404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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est important de rappeler que les colons loyalistes eux-mêmes n'étaient pas des Britanniques au sens strict, mais bien des Américains. Nombre d'entre eux étaient issus de familles établies en Amérique depuis plusieurs générations. ils différaient en cela de la majorité des colons; ces derniers étaient des Britan-

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niques qui avaient quitté leurs iles et participé à la grande migration qui suivit les guerres napoléoniennes. Mais l'allégeance est une chose, la culture en est une autre. Ces Américains, Loyalistes et autres, ont contribué à imprimer à la province de l'Ontario cette étrange ressemblance avec les modes d'expres­sion et coutumes des "États", qui subsiste encore chez les gens simples. Le Thanksg~'oing Dinner, mi-religieux, mi-gastronomique, est une coutume améri­caine du Massachusetts qui tient son origine d'un festin à la dinde partagé avec des Amérindiens en 1630. On doit également aux Américains le York, le shilling de New York, valant 121/2 cents, que bon nombre d'entre nous se souviennent encore d'avoir utilisé comme unité de compte. Les sections sco­laires, les manuels et concours d'orthographe, ainsi que le township puisent tous à la tradition américaine. Les Loyalistes utilisaient des mots tels que dooty, reckon, guess et calculate, et se servaient de tous ces "néologismes" qui étaient déjà vieillis dans l'East Anglia lorsque les futurs pionniers quittèrent leur terre natale. »

Dans son judicieux ouvrage intitulé Our Own Voices, McConnell parle de « deux déracinements », l'un qui vit les Anglais gagner les Etats-Unis, l'autre qui les amena au Canada (1979: 8-9). Le premier eut lieu au XVIle siècle, avant la standardisation de la langue. Les déplacements étant alors lents et difficiles, les premiers Américains n'eurent plus que très peu de contacts avec leur mère-patrie. Les pionniers de la Nouvelle-Angleterre venaient principalement de Londres et de j'East Anglia, mais aussi du Sou­them Yorkshire. C'étaient des artisans, petits commerçants, professeurs et prédicateurs ou encore des dissidents politiques ou religieux, qui étaient plus instruits que les gens de leur classe en Angleterre. Au début de la colonisa­tion, la population des États de New York et de la Pennsylvanie était com­posée de Hollandais, ainsi que d'une forte proportion d'Allemands, d'Écossais et d'Irlandais. C'est d'ailleurs du Nord de l'Europe que provenaient la ma­jorité des colons américains qui s'établirent dans le Haut Canada. Des documents anciens indiquent que l'anglais canadien était déjà une langue homogène solidement établie en Amérique avant que survienne le deuxiè­me « déracinement ». On retrouve des attestations supplémentaires dc l'origine américaine de l'anglais canadien dans les écrits de l'époque. Au début du XIXe siècle, les colons et voyageurs britanniques se montrent en effet vexés et indignés de constater que les anglophones du Canada s'expriment si différemment d'eux-mêmes, comme si, le Canada étant britannique politiquement, i1 devait l'être aussi linguistiquement. Ainsi, Susanna Moodie, s'adressant aux gens « bien » de son pays, l'Angleterre, se dit choquée par tout ce qu'elle voit dans ce nouveau pays, sauf les Indiens et le paysage. Elle déplore « le dialecte grossier » de ses compatriotes de la colonie ainsi que « l'accent nasillard » de ses voisins « Yankees » (1962 [1852]: 25 et 71-75).

Catherine Parr Train est plus irritée encore par les immigrants du Royau­me-Uni qui imitent l'accent yankee, et critique leur « mauvaise imitation qui est toujours pire que l'accent original »; elle se console toutefois en voyant que « cette habitude désagréable et cette altération de la langue » sont plus marquées dans « la classe inférieure des Irlandais et des Écossais que chez les Anglais » (1972 [1836]: 83).

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A l'époque où l"e Traill écrivait ces mots, on prenait déjà des mesures pour enrayer l'influence américaine sur les moeurs et la langue, en « ensei­gnant à la britannique » dans les écoles. Avis relate qu'en 1931, dans cer­

tains districts de la Nouvelle-Écosse, les professeurs et manuels scolaires américains étaient interdits dans les écoles (1978: 40) et il cite un visiteur britannique qui, en 1832, avait remarqué avec consternation, dans bien des établissements



« [... ) un grand nombre d'enfants instruits par quelque aventurier américain qui utilise des manuels d'orthographe, des grammaires et des dictionnaires américains et enseigne à ces petits un dialecte anti-britannique » (1978: 41).

La première attestation que l'on ait de l'expression « anglais cana­dien » remonte à dix ans avant la Confédération, et sa définition semble indiquer que cette langue était perçue plutôt comme américaine que britan­nique. Lors d'une conférence prononcée au Canadian institute de Toronto, le Révérend A.C. Giekie décrivait l'anglais canadien comme

« [... 1, un dialecte corrompu qui se développe dans notre population, s'in­filtre progressivement dans nos journaux et menace même de produire un idiome aussi différent de notre noble langue maternelle que le patois nègre ou le pidgin. »



S'il faut féliciter Giekie « d'avoir découvert tout seul l'existence de l'anglais canadien, même s'il s'y opposait », comme le note ironiquement Orkin (1970: 11), il faut également lui reconnaitre le mérite d'avoir publique­ment proposé la théorie de la contamination, qui fait porter à nos voisins du Sud tous les péchés de l'anglais canadien.

Cette bizarre schizophrénie linguistique, négation de l'Amérique et apologie du modèle britannique, est d'une rare ténacité! L'évolution de notre propre langue suffit à la tourner en dérision. Comme le souligne North (1972: 8), réconforté, « le dialecte corrompu » que Giekie souhaitait nous voir mépriser en vue de garder à notre langue sa pureté britannique, se porte fort bien. S'il pouvait constater les résultats, il serait, comme on dit dans certaines régions de Terre-Neuve, stunned as an owl (bouche bée) que nous soyons restés deaf as a haddock (complètement sourds) à ses remarques.

