Art science technologie


STRATƒGIES SCIENTIFIQUES Musique



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STRATƒGIES SCIENTIFIQUES Musique

Hugues Dufourt

Bernard Bovier-Lapierre, StŽphanie Glas

avec la participation de Michel Decoust et Claude Cadoz


PrŽambule


Claude Cadoz
(É) comment dire que l’homme est un corps de mammifre d’organisation pourtant unique, enclos et prolongŽ par un corps social aux propriŽtŽs telles que la zoologie n’a plus de poids dans son Žvolution matŽrielle, sans faire intervenir la palŽontologie, le langage, la technique et l’art ?

AndrŽ Leroi-Gourhan

“ Le geste et la parole “ (1964)
L’activitŽ artistique est une composante du dŽveloppement de la sociŽtŽ. Elle lui donne des reprŽsentations d’elle-mme et du monde et lui permet de se mettre en projet. Elle participe, comme l'activitŽ scientifique et l'activitŽ technologique, au processus de connaissance et de transformation du monde par l’homme.
La crŽation et la rŽception des Ïuvres artistiques entretiennent des liens Žtroits : si des artistes imaginent et produisent des Ïuvres inventives, la rŽception de celles-ci suppose toujours, ˆ diffŽrents degrŽs, un processus Žgalement crŽatif. Entre la crŽation et la rŽception, se situent une grande variŽtŽ d’activitŽs qui les combinent d’une quantitŽ de manires.
L’activitŽ artistique ne peut s’exercer que par la mise en commun de compŽtences, connaissances, outils matŽriels et intellectuels, actions ; mais comme l’activitŽ scientifique ou technologique, elle comprend des phases intrinsquement liŽes ˆ l’individu et l'ŽvŽnement, situŽs de manire singulire dans la sociŽtŽ et l’histoire.
L’activitŽ artistique s’articule avec la science et la technologie. Cette articulation est trs ancienne. Les arts ont tirŽ parti des technologies avancŽes de leur temps, et nombre de thŽories esthŽtiques ont ŽtŽ marquŽes par des considŽrations scientifiques. En retour les savoir-faire et les exigences artistiques ont souvent suscitŽ des progrs techniques, voire stimulŽ des avancŽes scientifiques. La crŽation artistique ne peut toutefois se rŽduire ˆ l’application stricte de savoirs scientifiques ou technologiques et il ne peut exister de savoirs scientifiques ou technologiques dŽfinitifs d’o elle se dŽduirait. Parce qu’elle produit des objets matŽriels, des artefacts, l’activitŽ artistique utilise la technologie. Mais des technologies peuvent tre utiles ˆ l’art sans avoir ŽtŽ ŽlaborŽes pour l’art, et l’art peut susciter des recherches et des dŽveloppements technologiques ayant d’autres applications que l’activitŽ artistique.

L'activitŽ artistique est recherche en soi: comme la recherche scientifique, elle implique une attitude de questionnement. Les objets et les Ïuvres artistiques, crŽŽs individuellement ou collectivement, sont souvent des propositions plut™t que des affirmations. En tant que tels, ils entrent dans un processus qui engage la sociŽtŽ et fait qu'elle est elle-mme crŽatrice.


L'activitŽ artistique est indissociable de l'activitŽ Žconomique.

Elle est fin et moyen. Fin en soi parce qu’elle n’a pas besoin d’autre lŽgitimitŽ que celle de sa fonction de reprŽsentation et de mise en projet de l’homme et du monde. Mais elle appelle des moyens Žconomiques, nŽcessaires ˆ la mise en Ïuvre de ses moyens de production.

Elle est un "moyen pour l'Žconomie" parce que, comme toute activitŽ humaine, l'activitŽ artistique s’inscrit dans un processus matŽriel producteur de biens et de valeurs proposŽs ˆ l'Žchange mercantile.

Sa fonction Žconomique ne saurait cependant la ranger au seul statut de "produit". Le considŽrable dŽveloppement des Žchanges matŽriels et informationnels multiplie la quantitŽ et la circulation des objets susceptibles de porter, bien ou mal, l'identitŽ culturelle de qui les produit. L'art, en tant que porteur de la culture, doit pouvoir s'imprimer explicitement et naturellement dans les objets soumis ˆ ce vaste Žchange. L'activitŽ artistique, ˆ ce titre, n'est pas simplement crŽatrice de produits, ce sont les produits en gŽnŽral qui doivent faire ˆ l'art et ˆ la crŽation artistique, la part qui leur revient.


Plus globalement, le dŽveloppement de la crŽativitŽ artistique est la vitalitŽ Žconomique sont indissociables. Critiquant le c™tŽ passif pour le public de ce que l'on nommait dŽjˆ l'"audio-visuel", AndrŽ Leroi-Gourhan Žcrivait en 1964:"L'imagination est la propriŽtŽ fondamentale de l'intelligence et une sociŽtŽ o la propriŽtŽ de forger des symboles s'affaiblirait perdrait conjointement sa propriŽtŽ d'agir"

(AndrŽ Leroi-Gourhan - "Le geste et la parole" - 1964)


La crŽation artistique apporte ˆ la science, la technologie, l'Žconomie et reoit d'elles en retour. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication transforment prodigieusement les conditions, Žconomiques, matŽrielles, intellectuelles, sociales de la crŽation artistique. A la faveur de ces nouvelles technologies, une Žtape ˆ ne pas manquer est probablement celle de l'Žducation de la crŽativitŽ artistique.

