404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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lisme des formes septante, huitante, nonante; ce choix s'appuie aussi sur la présence de la forme franchement dialectale de huitante attestée dans le parler wallon conservateur de Malmédy. Un autre critère invoqué par Wamant est la préférence d'une forme courte ou d'un vocable simple à une locution. Par exemple, il défend le choix de drève au lieu de sa paraphrase allée carrossable bordée d'arbres, carte-vue au lieu de carte postale illus­trée.

3.4 Le français régional dans les régions de langue officielle française

La variabilité qu'offre le français dans les régions où il sert de langue officielle, principale ou secondaire', est à la mesure du plurilinguisme que l'on rencontre dans certaines de ces régions. Notre exposé portera sur l'Afri­que noire, qui connaît les situations les plus variées et les plus complexes'". Aux quatre catégories de français que s'accordent à reconnaître la plupart des spécialistes de cette zone (cf. en particulier Duponchel, 1979, Renaud, 1979) - français standard ou « bon » français, français local ou régional, français dialectal (français de la rue, français du marché) et sabir (français pidginisé)-s'ajoutent les variétés marquées par l'influence des langues locales particulières ou basées sur des modèles pédagogiques eux-mêmes reflétant une approximation plus ou moins fidèle à la norme cible (enseigne­ment primaire, alphabétisation des adultes, enseignement secondaire et supérieur, radio). La description des variétés de français et leur identification se compliquent par le métissage linguistique qui rend difficile l'attribution d'énoncés au français ou à une langue locale particulière ainsi que par la confusion des registres à l'intérieur de la gamme française.

Malgré le foisonnement de ses variétés, deux traits importants marquent le français d'Afrique noire. D'une part, il n'a pas donné naissance aux formes pidginisées relativement stables que connaissent l'anglais et le portugais, par exemple le pidgin-english du Cameroun. D'autre part, comme le souli­gne G. Manessy (1979: 344-345), « [... ] il n'existe pas de français séné­galais ni de français du Cameroun comme il existe un français canadien ou même un français belge. » La situation du français et la variabilité qu'il exhibe dépendent de la nature précise du plurilinguisme que l'on re­trouve dans une zone ou un État particulier: le nombre de langues verna­culaires distinctes et l'importance et la diffusion des langues véhiculaires locales. La diversification linguistique et l'absence de grandes véhiculaires locales favorisent le développement de formes pidginisées de français qui assurent alors la communication interethnique. Le niveau de scolarisation et le

17. Le français est la langue officielle principale, sinon exclusive, d'Haïti et de tous les États d'Afrique francophone. Il sert de langue officielle secondaire dans les pays du Maghreb, dont la première langue officielle est l'arabe, et à Madagascar, où le premier rang est détenu par le malgache (cf. Girard et Morieux, 1979; Bemananiara, 1979). A fîle Maurice, le français et ranglais partagent le statut de langue officielle (Chaudenson, 1979).

18. En Han le français, langue officielle, ne s'oppose qu'à une langue vernaculaire unique, le créole haïtien (Pompilus, 1979).

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statut des langues locales - par ex., leur emploi à l'école primaire et dans les programmes d'alphabétisation des adultes ainsi que par les mass médias - représentent des facteurs qui entrent aussi en ligne de compte.

Nous avons vu (3.3 supra) que la plupart des traits qui donnent leur cachet aux variétés régionales dans les régions de langue vernaculaire fran­çaise étaient issus des dialectes. Il est tentant de poser une équivalence entre ces dialectes et les vernaculaires et véhiculaires locales de l'Afrique noire. Comme nous le démontrerons ci-dessous, cette équivalence tient certes pour le français focal, mais elle ne peut à elle seule expliquer les diver­gences entre le FS et les catégories inférieures de français libellées français dialectal et sabir.