Les origines de l'anglais canadien: influences britanniques

Dans son excellent résumé analytique des études descriptives de l'anglais canadien, G.A Tilly (1980: 28-53) souligne « l'absence au Canada d'études dialectologiques poussées, analysant la langue sous l'aspect social », comme celles de Labov sur l'anglais américain et celles que Trudgill a réalisées en Angleterre et qui démontrent combien la dimension sociale arrive à rendre compte de modifications par ailleurs difficiles à retracer ou à expliquer (1980: 51).

C'est en essayant d'identifier l'influence qu'a eue le britannique sur l'anglais canadien que l'on découvre à quel point sont inadéquates les études dialectologiques régionales effectuées à ce jour. Tant que les études lin-

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guistiques ne tiendront pas compte du statut, virtuel et réel, de la langue et des relations sociales qu'entretiennent ses usagers, il sera impossible d'expliquer comment le locuteur instruit procède à ses choix phonologi­ques, orthographiques, lexicaux, voire grammaticaux, optant pour ce qui est perçu comme la norme américaine ou la nomme britannique. En l'absence de telles études, tout effort pour cerner et décrire cette influence britannique ne pourra que demeurer anecdotique et spéculatif.

U existe au Canada un certain nombre d'enclaves linguistiques où la langue témoigne d'une nette influence britannique, à Terre-Neuve, au Cap­Breton, dans la vallée de rOutaouais, la vallée de l'Okanagan et dans l'île de Vancouver. U est toutefois difficile de distinguer ce qui est purement britannique de ce qui est écossais ou irlandais dans l'anglais standard, sauf pour quelques lexèmes intéressants qui ressortissent au Yorkshire English, tels que riding, signifiant « circonscription électorale », qui vient de thriding (tiers), dans lequel le th (East Thriding, North Thriding et West Thriding) a été éliminé (DCHP, 1967: 630).

Les explications astucieuses ne manquent pas pour expliquer la « dis­parition » de toute trace du parler des classes moyenne et inférieure. Orkin (1970: 57) abonde dans le sens de Priestly selon lequel les Anglais « se sont camouflés », parce que leur association à l'ancien régime colonial, tout comme leur façon de parler, les rendait impopulaires. U a peut-être une part de vérité dans cette affirmation. U est évident que les cossais, les Irlan­dais, les Français ou les Américains n'avaient aucune raison particulière, en tant que groupe ethnique, d'aimer les Anglais. U reste néanmoins qu'un sentiment aussi tenace que la haine collective aurait dû entraîner l' isole­ment des diverses communautés et la survivance des particularités linguis­tiques, non le contraire. En fait, les nouveaux arrivants d'Angleterre vécu­rent les mêmes expériences que les groupes d'immigrants dont les coutumes, la religion et la langue sont apparentées à celles du pays d'adoption:

« [... 1 ces nouveaux arrivants entraient en contact avec des Canadiens déjà établis et, il fallait s'y attendre, leurs enfants adoptaient les habitudes linguisti­ques des communautés dans lesquelles ils s'instaMaient » (Avis 1978: 43).

Dans les régions rurales de l'Ontario, il existe encore des communautés isolées purement anglaises. Tant que ces communautés n'auront pas été étudiées, et qu'il n'aura pas été démontré qu'aucune caractéristique britan­

nique ne subsiste ou, le cas échéant, que ces caractéristiques n'ont rien en commun avec celles de l'anglais standard, on ne pourra affirmer que toute trace de l'anglais d'Angleterre a disparu. Par ailleurs, il ne faut pas accorder trop d'importance à l'affirmation de Scargill (1977: 10, 11) selon laquelle « la grande période d'immigration britannique qui s'est poursuivie de 1825 à 1860, allait engloutir les autres variétés d'anglais au Canada ». Cette assertion défie l'histoire du Canada et le comportement linguistique de l'homme en général. Attribuer, par exemple, au « fils de famille » britan­nique une influence directe sur les modes d'expression en Amérique, ce


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serait mal comprendre son statut social et oublier qu'il est peu probable que sa langue puisse être autre chose qu'un sujet de parodie.

Il ne faut pas pour autant conclure que l'anglais britannique n'a eu aucune influence directe sur l'anglais canadien. Au contraire, cette influence fut omniprésente et constante, depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours. Comme le souligne Avis­

« Dans une large mesure, ce qui n'est pas américain dans la langue anglaise canadienne vient directement de la mère-patrie; ce sont des traits linguistiques qui font concurrence aux variantes américaines déjà implantées au Canada et qui parfois même les supplantent » (1978: 43-44).



L'influence des professeurs écossais est attestée dès les premiers temps de la colonie. Nombre d'universités ont été calquées sur le modèle écossais et engageaient également des professeurs écossais, car ils avaient la répu­tation de travailler plus et de réclamer moins que leurs confrères anglais (Reid, 1976: 250-251).

