404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



Yüklə 2,93 Mb.
səhifə25/39
tarix26.10.2017
ölçüsü2,93 Mb.
#15106
1   ...   21   22   23   24   25   26   27   28   ...   39

NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE

La notion de FS familier telle que la présente T. Bonin manque de clarté. Elle ne réussit pas à trancher sans ambiguïté sur deux questions centrales: (1) le FP est-il un sociolecte s'opposant au FS? (2) le FP se démarque-t-il du FS familier, c'est-à-dire de certains niveaux de langue, de certains styles ou de certains types de discours du français standard? En d'autres termes, lorsqu'il est soumis aux contingences de l'énonciation, le FS familier se confond-il avec le FP soumis lui aussi aux mêmes contingences?

2.3 Le continuum français populaire/français cultivé

Une récente enquête empirique de P. Behnsted (1973) permet de répondre en partie à la première question. Parce qu'il s'aligne sur l'opinion reçue selon laquelle le parler des masses exhibe une différenciation stylisti­que limitée, ce chercheur ne pourra pas non plus jeter de lumière sur la deuxième questions.

Selon la plupart des auteurs, le FP se distinguerait sur le plan linguisti­que par les traits suivants:

-Tendance à l'invariabilité: Elle est gras comme un cochon. Elle s'est mépris.

-Temps surcomposés. J'ai eu acheté du fromage (indéfini). J'ai acheté du fromage (défini).

- Reprise du pronom: Moi, je ... ; lui, il ... ; nous, on . . .

- Substitution de y pour lui: J'y dirai.

- Décumul du pronom relatif: Dimanche que vient je lui écris ma carte.

Mon mari que je suis sans nouvelles de lui.



L'homme qu'il est venu avec.

- Absence du négatif ne: 11 va pas au travail

9. Selon J. Lindenfeld (1969), les locuteurs représentant les couches sociales inférieures disposeraient d'une gamme stylistique plus réduite que les membres des classes moyennes. L'enquête sur laquelle elle s'appuie contient plusieurs faiblesses méthodologiques (no­tamment le choix des variables linguistiques, limitées à deux traits syntaxiques définis selon la perspective transformationnelle, et une procure d'élicitation fort discutable selon laquelle les sujets devaient s imaginer produire des énoncés sous deux types de cir­constances différentes) et un nombre de témoins trop réduit pour que l'on accepte ses conclusions. Dans l'enquête qu'elle a entreprise sur la variabilité syntaxique des Français (1974), L -B. Robach estime que la réticence de la part des membres des couches sociales inférieures à se prêter à une entrevue reflète leur faculté verbale plus limitée.

LA NORME LINGUISTIQUE



- Interrogation: particule interrogative -ti: Viens-ti, elle vient-ti? croisements entre est-ce que et l'inversion: Quand que tu viens?

Quand c'est-ti que tu viens? Quand c'est que tu viens?



- Dislocations syntaxiques: Moi, c'est le patron, il nous transporte sur le chantier

Les immigrés, bon ber, qu'est-ce qui font ces immigrés?

-E muet intercalé: un infecte cigare, un filme parlant. -Simplification des groupes de consonnes composés d'une occlusive ou /f v/ plus liquide: l'aue jour, rot' frère.

P. Behnsted enregistra un groupe de Français divisé en deux catégories socioculturelles selon une variété de critères sociologiques: revenu, niveau d'instruction, etc. Le chercheur allemand partit de la supposition, fausse à notre avis, que les témoins représentant les classes sociales inférieures pro­duisent des énoncés non différenciés du point de vue du style ou du niveau de langue. Ainsi désigna-t-il les échantillons de langue produits par eux « français populaire ». Pour les témoins issus des classes moyennes, il dis­tingua entre le style familier et le style soutenu. Son enquête porta sur la fréquence relative des tours interrogatifs dans les questions partielles, c'est­à-dire les phrases contenant un pronom ou un adverbe interrogatif. Dans ce domaine syntaxique, le français montre un foisonnement de tours qui se regroupent sous quatre catégories: (1) l'antéposition de l'élément interro­gatif avec le maintien de l'ordre sujet-verbe (Où Jean va?, Où il va?); (2) la substitution d'une proforme pour l'élément interrogatif mais son maintien en position finale (Jean va où?, Il va où?); (3) l'adjonction de la particule est-ce que au début de la phrase et l'antéposition de l'élément interrogatif (Où est-ce que Jean va?, Où est-ce qu'il va?); (4) l'inversion sujet/verbe et l'antéposition de l'élément interrogatif (Où Jean va-t-il?, Où va-t-il?).

