'hui au Mexique. Et dans les domaines scientifiques et techniques, ils jouent un rôle encore plus important, le Mexique dépendant des milieux culturels internationaux. Les spécialistes en informatique parlent de software (logiciel), d'input et output, de ponchar des cartes (punching), de facilidades (facilities) d'instru­ments, de sortear (sort), de fabriquer des hashes (hash), d'incorporer des chips, etc., tandis que les économistes discutent de l'estanflaciôn (stagflation) et des cârtels pétroliers, etc. Comment pourrait-il en être autrement puisque le Mexique n'a pas réussi à trouver de meilleure arme pour lutter contre les anglicismes que le purisme, qui finit par isoler la langue et l'éloigner des sujets parlants? Les partisans de la langue pure ou châtiée, en essayant d'affronter le monde moderne avec un bagage linguistique vieux de quatre siècles, ne sont pas en mesure d'offrir de solution à une société qui tente de se mettre à jour et de réaliser des progrès. S'il est vrai que les angli­cismes constituent un danger et une arme destructrice sur le plan normatif, il est tout aussi vrai que la société mexicaine subit l'influence nord-américaine en tentant de maintenir le.pas et en dépendant des États-Unis. Une société de consommation, fondée sur le capitalisme, ne peut se développer sans en adopter les modèles et la langue.

Les anglicismes occupent donc dans l'espagnol mexicain une place beaucoup plus importante que ne le laissent entendre les résultats de notre étude, sans compter qu'ils s'introduisent dans des secteurs influents de la société. L'unique solution au problème de l'écart entre l'usage et la norme, que j'espère avoir bien montré, réside dans l'interprétation de l'activité normative et dans l'adoption d'une pratique linguistique et lexicographique liée à une certaine idée de l'espagnol mexicain.

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Le Diccionario del espafiol de México

Dans l'élaboration du dictionnaire, nous nous sommes basés sur les deux aspects étudiés plus haut: la découverte des valeurs normatives de la langue nationale et l'enregistrement de l'usage réel du vocabulaire. Nous tenions à présenter ces deux aspects au public mexicain.

Une analyse statistique de l'espagnol mexicain contemporain (de 1921 à 1973) nous a permis d'élaborer un dictionnaire statistique et d'inscrire tous les contextes et cadres d'emploi nécessaires pour décrire le vocabulaire et composer le dictionnaire. Grâce à cette analyse, nous avons obtenu une vue objective et quantifiée de la réalité lexicale de l'espagnol mexicain du point de vue de la langue nationale standard. Comme cette dernière com­porte, sur le plan normatif, une restriction imputable aux besoins de la nation en matière d'enseignement, certains domaines du vocabulaire, comme ceux qui nous intéressent ici, n'ont été représentés qu'en partie. Ils devront faire l'objet de recherches plus poussées à l'avenir.

La description du vocabulaire espagnol du Mexique compte presque 100 ans d histoire et figure dans les divers « dictionnaires de régionalismes » qu'on trouve dans les bibliothèques et sur le marché. On y signale toujours

l'ensemble du vocabulaire folklorique ou pittoresque de l'espagnol mexicain, on en donne le signifiant amérindien ou le signifié particulier (nouveau ou archaïque) par rapport au contenu du Diccionario de la Real Academia Espafiola (DRAE). Cela va des américanismes, vocables d'origine amérin­dienne, voire même andalouse, qui caractérisent l'espagnol latino-américain, jusqu'aux vocables propres à certaines régions comme les États actuels de Sonora (sonorensismos) ou de Tabasco (tabasquenismos), en passant par l'important travail de Santamarfa, le Diccionario de mexcansmos. Parmi les vocables qu'on appelle communément mexicanismes, notons chile « piment » au lieu de aji que le DRAE décrit comme étant général; cacahuate au lieu de mani ou cacahuete inscrits dans le DRAE Tous ces mots peuvent facilement être identifiés comme étant des mots indigènes. Bien qu'un grand nombre de variantes relatives à la signification des divers vocables soient inexistantes en Espagne ou partagées avec une région de l'Espagne, elles ne méritent pas l'attention des lexicographes qui étudient les mexicanismes. À ce chapitre, voici quelques exemples: irse (s'en aller) et non marcharse; platicar (converser) et non converser; cuneta (fossé) et non badén; costal (sac) et non saco, couramment employé dans la péninsule ibérique; banqueta (trottoir) et non acera; maceta (pot à fleurs) et non tiesto; camiôn (autobus) et non autobus; Have de agua (robinet) et non grifo; falda (jupe) au lieu de enagua qui est passé dans le vocabulaire rural ancien comme d'autres mots désignant des vêtements; ruletero, qui perd du terrain au profit de taxista « chauffeur de taxi »; jalar (autrefois halar) (tirer) et non trer; estacionarse et non parquear ou aparcarse « parquer » ou « stationner » etc., pour ne pas parler des anciens anglicismes qui font totalement partie de l'espagnol mexicain et que la majeure partie de la population croit d'origine espagnole


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comme c'est le cas pour plomero au lieu de fontanero (plombier), checar au lieu de comprobar (confirmer), qu'on utilise aussi, et ponchar au lieu de pinchar (faire une crevaison), etc.

Ces exemples montrent que les « dictionnaires de régionalismes » (ou mexicanismes) actuels, même s'ils constituent des registres importants du vocabulaire de l'espagnol mexicain, n'inscrivent pas l'usage réel. En outre, de par leur définition même, ils ne peuvent pas tenir compte des vocables propres à une « langue nationale » car la dichotomie mexicanisme (régiona­lisme)/vocable général est une invention méthodologique des linguistes et non une réalité des sujets parlants. Finalement, si cette abstraction est justifiée dans le cadre d'une étude spécialisée, elle constitue dans les faits réels encore une manifestation de cette conception métropolitaine, coloniale et puriste de la langue espagnole.