En Ontario, Egerton Ryerson fut à l'origine d'un mouvement destiné à instaurer un « réseau d'écoles publiques efficace, centralisé », prévoyant l'usage d'un matériel didactique uniforme et inspiré d'une saine idéologie. De 1846 à 1866, l'usage des Irish Readers fut autorisé dans les écoles. Loin d'être « neutres », ces manuels, sans être confessionnels, enseignaient la morale et les valeurs chrétiennes et constituaient aussi une bonne source de renseignements pratiques. Ils avaient si peu de rapport avec l'Irlande qu'on s'en servait dans toutes les colonies britanniques de l'Amérique du Nord et dans certaines écoles d'Angleterre et d'Écosse (Repu, 1974: 121-122). Ils avaient pour pendant un livre de lecture approuvé, The Spelling-Book Superseded, de Sullivan, qui, pour la plupart des mots, recommandait l'orthographe britannique, y compris la terminaison en -oui dans les mots comme color, mais indiquait en bas de page certaines justifications de la terminaison -or et citait des mots à l'orthographe « flottante » comme enrol, enroll, expense, expence, gipsy, gypsy, gray et grey. Comme le dit Ireland, « [... ] les élèves canadiens apprenaient très tôt qu'en matière d'ortho­graphe une certaine latitude était tolérée » (1979: 89-91).

Aux Irish Readers succéda une série de livres d'orthographe et de lecture publiés en Ontario, mais également autorisés dans les autres pro­vinces. Les livres de lecture utilisés à partir de 1884 étaient réputés pour leur ferveur patriotique à l'égard de l'Empire britannique. Ireland a analysé ces livres scolaires ainsi que les manuels d'orthographe et les dictionnaires autorisés dans les écoles, et il s'est attaché plus particulièrement à l'ortho­graphe de certains mots témoins, tels que center et centre, cheque et check, colour et color, plough et plow. ll a noté que, mises à part quelques excep­tions, comme les mots en -oui, c'est l'orthographe britannique qui pré­domine dans les ouvrages didactiques jusqu'au milieu du XXe siècle et que souvent ces derniers font état de variantes orthographiques (1979: 89-115).

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Si les écoles publiques favorisent la langue écrite britannique, les écoles privées, souvent, en font de même de la langue parlée. Huitin (1967: 255) cite un professeur d'anglais désespéré, qui déplore la difficulté d'enseigner l'anglais correct à ses élèves canadiens, c'est-à-dire l'anglais standard bri­tannique:

« A ne sert à rien d'enseigner aux élèves la prononciation de mots tels que palm, calm, bath, etc., dans lesquels se trouve un A à l'italienne. S'ils pronon­cent correctement, leurs parents leur disent qu'ils ont un langage affecté et qu'ils imitent les Britanniques. Quelle langue, donc, est-on censé parler? »



Elle n'aurait pas dû désespérer. En effet, il existe encore aujourd'hui à Toronto, chez les femmes d'un certain âge de la classe supérieure, un dialecte anglais facilement identifiable où se note une espèce de « A à l'italienne » dans des mots comme tomato (Chambers, 1979: 174175). De plus, les « infor­mateurs du groupe socio-économique supérieur ainsi que les femmes (dans une étude portant sur 17 informateurs torontois) ont tendance à s'exprimer dans une langue beaucoup plus proche du modèle britannique que les autres groupes » (Léon et Martin, 1979: 7).

II est établi depuis longtemps que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux marques de prestige. Souvent, au Canada, les riches et les personnes qui jouissent d'un certain prestige aspirent à se conformer aux normes linguistiques britanniques (Tilly, au sujet de Newman, 1980: 49). Grant fait en outre remarquer ce qui suit (1971: xi):

« [... ] la tradition britannique, cela signifie, par exemple, qu'un homme comme E.P. Taylor, qui a donné sa vie pour intégrer le pays à l'empire capi­taliste (américain), n'arrive pas encore, en 1970, à prononcer Kentucky Derby à l'américaine. »

Pour sa part, Avis note que, là où l'usage n'est pas fixé, « les formes britan­niques sont priées surtout dans les classes sociales supérieures » (1978: 81).

L'immigration continuelle en provenance du Royaume-Uni, (omni­présence de professeurs qui s'expriment ou tentent de s'exprimer en anglais britannique standard du Sud dans nos universités et écoles privées, la ten­dance des églises officielles à adopter le bon accent en chaire, soit le bri­tannique standard du Sud chez les anglicans et f accent d'Édimbourg chez les presbytériens, la connaissance des formes linguistiques britanniques chez les Canadiens instruits, et enfin le choix, voire l'obligation, de s'en tenir aux formes britanniques dans le discours soutenu, voilà autant de preuves qui attestent la persistance de (influence britannique sur (anglais parlé et écrit au Canada.

Les formes britanniques ne sont toutefois pas réservées à la langue soutenue; elles servent aussi à parodier les prétentieux La marge est ténue entre le raffiné et (affecté. L'affectation et l'insécurité linguistique n'ont pas disparu de nos parages. M. Bertrand, le personnage de A.M. Klein, qui « doit tout à ces divines années passées en Sorbonne ... et ne pourra

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jamais oublier le merveilleux Paris » (1967: 41) a un pendant anglophone dans le « native of Kingston, Ont » d'Irving Layton

[who] for three yeurs attended Oxford

Now his accent

makes even Englishmen wince, and feel unspeakably colonial (1967: 75).

Influences du français canadien

Ce sont des Européens francophones qui découvrirent ce pays qu'ils nommèrent Canada. Ces missionnaires, explorateurs et commerçants baptisèrent notre territoire d'est en ouest, de la Baie d'Espoir (aujourd'hui dénommée, ironie du sort, Bay Despair) au Lac La Biche et à Tête Jaune. Us ont également donné un nom à tous ses accidents topographiques, chutes, sauts, rapides, buttes, coulées et prairies, ainsi qu'à la flore et la faune. Us ont aussi créé le vocabulaire de la traite des fourrures, puis de l'industrie du bois.

Comme les Français connaissaient mieux le pays, qu'ils l'exploraient et le colonisaient depuis des générations avant l'arrivée des Anglais et qu'ils étaient beaucoup plus nombreux, l'emprunt linguistique se fit d'abord du

français vers l'anglais. À l'époque, le français jouissait d'un grand prestige en tant que langue internationale des échanges et l'anglais faisait des em­prunts au français en Europe, aux États-Unis, ainsi qu'au Canada (Marck­wardt, 1958: 33-40).



Bien que nombre de ces mots et expressions empruntés aient disparu de l'usage, d'autres ont été totalement assimilés au point que leur origine est maintenant oubliée; ils ont servi à construire des dérivés et ont changé de catégorie en anglais. Ainsi, mushing, qui signifie « promenade en traî­neau à chiens » et musher, « celui qui conduit le traîneau », sont des dérivés de mush, qui provient du mot français « marche »; le mot portage fait main­tenant office tantôt de verbe, tantôt d'adjectif dans de nombreux composés, et apparaît aussi comme substantif, forme dans laquelle il a été emprunté; le mot concession, emprunté au français lors de l'arpentage des terres com­mencé en 1790, a donné naissance à des expressions telles que concession road, third concession et back concession, dont la plupart des Canadiens anglophones ne perçoivent pas l'origine française.

Au XXe siècle, les Anglais acquérant une plus grande importance numé­rique et économique, il se produisit un revirement de la situation, c'est-à-dire que le français se mit à emprunter un nombre considérable d'expressions à l'anglais, malgré les modifications de la structure grammaticale qui s'en­suivaient. Le Rapport de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme reconnut que les deux langues ne jouissaient pas d'un

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statut égal et que, de ce fait, la mobilité sociale des francophones était en­travée et l'existence du Canada en tant qu'entité politique menacée. Les tentatives des autorités de mettre en oeuvre certaines des recommandations du Rapport se sont signalées par leur coût élevé, leur maladresse, leur man­que d'à-propos sociolinguistique (Bibeau, 1976; Martin, 1978), leur indif­férence envers les deux communautés. Il s'est néanmoins formé, question de stratégie, une élite bilingue au pays (Gumperz, 1971: 130). Qui plus est, des francophones occupent maintenant des postes prestigieux dans l'ad­ministration politique. La langue anglaise au Canada s'est remise à faire des emprunts au français, surtout dans les domaines de la politique et de l'enseignement Ainsi, des mots comme francophone et anglophone sont maintenant si bien assimilés qu'ils ont donné naissance à des composés comme sinophone et même ukrainophone, et francicism semble devoir supplanter gallicism, qui est pourtant attesté en anglais depuis 1656. Quant aux règles orthographiques qui devraient s'appliquer à ces mots, la question n'est pas tranchée. Les publications anglaises des États-Unis et de Grande­Bretagne citent souvent entre guillemets les mots comme sovereignty association, separatist, independentist et même l'expression Quiet revolu­tion, alors que les médias canadiens les glissent dans leurs textes sans la moindre indication de leur origine française. Le New York Times anglicise le sigle FLQ en QLF (Quebec Liberation Front), alors que les journaux canadiens s'en tiennent au sigle français. Par ailleurs, on constate de plus en plus, sans pouvoir étayer le fait, une modification de l'usage, pourtant fixé depuis longtemps, de mots comme collectivity, polity, mentality et même country, modification entraïnée par le contact étroit des deux cultures.

Sur le plan syntaxique, la modification la plus évidente est celle des noms propres. Les organismes gouvernementaux et les maisons d'affaires ont commencé à utiliser Canada postposé, comme modificatif du substantif, au lieu de Canadian ou de Canada antéposé. C'est pourquoi d'anciennes appellations comme Canadian Broadcasting Corporation et Canada Council en côtoient de nouvelles comme Air Canada, Parks Canada, Environment Canada, etc. Cette tendance est maintenant bien ancrée et ne pourra que s'étendre à d'autres noms propres et d'autres secteurs. Avis remarque qu'en 1978, elle était déjà manifeste dans les titres de certains magazines comme Nature Canada et Ski Canada (1978: 47). Une autre tendance, moins évidente, est (adoption par les anglophones d'expressions entendues chez des personnes bilingues parlant français et anglais. Par exemple, des phrases comme accept to meet him dans lesquelles le verbe, habituellement suivi d'un complément d'object direct ou d'une proposition finale (accept a meeting with him ou accept that I should meet him), est suivi d'un infinitif. On re­marque également de plus en plus que to take a decision tend à supplanter sa variante to make a decision. Choix qui résulte probablement de l'emploi automatique de to take a decision par les personnes bilingues qui calquent l'expression « prendre une décision ». Avis constate que le même phéno­mène se produit pour l'expression eh; bien qu'elle ne soit nullement caracté­ristique de l'anglais canadien, la fréquence de son usage, particulièrement


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dans le style narratif, est remarquable. Cet usage est fort probablement renforcé par les locuteurs bilingues (français-anglais) qui utilisent des expres­sions telles que « eh, eh bien » et « hein », marques d'insistance courantes en français canadien (Avis, 1972: 102-103).

Les conventions régissant l'inclusion d'expressions françaises dans la langue anglaise sont assez complexes et, comme l'usage de l'anglais britannique, semées d'embûches. Ainsi, on peut tenter de se rapprocher le plus possible de la prononciation française du mot « Québécois », mais on juge affecté de faire de même pour le mot Québec, qui se prononce [kwabek] par les anglophones instruits, nés au Canada, et bien au fait de l'usage. A défaut d'études sociolinguistiques pourtant indispensables, on peut néanmoins avancer que les emprunts au français prédominent chez les locuteurs instruits qui s'expriment dans un niveau de langue soutenu, ce qui n'est pas un phénomène nouveau. En effet, la puissance poétique de Shakespeare réside en partie dans ses variations de style, obtenues par un habile dosage de mots d'origine latine, française ou anglo-saxonne.

L'influence du français canadien sur l'anglais canadien est un exemple contemporain spécifique qui démontre que lorsque deux langues sont en usage dans un même système social, toutes deux diffèrent de leur langue­mère respective et de ses variantes. « Peut-être, songe Kroetsch, est-ce le mélange d'anglais et de français qui distingue finalement notre parler canadien ». Peut-être. . .

Standardisation de l'anglais canadien

Le Canada est une terre immense, incroyable, d'une étendue infinie.

Son gigantisme a été à jamais gravé dans l'imagination des Canadiens anglais

par la classique description de Frye:

« [... ] un pays divisé par deux langues et d'immenses étendues sauvages, de sorte que sa frontière, plutôt qu'une limite, décrit une circonférence. C'est un pays de rivières et d'îles gigantesques, que la plupart de ses habitants n'ont jamais contemplées; un pays qui s'est bâti à partir des gares des deux plus grandes lignes ferroviaires du monde [... ] » (1966 [1956]: 515-516).

Les anglophones de Terre-Neuve sont séparés des Maritimes par des eaux tumultueuses, des coûts de transport maritime exorbitants et quelque 400 ans d'évolution en vase clos; les habitants des Maritimes, eux, sont isolés de l'Ontario par le Québec francophone et des frais de transport extrêmement onéreux. Deux jours de route difficile et une histoire doulou­reuse séparent les Prairies de l'Ontario. La Colombie-Britannique se trouve coupée du reste du Canada par des montagnes, et de sa capitale insulaire par une autre étendue d'eau. Les régions nordiques, elles, sont séparées du pays par le froid, l'espace et l'oubli implacable des habitants du Sud. Par contre, la frontière canado-américaine, elle, est perméable sur toute sa longueur, et les liens qui unissent le Nord et le Sud semblent partout plus serrés que ceux qui rattachent l'Est à l'Ouest Bien que les communications

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précaires entre l'Est et l'Ouest soient d'une importance capitale, il survient toujours une grève ou un impair bureaucratique ou politique pour les brouiller ou les rompre tout à fait; elles ne sont maintenues qu'au prix d'efforts dé­mesurés. Malgré tout, les Canadiens anglais se reconnaissent parce qu'es parlent une même langue. On s'attendrait à une grande diversité linguisti­que régionale, mais on constate une homogénéité étonnante. Notre histoire, nos ancêtres qui, deux fois déracinés, ont prouvé leur attachement à leur langue, ainsi que notre « philosophie de l'endurance et de la survie » (Morton: 1971: 69) ont fait contrepoids à la géographie ingrate de notre pays. Le Canada ne peut exister en tant que nation, affirme Armour (1981: 137), mais en fin de compte, il finit par démontrer la possibilité du contraire. De même, s'il paraît impensable qu'il y ait une langue anglaise canadienne, il semble bien pourtant qu'il en existe une.

On peut dire qu'en principe la norme est la variété de langue qui, de toutes, assure la plus grande intelligibilité au sein d'une communauté linguistique. Ne présupposons pas qu'elle est bonne, belle ou prestigieuse, mais seulement qu'elle sert comme moyen de communication dans une infinité de situations, et ce pour le plus grand nombre possible d'usagers (Gregory, 1972: 13).

La langue standard peut s'identifier à certaines propriétés intrinsèques. Elle tend à uniformiser divers dialectes apparentés, et à les différencier des dialectes environnants; elle sert de critère pour la correction de la langue et l'évaluation des textes littéraires. Les membres d'une communauté lin­guistique donnée sont conscients des normes de la langue standard (Garvin, 1964: 522), même s'ils ne manifestent pas nécessairement de fierté ou de fidélité à leur égard

Bien que la langue standard serve à unifier, elle n'est pas uniforme. Pour que la communication soit efficace, souligne Gumperz (1971: 133), il suffit que la diversité soit contrôlée; elle n'a pas à être éliminée. Les diffé­rences bénignes ne nuisent pas à la communication; elles servent, au con­traire, à véhiculer une information sociale. Pour remplir ses différentes fonc­tions, la langue standard doit également comporter des variantes. On ne peut limiter les variantes de la langue standard que si l'on restreint les fonctions qu'elle doit remplir.

La norme de la langue standard ne se retrouve complètement dans aucun recueil de règles, ni dans aucun corpus figé, qu'il s'agisse de diction­naires, de grammaires ou d'ouvrages littéraires, si précieux soient-ils. C'est plutôt d'un consensus dans la communauté linguistique qu'émane la norme, de l'équilibre continuel que le groupe maintient entre forces innovatrices et forces conservatrices (Gleason, 1965: 474-475). Chaque individu évalue sa langue en fonction de ce qu'il perçoit être le « bon » langage, approuvé par la communauté linguistique à laquelle il appartient ou veut appartenir. C'est dire que la langue standard ne se définit pas en fonction de la forme, mais bien en fonction de ses usagers. La forme, néanmoins, peut se définir.

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L'anglais canadien standard est la variété d'anglais que l'on parle de Kingston aux montagnes Rocheuses, et qui est de plus en plus répandue chez les gens instruits de toutes les villes canadiennes. C'est la langue de la so­ciété Radio-Canada. Son homogénéité est le produit de l'histoire de la colo­nisation de cette vaste région, les provinces du centre ayant été colonisées par des Ontariens, et Toronto ayant par la suite étendu son influence par la publication de livres scolaires et de périodiques, ainsi que par la radio et la télévision. L'histoire de la colonisation en Colombie-Britannique est différente, et reflète davantage l'influence de l'Angleterre. Toutefois, l'étude de Gregg révèle que la région dialectale de l'anglais canadien doit également inclure Vancouver. Quant à la Saskatchewan, sa forte proportion de colons d'origine autre que britannique, américaine ou canadienne lui a conféré un caractère culturel et social unique, sans pour cela entraîner, semble-t-il, de modification dans la configuration linguistique existante. Au cours des quelque trente dernières années, on a donné à ce parler standard l'ap­pellation de General Canadian (Avis, 1975 [1972]: 118) et plus récem­ment, le qualificatif moins heureux de Heartland Canadian (Chambers, 1975.84).

Caractéristiques phonologiques

La caractéristique phonologique la plus révélatrice de l'anglais canadien standard réside dans la prononciation des diphtongues [al, al] et [aw, aw]. La diphtongue la plus accentuée y précède les consonnes sourdes, et la moins accentuée, les consonnes voisées, par exemple, [haves] house et [hawzaz] houles, [brelt] bright et [brald] bride. En britannique standard du Sud et en américain standard, ce contraste n'existe pas, si ce n'est dans certaines régions de la Caroline du Sud et de la Virginie. C'est Martin Joos (1975 [1942]: 79) qui a remarqué cette caractéristique il y a près de quarante ans. II avait prédit que la distinction persisterait « jusqu'à ce que les Canadiens apprennent simplement l'usage américain standard comme l'on apprend généralement les dialectes étrangers » (Joos, 1975 [1942]: 81). Bien d'autres auteurs ont par la suite analysé cette caractéristique, notamment Avis (1978 [1956]: 69), Chambers (1975 [1973]: 83-100 et 1979: 177-202), et Gregg (1973, 136-145). Les Canadiens semblent toutefois peu enclins à apprendre l'américain standard. Au contraire, la particularité que Chambers avait dénommée diphtongaison ascendante canadienne (Canadian ruising) se répand du fait « de la mobilité de la population, de l'urbanisation et de la présence pancanadienne de la société Radio-Canada » (Chambers, 1979­180).

Labov a fait remarquer qu'une marque linguistique peut devenir mar­quée socialement, c'est-à-dire stéréotypée, devenir un objet de discussion et être portée à l'attention de tous les adultes d'une communauté linguis­tique; elle peut être stigmatisée ou prestigieuse (1972: 314-315), mais quoi qu'il arrive, elle a de fortes chances d'être durable. La diphtongaison ascen­dante est, des deux caractéristiques stéréotypées de l'anglais canadien

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standard (l'autre étant le eh?), celle qui est appelée à subsister. Les Améri­cains nous font constamment remarquer que nous prononçons « oot » et « aboot », ce à quoi les agents des douanes canado-américaines se fient pour vérifier l'identité des voyageurs. Lamont Tilden, ancien conseiller linguistique en radiodiffusion (1976: 2), signale aux radiodiffuseurs que les auditeurs se « plaignent constamment » de l'usage de « aout » et « abaout », « cette prononciation américaine », et il recommande l'emploi de out et about, « tel que l'exige l'usage au Canada ». Joos relève en outre deux autres caractéristiques phonologiques propres à l'anglais canadien. A s'agit de la perte de la distinction entre [kDt, kat] caught et cot ainsi que du voise­ment, à l'intervocalique, de l'occlusive sourde alvéolaire, dans les mots comme latter, qui devient « ladder ». Les études de Léon et Martin (1979: 16, 81) révèlent que la fusion des deux voyelles postérieures subsiste, mais que la qualité de l'occlusive alvéolaire à l'intervocalique se modifie. Qui plus est, ils remarquent que les paires de diphtongues [al, al] et [aw, aw] que l'on croyait fonctionner de manière identique, évoluent en fait diffé­remment, et que le pattem « classique » a tendance à disparaître dans la paire [9I, al] (1979: 46). II faut souligner que seule la diphtongue [aw, aw] s'est stériotypée et qu'il s'agit peut-être là du facteur qui fait défaut à Léon et Martin.

Caractéristiques orthographiques

La majorité des mots anglais s'écrivent de la même manière dans tous les anglais nationaux L'orthographe constitue l'aspect le moins intéressant et le plus stable de l'anglais. 1 existe néanmoins un petit groupe de mots qui

s'écrivent différemment aux États-unis et en Grande-Bretagne, et dont l'orthographe est variable au Canada. Cette variation obéit cependant à une règle, comme l'a démontré Ireland en 1979. Dans une vaste enquête historique et empirique qui comportait des échantillons de l'usage linguisti­que de plus de 3 000 élèves du niveau secondaire, Ireland a analysé un certain nombre de mots jugés indicatifs de l'orthographe canadienne. Il a demandé aux élèves de choisir entre les terminaisons -our et -or des mots colour et colon et de leurs dérivés, -ce et -se dans des mots comme practice et practise, ou entre les terminaisons -re ou er dans des mots comme metre et meter et leur a soumis toute une liste de mots isolés qui s'écrivent de deux façons, tels que programme et program, cheque et check.



En étudiant les orthographes stéréotypées our/or, Ireland a constaté des préférences marquées selon les régions. L'Ontario et la Colombie­Britannique font bloc, de même que le Québec, les Prairies et les Maritimes. C'est en Ontario que la terminaison britannique -our est le plus répandue et en Alberta que la terminaison -or américaine se retrouve le plus fréquem­ment (Ireland, 1979: 174). En règle générale, cependant, ces constatations ne contredisent pas l'affirmation d'Avis et de ses collaborateurs selon la­quelle l'anglais canadien tend à adopter l'orthographe américaine. En effet, si la position et l'influence dé LOnario jouent un rôle capital, la préférence

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des formes britanniques est certainement davantage le fait d'une politique délibérée que de l'histoire de la colonisation de la province. Le Québec, pour sa part, reflète bien les schèmes de développement de la colonisation (Ireland, 1979: 318). Les conclusions d'Ireland concordent avec celles de Hamilton (1975 [1958] 46-54) à savoir que l'anglais québécois est très apparenté à celui du Nord des États-Unis; son statut minoritaire et l'histoire de l'enseignement au Québec ont eu pour conséquence de mettre la langue anglaise à l'abri des interventions auxquelles elle était soumise en Ontario. II est intéressant de souligner que c'est au Québec qu'on retrouve la plus faible incidence de formes françaises du type cheque et centre; à s'agit peut-être là d'une stratégie de différenciation des deux langues.

À l'instar de Wannamaker, qui a passé en revue 110 maisons d'édition de journaux et de livres, Ireland n'a trouvé aucune preuve justifiant l'affir­mation d'Orkins selon laquelle la langue de la presse canadienne serait amé­ricanisée (1979: 127-128). Au contraire, on constate que, dans la mesure du possible, les médias s'en tiennent à un « juste milieu » nettement cana­dien.

Caractéristiques grammaticales et lexicales

Étant donné que les formes grammaticales sont moins perméables au changement que les formes phonologiques et lexicales, 9 n'est pas éton­nant de constater que les usages canadien et américain soient très rappro­chés. McConnell a dressé une liste de trois pages et demie (1979: 35-38) qui relève quelques usages britanniques et américains, ainsi que certains exem­ples d'usage variable en canadien tels que: have you gotido you have et will we go/shall we go, mais il souligne qu'aucune étude ne confirme les présumées aires de différences telles que la postposition des adverbes en américain du Nord dans les expressions comme head up, measure up to, miss out on et sound out. Dans nul autre domaine le besoin n'est aussi pressant d'une analyse de l'usage standard qui respecte une méthodologie rigoureuse et tienne compte des variables socio-économiques et ethniques, des différences entre générations, entre milieu rural et milieu urbain. Comme le souligne Tilly, les mondes imaginaires de la littérature canadienne indiquent que ce sont bien là les données-clés à étudier (1980: 174177). En attendant, rien d'important ne peut être affirmé avec la moindre certitude.

L'anglais canadien dans son lexique est très différent des autres anglais. L'ouvrage intitulé A Dictionary of Canadianisms on Historical Principles constitue une mine de renseignements à cet égard. Si nombre des mots qu'il contient sont exclusivement régionaux, d'autres sont connus dans tout le pays, comme, malheureusement, l'expression to be on the pogey, signifiant « vivre de l'assistance sociale » ou, plus heureusement, le mot Screech, l'alcool terre-neuvien, et le high country de l'Ouest du pays. Une grande partie du vocabulaire de la vie sauvage ou rurale tombe en désuétude, et de nouveaux mots ne cessent d'apparaître que l'on a plus de chances de

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retrouver dans les oeuvres littéraires que dans nos dictionnaires, étant donné que la recherche linguistique au Canada n'évolue pas au même rythme que la langue.

Enfin, dernière caractéristique, mais non la moins intéressante, l'exis­tence d'un style hybride qui veut que l'on intègre à la langue soutenue des usages britanniques et un mélange de français et d'anglais aux textes ayant une diffusion nationale. Au Canada, une seule langue ne suffit pas pour ouvrir la session parlementaire et procéder à l'investiture d'un gouverneur général ou d'un premier ministre.

Développement de l'anglais canadien

Depuis la publication du premier volume du Rapport de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le bilinguisme est devenu un sujet de préoccupation, pour ne pas dire une obsession, dans la majorité des débats sur la langue, au niveau national. Simultanément, du côté anglophone du moins, on affiche une superbe indifférence à l'égard de la question prioritaire du Rapport, celle de l'existence et de la vigueur de la langue anglaise et de la langue française au Canada, chacune étant considérée individuellement.

« En conséquence, le problème de la langue première est premier. il est vital, il est plus essentiel pour l'être que celui de la langue seconde. C'est pourquoi 'Tétai: présent du bilinguisme au Canada", c'est d'abord l'état présent de la langue anglaise et de la langue française, chacune étant considérée en soL Nous devons donc nous demander si chacune a, concrètement, les moyens de vivre » (1967: xxvix).



L'anglais canadien a-t-il les moyens de vivre? Cette question, que sou­lève le Rapport, évoque immédiatement la traduction que Garvin faisait d'une phrase de Havrànek et Weingart « Par culture de la langue, nous entendons le développement conscient de la langue standard » (By cultiva­don of good language, we mean the conscious fostering of standard lan­guage). Le mot foster, par l'action de soigner et de choyer qu'il sous-entend, est intéressant II est également un rappel de la recommandation du conseiller linguistique de Radio-Canada, qui souhaitait que l'on soigne la langue anglaise, qu'on la traite avec respect, voire avec affection (Rich, 1981: passim).

En 1973, Garvin offrait au lecteur anglophone les General Principles for the Cultivation of Good Language*, rédigés à partir de l'ouvrage intitulé Spisovnd cësstina a jazykové kultura, publié en 1932. 1 mentionnait que ces principes étaient « remarquablement modernes et facilement applicables à de nombreux cas de planification linguistique dans le monde d'aujour­d'hui » (Garvin, 1973: 102). Bien qu'il soit difficile de traiter un sujet aussi précis que la planification linguistique par rapport à (anglais canadien, il reste que nombre de ces principes sont effectivement applicables. « Le

* Que l'on trouvera en traduction française aux pages 795-807 du présent ouvrage. (N.d.Lr.)

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développement conscient de la langue standard peut être assuré par (1) les travaux linguistiques théoriques (2) l'enseignement de la langue à l'école et (3) la pratique littéraire ». Au Canada, il faut ajouter à la formation scolaire les médias, plus particulièrement la société Radio-Canada.

Instruments de développement de la langue: recherche en linguistique descriptive et théorique

« La documentation sur l'anglais canadien est fort bien exploitable », écrit Chambers (1979: 168) qui jouit de la position avantageuse du linguiste qui l'a exploitée en vue de rédiger une anthologie, et a choisi les meilleurs textes pour encourager la recherche. Chambers est conciliant. En effet, peu de gens trouveraient à contredire Gregory quand il affirme à propos de l'ouvrage de Chambers (Canadian English: Origins and Structures):

« Au Canada, il est urgent d'effectuer une analyse de l'anglais canadien, et d'y affecter le personnel et les fonds nécessaires. A ce propos, on observe deux situations paradoxales. Premièrement, on subventionne généreusement les projets sur le bilinguisme, alors qu'aucune des deux langues officielles n'a été définie dans le contexte canadien; deuxièmement, ce petit ouvrage [Canadian English: Origins and Structures] qui possède sa valeur intrinsèque, sert avant tout à indiquer tout le chemin qu'il reste à parcourir » (Gregory, 1978: 213).

D'après les auteurs des General Principles for the Cultivation of Good Language, la « codification » consiste simplement à décrire, à relever ce qui existe (1973: 109). Le Canada anglophone a été choyé par les lexicographes­dialectologues des générations précédentes. Walter Avis, par exemple, a été comparé favorablement à Menken et à Webster (McDavid, 1981: 118-125). Mais les réductions de personnel et de budget sont draconiennes en ce moment et peu de linguistes se consacrent à l'étude de l'anglais cana­dien standard. II faut encore étudier toutes les langues autochtones; le fran­çais canadien intéresse davantage et est mieux fouillé; par ailleurs, les régions de survivances linguistiques comme Terre-Neuve et la vallée de l'Outaouais sont fascinantes et méritent qu'on s'y intéresse. Nul ne peut nier l'impor­tance de poursuivre la recherche dialectologique, historique et culturelle. Mais cela laisse peu de place à la codification de la langue standard. Nous croyons que la disparition des variantes régionales et rurales et l'émergence de dialectes de classe sont une conséquence directe de l'urbanisation rapide et de la grande mobilité de la population, phénomènes qui existent ici comme dans tous les pays (Labov, 1972: 300), mais nous disposons de très peu de données corroborant notre hypothèse. La seule étude d'envergure qui existe sur le milieu urbain s'effectue à Vancouver, à l'extérieur donc de ce que l'on appelle le triangle de l'anglais canadien standard. Quant aux études pancanadiennes, on ne relève que celle d'lreland (1979) et l'enquête sur l'anglais canadien (Survey on Canadian English-SCE) commencée en 1970. Cette dernière est une enquête effectuée par courrier, avec toutes les limites que cela comporte, et elle s'adresse à des élèves du secondaire lI et à leurs parents (Chambers 1979: 169-170). La SCE est en outre lacunaire

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aux points de vue de l'échantillonnage, de la méthodologie et de l'inter­prétation, son défaut le plus frappant étant le fait qu'elle prend comme point de référence la province et non la région dialectale. Rodman fait toutefois exception puisqu'il utilise certaines données permettant de mettre en évi­dence des différences d'usage entre file de Vancouver, la région métro­politaine de Vancouver et la Colombie-Britannique continentale (Rodman, 1975: 49-82).

La bibliographie annotée qui s'intitule Writings on Canadian English, 1792-1975 (Avis et Kinlock) cite 723 titres d'écrits sur l'anglais canadien, mais nombreux sont ceux qui ne désignent que des notes sommaires, des articles de la presse populaire et, naturellement, des analyses locales et ré­gionales. Quant aux caractéristiques de la langue standard, la diphtongaison ascendante est la seule qui ait attiré l'attention des auteurs.

Une grande partie de ce qui a été écrit sur l'anglais canadien est difficile d'accès. Maintenant que l'édition de l'anthologie de Chambers est épuisée, les étudiants ne peuvent se référer qu'à un seul volume, celui de McConnell: Our Own Voice. Heureusement, il s'agit d'un bon livre qui peut être adapté aux besoins des niveaux secondaire et collégial. On peut évidemment se procurer les dictionnaires canadiens sans difficulté. A Dictionary of Cana­dianisms on Historical Principles (DCHP) est un modèle en son genre; il comporte 10 000 entrées, dont chacune est datée et accompagnée de références. A Concise Dictionary of Canadianisms est une version abrégée du DCHP. D'autre part, The Senior Canadian Dictionary et sa version mise à jour, le Gage Canadian Dictionary, s'ils sont faits sur le modèle du American Thomdike and Barnhart Dictionary, précisent cependant la pro­nonciation, l'orthographe, les sens et l'usage canadiens, et relèvent en outre certains canadianismes. Comme le DCHP, ces ouvrages puisent aux recher­ches effectuées par le centre lexicographique de l'Université de Victoria. Mentionnons également, outre les nombreux dictionnaires scolaires, le Canadian Dictionary, fondé sur les recherches du centre lexicographique de Montréal.

Les problèmes inhérents à la production, à la publication et à la distri­bution d'un ouvrage « indigène », scolaire ou autre, sont trop complexes pour être abordés ici. Soulignons seulement que le fossé qui sépare le lin­

guiste du lecteur ou de l'étudiant pose un problème. Selon l'École de Prague (cf. Garvin, 1973: 109) « La compréhension théorique de la norme et sa codification doivent permettre] la diffusion de la norme et sa compréhension par d'autres personnes », si cette compréhension théorique doit contribuer à la codification de la langue standard.



Instruments de développement de la langue: les écoles et universités

L'enseignement de la langue au Canada est régi par dix ministères de l'Éducation. Toutes les tentatives visant à établir une politique ou des

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