Les résultats de l'enquête, présentés au tableau 1, mettent en cause la ligne de partage traditionnelle entre le FP et le FS. Nous notons que le FP et le FS familier (telles que ces notions sont définies par Behnsted) s'opposent

au FS soutenu par une plus haute fréquence relative de l'ANTÉPOSITION et de EST-CE QUE et un faible taux d'emploi de l'INVERSION. Le FP ne se démarque du FS que par la présence des tours pléonastiques (Où qu' tu vas?, Où c'est que tu vas?, etc.) et un faible emploi de PRONOMINALISATION. En traçant de grands traits, on peut affirmer que le FS soutenu se distingue des deux autres variétés par l'emploi de l'INVERSION, le tour interrogatif le plus élaboré et le plus malaisé à manier.


NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE



Tableau 1

Fréquence relative de la distribution des constructions interrogatives dans un corpus de français parlé

type de construction

fr. pop.

fr. standard







familier

soutenu

ANTÉPOSITION Où tu vas? Où Jean va?

36%

46

10

PRONOMINALISATION Tu vas où?










Jean va où?

12

33

25

EST-CE QUE










Est-ce que Où est-ce que tu vas?

8

12

3

est-ce que Jean va?










Que Où qu' tu vas?

26

-

-

C'est que Où c'est qu' tu vas?

3

4

-

Que c'est que Où que c'est que tu vas?

6

-

-

INVERSION










Simple Où vas-tu?

-

3

47

sont passés mes










cigares?

9

2

12

Copie du PROF. Où Jean va-t-il?

-

-

3




(N-587) (N-446) (N-436)

P. Behnsted ne s'est pas borné à l'observation du comportement lan­gagier des Français; il a aussi tenté de sonder leur subconscient linguistique. U a posé, à cet effet, plusieurs questions portant sur l'estimation subjective et intuitive des sujets quant à la fréquence d'emploi dans le discours des divers tours interrogatifs (cf. le tableau 2).

Tableau 2

Fréquence relative des constructions interrogatives: usage réel dans un corpus de français parlé opposé à l'estimation de leur usage

par les locuteurs



type de construction

usage réel

estimation

ANTÉPOSITION

,47

,30

PRONOMINALISATION

,35

,20

EST-CE QUE

,15

,19

UWERSION

,03

,30




LA NORME LINGUISTIQUE

En supposant que les locuteurs interrogés appartenaient aux classes moyennes'°, nous pouvons déduire de ces données une dévalorisation des tours perçus comme constituant le FP (ANTEPOSITION et PRONOMINA­LISATION) et une survalorisation très accusée de l'INVERSION, tournure caractérisée du FS de style soutenu.

Nous sommes donc autorisés à conclure que le FP et le FS sont des abstractions idéalisées représentant les pôles d'un continuum linguistique où toute ligne de partage ne pourrait se tracer à partir de critères stricte­ment descriptifs. Nous nous rangeons donc à l'avis de P. Guiraud qui voit dans le terme FP la convergence de trois catégories de faits: (1) une distinc­tion socioculturelle, le FP étant l'héritier des parlers des masses paysannes et ouvrières et reflétant la langue vernaculaire; (2) une distinction de moyens d'expression, le FI? reflétant les modalités du langage parlé en situation d'énonciation; (3) une distinction stylistique, le FP recouvrant les situations où le locuteur énonce plus spontanément et se réfère moins à un corps de prescriptions langagières. Ces deux pôles du français tirent leur substance de sources différentes. Le FP s'alimente auprès des parlers régionaux et des jargons en usage dans les couches paysannes et ouvrières, l'argot du milieu en particulier; le FS puise dans les divers styles de français écrit et, malgré les interdits des puristes, dans les langues étrangères, l'anglo-américain notamment, cf. le schéma 1.