Ainsi, les notions de mexicanisme, d'indigénisme et, en général, de xénisme ne jouent aucun rôle dans l'élaboration de notre dictionnaire; elles ne peuvent s'inscrire que dans des travaux comme celui-ci, orientés vers la linguistique et non vers la langue ordinaire. Autre fait important, le dictionnaire offre, sans tenir compte des divers degrés d'importance, un grand nombre de variantes relatives aux signifiés du lexique hispanique commun, sans toutefois les faire ressortir à l'aide de signes; il présente aussi les variantes orthographiques des vocables d'origine indigène ou étrangère, des variantes relatives aux divers parlers ou aux niveaux sociolinguistiques, etc. Il ne fait pas intervenir non plus des critères de classification suscep­tibles de fragmenter la perception de la langue nationale. Ainsi, le diction­naire tente uniquement de décrire le mieux possible la réalité du vocabulaire mexicain et, dans certains domaines, d'aider le lecteur à choisir la variante qui lui convienne sans pour autant lui cacher l'information susceptible de le faire opter pour une autre: Voici ces domaines: l'orthographe des mots indi­gènes et des anglicismes, la concurrence entre les vocables espagnols et étrangers qui ont la même signification et la concurrence entre les vocables de la terminologie scientifique et ceux de l'espagnol plus général. L'ortho­graphe des mots indigènes pose certains problèmes en raison de leur origine. Les rares mots empruntés à l'otomi, au zapotèque, au yaqui, etc., ne posent pour ainsi dire aucun problème d'orthographe car ces langues ont été étudiées au cours des dernières années et la plupart d'entre elles ont été représentées phonologiquement. Les mots d'origine maya ont déjà fait l'objet d'une étude systématique qu'Alfredo Barrera Vàzquez a réalisée et présentée dans son Diccionario maya Cordemex (1980). Les mots tirés du nahuatl, soit le plus grand nombre, présentent pour leur part une sérieuse difficulté car leur orthographe a été largement modifiée au cours des quatre derniers siècles. Ces variations sont imputables aux diverses conceptions qu'avaient de l'orthographe les premiers missionnaires (Sahagùn, Molina, Olmos, etc.), les savants qui ont suivi (Aldama y Guevara, Carochi, Rincôn, etc.) et les « nahuatlistes » contemporains (Robelo, Cabrera, Garibay, Léon Portilla, Lôpez Austin, Swadesh, etc. ). En raison de cette diversité, il

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fallait mettre au point un système orthographique fondé sur la phonologie du nahuatl classique ainsi que sur l'influence qu'a exercée l'orthographe espagnole sur sa représentation. L'ouvrage réalisé par Ricardo Maldonado, membre de l'équipe de rédaction du Diccionario del espariol de México, oriente le choix de l'orthographe des mots nahuatl (l'ouvrage, bien que terminé, n'a pas encore été publié). Bien que nous ayons opté dans notre dictionnaire pour une orthographe plutôt que pour une autre, nous n'igno­rons pas qu'il existe des variantes susceptibles de s'imposer. Nous espérons que les lecteurs nous en feront part et nous permettront de ce fait de révi­ser nos positions.

En ce qui a trait à l'orthographe des anglicismes, il existe également beaucoup de variantes imputables à la façon dont les vocables se sont intro­duits dans l'espagnol. Bien que le plus grand nombre d'entre eux soient des emprunts adaptés de diverses façons à la phonologie et à l'orthographe espagnoles (par exemple: basket-ball, basquetbol, basquet-bals, basket­bol; rin et rhin < angl. rim (jante); lunch, lonch et lonche, etc.), certains calques comme estanflaciôn, insumo (input), neblihumo (= smog, peu courant) leur font concurrence. Les rédacteurs du dictionnaire se sont fondés sur l'ortho­graphe la plus courante dans l'espagnol standard et sur la connaissance de l'orthographe anglaise; toutefois, on a tenu compte des variantes et on propose l'orthographe préférable. En revanche, le dictionnaire n'inclut pas les faux amis lorsqu'ils n'ont pas encore eu pour effet de modifier les microstructures sémantiques de l'espagnol. Ainsi, comprensivo, realizar et eventualmente (= dado caso) n'ont pas le sens des mots comprehensive, to realize et eventually qui signifient respectivement: abarcador, darse cuenta et en su momento.

Enfin, nous avons essayé de normaliser la terminologie scientifique en traitant d'abord des vocables les plus employés et les mieux évalués par les divers spécialistes. Toutefois, nous proposons également les variantes ou les doublets.

La publication du dictionnaire présente un certain danger car les locu­teurs qui s'attendent à une oeuvre prescriptive risquent d'être déconcertés et les académiciens, irrités. Il nous est tout de même permis d'espérer que la plupart des lecteurs l'accepteront pour ce qu'il est, c'est-à-dire une recher­che normative, et y verront une source d'éclaircissements concernant les rapports entre la norme et l'usage dans l'espagnol du Mexique.

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La norme lexicale et l'anglicisme au Québec

Par Jean Darbelnet

Avant d'examiner l'application de la norme aux anglicismes, il ne paraît pas inutile de définir d'abord leur nature.

La définition la plus simple que l'on puisse donner du terme anglicisme, c'est qu'il désigne tout emprunt à l'anglais. II est ainsi parallèle à germanisme, italianisme, hispanisme, slavisme, etc. Les mots « tout emprunt » utilisés ci-dessus doivent s'entendre de n'importe quel emprunt, quel que soit l'élément de la langue de départ (en l'occurrence l'anglais) qui se trouve transporté dans la langue d'arrivée (en l'occurrence le français). Ainsi, un anglicisme peut être un mot anglais, un sens d'un mot anglais annexé à un mot français apparenté, un groupe de mots traduits littéralement, ou encore un fait de syntaxe. Il convient également de considérer que le français emprunte en outre à l'anglais des métaphores et, en pays bilingue, des détails d'ordre typographique. Sans en faire une catégorie à part, on doit aussi noter que la prononciation d'un mot étranger dans la langue d'arrivée est presque toujours modifiée. Nous ne nous arrêterons donc pas aux anglicismes phonétiques et nous nous contenterons de rappeler que les différences de prononciation ont pour effet, dans beaucoup de cas, d'empêcher une assimilation complète. Cela apparaît clairement à propos des noms propres qui sont aussi des emprunts. L'auteur de ces lignes a entendu prononcer Manchester exactement comme un nom français (man-chess-tère) par des gens qui ne savaient pas l'anglais. u est peu probable, cependant, qu'ils auraient fait de même avec Birmingham en disant « bir-main-gan », mais ils eussent été fort en peine de prononcer ce dernier nom tout à fait à l'an­glaise.