G. Manessy (1981) fait état de la facilité d'intercompréhension qui unit les variétés inférieures de français africain. Cette unité reposerait sur trois séries de faits: (1) les similitudes sémantico-morphosyntaxiques entre les divers idiomes africains; (2) les survivances d'une ancienne variété pidginisée de français; (3) la restructuration inhérente à l'acquisition du français comme langue seconde.

Selon les chercheurs qui se sont penchés sur la nature du français d'Afrique, par ex Manessy (1979), Duponchel (1979) ou Renaud (1979), il existe à un niveau relativement profond une structure conceptuelle commune

à de nombreuses ethnies d'Afrique noire s'exprimant par une organisation des couleurs, une mesure de l'espace, une appréhension du temps, etc., particulières. Cette base commune expliquerait que de nombreux calques, tels que il a gagné la plaie au pied, elle a gagné l'enceinte « elle s'est fait engrosser », soient compris « n'importe où en Afrique francophone ». Ce sont précisément ces calques qui creusent un fossé de non-intercompré­hension entre la masse des francophones africains et ceux des régions de tradition française. De cette base sémantico-morphosyntaxique émane­raient aussi les divergences grammaticales, telles la suppression de l'article défini, la confusion des temps et des modes, et la suppression des désinences verbales, qui distinguent le français dialectal et le sabir du FS et du français local.



Le français dialectal et le sabir contiennent des traces d' une variété de contact en usage au début de la période coloniale dans l'armée et les services subalternes de l'Administration. M. Delafosse souligne la large diffusion de cette langue de traite, dénommée petit-nègre, petit français ou français tirailleur (1904: 263-264):

« [... 1 parlé par nos tirailleurs et nos employés et domestiques indigènes, et à peu près de la même façon et en Afrique occidentale [... 1 »

Certaines particularités morphosyntaxiques et lexicales de ce fonds pidgin évoquent des traits que partagent les créoles de l'Océan Indien et des Amériques. Relevons sur le plan grammatical l'emploi de -là postposé pour exprimer le déictique et le verbe gagner « avoir ». Parmi certains vocables

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pan-africains figurent ceux qui font partie du vocabulaire « des îles » noté par Chaudenson (1974): canari « pot », marigot « cours d'eau », tomade « orage ».

Enfin, on ne saurait négliger l'apport de processus de restructuration qui se manifestent lors de l'apprentissage d'une langue seconde en situation naturelle. C'est ainsi que s'expliqueraient la post-position de -là avec valeur de déictique plutôt que de marque de genre ou de nombre et l'emploi d'un radical verbal unique et de morphèmes (dérivés des verbes auxiliaires et modaux du français) pour exprimer les diverses modalités spatio-temporelles. Ces traits reflètent des tendances immanentes de la langue que l'on retrouve dans le FP et les dialectes où. Ces processus engendrent de nombreux néo­logismes qui ne surprendraient guère si on les retrouvait dans les parlers des régions de tradition vernaculaire française: flécher « décocher une flèche », enceinter « engrosser », la boyerie « lieu où logent les boys », la doucherie « endroit où l'on prend une douche ». Notons en passant que contrairement aux calques et aux glissements sémantiques (ambiance « fête », courbure « virage », sentinelle « gardien de nuit »), ces néologismes ne produisent pas de rupture entre le FS et les variétés africaines.

Cette gamme linguistique composée de quatre touches n'est à la dis­position des locuteurs que dans les régions où la juxtaposition de groupes ethniques et un grand nombre d'idiomes distincts posent des problèmes d'intercompréhension que ne peuvent résoudre, pour diverses raisons, les véhiculaires locales. La région d'Abidjan formé une telle zone, et c'est la région d'Afrique où se démarque clairement une variété de français forte­ment pidginisée. On ne pourrait toutefois pas affirmer qu'elle se soit consti­tuée en un pidgin caractérisé comme le pidgin-english du Cameroun ou un créole. Ce sabir, connu sous le nom de français populaire d'Abidjan (FPA), se construit à partir des langues locales, en particulier les deux grandes véhi­culaires de la région, le dioula véhiculaire et le baoulé (Duponchel, 1979). Le FPA recouvre un comportement langagier extrêmement variable et n'ap­paraît sous une forme relativement stable que dans des textes stéréotypés, par exemple, une rubrique caricaturale d'Ivoire-Dimanche intitulée « la Chronique de Moussa » et une adaptation de textes bibliques, les disques de l'Abbé Kodjo (Valdman, 1978: 45). Voici, tiré de ce dernier recueil, un exemple de FPA stéréotypé:

« Lé Dié i lé défendi nous qué faut pas nous bouffé, parcé què si nous bouffé nous va mort.

« Dieu nous a défendu de manger (le fruit) car si on (le) mange, on va mourir. »

L. Duponchel (1979: 410) estime que cet énoncé prendrait plutôt la forme:

« Dié i defendé, si tu bouffer tu vas mort'9. »



19. Les graphies bouffé et bouffer, ainsi que les autres conventions graphiques employées pour représenter le FPA, sont arbitraires. En !occurrence, elles ne reflètent aucune différence phonique. Les formes verbales proviennent de diverses formes françaises: !infinitif, le participe passé ou les formes fléchies.


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En FPA, f intercompréhension entre locuteurs de diverses langues locales tient à l'emploi d'un nombre restreint de patrons grammaticaux, par exemple remploi de va plus le radical (correspondant soit à l'infinitif, soit

au participe passé, soit à une forme fléchie du FS) pour indiquer le temps futur.



L'une des conséquences de la présence du sabir en Côte-d'Ivoire est la création d'un continuum linguistique entre le français local et les langues locales. Duponchel démontre ce continuum à l'aide des énoncés suivants:

1. Il serait nécessaire de déplacer ce véhicule FS soutenu

2. Il faut pousser l'auto. FS usuel

3. Faut l' pousser c'te bagnole. FS familier (FP) -----------------------------------­

4. Faut pousser camion (là). Fr. local 5. Na ka pousser camion (là). Sabir 6. A ka mobili pousser.

-----------------------------------­

7. A ka mobili nyoni Dioula véhiculaire 8. Ke/gi/le/ ké/ a a

ça/ veut/ que/pousser/auto Alladin (langue vernaculaire de lagunes de la Côte-d'Ivoire).



Le FS et le français local correspondent aux points (1), (2) et (3) de la gamme linguistique, le français dialectal et le sabir s'étendent entre les points (4) et (6), et les parlers locaux chevauchent les points (6) et (7).

Comme c'est le cas pour les régions à langue vernaculaire française, les variétés régionales du français d'Afrique (le français local) ne se démar­quent du FS central que par des divergences phonologiques et lexicales, la structure grammaticale n'étant pas touchée. Pour le français local de la Côte-d'Ivoire, Duponchel (1979: 409) relève remploi du r roulé ([r]) au lieu de [R] et divers phénomènes prosodiques. Au plan lexical, cette caté­gorie de français est émaillée de termes provenant des langues locales dont un grand nombre sont particuliers à une région: kéké « bois », Républi­que Centrafricaine; mousso « femme », Mali; alcati « agent de police », Sénégal; biloko « choses, affaires », Zaïre (Manessy, 1979)2°.

20. Certains vocables régionaux témoignent d'une très large diffusion. Toutefois, il peut exister des différences dans les référents de ces vocables. Par exemple, le terme joujou se réfère à divers types de mets selon les régions particulières: une pâte de mais ou de

manioc servie sous la forme de boulettes au Cameroun, au Sénégal et au Zaïre; un plat local composé de banane ou d'igname écrasée en pâte au Bénin, en Côte-d'Ivoire ou au Togo; un mets composé de viande ou de poisson cuit dans une sauce au gombo et à l'huile de palme servi avec une boulette de farine de blé au Sénégal. Ce vocable se réalise aussi sous diverses formes, fuis au Zaïre et fou/oui au Togo «FA, 1981: 129).

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La grande divergence entre le FS et les variétés « populaires » ou inférieures (français dialectal et sabir) du français d'Afrique et l'impression de mixité qu'offrent ces dernières s'expliquent en fin de compte par la faible implantation de la langue officielle. Cet état de chose évoque celui qui, selon le témoignage des textes de l'époque examinés par A Brun (1931) et J. Séguy (1950), devait exister lors de la diffusion du français dans les régions occi­tanophones à partir du seizième siècle. En effet, la mixité caractérisait même les écrits des notaires et secrétaires municipaux qui « [... ] rédigent leurs papiers en mêlant, au petit bonheur, et au courant de la plume, les termes des deux idiomes: un auxiliaire français est suivi d'un participe provençal, une phrase commencée dans une langue se continue dans l'autre » (Brun, 1931: 5). Selon Séguy (1950: 7-8), seuls les gens cultivés possédaient une pratique courante de la langue officielle; pour se faire comprendre des masses populaires et rurales fi fallait employer un « sabir franco-occitan ».

Dans sa description de la situation linguistique de la Côte-d'Ivoire, G. Partmann (1981) note que le FS n'est parlé que par 0,5 pour cent de la population de la nation; 5,3 pour cent des Ivoiriens ont recours au français local et 29,2 pour cent au FPA Cette proportion de francophones étant parti-la plus élevée en Afrique francophone, tout porte à croire que dans l'ensemble des régions, la desserte des fonctions communicative, expressive ou intégrative par le biais du français se fait par l'emploi d'une variété inférieure plutôt que par le FS ou une variété régionale.

Avant de clore cette discussion sur la nature et le rôle du français régional dans les régions de langue officielle française, il nous faut répondre à la question suivante: quelles fonctions les diverses variétés de français assurent-elles vraiment? Comme il existe de nombreuses langues véhiculaires (p. ex, dioula, haoussa, sango) et que bon nombre de langues ethniques (p. ex, le bambara, le baoulé ou le wolof) servent de lingua franca, il est peu probable que les catégories inférieures de français assument la commu­nication interethnique21. Nous nous associons pleinement avec G. Manessy lorsqu'il déclare (1981: 87-89):

« [.. .1 L'emploi de la variété simplifiée est interprété non comme un simple moyen d'intercompréhension, mais comme l'expression d'une solidarité qui transcende les différenciations ethniques et dont le cadre peut être la ville, la région [... ] ou bien l'État [... 1 »

Quant aux catégories supérieures (FS et français régional), elles sont liées aux valeurs associées à la vie urbaine et à la promotion sociale. G. Partmann, (1981) indique qu'au cours d'une enquête sur les attitudes des Ivoiriens envers les divers codes en usage dans leur communauté, 78 pour cent des personnes interrogées témoignaient favorablement envers

21. En Côte-d'Ivoire, notamment dans la région d'Abidjan, le dioula est connu par presque la moitié des habitants (contre 35 pour cent pour toutes les catégories de fiançais). Mais son lien avec l'Islam (le dioula est la langue des commerçants dioula provenant du nord de la Côte-d'Ivoire) nuit au prestige de cette grande véhiculaire et explique pourquoi son rôle de langue de communication interethnique lui est repris par le FPA

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le français ivoirien. Ces mêmes locuteurs émettaient des jugements dépré­ciatifs envers le FPA Force nous est de nous ranger à l'avis de Bentolila et Gani (1981) qui perçoivent le rôle du français en Haïti comme le symbole d'appartenance à une élite et comme une langue d'apparat:

« Il apparaît que le français, au sein de la population qui l'utilise à des degrés divers, a beaucoup plus une fonction symbolique signifiant les positions relatives des interlocuteurs ou la solennité d'une situation qu'une fonction effective de communication. Ceci est confirmé par le fait que le pronom personnel tu n'est pratiquement jamais utilisé en Haïti, et que, fait plus significatif, le français parlé en Haïti ne possède pas de registres de langue==. »

II apparaît donc qu'en ce qui concerne la nature et la fonction d'une variété régionale de français, la différence principale entre les régions de langue vernaculaire française et celles où l'idiome sert de langue officielle réside dans le nombre de locuteurs capables de s'en servir comme outil de communication et comme moyen d'expression et d'intégration sociale. Dans les deux cas, il ne semble pas se creuser d'écart entre le FS central et les variétés locales sur tous les plans structuraux, les particularités locales s'exprimant par le biais du lexique; enfin, il semble émerger, pour certaines couches sociales du moins, un sentiment de loyauté envers ce qui pourrait refléter l'appartenance à un sous-ensemble particulier de la francophonie. Mais l'essor en Afrique noire des variétés de français inférieures, dont la substance et la forme trouvent leurs racines dans les vernaculaires et véhi­culaires locales, est porteur d'une dislocation potentielle. En Côte-d'Ivoire, le FPA est en voie d'assumer la fonction de communication interethnique et, à moins que sa diffusion ne soit contrecarrée par les modèles plus « corrects » diffusés par l'école et les mass médias ou par la promotion d'une des véhiculaires locales, fl pourrait se « créoliser », c'est-à-dire se constituer en norme autonome. Selon nous, cette dernière éventualité est peu probable étant donné les attitudes des locuteurs et la situation économico-politique régnante.

3.5 Le français langue vernaculaire infériorisée

Nous avons indiqué (supra 3.2) que les régions où le français langue vernaculaire se trouve en position d'infériorité par rapport à la langue officielle effective de r État (les provinces canadiennes sauf le Québec, le

val d'Aoste, les zones francophones des États-Unis) s'apparentaient aux territoires de langue officielle (mais non vernaculaire) française. En effet, (idiome y montre des phénomènes de mixité ainsi que d'autres traits structuraux qui rappellent ceux des variétés inférieures de français d'Afrique noire. Toutefois, du point de vue sociolinguistique, la situation du français dans ces deux types de régions « francophones » diffère considérablement Pour illustrer notre discussion, nous nous référons à la situation du français dans les zones francophones des États-Unis, en particulier celle de la Louisiane dite acadienne.

22. Cette assertion, bien qu'elle soit émise par la plupart des spécialistes, est fort discutable et elle ne repose, en tout cas, sur aucune enquête sociolinguistique.

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Le français, au même titre que l'anglais, l'allemand et l'espagnol, constitue l'une des langues coloniales des Etats-Unis (Haugen, 1956). En effet, cet idiome s'est maintenu sur le sol américain sans interruption depuis l'arrivée des premiers colons aux XVIe et XVIle siècles. Toutefois, cette appellation porte à confusion puisqu'elle oppose le français louisianais, qui a occupé le terrain avant l'introduction de l'anglais, au franco-canadien, introduit en Nouvelle-Angleterre par des immigrants lors de la Révolution industrielle vers la fin du XIXe siècle. En fait, dans le cas des Cadjins=" de la Louisiane, leur isolement géographique et l'industrialisation tardive de leur région ne fit que remettre à un demi-siècle plus tard leur absorption dans la société américaine de l'ère moderne. Toutes les communautés franco­phones des États-Unis partagent avec les groupes ethniques migrants certains traits linguistiques et sociolinguistiques qui ont déterminé l'évolution de leurs parlers:

1° un manque d'instruction et (ignorance de la forme standard de la langue;

2° l'absence de sentiment de loyauté linguistique poussé par leur infériorisation économique et sociale;

3° l'absence de contenu idéologique et de valeur symbolique se rattachant à la langue vernaculaire.

L'une des conséquences de ce statut de langue d'immigrant est la dépréciation des variétés familières de l'idiome de la part de la communauté d'accueil ou dominante ainsi que des membres du groupe ethnique lui-même. Jusqu'à une période assez récente, il n'était pas rare d'entendre des Cadjins déclarer. « Je parle acadien, mais c'est pas du bon français. » Pour les classes moyennes et les nouvelles générations, l'idiome de la communauté symbolisait les attaches à la vie rurale et à un niveau social inférieur dont ils avaient hâte de se libérer afin de participer pleinement à la « American way of life »

« Pendant longtemps, l'identité cadjine a été un stigmate dont on ne pouvait se relever qu'en devenant bilingue et en adhérant au mode de vie américain en déménageant en ville si possible » (Larouche, 1979: 245).

Une autre conséquence de l'infériorisation du français aux États-Unis est la réduction des domaines d'emploi. Ses locuteurs adoptent une attitude ambivalente face à la vernaculaire caractéristique des groupes « patoisants » en France. L'idiome du groupe ethnique se trouve déprécié et confiné au secteur privé, mais, complémentairement, il devient un moyen de commu­nication et d'expression plus intime et plus chaleureux (Gardy et Lafont, 1981: 87). Nous venons que cette dernière constatation permet une meilleure compréhension des bases du conflit au sujet de la norme pédagogique qui oppose le CODOFIL à d'autres groupes cadjins.

23. Nous optons pour la graphie cadjin (fétu, cadjine), plutôt que les variantes cajun, cadien, acadien, car elle dénote plus fidèlement la prononciation.


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Enfin, sur le plan structural, le bilinguisme croissant des francophones d'Amérique et la situation de diglossie dans laquelle ils évoluent s'accom­pagnent d'une forte pression de l'anglais. Isolés de la forme standard de la langue, les Cadjins et autres Franco-Américains n'ont d'autre recours que l'emprunt massif et le calque pour exprimer des notions propres à la vie américaine ou pour créer des termes techniques. Par exemple, le parler de Frenchville, un isolat francophone de la Pennsylvanie'{, est truffé d'emprunts directs: une factory « usine », des dry-goods « tissus », la next de la plus jeune « celle qui vient après la cadette ». On y trouve aussi des glissements sémantiques provoqués par le bilinguisme (Darbelnet, 1979), le vocable français assumant le sens d'un mot anglais correspondant: j'étais chauffeur devant que je viens ingénieur « j'étais servant de tender avant que je ne devienne conducteur (de locomotive) ». Ingénieur prend l'un des sens de l'anglais engineer « ingénieur, conducteur de locomotive » et devant s'aligne sur before « avant ».

Mais ce qui frappe le plus dans les parlers français des États-Unis est la fréquence d'emploi des calques. Les plus simples consistent en l'emploi de lexèmes français pour exprimer des concepts de l'anglais: ça goûte le whisky « ça a un goût de whisky », sur le modèle de it tastes like; elle est maîtresse de poste « elle est postière » basé sur postmaster ou postmistress. D'autres calques, dont l'effet est plus déstabilisateur pour l'idiome vernaculaire, reflètent des interférences syntaxiques. Ils portent en particulier sur le choix des prépositions: je vais à l'église pour quarante ans « il y a quarante ans que je vais à l'église », sur le modèle de I've been going to church for forty years, je travaille dans sa place « je travaille chez lui » calqué sur I work on his place.

D'autres tendances structurales des parlers français d'Amérique évoquent certains traits des variétés inférieures du français d'Afrique noire ainsi que des parlers créoles à base lexicale française:

1° l'élimination de la flexion verbale en faveur de l'emploi de tours périphrastiques;

2° l'estompement de la distinction de genre et de la marque obligatoire de nombre dans le système nominal;

24. La communauté de Frenchville, située dans le centre de l'État de la Pennsylvanie, fut fondée vers 1830 par un groupe de bûcherons et de fermiers provenant directement de France; la majorité de ces colons étaient originaires de t'est du pays, notamment des

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