Schéma 1

Relations entre le FP et le FS

:INFLUENCES

------------ _-___-____________________ :FACTEURS DÉTER-:

:MINANT L'EMPLOI



L-__ _ -__ __-_ 1 moyen d'expression



L---_----_-.r • classe sociale

Argot patois et français classique langues langues 4 étrangères

régionales français littéraire e -



français populaire ~---*- français standard

spontané soutenu oral écrit populaire bourgeoisie

10. d n'apparaît pas clairement dans l'étude de Behnsted si le groupe de témoins portant un jugement subjectif sur la fréquence d'emploi correspondait, du point de vue de son appartenance aux diverses strates sociales, à celui auprès duquel la totalité du corpus oral avait été recueillie.

NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE



Si nous nous sommes attardé sur les notions de FS et FP, c'est pour détruire l'illusion, profondément enracinée, que ces deux termes corres­pondent à des réalités objectives. Ceux qui estiment que, vu les changements politiques et sociaux qui continuent de bouleverser l'ordre établi dans les aires francophones, le concept de norme hexagonale unique a fait son temps doivent prendre connaissance de sa nature fictive. Soulignons en passant que la nature fictive du FS ne le déconsidère nullement Bien au contraire, c'est précisément le fait qu'il repose sur un corps de prescriptions et qu'il constitue une abstraction qui peut fonder sa légitimité en tant que norme supra-régionale. Certes, le FS reflète le comportement verbal de la bour­geoisie cultivée parisienne sous certaines conditions d'énonciation, mais il est fort probable qu'il donne une image aussi fidèle du comportement de bien d'autres francophones n'ayant jamais vécu dans la capitale de l'Hexagone. En ce qui concerne la notion de FP, nous tenterons de démontrer que les stéréotypes négatifs et les confusions entre les sociolectes des couches sociales défavorisées et le style familier des sociolectes plus prestigieux pèsent lourdement sur les attitudes qu'ont les francophones non parisiens et extra-hexagonaux envers les traits particuliers de leur région. Cette double démystification s'imposait avant d'aborder le point central de notre contri­bution, la notion de norme régionale.

3. Le français régional

3.1 Problèmes de définition et de démarcation

La reconnaissance de la spécificité régionale au sein de la francophonie est en voie de faire r unanimité tant parmi ceux qui veillent au maintien de la bonne tenue du français que parmi ceux qui se boment à le décrire sous toutes ses manifestations. L'ancien préfet de (Orne, J. Le Comec (1981), qui se place volontiers dans le camp des défenseurs de l'idiome national, fit une large place aux vocables du terroir dans son effort de maintenir le bon usage tout en le revigorant Le linguiste belge W. Bal (1977) estime que la langue française « semble moins menacée aujourd'hui par les parti­cularismes régionaux et la créativité populaire, foisonnement de la vie, que par les prétentions des cuistres et des snobs. . . ». Pour le Congolais J.-P. Makouta-Mboukou, le droit à (écart par rapport à la norme internationale fait partie intégrante de l'identité culturelle (1973: 16b):

« p ne faut pas que les Négro-Africains subissent simplement une langue qui leur est totalement étrangère, il faut qu'ils ne soient plus de simples et mauvais consommateurs de la langue française mais qu'ils la recréent pour la rendre accessible à leur mode de vie et à leur manière de penser.

Mais comme le note bien Le Comec (1981: 227), une grande langue de communication internationale, en se disséminant sur de vastes aires et en s'accommodant aux modes de conceptualisation et à la culture de nou­velles communautés, risque de se morceller et de se disperser. S'il s'ouvre aux régionalismes, le français ne se condamne-t-il pas à perdre son unité


LA NORME LINGUISTIQUE

et à éclater en une variété de normes, voire de systèmes distincts? Cette question est bien à la base de toute discussion sur la reconnaissance de sous­normes régionales. Nous y reviendrons lorsque nous émettrons nos con­clusions.

Définir la notion de français régional se révèle fort malaisé. D'une part, les traits linguistiques que recouvre ce terme doivent se démarquer de ceux qui caractérisent des variétés de langues localisées dans Pespace et le long de la gamme des strates socioculturelles. D'autre part, il faut iden­tifier l'entité à laquelle s'opposera le français régional: le français hexagonal, le français « central », le français de la bourgeoisie cultivée de Paris, le français « neutralisé »?