Cet écart de prononciation varie avec les époques et les pays. Au fur et à mesure que la connaissance de la langue de départ est plus répandue dans le pays parlant la langue d'arrivée, il tend à se réduire. II est caracté­ristique que la prononciation française de Harvard soit plus proche de l'anglais à Montréal qu'à Paris. Pareillement, les Belges francophones et les Français ne prononcent pas les noms flamands ou néerlandais de la même façon.

LA NORME LINGUISTIQUE



Cette notion d'assimilation dont nous venons de parler est d'une importance capitale pour l'étude des emprunts. II y a presque toujours assimilation, et son degré apparaît comme l'une des caractéristiques de l'emprunt. Elle peut être de trois sortes: phonétique, orthographique et grammaticale. L'assimilation phonétique n'est, on vient de le voir, qu'excep­tionnellement complète. La langue emprunteuse tend à rejeter les sons étrangers à son système phonique, et il s'établit généralement un compromis entre ces deux modes de prononciation. B est presque impossible de pro­noncer parfaitement un mot ou un nom anglais au milieu d'une phrase française, et d'ailleurs cela risquerait de paraître prétentieux. L'assimilation orthographique, qui était la règle autrefois (voir boulingrin pour bowling green) est rarement pratiquée aujourd'hui. Coquetel pour cocktail est une exception et d'ailleurs semble limité au Québec. Contrairement à l'espagnol, le français d'aujourd'hui tend à laisser telle quelle la graphie des mots qu'il emprunte. Quant à l'assimilation grammaticale, elle suit la règle qui veut que tout mot emprunté soit régi par la grammaire de sa nouvelle langue. Nous traitons macaroni comme un singulier, nous ne mettons pas de majuscules aux noms allemands, nous francisons de plus en plus le pluriel des emprunts au latin; chérubin et séraphin, pluriels en hébreu, sont pour nous des singuliers auxquels nous donnons notre propre marque du pluriel en s. A cet égard, la contrainte qu'on cherche à imposer au français en demandant qu'Inuit reste invariable au pluriel, est bel et bien contraire au génie de la langue.

Pour des raisons d'ordre historique et psychologique, les Québécois se sont efforcés depuis la Conquête d'écarter, de proscrire les mots anglais, de leur opposer des équivalents authentiquement français qu'un linguiste a appelé « anti-anglicismes' ». En fait, il y a des mots anglais dans le parler québécois, généralement gratifiés d'une terminaison française, tels que « watcher », « clairer »_, « checker », slacker », « clip(p)eur ». Dans certains cas l'assimilation est complète au point de rendre le mot anglais mécon­naissable: mitaine, bécosse, robineux. Ces emprunts se rencontrent surtout à un certain niveau social, celui des travailleurs manuels. Mais, par ailleurs, on remarque, chez ceux qui soignent leur parlure, le recours aux anti­anglicismes: débardeur pour docker, joute pour match, roulotte pour caravane, stationnement pourparking, salle de quilles pour bowling. Certains mots anglais, laissés tels quels, sont cependant acceptés: aréna, leader, subpoena, qui est un emploi anglais d'un mot latin. Et on pense ici à la récente controverse concernant le terme STOP sur les panneaux de signa­lisation routière. II est de fait que pour nombre de Québécois, l'anglais est, selon l'expression de Raymond Barbeau, « le symbole de l'oppresseur », même si ce dernier terme semble être moins applicable que jadis. II n'est que juste de reconnaître que, pour des raisons évidentes, la question des emprunts à l'anglais ne peut pas se poser de la même façon en France et au Québec. Ici, la langue omniprésente, en dehors du français, est l'anglais,

1. Terme proposé par A. Lorian, professeur à l'Université hébraïque (Israël).

LA NORME LEXICALE ET L'ANGLICISME AU QUÉBEC



alors qu'en France il y a un pluralisme de l'emprunt Disons plutôt il y avait, car aujourd'hui le français n'emprunte plus guère qu'à l'anglais. Il est significatif que l'allemand, après quatre ans d'occupation, n'a pas laissé de traces dans l'usage du français d'après-guerre. En fait, l'écart entre le français général et le franco-canadien est bien moindre du point de vue de l'emprunt_ qu'avant 1940, et les Français n'ont peut-être pas suffisamment conscience des progrès de l'anglicisation dans leur propre usage. Ils ne sont pas encore sur la défensive comme le sont les Québécois.

Cela dit, si l'on cherche à établir des principes de normalisation dans le domaine de l'emprunt, il importe de considérer ce phénomène à l'état brut, en dehors des incidences d'ordre historique et psychologique. Point n'est besoin de réfléchir longtemps pour se rendre compte que l'emprunt est inévitable - et l'a toujours été - dès (instant que deux langues, et par conséquent deux cultures, sont en contact Et c'est pourquoi (emprunt se comprend mieux quand il est replacé dans son contexte cultureL

Les langues qui nous sont les plus familières, langues mortes et langues vivantes du continent européen, ont toujours pratiqué (emprunt Le latin doit beaucoup au grec; le français a emprunté à (espagnol, à (italien, au provençal, à l'allemand, et même au néerlandais. L'anglais n'est venu que plus tard et s'est alors taillé la part du lion. C'est évidemment le contact qui fournit l'occasion, et le contact peut être établi soit entre des hommes par le biais des voyages, soit entre des oeuvres par le biais de la lecture, qu'il s'agisse de l'original ou d'une traduction. La motivation varie. En gros, elle peut être de deux sortes; soit la nécessité de combler une lacune, soit l'attrait que présente un objet fabriqué, une idée, une technique, en somme un élément d'une civilisation étrangère, dont on pourrait à la rigueur se passer. Ici interviennent la mode, le goût de la couleur locale et aussi, il faut bien le dire, le snobisme. L'un des meilleurs répertoires d'anglicismes que nous possédions, celui de Fraser Mackenzie, paru en 1939, s'intitule Les relations de l'Angleterre et de la France d'après le vocabulaire. C'est en fait, indirectement, le relevé des contacts culturels entre les deux pays depuis le moyen âge jusqu'au XXQ siècle.

La distinction qu'ont établie Brunot et Bruneau dans leur Précis de grammaire historique de la langue française et qu'a reprise Louis Deroy dans l'Emprunt linguistique, se révèle très utile pour comprendre la genèse et le mécanisme de l'emprunt Si on emprunte un objet ou un procédé à un pays étranger, il est évidemment plus simple d'emprunter le nom avec la chose que de chercher à le traduire, d'autant plus que la langue d'arrivée ne dispose pas nécessairement du terme adéquat Cela vaut pour l'emprunt nécessaire (ou jugé tel) qui désigne un élément importable de la civilisation étrangère, mais il arrive aussi que des mots étrangers désignent des choses qui intéressent mais qu'il n'est pas question d'adopter. On a alors affaire à des emprunts de luxe pour des raisons de couleur locale. C'est le cas de presque tous les mots qui nous viennent du russe: isba, kvas, moujik,

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koulak, knout et même ukase. II n'y a guère que samovar, mazout, datcha et troïka (au figuré) dont l'emprunt s'est accompagné des choses que ces mots désignent. Mazout apparaît maintenant comme complètement détaché de la civilisation russe.

A ces exemples d'ordre folklorique il est intéressant d'opposer un emprunt intellectuel, mis au service de la pensée et qui, par conséquent, pourrait se ranger parmi les emprunts utiles, sinon nécessaires. D s'agit du mot thalweg que les géologues ont emprunté à l'allemand. Ce terme n'évoque en rien les choses allemandes et répond seulement au désir logiquement universel de désigner dans une vallée, où qu'elle soit, sa ligne de plus grande pente. Était-il nécessaire de l'adopter? Le français aurait pu garder l'équi­valent locutionnel et analytique que nous venons de donner. A défaut d'emprunt, sa morphologie ne lui permettait guère de créer, dans ce cas, un composé simple et efficace. D'autres langues ont sans doute trouvé dans leur propre fonds les éléments d'une désignation synthétique. II serait d'ailleurs intéressant de comparer sur ce point les langues romanes, ger­maniques, et autres et de voir comment elles s'y sont prises pour résoudre ce petit problème.

La notion d'emprunt est associée dans notre esprit aux langues étrangè­res. Mais le procédé est plus général. Au sein d'une communauté linguistique, il arrive que s'ajoutent au fonds commun des apports qui ne viennent pas du dehors mais de l'ancien fonds et du fonds dialectal. Maintenance est un vieux mot français tombé en désuétude que la langue a récupéré récemment pour désigner l'entretien et la remise en état du matériel naval ou militaire, Pareillement, au cours des années 60, la Faculté d'arpentage et de géodésie de l'Université Laval est devenue la Faculté de foresterie. On a crié à l'anglicisme. En fait, c'est forestry qui vient de foresterie et non l'inverse, tout comme le mot anglais maintenance vient du français. Ces deux termes sont, dans notre langue, des reviviscences après un intervalle de temps de plusieurs siècles. U se peut que le contact avec l'anglais ait contribué à leur réactivation; ils n'en sont pas moins d'authentiques mots français.

Le fonds dialectal nous a fourni, au XXe siècle, rescapé, qui est passé du dialecte du Hainaut en français général à l'occasion d'une catastrophe minière en 1906, et resquilleur, qui nous est venu du parler marseillais en 1930. En des temps plus lointains, l'Est de la France nous a fourni poussière qui a supplanté poudre. 1 n'y a aucune différence fonctionnelle entre ces emprunts et ceux que le français a faits aux langues étrangères. Tout ce qu'on peut dire, c'est que poussière est le premier mot qui vient à l'esprit quand on est en présence de la chose qu'il désigne, tandis que rescapé et resquilleur gardent une valeur pittoresque, peuvent remplacer des mots qui sont déjà dans la langue, mais en ajoutant une nuance qui leur est propre. En fait, ils ne sont pas faciles à remplacer.

Les emprunts constituent pour la langue d'arrivée une ressource im­portante. Employant une image courante dans le jargon financier, nous

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dirons qu'ils créent des liquidités langagières. Là où ils sont nécessaires, ils comblent des lacunes. La notion de lacune ne fait pas partie de la conscience linguistique du sujet parlant Bien entendu, il en va autrement s'il est écrivain ou traducteur. n s'aperçoit alors qu'il y a des choses qu'il n'arrive pas à rendre. Mais ce n'est que par la comparaison que les limites de sa langue lui apparaissent: comparaison entre ce qu'il a dans l'esprit et les mots qui s'offrent à lui pour le dire, s'il est écrivain, ou, d'une façon encore plus directe, écart entre les vocabulaires des deux langues en présence, s'il est traducteur. La vérité est que toutes les langues ont des lacunes. Sur d'autres points elles disposent d'abondantes ressources, mais leurs lacunes et leurs richesses ne sont pas réparties de la même façon, de sorte que sur tel point l'une des deux langues paraît plus riche que l'autre. Avec arbiter, arbitrator, referee et umpire, l'anglais dispose de quatre synonymes (qui d'ailleurs ne sont pas interchangeables) auxquels nous ne pouvons opposer que le seul mot arbitre. De même, nous n'avons que baptiser pour rendre baptize et christen qui ne s'emploient pas dans les mêmes situations. Qu'à cela ne tienne, nous distinguons entre plan (de ville) et carte (map), entre bûche et rondin (log), entre os et arète (bone), entre atterrir et débarquer (land), toutes distinctions que l'anglophone peut faire mentalement, mais non lexicalement Ces exemples révèlent clairement l'existence des lacunes et montrent aussi comment les langues s'en accommodent L'emprunt de nécessité apparaît dès lors comme une ressource linguistique pour combler une lacune. Ce qui veut dire qu'en principe il ne devrait pas y avoir d' emprunt là où il n'y a pas de lacune. Nous verrons que ce n'est pas toujours le cas et qu'il y a des emprunts superflus.

Tout au début de cet exposé, nous avons fait une brève allusion aux diverses catégories d'anglicismes et, par conséquent, d'emprunts. Toutefois, dans tout ce qui précède, il a été essentiellement question de l'emprunt de mot ou emprunt lexical. C'est celui qui est le plus visible, le plus facile à identifier, et c'est sans doute pourquoi il est, historiquement, celui dont on a le plus parlé. On peut dire que jusqu'à tout récemment la notion d'an­glicisme ne dépassait guère les limites de l'emprunt lexical. Le Dictionnaire des anglicismes de Bonnaffé ne donne pour ainsi dire pas d'anglicismes sémantiques, peut-être parce que jusqu'en 1920 ils avaient été peu remar­qués. Y figurent en tout cas réaliser et contrôler que le futur académicien Paul Bourget a employés au sens anglais dans Outre-Mer en 1895. Nos autres grands répertoires d'anglicismes, celui de Fraser Mackenzie, déjà mentionné, et tout récemment celui de Mmes Rey-Debove et Gilberte Gagnon, concentrent leur attention sur les anglicismes lexicaux.

Aussi est-il naturel que tout essai de normalisation des anglicismes s'attaque d'abord aux anglicismes de mots, ne serait-ce que parce qu'ils

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sont les premiers en date à avoir été répertoriés et aussi qu'étant tes moins insidieux ils sont les plus faciles à analyser. Avant de les rejeter sommaire­ment comme des corps étrangers au système (mais l'utile complément des emprunts n'a-t-il pas sa place dans le système de toute langue?), il serait sage de voir si leur apport est positif et dans quelle mesure. Nous avons déjà noté leur utilité pour combler des lacunes. Il est vrai que ce rôle ne s'applique vraiment qu'à une catégorie d'emprunts, celle des emprunts nécessaires. Mais, d'une façon générale, il y a une fonctionnalité de l'emprunt qu'il importe de dégager dans la perspective de notre propos. Et d'abord il faut considérer que l'emprunt est toujours monosémique. Il se peut que le mot emprunté soit polysémique dans la langue de départ-c'est le cas de la plupart des mots - il n'en reste pas moins qu'il est emprunté avec un seul de ses sens. Nous dirons que l'action d'emprunter est éminemment sélective dans le champ sémantique du mot emprunté. Ce mot ne passe dans la langue d'arrivée qu'avec un seul de ses sens, celui dont elle a besoin. Et si à un stade donné du développement d'une langue on constate qu'un mot em­prunté a plusieurs sens, c'est la preuve certaine qu'il a été emprunté plu­sieurs fois et chaque fois avec un sens différent Sans doute le cas est-il rare, mais il méritait d'être signalé pour éclairer le mécanisme de l'emprunt. Pudding a été emprunté deux fois, avec une orthographe différente (pou­dingue et pudding) correspondant aux deux domaines d'emploi géologique et culinaire. Tobbogan est un exemple plus riche et plus probant Ce mot, qui vient de l'amérindien par l'intermédiaire du franco-canadien (tabagane), a d'abord été introduit dans le français général avec le seul sens qu'il a en anglais, celui de traîneau de sport Une fois installé en français, iI a provigné sémantiquement. Successivement, et dans un ordre difficile à déterminer, il a acquis, en plus, le sens d'un double dispositif avec marches d'un côté et plan incliné de l'autre pour l'amusement des enfants dans un parc, de plan incliné pour la descente des paquets dans un magasin, et enfin de léger viaduc démontable permettant aux voitures d'enjamber un carrefour. Cela veut dire qu'un bon dictionnaire français-anglais doit donner quatre équi­valents anglais du mot français toboggan: toboggan, slide, chute et ouer­pass, alors que dans la partie anglais-français toboggan, mot anglais, n'aura qu'un équivalent français, à savoir toboggan (traîneau de sport). Nous avons là un exemple, exceptionnel il est vrai, de « liquidités langagières » créées par un emprunt anglais en français, et qui souligne l'aspect « ressource » du phénomène que nous avons déjà mentionné.

Une autre caractéristique de l'emprunt qu'il convient de mentionner en prévision de normalisations éventuelles est son degré d'intégration dans la langue d'accueil. Nous avons dit que la prononciation du mot emprunté n'est très souvent ni celle de la langue qui donne ni celle de la langue qui reçoit, mais qu'il s'établit un compromis entre les deux. Cela est très net pour les noms propres. D existe à Paris une rue portant le nom de l'ingénieur anglais qui a mis au point la traction à vapeur sur voie ferrée. D serait pré­tentieux, et de plus cela pourrait induire en erreur, de prononcer ce nom « Stevenson » comme en anglais; par ailleurs chacun pense bien que ce

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n'est sûrement pas « sté-fan-son ». Le compromis tient compte du fait que l'anglais n'a pas de nasales, et l'on dit généralement « sté-fenne-sonne ». Shopping se prononce à peu de chose près en français comme en anglais, mais ce n'est pas le cas de standing, dont la première syllabe est nasalisée. Dans speaker, c'est la deuxième syllabe qui, rimant avec « bancaire », est nettement française. Cependant il peut arriver que l'écart phonétique soit imperceptible pour une oreille non exercée. Prenons comme exemples, pour leur valeur de contraste, deux mots récemment venus de l'anglais, self et design. Un Français n'a aucune difficulté à prononcer self même si un phoné­ticien peut reconnaître que ce n'est pas un Anglais qui parle. Cela tient à ce que la structure de ce mot est simple; toutes les lettres se prononcent et leurs sons s'articulent de la même façon. Tout au plus peut-on dire que le mot est étranger d'une certaine façon par sa consonance. II ne rime avec aucun autre mot de notre langue, à part elfe, qui justement vient aussi de l'anglais.

On voit que la prononciation est un obstacle majeur à l'assimilation, mais il est surmontable. Qui, à moins d'être philologue, se rend compte que désinvolture est un mot italien? Quand JA. Rousseau l'a employé, apparemment pour la première fois, en 1761, il affichait son origine (disin­voltura). Mais lorsqu'au XIXe siècle il s'est mué en désinvolture, son origine étrangère est devenue invisible. Si dans une situation inconcevable aujour­d'hui (mais qui a existé au XVIe siècle) une campagne s'instaurait contre les italianismes, il est peu probable qu'on songerait à proscrire désinvolture, pas plus que villégiature ou politesse, autres italianismes indécelables. Parfois, le changement d'une seule lettre permet d'opérer la naturalisation; c'est le cas de démarcation et d'embarcation qui nous viennent de fespagnol2, sans que ce soit en aucune façon évident

Dans le cas du français et de l'anglais, il n'y a même pas une lettre d'écart Le suffixe s'écrit avec un t dans les deux cas, et les noms ainsi formés font partie de ce vaste vocabulaire que les deux langues ont en commun, ce qui facilite les échanges entre elles - mais aussi, il faut bien le dire, des confu­sions sémantiques.

Il en résulte des emprunts invisibles sous leur forme écrite. Le sujet parlant a (impression d'avoir affaire à un mot de sa propre langue. L'anglo­phone n'a aucune raison de deviner que information vient du français, et il en va de même du francophone, même instruit, à propos des mots de la famille de importation, qui sont venus de (anglais au cours du XVIIIe siècle. À peu près à la même époque, population, qui avait déjà fait son apparition, s'est définitivement installé dans l'usage sous l'influence de l'anglais.

Le cas de sentimental est encore plus significatif. Le traducteur du roman de Steme, A Sentimental Journey, a gardé le mot anglais dans sa traduction (en 1769) parce que, a-t-il expliqué dans sa préface, il ne savait

2. Demarcacidn et embarcaciôn (N.d.Lr.).

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comment le rendre. II pensait d'ailleurs que ce mot, jugé intraduisible, mé­ritait de passer dans notre langue. L'adoption a été d'autant plus facile que sentimental peut se syllaber, donc s'articuler, exactement comme un mot français. Orthographiquement et phonétiquement, il était déjà directement assimilable. Et cela montre l'importance de la parenté dans le mécanisme de l'emprunt.

Lorsque des langues sont parentes, la morphologie de leur vocabulaire reflète cette parenté. C'est le cas des langues européennes, à l'intérieur des trois grands groupes qu'elles constituent: groupe latin, groupe germanique, groupe slave. Or, il se trouve que l'anglais, langue germanique par sa struc­ture grammaticale, est aussi une langue romane par son vocabulaire, qui contient plus de mots romans que de mots indigènes. D'autre part, l'emprunt peut être diffus et non limité à deux langues. L'anglais et le français ont em­prunté à l'espagnol flotilla et junta, à l'italien chiaroscuro et lava. La seule différence est que l'anglais a gardé ces quatre emprunts tels quels, tandis que le français les a assimilés. Il y a aussi les mots voyageurs qui vont et viennent entre les langues, tels budget et express que l'anglais a pris au français et qu'il lui a rendus avec la forme qu'il leur a donnée et un sens qui lui est pro­

la perspective élargie où nous cherchons à situer le phénomène de l'emprunt, il ne faut pas laisser de côté l'internationalisation du voca­bulaire que l'on trouve à au moins deux niveaux. D'abord, pour le commun des mortels, au niveau touristique: hôtel, restaurant, taxi, toilettes se retrou­vent, avec parfois de légers changements orthographiques, jusque dans les pays scandinaves. Information est en concurrence dans notre usage avec le terme renseignements. Les renseignements sont d'ordre pratique et sou­vent d'une utilité immédiate: heures de train ou d'avion, noms et adresses d'hôtels, utilisation des cartes de crédit, etc. Par contre, les informations peuvent être uniquement d'ordre culturel: situation de la ville, son climat, son importance régionale, ses ressources économiques. Or, il est visible qu'à l'heure actuelle, information(s) semble prendre le pas sur renseignements. Et cela se comprend. Dans une gare française d'importance internationale, sur la pancarte au-dessus du guichet ad hoc, on trouvera souvent INFORMA­TION plutôt que RENSEIGNEMENTS, simplement parce que le premier sera compris par une plus grande diversité de nationalités que le second. À un niveau supérieur, le vocabulaire scientifique s'est largement internationa­lisé. Sans aller jusqu'à rendre inutile la traduction des textes suivis, il rend plus aisée la communication entre les savants, par delà leurs nationalités restreintes et diverses.

pre-Dans

On peut se demander si l'emprunt de mot est tenace, s'il dure. Cela dépend en grande partie de son utilité. 1! n'y a pas de raison pour qu'il ne suive pas le sort des mots indigènes. Depuis les années 60, le Petit Larousse


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a éliminé bank-note, broker, fashionable, high-life, skating, waterproof. La profession de broker existe toujours, mais les choses que désignaient les cinq autres emprunts ne font plus partie de la phase actuelle de notre civili­sation. L'imperméable d'aujourd'hui a la même utilité que le waterproof; il est néanmoins d'un style très différent

De toute façon, ces mots n'étaient pas vraiment assimilés. Cela ne veut pas dire que l'assimilation soit une garantie absolue de pérennité; toutefois, elle contribue à enraciner le mot emprunté. Boulingrin et redingote ne sont plus des mots très fréquents, encore que le second bénéficie des caprices de la mode féminine. Ils ne continuent pas moins à figurer au Petit Larousse. Notons en passant que la survie des emprunts dans ce dictionnaire est, dans une certaine mesure, un test, car il doit chaque année faire de la place pour les néologismes.

Il convient de s'arrêter à cette notion d'enracinement qui, par définition, se fait graduellement et non d'un seul coup. Dans certains cas, l'enracinement comporte deux étapes distinctes, celle de l'apparition et celle de l'adoption, parfois séparées par une longue période. Cela s'est produit, on l'a vu, pour population. Le cas de football, exceptionnel il est vrai, est plus frappant Apparu en 1698, il ne s'est vraiment installé dans l'usage qu'en 1900, c'est­à-dire quand le sport qu'il désigne est entré dans les moeurs. 11 a même alors donné naissance au dérivé footballeur.

Bien qu'il n'y ait rien d'absolu dans ce domaine, on peut dire que tout changement morphologique opéré par la langue d'arrivée est facteur de con­solidation, sinon d'enracinement Dans le cas des anglicismes, il y a une forme d'adaptation qui leur est particulière et qui ne semble pas s'appliquer aux emprunts venus des autres langues. C'est l'amputation du second élément quand le mot anglais est un composé. Cette tendance est relative­ment récente. Vers 1880 skating rink s'est abrégé en skating. Au début du siècle cargo boat et cargo ship sont devenus des cargos, sans préjudice de la confusion de sens avec le mot anglais cargo, qui signifie cargaison et non navire marchand. Depuis, les exemples se multiplient En voici quelques­uns. Le deuxième élément, que le français supprime, est donné entre paren­thèses: basket (ball), cocktail *(partiy), flash (light), palace (hotel), parking (lot), rock (and roll), snack (bar), script (girl). Ce dernier terme a fait un pas de plus dans la voie de l'assimilation, il s'écrit maintenant scripte.

Plus important que ces phénomènes, somme toute marginaux, est le provignement, c'est-à-dire la formation de dérivés à partir du mot étranger. On note avec intérêt qu'ayant emprunté rail à l'anglais, nous lui avons peu après donné deux dérivés, dérailler et déraillement, qui ont traversé la Manche, et aussi l'Atlantique, dans l'autre sens pour devenir to be derailed et derailment. En 1921, un écrivain tchèque, Karel Tchapek, a écrit une pièce intitulée Les Robots. Le mot robot est passé en français vers 1935 et s'y est maintenu sans difficulté, étant donné son actualité. Depuis la fin des années 60 son emprise sur le français s'est élargie par la formation de

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deux dérivés robotiser et robotisation, auxquels est venu s'ajouter récemment l'adjectif robotique.

Les dérivés français de mots anglais peuvent avoir grâce au suffixe isme (que l'anglais pratique moins) une valeur conceptuelle que les mots anglais n'ont pas. C'est le cas de scoutisme, en face de scouting, de snobisme en face de snobbery, mais tourisme est passé en anglais sous la forme tourism.

En marge des emprunts lexicaux, on peut considérer qu'il existe une catégorie d'emprunts morphologiques, la langue donnant dans ce cas à un mot indigène une forme empruntée à un idiome étranger, qui dans le cas du français est généralement l'anglais. Ce genre de phénomène est indi­viduel plutôt que collectif et échappe de ce fait au type de normalisation considéré ici. Ainsi le francophone qui est souvent en contact avec l'anglais écrit se laisse aller à écrire coercion, qui est anglais, au lieu de coercition, ou encore « dégénération » pour dégénérescence, « arbitration » pour ar­bitrage, « figuratif » pour figuré. Mais voici que depuis quelque temps les dictionnaires français donnent « déodorant » à côté de désodorisant. C'est sans doute pour une raison analogue (la proximité de l'anglais) que détergent a supplanté détersif, que le Larousse universel de 1941 présentait comme plus fréquent que détergent. Ce qui est dans le dictionnaire est forcément collectif, et cela signifie que « déodorant » tombe sous le coup de la norma­lisation.

Les emprunts lexicaux sont essentiellement des formes venues d'une autre langue et ne véhiculant qu'un sens à la fois. Ils présentent un intérêt sémantique puisqu'ils ajoutent chaque fois une unité au stock de signifiés de la langue, stock difficile à dénombrer mais dont l'existence ne fait pas de doute. C'est le cas de importation, de sentimental et de population. A cet égard on peut se demander ce qu'on disait, avant le milieu du XVIIIe siècle, pour parler de ce qui n'a commencé qu'alors à s'appeler population. Tout emprunt apportant quelque chose de nouveau est en fait un néologisme. fi arrive aussi, et c'est ce que nous voudrions maintenant souligner, que l'emprunt permette une utile différenciation sémantique par rapport au terme avec lequel il semble, à première vue, devoir faire double emploi. Ainsi STOP, qui, soit dit en passant, est devenu un mot international, n'est pas l'arrêt de l'autobus qui permet aux voyageurs de monter ou de descendre, mais un arrêt obligatoire pour raison de sécurité. Un ticket n'est pas un billet, ce que Romain Gary a sans doute oublié quand il a intitulé un de ses livres Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable. Offi­ciellement le métro ne connaît que les billets, mais il y a eu des tickets d'autobus, des tickets de rationnement (appelés en anglais coupons) et la SNCF distingue entre les billets de chemin de fer et les tickets de quai.

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Un lunch n'est pas n'importe quel déjeuner, mais le repas servi au milieu de la journée à l'occasion d'un mariage. Le label n'est pas n'importe quelle étiquette, mais celle qui atteste la qualité d'un produit. Les géologues français ont trouvé commode d'emprunter le mot anglais subsidence et lui ont donné le sens particulier d'affaissement lent Et on sait qu'une interview n'est pas n'importe quelle entrevue.

Parfois il y a même entre les deux langues échange de bons procédés. Meeting a en français un sens plus spécialisé qu'en anglais; il ne s'applique qu'au domaine politique et suppose un important rassemblement Inverse­ment, reunion en anglais (et par conséquent sans accent) n'est pas n'importe quel meeting, mais une occasion de retrouvailles pour les anciens élèves d'une université ou les membres dispersés d'une nombreuse famille qui se retrouvent après une longue absence. Qui ne voit qu'il y aurait lacune si, respectivement, nous étions privés de meeting en français et de reunion en anglais.

Au cours des pages qui précèdent, nous avons essayé de montrer l'emprunt lexical sous ses différents aspects. II nous est en effet apparu qu'une normalisation des emprunts ne pouvait se faire qu'en tenant compte de leur nature et de leur fonction.

Tout d'abord il fallait souligner l'universalité du phénomène dans le temps et dans l'espace. En second lieu, dire qu'il est susceptible d'une assimilation partielle ou totale qui, à la limite, le rend pratiquement indécelable. L'iden­tification de l'emprunt dans le cas du profane dépend de sa conscience linguistique. On peut se demander, si l'adaptation phonétique et ortho­graphique aidant, combien de Québécois sentent « lousse » comme un emprunt

U était également important de montrer que l'emprunt se justifie souvent par son utilité. D'abord, et du point de vue sémantique, il constitue une nouvelle unité de vocabulaire. U permet parfois de marquer une nuance non négligeable par rapport au mot indigène avec lequel il semble à première vue devoir faire double emploi. En somme, il peut être enrichissant Dans le domaine technique, et dans la mesure où il s'ajoute au vocabulaire international, ü permet aux spécialistes de communiquer plus facilement hors frontières.

Il a aussi une valeur fonctionnelle. Presque toujours il reste monosémique. Certes, la plupart des rôts d'une langue sont polysémiques. 1 n'empêche que l'usager, consciemment ou non, aspire à la monosémie parce qu'il la trouve commode. un mot par sens, un sens par mot Cet idéal est rarement réalisé; il l'est cependant dans le cas des mots étrangers.

En outre, tant qu'il reste visible, identifiable en tant qu'emprunt, il se détache sur le fond de l'énoncé, il offre l'avantage d'être un signifiant marquant U lui arrive aussi de donner un détail qui exigerait un mot de plus dans la langue d'arrivée. En 1918 on parlait de l'aviation anglaise et

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en 1940 de la RAF. Dans ce dernier cas on n'avait pas besoin de dire qu'elle était anglaise. u est facile de soutenir que droit coutumier est plus français que « la common law » et constitue un équivalent acceptable même si les deux réalités ainsi rapprochées ne sont pas identiques. Ne le sont pas non plus les pouvoirs du chef de l'État, portant cependant le,même titre de président, en France et aux États-Unis. Et sans doute les marines sont des troupes de marine, de l'infanterie de marine. Il n'en reste pas moins que le juriste ou le journaliste préfèrent respectivement la common law et les marines, expressions qui révèlent immédiatement leur origine, leur spécificité et préviennent toute ambiguité.

On remarquera que, de propos délibéré, le sujet des emprunts lexicaux a été traité dans un contexte général, disons même international, en dehors de la situation linguistique du Québec au cours des deux derniers siècles. Nous reviendrons sur cette situation lorsque le moment sera venu de dégager des principes de normalisation.

Nous en venons maintenant aux anglicismes sémantiques. Nous sommes dès lors dans un domaine où la question de l'emprunt se présente sous un tout autre jour que pour l'emprunt lexical. La nature humaine est ainsi faite qu'elle se laisse influencer beaucoup plus par ce qui est visible que par ce qui est caché. En matière de langue, les signifiants - c'est-à-dire les mots et locutions nécessairement porteurs de sens - sont plus faciles à analyser que les signifiés ainsi véhiculés. Il est plus facile de cataloguer les mots que leurs sens, et d'ailleurs l'on constate que l'aire sémantique d'un mot n'est pas analysée de la même façon dans différents dictionnaires. Et ce qui est vrai du sens l'est aussi de leurs constructions. Des mots étant authentiquement français, est-on en mesure de dire d'emblée que ce qui est anglais n'est pas dans les mots pris séparément, mais dans la façon dont ils sont ordonnés et qui est un calque de l'anglais?

Une bonne et simple définition de l'anglicisme sémantique a été donnée dès 1879 par Jules-Paul Tardivel. A cette époque, les pays francophones autres que le Québec, ou ne s'intéressaient pas à l'anglicisation du français, ou ne la voyaient que sous son aspect lexical. II est vrai qu'au Québec l'anglicisme sémantique sévissait déjà et c'est le mérite de Tardivel d'avoir saisi si tôt son actualité. Dans une causerie prononcée au Cercle catholique de Québec en décembre 1879 il avait dit: « Voici comment je définis le véritable anglicisme; une signification anglaise donnée à un mot français. » On ne saurait parler de façon plus limpide. En outre les exemples, empruntés à la langue des députés à l'Assemblée législative, sont très pertinents et certains restent actuels. On ne peut s'empêcher de se demander comment Tardivel, arrivé des États-Unis au collège de Saint-Hyacinthe à l'âge de dix­sept ans (en 1868) sans savoir un mot de français, avait pu en l'espace de onze

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ans parvenir à manier le français, sa seconde langue, avec exactitude et élégance, et en même temps posséder les distinctions de sens qui existent entre les mots français et les mots anglais de même origine, ces faux amis du traducteur.

L'expression faux ami a fait fortune en France parmi les spécialistes d'anglais. On voit pourquoi. Les faux amis constituent en effet un écueil majeur pour l'intercompréhension des deux langues. Cela tient à ce vaste vocabulaire roman qui dérive du latin, soit directement, soit par l'intermé­diaire du français, et que les deux langues ont en commun. Les mots qui le composent ont la même origine, souvent la même orthographe, ou presque, mais ayant évolué dans deux cultures différentes, ils n'ont pas nécessairement le même sens, ou ils ne l'ont qu'en partie.

Cela nous permet de faire un premier classement parmi les faux amis: ceux dont les aires sémantiques sont complètement distinctes et ceux dont

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