I. OriginalitŽ et structure de la recherche interdisciplinaire dans le domaine AST



I.1. Les conditions de l’innovation interdisciplinaire




I.1.1. Un dŽcloisonnement nŽcessaire

Le cloisonnement entre les disciplines constitue le principal obstacle au dŽveloppement d’un p™le AST. Chaque discipline prend soin de dŽlimiter son domaine de compŽtences et invoque aussit™t le dŽcoupage ainsi obtenu pour s’exonŽrer de toute implication artistique. Le rejet des sciences de l’art, des sciences pour l’art, des technologies ˆ finalitŽ artistique, l’impuissance ˆ concevoir et ˆ mettre en Ïuvre des industries culturelles n’ont pas seulement leur source dans des raidissements corporatistes ou dans les prŽventions d’une communautŽ scientifique mal prŽparŽe ˆ l’idŽe d’une coopŽration nŽcessaire entre activitŽ artistique, structures productives et institutions Žducatives.


Ces Žchecs rŽpŽtŽs sont Žgalement imputables au refus d’admettre le principe mme d’une science et d’une technologie ˆ finalitŽ artistique. Le dŽveloppement de l’informatique musicale, de la psychologie cognitive de la musique, de l’acoustique instrumentale, de l’acoustique des salles, du traitement du signal n’a pas suffi ˆ accrŽditer l’idŽe que les sciences de la musique concentrent leurs programmes de recherche sur des problmes complexes et spŽcifiques.
Les canons actuels de l’organisation de la recherche scientifique, qui planifient les secteurs globaux et laissent le dŽtail interdisciplinaire ˆ l’initiative des individus, au hasard des rencontres, aux interactions spontanŽes, ne sont gure propices ˆ une promotion de la recherche artistique. Ils favorisent en outre un certain conservatisme car ils inscrivent d’office les discontinuitŽs du savoir et les innovations radicales dans le cadre rŽducteur du nomadisme thŽorique.
A contraindre ainsi la recherche artistique ˆ se conformer aux critres de la recherche scientifique et ˆ en Žpouser la structure, on la prive de son sens. L’informatique musicale ne s’est pas ŽdifiŽe sur le dŽmembrement du savoir en une multitude hiŽrarchisŽe de compŽtences techniques. Elle a requis au contraire des attitudes thŽoriques neuves et une aptitude ˆ la synthse. La tendance actuelle ˆ constituer de gros laboratoires, qui rŽvle une soif de reconnaissance et manifeste une volontŽ d’identification mimŽtique ˆ la recherche scientifique, peut reprŽsenter une entrave ˆ la logique mme de la recherche artistique. Les procs de concentration qui affectent les centres de recherche artistique et qui rŽpondent ˆ des besoins accrus de financements peuvent conduire ˆ des rŽsultats dŽcevants. Ils engagent en outre la recherche artistique dans une division du travail de la recherche qui fait prŽvaloir l’utilisation des moyens techniques de la recherche sur les finalitŽs de la recherche elle-mme.
La recherche artistique s’est vue, d’autre part, constamment dŽtournŽe de ses fins productives par une organisation du travail scientifique qui la rŽduisait au commentaire, que celui-ci fžt logique, ŽpistŽmologique, historique ou esthŽtique. CoupŽe de la prospective, la recherche en art n’Žtait admise par la communautŽ scientifique qu’appliquŽe au passŽ. La recherche en art a ŽtŽ ainsi progressivement vidŽe de sa substance et dŽtournŽe vers des activitŽs savantes, d’Žrudition ou d’exŽgse. Si, depuis 1981, le domaine de la musicologie s’est notablement structurŽ et s’est constituŽ en une discipline reconnue, c’est au dŽtriment de la recherche musicale dont la sociŽtŽ savante ne pouvait concevoir les liens avec la crŽation et le secteur productif. La meilleure reprŽsentation de la musicologie au sein de l’institution savante a fait Žcran ˆ une recherche musicale qui n’est pas parvenue, dans son sillage, ˆ se constituer en un domaine reconnu.


I.1.2. La recherche artistique : identification et reconnaissance d’un nouveau secteur

Cette recherche musicale, uniquement soutenue par le Ministre de la Culture, n’a pas suffisamment essaimŽ, faute de relais institutionnels et pŽdagogiques. Les campagnes rŽpŽtŽes qui ont ŽtŽ menŽes contre le principe de cette recherche ont conduit celle-ci ˆ se replier sur un champ Žtroitement circonscrit, o la part respective des crŽateurs, des chercheurs et des ingŽnieurs est mal dŽfinie, exacerbant par lˆ les craintes et les rivalitŽs internes.


CoupŽe du secteur de la production par une politique ambigu‘ qui attendait davantage d’une vitrine idŽologique que d’une recherche effective, la recherche musicale a ŽtŽ ainsi conduite ˆ se justifier toujours davantage par les contrats, le cas ŽchŽant, par les brevets, non par les Ïuvres. RŽduite ˆ des positions dŽfensives et contrainte dans le mme temps ˆ multiplier les efforts de communication, la recherche musicale s’est dangereusement coupŽe des rŽalitŽs prŽsentes alors mme que la qualitŽ de ses chercheurs est internationalement reconnue.
La premire mesure en faveur de la recherche musicale consisterait ˆ lui reconna”tre le droit d’exister sans lui demander d’autres titres de justification. Il faut cesser de considŽrer la recherche musicale comme un secteur marginal, subalterne, sans portŽe thŽorique rŽelle et sans incidence Žconomique. Ces prŽjugŽs tenaces, desquels la sociŽtŽ savante tire des arguments toujours renouvelŽs pour nourrir son hostilitŽ ˆ l’art, freinent l’essor d’un domaine artistique et technologique aux implications Žconomiques non nŽgligeables. Ne disposant que d’un trs petit nombre de chercheurs et de crŽateurs dans ce domaine d’ailleurs tenu ˆ bout de bras par le Ministre de la Culture, l’Etat ne s’est pas donnŽ les moyens de faire face aux besoins sans cesse croissants en matire d’art, de techniques de l’art, de mŽtiers de l’art, de formation ˆ la recherche et d’Žducation esthŽtique du plus grand nombre.
Alors qu’elle devient un enjeu dŽmocratique, la recherche musicale ne conna”t qu’une audience confidentielle et demeure l’apanage d’une minoritŽ qui tend ˆ prŽserver les avantages qu’elle tire de sa situation de monopole.
ConfinŽe dans un domaine Žtroit et ne disposant que d’une marge d’initiative rŽduite, la recherche musicale s’Žpuise en justifications et devient l’otage de ceux-lˆ mme qui ont pour charge de la promouvoir. Ainsi les ingŽnieurs et les chercheurs sont-ils trop Žtroitement assujettis ˆ des impŽratifs d’ailleurs contradictoires de recherche proprement dite et de valorisation, qui entrent eux-mmes en conflit avec les nŽcessitŽs de la production musicale et les exigences de la formation ˆ la recherche. Peu nombreux, tiraillŽs entre des obligations qui deviennent peu compatibles entre elles, contestŽs sur le fond, les membres de cette communautŽ ne disposent plus du temps ni du recul qui sont nŽcessaires ˆ toute dŽmarche interdisciplinaire. Eux-mmes sont contraints ˆ se retrancher dans un domaine incontestable de compŽtences qui se hŽrisse de calculs dŽfensifs.
De fin premire, la musique en vient insensiblement ˆ se concevoir comme une recherche appliquŽe, une illustration ou un alibi pour des recherches qui se mnent indŽpendamment d’elle. Les compositeurs pourraient tre alors peu ˆ peu tenus ˆ l’Žcart d’une recherche ˆ laquelle ils auraient de moins en moins part.

I.1.3. La nŽcessitŽ d’un contr™le afin de prŽvenir les risques de multiples dŽrives

C’est donc ˆ l’interversion pernicieuse des fins et des moyens qu’il faut en deuxime lieu prendre garde.


Pour tre prŽservŽe, la recherche musicale doit atteindre une masse critique par le regroupement et l’embauche de chercheurs et d’ingŽnieurs, par la crŽation d’une formation doctorale ouverte ˆ la pratique de l’ordinateur ainsi qu’ˆ la pratique musicale et surtout par une organisation du travail qui permette de diversifier les t‰ches et les fonctions tout en les intŽgrant mutuellement. Une meilleure rŽpartition des compŽtences et des facultŽs devrait permettre d’aborder pour eux-mmes les problmes de la crŽation et de renoncer ˆ l’idŽe assez vaine selon laquelle le seul dŽveloppement technologique peut supplŽer ˆ tout et pallier notamment les carences de la recherche musicale et de la crŽation.
Il faut Žgalement veiller aux risques de dŽrive qui pourraient rŽsulter d’une politique consistant ˆ financer la recherche musicale par des contrats avec l’industrie n'ayant pas de rapport direct avec cette recherche et ne visant pas pour autant ˆ dŽvelopper les industries culturelles. Bien des innovations qui ont eu des applications dans de multiples domaines sont issues d'une recherche purement musicale: il est important de prŽserver cette prŽoccupation artistique sans compromis. L’indispensable Žtablissement des liens avec l’industrie ne doit pas se faire au dŽtriment de la recherche musicale ni des industries liŽes ˆ l’art.
L’obligation de rŽsultats qui a ŽtŽ faite ˆ la recherche musicale a conduit ce secteur ˆ se justifier Žgalement par le concert, incitant les organismes de recherche ˆ se poser en acteurs de la vie musicale. L’investissement croissant de la recherche musicale dans le domaine de la production artistique traditionnelle ne doit pas dissimuler l’intŽgration insuffisante de cette recherche au domaine qui pourrait tre plus naturellement le sien, celui des industries culturelles.
Pour permettre ˆ la recherche musicale de se renforcer, il conviendrait d’Žviter les sectorisations excessives et de resserrer les liens interdisciplinaires. Les grands organismes n’ont de regard que pour les trs grandes unitŽs et tendent ˆ nŽgliger les disciplines naissantes.


I.1.4. Moderniser la gestion de la recherche artistique

C’est ˆ un dŽcloisonnement de l’ensemble des corps trs spŽcialisŽs de la recherche musicale qu’il conviendrait de procŽder en mettant un terme aux rivalitŽs corporatistes qu’entretient un partage ambigu de compŽtences entre les tutelles ministŽrielles. La recherche musicale n'est pas reconnue comme recherche scientifique alors qu’elle en constitue une branche performante. Elle est entirement soutenue par le Ministre de la Culture, qui apporte de plus des contributions significatives aux formations doctorales qui s’y rapportent ainsi qu’ˆ la recherche documentaire. Il conviendrait de donner au corps de la recherche musicale un caractre plus interministŽriel afin de limiter les dysfonctionnements qui rŽsultent d’une rŽunion de chercheurs placŽs sous des autoritŽs de tutelle qui persistent ˆ s’ignorer.



On peut dŽplorer en outre la rŽsurgence d’une tendance scientiste au sein mme du milieu de la recherche musicale, qui a tendance aujourd’hui ˆ ne concerner que le secteur des Sciences pour l’IngŽnieur, alors qu’il ne se rattache plus aux sciences humaines que par le lien tŽnu de la musicologie. Ce partage, qui sert des commoditŽs budgŽtaires et consolide des situations acquises, encourage en outre des tendances protectionnistes et des impŽrialismes particularistes. Il serait regrettable de voir rŽappara”tre dans un secteur aussi avancŽ des pratiques anciennes et condamnables : formes diverses de rŽtention de l’information, stratŽgies esthŽtiques ŽsotŽriques, dŽrobades dans l’ultra-technicitŽ, mainmise sur les matŽriels de pointe, organisation rigoureusement hiŽrarchique du travail qui ne permet aucune relation bilatŽrale, rŽticence ˆ admettre les partenaires comme des interlocuteurs ˆ part entire, accaparement des crŽdits et des moyens de la recherche, et politique de la communication qui annonce plus qu’elle ne tient. Ces tendances protectionnistes ont pour effet de renforcer les clivages entre les disciplines et de distendre les liens de la recherche et de la crŽation d’une part, les liens de la recherche, de la crŽation et de l’industrie d’autre part. Une telle politique compromet l’avenir de la recherche musicale alors qu’une stratŽgie publicitaire prŽsente cette dernire sous des dehors flatteurs.
Les efforts de l’Education Nationale pour divulguer ce type de recherche ont rencontrŽ des obstacles sŽrieux, en particulier dans la transmission des savoir-faire. Les deux objectifs qui avaient ŽtŽ assignŽs en 1989 par le Ministre de l’Education Nationale – la formation pratique des Žtudiants en musique et musicologie du XXme sicle et la ma”trise des nouvelles technologies – n’ont pas ŽtŽ atteints.
L’actuel partage des compŽtences entre le Ministre de l’Education Nationale et celui de la Culture est ˆ la source de dysfonctionnements structurels. Car on continue de dŽvelopper un art qui n’est pas reconnu par l’enseignement supŽrieur et de dŽlivrer un enseignement musicologique qui n’est pas ŽtayŽ par la pratique musicale du plus haut niveau.
L'exception franaise dŽveloppe une musicologie universitaire acadŽmique validŽe par des dipl™mes, mais qui ne s'appuie pas sur la pratique artistique de haut niveau. Les Conservatoires Nationaux SupŽrieurs de Musique, quant ˆ eux, sous-estiment la portŽe de la thŽorie dans la pratique de haut niveau. Il y a lˆ une anomalie historique par rapport ˆ l'Europe, et un danger rŽel. Ailleurs la musicologie pŽntre davantage la pratique musicale et la fait Žvoluer - qu'on songe au cas exemplaire d'Harnoncourt.
Ces contradictions rŽapparaissent au sein mme de la recherche musicale qui juxtapose, sans cohŽrence suffisante, l’ingŽnierie, la musicologie et la production artistique proprement dite. Les acteurs de cette recherche sont portŽs ˆ entŽriner une situation d’exception dans laquelle ils voient un moindre mal. Toutefois, le dŽveloppement du secteur AST s’en trouve compromis car ce dernier repose sur une intrication de thŽorie et de pratique que la rŽpartition actuelle de compŽtences entre les tutelles ne favorise pas.
Si les enseignements thŽoriques consacrŽs ˆ l’informatique musicale commencent ˆ tre dispensŽs, les enseignements pratiques dans cette discipline qui prŽpare ˆ la recherche, ˆ la crŽation et ˆ la production n’ont pu voir le jour dans le cadre universitaire, faute de personnels d’encadrement, d’Žquipements, de locaux et de personnel administratif. Les enseignements pratiques actuellement dispensŽs sont payants.

Si les chercheurs et le personnel administratif relevant du Ministre de la Culture ont apportŽ, dans l’ensemble, un concours apprŽciable ˆ la formation ˆ la recherche, ils n’ont pu le faire que dans les limites imparties ˆ leur propre mission. Il serait regrettable que l’Žducation nationale puisse donner l’impression d’attendre des personnels de la culture une transmission des savoirs et des savoir-faire ainsi qu’une contribution importante en locaux et moyens sans autre contrepartie que la dŽlivrance de dipl™mes universitaires.


Le monde universitaire risque de rencontrer des difficultŽs croissantes ˆ faire valoir ses titres ˆ diriger une recherche et un secteur productif ˆ l’essor desquels il n’a pas pris part. A l’inverse, il para”t douteux que le milieu de la culture puisse indŽfiniment soutenir une recherche qui n’aura pas trouvŽ de relais universitaires ni industriels.
Les barrires qui s’Žlvent au sein mme de la recherche musicale et qui reproduisent les rŽpartitions traditionnelles de compŽtences entre le Ministre de la Culture et le Ministre de l’Education Nationale, ne permettent pas la formation des praticiens. Une telle dissociation ne prŽpare pas aux futurs mŽtiers de la recherche, dissuade les compositeurs d’acquŽrir une formation musicologique approfondie, voue les thŽoriciens et les musicologues ˆ des exercices acadŽmiques et entretient les ingŽnieurs dans l’illusion qu’ils pourront un jour se substituer aux compositeurs. Un tel partage ne sert pour finir que les intŽrts d’une administration qui, rŽduisant les problmes thŽoriques posŽs par l’interdisciplinaritŽ ˆ des questions d’organisation, en dŽmultiplie indŽfiniment la gestion.


I.1.5. Instituer des liens entre la recherche artistique et le secteur de la production

Les relations Art/Entreprise sont traditionnellement conues dans la perspective du mŽcŽnat. Des types d’association nouveaux pourraient tre envisagŽs, qui feraient Žmerger des compŽtences spŽcifiques. On pourrait envisager une organisation du travail en des secteurs autrement rŽpartis : fournisseurs/dŽveloppeurs des machines de la recherche/crŽation (synthse d’image, de sons, logiciels spŽcialisŽs), Žditeurs/diffuseurs des produits de la crŽation, animateurs des manifestations (salons, Žcoles d’ŽtŽ, ateliers, acadŽmiesÉ), exploitants des licences des produits de la recherche, dŽveloppeurs des produits pŽdagogiques.


Les stratŽgies en matire d’emploi sont Žgalement ˆ reconsidŽrer. L’action proposŽe ne devrait pas se limiter ˆ faire Žmerger des crŽateurs. Elle pourrait Žgalement assigner des objectifs ˆ la formation des scientifiques (nouveaux profils d’informaticiens ou d’ingŽnieurs). On pourrait concevoir des corps de mŽtiers adaptŽs ˆ ces stratŽgies : techniciens, interprtes, gestionnaires. Ainsi dŽfinie, une formation nationale ne peut se reclure sur elle-mme et doit attirer les crŽateurs Žtrangers.
Parmi les prioritŽs de la stratŽgie scientifique de l’AST, il convient de prendre en compte les processus d’adaptation et de formation et de considŽrer qu’ˆ l’image des contrats initiatives-emploi, une formation doit tre non seulement donnŽe, mais conue, programmŽe et chiffrŽe. La prŽparation aux nouvelles technologies implique que l’on prenne en considŽration l’argent public, les procŽdures et le temps nŽcessaire pour dispenser une formation aux intŽressŽs. Celle-ci ne doit pas se fonder exclusivement sur une logique de dŽpense mais rŽpondre ˆ une identification des mŽtiers de l’avenir.

Les relations entre le milieu des beaux-arts et celui de la science et de la technologie sont Žgalement ˆ rŽexaminer. Il est dŽlicat de prŽtendre profiter de la double appartenance des acteurs sans lui accorder de reconnaissance officielle, au seul motif d’un souci de sŽparation des genres. Il para”trait plus judicieux et plus Žquitable de tirer parti des ressources des acteurs pourvus d’une double compŽtence sans leur demander de donner perpŽtuellement des gages aux disciplines dont ils sont issus. D’autre part, les chercheurs ou les ingŽnieurs possŽdant une spŽcialitŽ dŽfinie - les experts -, qui souhaitent participer ˆ des recherches collectives inŽdites, devraient voir leur compŽtence pleinement reconnue, sans tre exposŽs au risque de la marginalisation.


On pourrait ainsi envisager un double type d’Žvaluation pour les personnels engagŽs dans la recherche en art : une Žvaluation spŽcifique concernerait les chercheurs dotŽs d’une double formation et capables de conduire des recherches mitoyennes pouvant aboutir ˆ la fondation de nouvelles disciplines.
Un autre type d’Žvaluation spŽcifique s’appliquerait aux experts qui, en faisant progresser leur propre domaine, permettent l’essor de disciplines connexes.
L’aptitude ˆ accŽlŽrer les phŽnomnes de convergence entre les disciplines et ˆ crŽer par lˆ de nouveaux objets, de nouvelles techniques de pensŽe et de nouvelles mŽthodes de travail, doit valoir pour elle-mme, sans tre toujours rapportŽe aux secteurs traditionnels de l’Žvaluation. Le mŽtissage des disciplines doit cesser d’tre considŽrŽ comme un rapprochement b‰tard et appara”tre au contraire comme un ressort fondamental de l’innovation. Cette fŽconditŽ doit tre prise en compte dans les critres de l’Žvaluation disciplinaire.
Les critres de la double compŽtence doivent tre entendus dans une acception trs large car nul ne peut prŽsumer des prochaines rencontres entre les disciplines ni de la hardiesse de points de vue thŽoriques nouveaux. Aussi la dimension scientifique de la recherche artistique ne s’Žpuise-t-elle pas dans une dŽfinition de la recherche rŽduite ˆ des programmes. Au surplus, l’‰pretŽ des rivalitŽs sectorielles ne permet pas toujours une apprŽciation sereine du possible thŽorique.


I.1.6. La logique des recoupements

La recherche artistique ne peut enfin ignorer les rapprochements entre les disciplines scientifiques. De mme que la recherche musicale se fonde sur l’entrecroisement de plusieurs disciplines - informatique, traitement du signal, acoustique instrumentale, acoustique des salles, psychologie cognitive de la musique, composition assistŽe par ordinateur - de mme elle se nourrit du renouvellement mutuel de disciplines scientifiques qui elles-mmes se recoupent  - optique, micro-Žlectronique, propagation radio, techniques de codage et de compression, traitement du signal, systmes d’information, matŽriaux, interfaces homme-machine, interconnexion des rŽseaux.


C’est donc ˆ une problŽmatique de l’interdisciplinaritŽ qu’est suspendu le dŽveloppement de la recherche musicale, qui doit ˆ la fois se dŽmocratiser et mieux s’articuler ˆ la production artistique.

I.2. La recherche artistique (spŽcialement musicale)



I.2.1. La modŽlisation : une recherche fondamentale

La recherche scientifique, principalement fondŽe sur la modŽlisation, se distingue de la recherche technique. La recherche dans le domaine des sciences et des techniques appliquŽes ˆ l’art diffre de la recherche conduite par les artistes pour produire des Ïuvres d’art.


Dans leur utilisation commune d’un modle, l’attitude du chercheur, qui vise les valeurs de la vŽritŽ, de la preuve, de la connaissance, ne se confond pas avec celle du technologue, qui vise une efficacitŽ maximum et recherche un optimum rationnel dans la mise au point des procŽdŽs. Elle ne s’assimile pas non plus ˆ celle de l’artiste, qui dŽtourne le modle de ses finalitŽs thŽoriques et pose parfois des problmes inŽdits ˆ la science ou ˆ la technologie.
On ne peut plus gure soutenir aujourd’hui l’idŽe d’une relation directe entre l’art et la science. Les transferts de modles de la science ˆ l’art qui ont ŽtŽ revendiquŽs dans les annŽes soixante aboutissent ˆ une pratique artistique rudimentaire et peuvent, de par les mythologies qu’ils suscitent, constituer une entrave au dŽveloppement des rapports Art/Science/Technologie.
Les lois de la consistance artistique ne sont pas celles de la cohŽrence scientifique. On dŽveloppe aujourd’hui, par exemple, une modŽlisation informatique des processus musicaux : ce secteur trs avancŽ de la modŽlisation montre surtout la rŽsistance des techniques de pensŽe proprement musicales ˆ la formalisation. Ce secteur met en Žvidence l’extrme complexitŽ des rapports entre le systme des contraintes propres ˆ la pensŽe musicale et les modalitŽs de leur apprŽhension indirecte par la logique informatique. Les dŽmarches artistiques font l’objet de multiples approches thŽoriques, logiques et technologiques sans que l’on puisse pour autant les rŽduire intŽgralement ˆ la modŽlisation. Les formes esthŽtiques opposent une sorte de rŽsistance indŽfinie ˆ l’analyse. C’est dire que l’art, qui recoupe souvent les schŽmas de la science appliquŽe, ne s’y rŽduit nullement. Par contre, on voit se dŽvelopper une recherche en modŽlisation qui constitue un secteur neuf, original, de la recherche scientifique. La recherche en modŽlisation prend l’activitŽ artistique pour objet, cherche ˆ rendre compte rationnellement des procŽdŽs de la crŽation artistique sans pour autant se confondre avec les dŽmarches de l’art proprement dit.
En musique, le domaine de la modŽlisation s’organise en une structure cohŽrente et complte qui fonctionne dŽjˆ sur un modle quasiment axiomatique. Ainsi, dans l'organisation de la recherche ˆ l'IRCAM, l’analyse/synthse (traitement du signal), la psychologie cognitive de la musique, la composition assistŽe par ordinateur, l’acoustique instrumentale et l’acoustique des salles trouvent un terrain d’Žchanges sur la base de ce que l’on appelle des “ reprŽsentations ”, qui sont des techniques de modŽlisation diverses et mutuellement convertibles. La modŽlisation informatique permet de formuler des problŽmatiques communes. Elle permet aussi de traiter en commun des objets qui se situent ˆ l’intersection de deux ou trois disciplines. Elle permet enfin ˆ deux ou trois disciplines de se constituer en une sorte de recherche “ en amont ” conduisant ˆ poser des problmes spŽcifiques ˆ la quatrime qui sera ainsi situŽe “ en aval ”. Il n’y a aucune prŽsŽance logique ou ŽpistŽmologique entre ces cinq disciplines qui se composent en une sorte de matrice. Celle-ci constitue un grand secteur de ce que l’on appelle la “ recherche musicale ” qui est une recherche scientifique, non une recherche artistique. Cette distinction, fondamentale en musique, permet de comprendre la nŽcessitŽ d’une division du travail entre l’artiste et l’assistant musical. Celui-ci propose au compositeur un ensemble de reprŽsentations et cherche ˆ les adapter aux besoins du compositeur, dont il traduit les demandes en des programmes. Il arrive que les jeunes compositeurs, formŽs ˆ la modŽlisation informatique, sachent convertir leurs exigences esthŽtiques en rŽquisits programmables. Pour leur part, les compositeurs adoptent gŽnŽralement deux attitudes vis ˆ vis des modles qui leurs sont proposŽs : les uns portent la logique d’un modle ˆ ses consŽquences extrmes, les autres cherchent ˆ subvertir cette logique. Ainsi, les techniques de pensŽe proprement musicales embrayent-elles sur les mŽthodes de travail de la science et de la technologie sans prter pour autant ˆ la confusion entre des exercices qui se stimulent et se fŽcondent mutuellement.
La crŽation artistique prend appui sur les dŽveloppements d’une recherche musicale qui, elle, est purement scientifique et technologique. DŽfinir les liens de la recherche dans l’art, la science et la technologie ne revient pas ˆ Žtablir des connexions directes entre ces secteurs d’activitŽ, mais ˆ dŽvelopper un ensemble de conditions qui obŽiront ˆ la recherche fondamentale ainsi qu’au dŽveloppement technologique tout en servant de support et de levier ˆ l’Žlaboration esthŽtique.
Ce qu’on appelle les “ reprŽsentations ” en recherche musicale n’est nullement de l’art. Les modles de perception, les langages de programmation qui ont prise sur la grammaire et le matŽriau, crŽent de nouvelles conditions de crŽation artistique et procurent ˆ l’artiste des programmes et des interfaces qui lui ouvrent un nouvel espace opŽratoire.
Les deux grandes fonctions traditionnellement reconnues ˆ l’art – technique et langage – se combinent, dans les langages informatiques, en une seule entitŽ. Le dŽveloppement de l’informatique requiert des langages capables d’assouplir toujours davantage les technologies tout en les combinant entre elles. PrŽalable ˆ la crŽation artistique, la recherche artistique repose, pour une large part, sur l'Žlaboration de langages informatiques qui visent ˆ des qualitŽs accrues de souplesse, de convertibilitŽ et de transfert. Ces qualitŽs sont indispensables au fonctionnement la pensŽe artistique, qui fait constamment intervenir le registre de l’analogie, qui a recours ˆ des reprŽsentations dynamiques et qui pratique des “ sauts d’Žchelle ”. Aussi la part la plus originale des dŽmarches artistiques ne rŽside-t-elle pas dans une pure transcription. Il n’est pas rare que la production d’effets esthŽtiques ou d’objets artistiques insolites rŽsulte de l’interfŽrence de deux Žchelles de grandeur et de complexitŽ.


I.2.2. De la science ˆ l’art : analogies, transposition, reprŽsentation des contraintes

La musique dite “ spectrale ” qui s’est dŽveloppŽe ˆ Paris dans les annŽes 70, ˆ partir notamment des travaux de Jean-Claude Risset et de John Chowning, peut tre considŽrŽe comme une projection transposant ˆ une Žchelle macroscopique de processus psychoacoustiques que l'informatique avait permis d'identifier ˆ une Žchelle microscopique. La musique spectrale et la musique informatique des annŽes 70 n’ont fait que mettre en Ïuvre des connaissances nouvelles en psychoacoustique : l’oreille musicale, accordŽe ˆ de grandes longueurs d’ondes (20 mtres) dŽveloppe une sensibilitŽ qui atteint des Žchelles subatomiques (on peut percevoir des vibrations sonores dont l'amplitude est infŽrieure ˆ 1 Angstršm). La gageure tient au fait que la transposition de modles infinitŽsimaux ˆ des Žchelles macroscopiques ait conservŽ une validitŽ perceptive.



La musique sur ordinateur et la musique spectrale se sont constituŽes sur cette nouvelle science que reprŽsentait la psychoacoustique dans les annŽes 70. John Chowning a particulirement insistŽ dans sa thse universitaire sur le fait que ce sont des reprŽsentations en trois dimensions qui ont permis de ma”triser le passage de l’Žchelle infinitŽsimale ˆ l’Žchelle macroscopique. Jean-Claude Risset a montrŽ que les contraintes propres au domaine de la perception obligent ˆ concevoir des modles originaux, irrŽductibles ˆ la mathŽmatique. Cette combinaison de reprŽsentations 3D et de connaissances des paramtres physiques ayant une signification psychoacoustique a permis la naissance d’un art spŽcifique. Le rapport de l’art et de la science est ici parfaitement dŽfini. L'art opre sur des configurations spatiales qu'il projette ˆ des Žchelles diffŽrentes tout en devant observer des contraintes limitatives imposŽes par les mŽcanismes de l'audition.
L’art s’appuie sur des reprŽsentations et des techniques opŽratoires qui proviennent de la science. La recherche musicale se constitue en une science des conditions de possibilitŽs de l’art sans tre pour autant de l’art. Elle consiste en une recherche fondamentale, en une recherche “ scientifique ” qui ne se rŽduit nullement ˆ une recherche appliquŽe. Dans une confŽrence qu’il a prononcŽe ˆ l’Ircam au dŽbut des annŽes 80, Marvin Minsky, l’un des pres de l’intelligence artificielle, a soutenu que cette dernire n’est qu’une reprŽsentation des “ contraintes ”. La recherche musicale consiste prŽcisŽment ˆ ma”triser des systmes de contraintes qui sont aussi bien des contraintes matŽrielles et techniques que des contraintes concernant les reprŽsentations mentales et les lois de la pensŽe. L’idŽe de contrainte, au sens o l’entend Minsky, a pour intŽrt de combiner, en un seul systme de conditions, des prescriptions d’ordre technique et d’ordre logique.
L’un des traits remarquables de la musique des annŽes 70 a consistŽ dans la combinaison des contraintes et des rŽalitŽs d’Žchelle. Cette musique propose donc un bon exemple de ce que peut tre une relation originale et indirecte de l’art et de la science. Elle fournit Žgalement des critres de pertinence ou d’originalitŽ : un processus banal est un processus qui se limite ˆ transcrire une rŽalitŽ d’Žchelle dans une autre, une logique dans une autre. Un processus original est toujours ˆ quelque degrŽ un processus de transposition. Le cas des fractales de Mandelbrot procure un exemple de “ transposition-transcription ” qui n’est ni tout ˆ fait banal ni tout ˆ fait original. En effet, les fractales de Mandelbrot consistent ˆ prŽserver l’existence de structures pseudo-pŽriodiques, constituant un ordre reconnaissable, sans que l’on puisse pour autant identifier la rŽcurrence des ŽlŽments, ce, quelle que soit l’Žchelle. Il s’agit donc d’une transcription, ˆ des Žchelles distinctes, d’un programme engendrant des formes qui sont ˆ la fois comparables mais non superposables. Toutefois, le programme de Mandelbrot se borne ˆ reproduire, ˆ des Žchelles diffŽrentes, des processus au fond similaires qui laissent une part d’indŽtermination au dŽveloppement qu’ils constituent dans chaque ordre de grandeur. La logique n’est pas de pure transposition. Or ce sont dans les processus de transposition qu’il faut chercher la part la plus originale des rapports de l’art et de la recherche fondamentale. Les relations d’application sont le plus souvent des relations de transcription.

Une recherche dans le domaine des conditions de l’art est une recherche qui ajoute ˆ la reprŽsentation des contraintes un espace de jeu qui est celui de la transposition. L’art est ˆ cet Žgard le domaine d’une fŽconditŽ sans rigueur.


Si les dŽmarches scientifiques obŽissent aujourd’hui ˆ des types de modŽlisation mathŽmatique et algorithmique, les dŽmarches artistiques consistent le plus souvent en un gauchissement de ces procŽdures. Les nouvelles technologies et les nouvelles sciences de la modŽlisation convergent dans la constitution d’un algorithme. C’est donc une algorithmique qui constitue le dŽnominateur commun de l'art, de la science et de la technologie, si l’on entend par algorithmique une logique opŽratoire, une mŽmoire et un processus de communication entre donnŽes. La dŽmarche artistique consiste alors ˆ s’approprier un processus tout en lui imprimant des facteurs de contradiction ou de variation. Elle opre sur des modles qui se constituent en amont de la thŽorie ou sur des domaines d’application qui cherchent ˆ aller au delˆ du domaine de validitŽ de la thŽorie. La crŽation consiste, bien souvent, en un inflŽchissement des dŽmarches scientifiques. Elle consiste Žgalement en une transgression du mode de fonctionnement scientifique. Par rapport ˆ la connaissance scientifique, la crŽation artistique se pose dans sa singularitŽ : elle rŽsiste aux typologies, elle s’institue dans le pouvoir de faire Žclater les codes ou les cadres reprŽsentatifs. La crŽation s’atteste dans la transgression des structures reprŽsentatives sur lesquelles elle s’appuie. La crŽation consiste ˆ tirer parti des schmes de la reprŽsentation pour reproduire les rythmes de l’expŽrience prŽlogique (Exemple : la chronophotographie des mouvements animaux par Edward Muybridge et Jules- Etienne Marey fait appara”tre dans le galop du cheval un type de coordination qui a ŽchappŽ ˆ l’histoire de la peinture ; la dŽcomposition optique des battements d’ailes montre des combinaisons d’irrŽgularitŽ et de pseudo-pŽriodicitŽ ; la danse n’est pas intŽgralement formalisable). Le rythme est ce qui Žchappe ˆ une stricte dŽtermination de l’identitŽ et de diffŽrence : il s’agit toujours d’introduire, dans un pattern, des ŽlŽments de variance, de dissemblance, d’altŽration et de provoquer des Žcarts par rapport ˆ une rŽgularitŽ prŽsumŽe.
Dans la critique qu’il adresse ˆ Xenakis (“ le monde de l’art n’est pas le monde du pardon ”, Entretemps, FŽvrier 1988), Franois Nicolas montre que la logique musicale est irrŽductible ˆ la logique mathŽmatique. Alors que cette dernire obŽit au principe de non contradiction, la logique musicale obŽit au principe de la nŽgation contraire : tout objet posŽ doit se composer avec son contraire. Alors que la mathŽmatique prescrit le principe du tiers exclu, la musique pose le principe du tiers obligŽ : tout terme x doit se composer avec un autre terme qui soit autre que la nŽgation en devenir du premier. Alors que la mathŽmatique prescrit le principe d’identitŽ (x deux fois posŽ est identique ˆ lui-mme) la musique prescrit un principe de diffŽrenciation : tout terme deux fois posŽ n'est plus identique ˆ lui-mme. Composer c’est donc poser ensemble trois termes : un terme x premier , sa nŽgation (son autre) ainsi qu’un troisime terme issu du rapport du mme et de l’autre. Composer, c’est composer l’altŽration de cette triade au fil de ses rŽitŽrations. Ce type d’argument montre l’impossibilitŽ d’un transfert pur et simple des mathŽmatiques ˆ la musique.
On voit donc se constituer le domaine propre de la recherche artistique : il s’agit d’une recherche sur les conditions scientifiques et technologiques de l’art qui n’est nullement assimilable aux recherches que l’art mne pour s’accomplir comme tel. On peut donc conclure ˆ la spŽcificitŽ de la recherche artistique, qui relve d'abord de la science et de la technologie et non de l’art.

Par contre, le domaine de la recherche artistique rapportŽ ˆ la crŽation et ˆ la production des biens de l’industrie culturelle demande ˆ tre mieux cernŽ. Il revient, au premier chef, ˆ l’initiative des artistes et ne saurait tre laissŽ ˆ la discrŽtion des ingŽnieurs.




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