Ch. Bruneau (cité par G. Straka, 1981: 35) met l'accent sur la large diffusion d'un mot régional par rapport à un vocable faisant partie du patri­moine dialectal:

« Le mot régional est un mot qui est connu de tout le monde, des gens de la ville comme des gens de la campagne, dans un espace [. . .] comprenant plusieurs départements [. . .l »

L'éminent historien de la langue note aussi que les utilisateurs ne per­çoivent nullement le caractère déviant d'un vocable régional. Pour eux, il fait partie du français général et, par ailleurs, n'a aucun lien avec les parlers locaux. Pour ainsi dire, il n'est repérable que de l'extérieur. Pour nous, cette définition est trop restrictive car elle excluerait les termes septante et nonante qui, bien qu'absents des répertoires productif et réceptif des francophones résidant hors de l'aire géographique comprenant la Belgique, la Suisse romande et les régions orientales de l'Hexagone, sont devenus des stéréo­types perçus comme tels par leurs utilisateurs".

Selon un point de vue qui nous semble majoritaire, les français régionaux se définissent par rapport à un noyau central, en l'occurrence le français dit standard, correspondant soit à une variété de langue particulière - le parler de la bourgeoisie cultivée parisienne -, soit à une koinê - un fran­çais neutralisé dont l'élément central résiderait précisément dans le fait que ses traits constitutifs ne sont pas localisables, géographiquement ou sociale­ment Une variété régionale particulière de français consiste en un noyau central et une série d'écarts, franges périphériques et secondaires. Précisons que ceux qui souscrivent à ce point de vue limitent en général leurs obser­vations aux traits lexicaux. Comme le fait remarquer L Warrant (1973), qui réprouve cette approche, elle s'accompagne généralement de l'élévation d'une variété particulière du français au rang de français neutralisé et de norme de référence.

11. La définition de Ch. Bruneau ne tient pas non plus compte des différences culturelles à l'intérieur de la communauté régionale. Les locuteurs ayant séjourné hors de la région seraient plus sensibles aux traits régionaux que leurs voisins sédentaires. Pour être

« opérationnalisable », la définition devrait stipuler les caractéristiques sociales des utili­sateurs dont le jugement servirait de référence.


NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE

Cet auteur opte pour une approche plus analytique de la définition des variétés régionales. Selon lui, elles se distinguent du parler central (ou des parlers centraux) par quatre traits: l' oralité, le provincialisme, le régiona­lisme et le marginalisme. Une variété régionale reflète davantage le langage parlé que le français central, dont la fixité relative est maintenue par l'écrit. Elle est provinciale par le fait qu'elle produit peu de néologismes''-'. Une variété régionale contient aussi des traits spécifiques à une région. Ainsi L. Warrant précise-t-il qu'il n'existe pas de français « belge » mais plutôt des variétés propres à Liège, Namur, Mons, etc. Enfin, elle est marginale puisqu'elle contient des traits qui n'ont plus cours en français central.

C. Straka aborde le problème de la définition du français régional en traçant ses sources. Les traits régionaux proviennent principalement du substrat dialectal et des langues et dialectes avoisinants. Néanmoins, le français commun fournit un grand nombre d'apports sous la forme d'ar­chaïsmes, tels que l'acception « couloir d'entrée d'une maison » pour une allée attestée à Lyon et que l'on retrouve dans les textes de moyen français et les oeuvres littéraires modernes (Straka, 1981: 42). Les traits lexicaux régionaux tirent aussi leur origine des glissements sémantiques, tels que l'emploi de rosette dans le sens de « gros saucisson » relevé dans la même région.

3.2 Facteurs déterminant la nature du français régional

Le sens attribué au terme de français régional reflète les premiers em­plois qui en ont été faits. Quoiqu'il ait été employé pour décrire des variétés hexagonales périphériques, par exemple celles de Marseille (A Brun, 1931) ou de Toulouse (J. Séguy, 1950), ce terme a surtout été introduit pour décrire le français de Belgique (Piron, 1979). Pour la plupart des auteurs qui s'en servent, le terme de français régional se rapporte aux français en usage dans les zones périphériques de l'aire gallo-romane - Belgique, Suisse romande et val d'Aoste. Ce n'est que récemment qu'il a fait son apparition dans les discussions portant sur des variétés du français standard (en opposition au français populaire ou aux dialectes) de l'Hexagone. Mais l'on ne pourrait poser le problème de la diversification des normes du fran­çais sans faire entrer en ligne de compte les variétés d'outre-mer, tant celles de l'Afrique noire que celles du Québec ou de la Louisiane. En effet, la netteté de la démarcation des variétés régionales par rapport au français central et la probabilité de l'émergence d'une norme régionale autonome dépendent de l'écologie linguistique de la région en question.

Selon un modèle qui a encore cours, les communautés francophones s'ordonnent comme le système solaire. Gravitant autour d'un noyau cons­titué par le français hexagonal (bon usage) se retrouvent d'abord les parlers

12. L Warrant (1973) indique toutefois qu'une partie importante de la terminologie de l'industrie charbonnière du domaine francophone est issue des variétés régionales belges: houille, houillère, grisou, etc.


LA NORME LINGUIST1QUE

des ethnies francophones d'Europe, puis ceux des anciennes colonies d'Amé­rique et enfin les variétés franco-africaines et les parlers créoles à base lexicale française. Aux confins de ce système concentrique apparaît la francophonie culturelle disséminée à travers le monde. Willy Bal (1977) propose un mo­dèle plus approprié où s'opposent les régions de tradition française, dans lesquelles les parlers en usage aujourd'hui remontent aux formes locales du latin, et celles qui représentent des zones d'extension de la langue, soit par son importation par des groupes francophones soit par sa superposition à des idiomes locaux à la suite de conquêtes militaires ou par le rayonnement culturel Mais ce modèle ne tient pas compte suffisamment d'une des cons­tantes de la dissémination du français, la superposition d'une norme exogène -en l'occurrence le francien et plus tard le parler d'un groupe social parti­culier de la région parisienne - sur des variétés de langues issues comme elle du substrat roman commun.

Ainsi au lieu de la distinction: région de tradition française/région d'expansion, nous proposons l'opposition: français, langue vernaculaire/ français, langue véhiculaire ou officielle. Dans les régions qui appartiennent au premier groupe, la majorité de la population autochtone pratique cou­ramment le français tandis que dans celles du second groupe les locuteurs effectifs ne constituent qu'une faible minorité. Plusieurs conséquences, potentiellement déterminantes pour (émergence de normes locales auto­nomes, découlent de cette opposition: (1) le type de variations que montre le français; (2) le type de liens entre le français et les autres variétés de langue de la communauté; (3) les canaux de transmission du français.

3.3 Le français régional dans les régions de langue vernaculaire française

Les régions où le français s'apprend au foyer forment deux sous­groupes: 1) la Belgique, la Suisse romande et le Québec, où le vernaculaire jouit du statut de langue officielle; 2) le val d'Aoste, certaines provinces canadiennes telles que le Nouveau-Brunswick ou l'Ontario, la Louisiane, la Nouvelle-Angleterre et les isolats américains'-. Par son écologie linguis­tique ce dernier sous-groupe s'apparente aux régions où le français sert seule­ment de véhiculaire ou de langue officielle. En effet, dans ces régions, les variétés vernaculaires de français se trouvent laminées et sapées de (inté­rieur par une variabilité qui ne reflète pas, comme c'est le cas pour les terri­toires de langue dominante française, les usances et les parlures des divers groupes sociaux et aires géographiques ni les registres et styles" liés à cer­

13. Même là où il est officialisé par les statuts, comme c'est le cas en Louisiane ou au Nouveau­Brunswick, le français n'a pas l'ancrage solide d'institutions normatives, telles que l'administration ou l'école, ni de sources de renouvellement, telles que l'industrie ou les médias. Par ailleurs, les décrets l'officialisant ne sont pas toujours appliqués.

14. Nous préférons l'emploi de ces deux termes plus précis à celui de niveaux de langue, qui englobe les variations déterminées par le contexte de situation et les panures.

NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE



tains contextes de situation. Cette variabilité peut être caractérisée d'asysté­matique puisqu'elle provient soit de la connaissance imparfaite ou de l'usage défectueux des variétés vernaculaires de la part de certains locuteurs, soit des emprunts et des interférences provenant de la langue officielle domi­nante. Les variétés régionales de français belge et suisse - et nous serions tenté d'ajouter québécois - se révèlent bien moins marquées par le contact interlinguistique qu'on ne le pense. Pour la Belgique et la Suisse, il ne faut pas confondre multilinguisme officiel et multilinguisme de fait Dans une très forte proportion, les francophones de ces deux pays n'emploient que leur langue maternelle. Si, comme fa admirablement démontré J. Darbelnet (1979), (influence de l'anglais s'exerce de façon insidieuse sur le français québécois, il ne faut pas toutefois prendre pour des réalités linguistiques les échantillons macaroniques qu'offrent en exemple les collectionneurs de curiosités linguistiques telles que le marollien ou autre joual fictif.

Dans les régions de langue vernaculaire française, trois types de traits régionaux sont bien accueillis par les personnes cultivées. (1) les statalismes, (2) les termes se référant aux réalités locales, (3) les traits dont l'aire dépasse

les frontières d'États. Le terme de statalisme, introduit par le linguiste belge J. Pohlrs, dénote les vocables se référant aux institutions propres à un État francophone particulier. Ces vocables ne se retrouvent jamais, avec le même sens, hors des frontières de l'État Ainsi en Suisse romande, pour s'aligner sur le modèle alémanique, on emploie case postale au lieu de boîte postale. Le terme bourgeois(e) y dénomme une personne ayant droit de cité dans une commune et un dicastère, un département dans une administration communale. Parmi les nombreux statalismes que signale M. Piron (1979), relevons agréation, ratification officielle d'un acte, d'une décision; bourg­mestre, maire; échevin, adjoint au maire; athénée, lycée de garçons.



La deuxième catégorie de traits régionaux dits de bon aloi comprend des éléments lexicaux exclusivement Ceux-ci dénotent des réalités locales, par ex. les helvétismes roesti, type de pommes de terre rissolées, caquelon, poêlon en terre qui sert à faire la fondue, armailli, pâtre dans les alpages fribourgeois (Schiile, 1981). Bien souvent certains traits perçus comme des régionalismes (belgicismes ou helvétismes) se retrouvent dans les aires laté­rales de (Hexagone. Ainsi en est-il, dans le domaine de la phonologie, de (opposition entre o fermé ([o]) et o ouvert ([a]) dans des paires minimales telles que peau/pot que Knecht (1979) relève non seulement en Suisse romande mais aussi dans le parier de certains locuteurs de Franche-Comté et de certaines parties de la Bourgogne (Galand, 1968). Sur le plan de la syntaxe, Knecht signale remploi de vouloir pour former le futur périphrasti­que (tu veux tomber pour tu vas tomber). Dans le domaine lexical, M. Piron indique que des belgicismes caractérisés tels que aubette, abri à (arrêt des transports publics, pistolet, petit pain, dont la forme ressemble à l'arme du

15. Signalons qu'on lui doit rune des rares descriptions de français régional abordant la morphosyntaxe (Pohl, 1962).


LA NORME LINGUISTIQUE

même nom, servi pour le petit déjeuner, ou septante et nonante ont été relevés avec les même acceptions, le premier dans la région de Rennes­Nantes, le second dans le Midi et le dernier dans une vaste aire comprenant la Suisse romande et les régions orientales de l'Hexagone.

La plupart des auteurs qui ont traité du français régional semblent s'accorder pour proscrire les traits de langue provenant du fonds dialectal, qu'il s'agisse d'usance ou de parlure. Pour M. Piron, ceux-ci caractérisent le français dialectal belge, fortement teinté par les dialectes (Ion-ain, picard, wallon) dans la zone traditionnellement gallo-romane et par le flamand dans l'agglomération bruxelloiseis. Au contraire des traits marginaux les traits dialectaux comprennent des variantes phonologiques et morphosyn­taxiques. Par exemple, le français dialectal de la Belgique fait une place importante aux distinctions de longueur dans le système vocalique, il contient des réalisations relâchées des voyelles à aperture minimale ([plp] pour pipe, [Yzln] pour usine) et des semi-voyelles intercalaires. [tejat] pour théâtre, [nowsl] pour Noël. Sur le plan syntaxique notons la tournure avoir + adjectif: J'ai bon, j'ai dur pour je le trouve bon, je l'ai bon.*

Une deuxième catégorie de traits de langue exclus des français mar­ginaux est constituée par les termes locaux doublant un vocable du français central. Ainsi, les canadianismes patate et pois vent seraient rejetés puisqu'ils doublent pomme de terre et petit pois, respectivement. La délimitation de ces « doublets » est malaisée car souvent ils peuvent dénoter des distinc­tions sémantiques très fines qui pourraient échapper à l'observateur non averti. On peut se demander si les helvétismes déguiller et s'encoubler, auxquels P. Knecht donne respectivement le sens de « dégringoler » et « s'empêtrer », respectivement, n'illustrent pas un tel cas. M. Piron fait observer que les locuteurs régionaux sont sensibles aux différentes conno­tations des termes locaux:

« a arrive aussi, dit-il, que le langage du Belge moyen s'approprie des termes (et aussi des expressions) empruntés au fonds dialectal; le locuteur les admet dans son français - un français qui peut n'être pas autrement marqué - parce qu'il leur prête une valeur affective, d'ordinaire plaisante, dont il désire colorer son discours. »



A s'agit là d'emprunts, sinon d'alternance de code, qui servent à émailler le discours, analogues à l'emploi de vocables argotiques -ou considérés comme tels - par les Hexagonaux de la même couche sociale. En fait, ces

« emprunts » ont une double fonction. Outre leur valeur emblématique, c'est-à-dire la connotation qu'ils apportent par leurs liens avec une certaine strate sociale ou zone rurale symbolisant l'identité culturelle régionale, ces termes apportent une certaine précision sémantique. Sans doute le snul bruxellois n'est pas n'importe quel imbécile et les méhins, des petits ennuis de santé quelconques.



* On dit aussi couramment avoir facile, avoir difficile pour ne pas avoir ou avoir de la difficulté. 16. Les belgicismes de bon aloi, englobés par les trois catégories énumérées ci-dessus, constituent le français marginal.

NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE



En fait, il en est de la distinction entre le français marginal et le français dialectal comme de celle entre le français de bon usage et le FP. Ces deux termes représentent des abstractions se situant aux extrémités opposées d'un continuum de variation. C'est la position que semble adopter A. Clas (1981) lorsqu'il trace des stades intermédiaires entre un canado-français identique au français central, à part quelques particularités contenues dans les canadianismes de bon aloi, et un canado-populaire joualisant:

canado-français « centralisant » canado-français soigné canado-français courant canado-français familier canado-français populaire

Au fur et à mesure que l'on descend dans l'échelle le parler montre une plus grande ouverture aux traits localisés, du point de vue géographique ainsi que du point de vue social bien sûr. L'on serait fort embarrassé d'es­sayer de trouver des traits catégoriques qui feraient basculer un échantillon de discours d'une de ces catégories à une autre. Outre le fait qu'A Clas ne distingue pas entre les parlers québécois, acadiens ou ontariens, par exemple, on pourrait lui faire les mêmes reproches qu'aux auteurs qui négligent de distinguer entre parlure (FP), et registres et styles liés aux situations d'énon­ciation. On retiendra de cette distinction que dans les régions de langue vernaculaire française, il est fort probable que sera exclu de la norme ré­gionale potentielle tout trait qui sent trop le terroir ou la forge. Paradoxale­ment, ce sont précisément les traits de langue ruraux et populaires qui peu­vent donner au parler régional son cachet particulier.

« C'est naturellement à la panure populaire qu'il faut se référer si l'on veut saisir, dans leur tension la plus forte, les écarts qui singularisent le français de Belgique » (Piron, 1979: 205).

Par ailleurs, pour J. Le Comec (1981), les formes les plus vernaculaires constitueraient un antidote aux poisons que sont les emprunts « indiscemés » aux langues étrangères.

Pour distinguer entre les traits de langue de bon aloi et ceux que l'on devrait reléguer à la variété dialectale de la langue, la plupart des auteurs invoquent des critères d'usage (par ex., les couches sociales qui utilisent habituellement le terme en question) ou la fréquence (encore qu'il n'existe aucune étude statistique dans le domaine du français régional). Il y a une autre catégorie qui fait partie de la tradition normative française, les critères d'ordre logique. Dans un ouvrage qui illustre le purisme éclairé, A Sauvageot (1978) fait appel à ce type de critères pour justifier la prononciation de la consonne finale de cric et gril, prononcés [kri] et [gri] par certains cuistres. De faire sonner la consonne finale permet la différenciation des paires mini­males cri/cric et gris/gril. L. Wamant se réfère à des arguments du même genre pour classer les régionalismes, ou même pour créer des néologismes. Le choix de huitante plutôt que de quatre-vingts se justifie par le parallé-


Yüklə 2,93 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   ...   21   22   23   24   25   26   27   28   ...   39




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin