Thèse Lyon 2


- La subordination des structures représentatives des intérêts économiques au Grand Lyon



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2- La subordination des structures représentatives des intérêts économiques au Grand Lyon


A partir des années 1990, les autorités politiques du Grand Lyon s’emparent de la thématique du développement économique, confortées dans leur démarche par le nouveau cadre légal de l’intercommunalité (voir supra, Section 1). L’organisme communautaire revendique une nouvelle légitimité institutionnelle en matière de régulation économique territoriale, qu’il entend exercer au détriment des structures occupant traditionnellement le rôle central au sein du système d’acteurs local que sont notamment la CCIL et l’ADERLY. Celles-ci, après avoir permis l’émergence de la politique économique locale dans l’agglomération lyonnaise, se trouvent ainsi progressivement reléguées au second plan, par la montée en puissance de la DAEI du Grand Lyon et par son influence croissante, tant sur la composition du système de représentation des intérêts économiques au niveau local que sur l’organisation de la gouvernance économique dans l’agglomération lyonnaise.
Les structures patronales, acteurs incontournables du développement économique local…

La CCIL est historiquement et institutionnellement, pour les entreprises du moins, un acteur économique incontournable de la régulation territoriale. En matière de développement économique, il s’agit en effet d’un point de passage obligé dans le système d’acteurs local, du fait de ses missions traditionnelles d’accompagnement et de conseil auprès des entreprises, de son implication très directe dans le fonctionnement de l’ADERLY depuis les années 1970, de sa participation à l’élaboration du nouveau schéma directeur et de son implication plus récente dans le SDE, au sein de l’OPALE ou dans la démarche de gouvernance économique territoriale Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise (GLEE).

L’organisme consulaire bénéficie d’une double légitimité institutionnelle et économique à intervenir dans la gestion de la régulation économique territoriale, grâce à son statut d’établissement public oeuvrant pour l’intérêt général, à sa représentativité de quelques 50 000 entreprises locales par le biais des élections consulaires et à sa proximité historique avec le GIL, principal syndicat patronal lyonnais représentant la puissante industrie locale (voir supra, 2ème Partie, Section 2). Elle gère notamment des grands équipements collectifs à vocation économique comme les aéroports, accompagne les entreprises dans leur fonctionnement et leurs stratégies de développement et prend en charge une partie de la formation professionnelle.

Les missions d’accompagnement, d’assistance et de conseil aux entreprises sont sans doute les plus développées au sein de la CCIL336, même si elles consistent surtout à orienter les entreprises demandeuses vers des organismes spécialisés après avoir diagnostiquer le problème et à organiser des actions collectives. Elles couvrent essentiellement les questions de développements industriel (innovation technologique, sous-traitance, etc.), commercial (études de marché, fichiers de clientèle, etc.) ou international (exportation, fournisseurs, etc.). La CCIL apporte également son expertise très pointue aux entreprises sur les questions relatives à la stratégie de développement et au management. Elle s’appuie notamment pour cela sur son potentiel en matière de formation professionnelle, développé depuis les années 1980 à travers l’Ecole de Management de Lyon (EM Lyon), le centre de formation de Vaise et l’Ecole de Chimie, Physique et Electronique.

Depuis 1974, la CCIL finance aussi l’intégralité des salaires, des charges sociales et des frais généraux de l’équipe d’animation de l’ADERLY, qu’elle héberge dans ses locaux. Elle participe ainsi de manière directe à l’action de promotion territoriale, de prospection internationale et d’accueil des investisseurs extérieurs dans l’agglomération lyonnaise. Elle est directement impliquée dans la conduite du premier Plan Technopole lancé au milieu des années 1980, à travers la gestion des trois pépinières d’entreprises innovantes et technologiques implantées dans les principaux pôles d’enseignement supérieur et de recherche de l’agglomération. Elle participe aussi aux actions qui visent à faire de Lyon une métropole internationale (voir supra).

« (…) la région lyonnaise dispose de chambres consulaires qui, tout à la fois par tradition et modernisme, interviennent dans l’action publique. “La CCI dispose d’un pouvoir d’influence incontestable sur le développement économique et l’aménagement, dont peu de CCI, sinon aucune autre, ne disposent en France… Le développement économique apparaît en région lyonnaise vraiment porté par la CCI”. Ces jugements d’observateurs se fondent en particulier sur les activités d’une “institution originale” – comme on dit à Lyon – l’ADERLY (…) » (Padioleau, Demesteere, 1992, p.37).

La CCIL et l’ADERLY, intégrées organiquement et partageant la même culture économique et managériale, participent notamment très activement aux réflexions prospectives du Colloque « Demain l’agglomération lyonnaise » organisé par l’Agence d’urbanisme de la COURLY (AGURCO) en 1984, ainsi qu’à l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise de 1986 à 1988. A ces occasions, elles énoncent au nom des entreprises lyonnaises, la nécessité de se saisir de l’enjeu international et de l’argument technopolitain pour assurer le développement économique de la métropole (voir supra). De 1992 à 1997, la CCIL porte également les services techniques de la SODERLY, SAEML prolongeant l’action de promotion territoriale et de prospection de l’ADERLY, sorte de bras exécutant externalisé de la politique économique communautaire naissante agissant pour le compte de la COURLY (voir supra, Section 1).

La CCIL détient donc le quasi monopole de l’expertise économique dans l’agglomération lyonnaise grâce à ses services internes, ses missions de portage technique et à son étroite imbrication avec l’ADERLY, du moins jusqu’à ce que les services du Grand Lyon ne la rattrapent dans ce domaine à la fin des années 1990 (Jouve, 2001a). Les organismes de représentation des intérêts économiques lyonnais font ainsi office de creuset méthodologique et conceptuel pour la définition des orientations stratégiques de la politique économique locale dans les années 1980, alors que les responsables politiques des collectivités locales, et notamment de la COURLY, sont encore faiblement mobilisés sur ces questions et que l’institution communautaire n’a aucun moyen d’action, tant légal que technique en interne, dans le champ spécifique du développement économique.

Dix ans plus tard, la CCIL est à nouveau impliquée par l’Agence d’urbanisme dans la démarche d’observation et de diagnostic territorial du SDE. Elle accueille certaines réunions dans ses locaux, mais participe cependant à la démarche avec un regard assez critique sur la méthode et sur les articulations partenariales choisies, ne voyant pas forcément d’un très bonne œil la volonté des responsables de la démarche de privilégier la participation directe des entreprises au détriment des organismes institutionnels chargés traditionnellement de représenter leurs intérêts dans ce type de dispositif. De la même façon, les syndicats patronaux et la Chambre des Métiers sont relativement en retrait par rapport à la très forte implication des représentants d’entreprises dans les différents groupes de travail. Ils ne participent au SDE qu’à travers le Comité de pilotage, dont le rôle est plus de légitimer et de valider politiquement la démarche que de véritablement conduire les travaux de réflexion.

Les organismes patronaux lyonnais (CCIL, GIL) doutent en particulier de la capacité d’expertise de l’Agence d’urbanisme et des pouvoirs publics locaux – i.e. du Grand Lyon, qui se profile derrière la démarche en tant que structure politique donneuse d’ordre (Jouve, 2001a). La légitimité fonctionnelle de l’organisme d’études financé par l’Etat et le Grand Lyon est en effet bien mince, son seul fait d’armes notable en matière de développement économique étant l’élaboration du schéma directeur de l’agglomération dix ans plus tôt, dont le contenu économique reste finalement largement incantatoire et mal connecté aux attentes des milieux économiques locaux. Ils estiment également que la vision stratégique des entrepreneurs, trop contingente et calquée sur les problématiques de développement propres à leur firme, ne peut se substituer complètement à celle des techniciens du développement économique territorial, qui sont plus en mesure de concilier les aspects collectifs relatifs à l’aménagement du territoire et la vision pragmatique de la compétitivité économique.

Ils voient ainsi dans la démarche du SDE, à juste titre, une tentative des pouvoirs publics locaux de court-circuiter les acteurs économiques institutionnels au profit de relations plus directes et individuelles avec les entrepreneurs. En effet, les responsables de la démarche du SDE au sein de l’Agence d’urbanisme et du Grand Lyon337 ont tendance à privilégier la participation des représentants directs des entreprises (dirigeants et grands cadres) au détriment de celle des organismes institutionnels comme la CCIL ou l’ADERLY, qu’ils considèrent comme trop imprégnés de la culture administrative et non économique de la puissance publique (voir infra).

Pourtant, la CCIL réorganise ses services sur le territoire communautaire durant les années 1990, afin d’adapter ses prestations aux réalités différenciées des contextes économiques locaux à l’intérieur de l’agglomération, et de renforcer sa présence auprès des entreprises338. Elle fait ainsi preuve d’une grande capacité de réaction face aux exigences du « marché » et de ses cibles (c’est-à-dire ses ressortissants), donc d’un certain pragmatisme dans le management de ses services dénotant une étroite proximité culturelle avec le monde des entreprises. Ce dispositif territorialisé permet en effet aux services consulaires, non seulement de se rapprocher des entreprises à titre individuel, mais également de nouer de plus étroites relations de proximité avec les nombreuses associations d’entreprises présentes sur le territoire, qui rassemblent les entreprises présentes sur la même zone d’activités. Elle soutient activement ces dynamiques de regroupement, en participant notamment à des actions collectives thématiques et localisées (gestion des déchets, animation commerciale, etc.).

La première antenne de proximité est ainsi créée en 1990 à Chassieu, au cœur de la vaste zone industrielle de Mi-Plaine. La seconde est mise en place en 1993 à Limonest, pour desservir le technopôle vert de Techlid, suivi d’une troisième à Corbas en 1996, chargée de couvrir les vastes zones industrielles du Sud-est de l’agglomération. En 2001, le découpage territorial s’enrichit de deux nouvelles antennes : à Villeurbanne pour satisfaire la demande des entreprises (et de la municipalité ?) visant à bénéficier d’une lisibilité différenciée par rapport à Lyon, et à Rillieux-la-Pape pour desservir le Val de Saône, où une pépinière d’entreprises généraliste a vu le jour en 1996, et les zones d’activités du plateau Nord. Enfin, la dernière est créée en 2003 à Oullins, tandis que le Palais de la Bourse continue de répondre aux demandes des entreprises implantées à Lyon.

La CCIL apparaît donc comme un organisme de développement économique particulièrement crédible d’un point de vue économique et compétent historiquement, voir même précurseur en matière d’organisation territoriale décentralisée de la régulation économique dans l’agglomération lyonnaise (voir supra, Section 2). Elle présente une importante réactivité stratégique et une certaine capacité d’amélioration de l’efficacité de ses services et prestations en matière de régulation économique territoriale, se montrant notamment capable d’adapter son maillage territorial pour satisfaire ses adhérents et mieux répondre aux besoins différenciés des entreprises sur le territoire.

Cependant, la CCIL souffre également depuis une dizaine d’années d’une perte relative de légitimité et de représentativité vis-à-vis du tissu économique local. Celle-ci est essentiellement due à l’émergence d’un nouveau patronat local et de nouvelles structures plus ou moins formelles de représentation des intérêts des entreprises (Jouve, 2001b). Ajoutées aux contraintes financières très fortes qui pèsent sur le fonctionnement de l’organisme consulaire du fait de la tutelle étatique, elles contribuent à diminuer l’influence de la CCIL sur le terrain de la représentation des intérêts économiques locaux et confortent la prise de leadership du Grand Lyon sur l’organisation de la régulation économique dans l’agglomération.


… Soumis à la concurrence de nouveaux organismes de représentation des entreprises…

De nouvelles structures représentant des intérêts économiques lyonnais apparaissent dans l’agglomération et gagnent en visibilité politique au cours des années 1990. Elles sont certes le plus souvent à base sectorielle, d’une portée institutionnelle parfois limitée et moins bien ancrées historiquement dans les milieux socio-économiques et politiques lyonnais que le GIL et la CCIL, mais elles jouissent malgré tout d’une influence de plus en plus grande auprès des autorités politiques communautaires. Certaines sont soutenues financièrement par le Grand Lyon et incluses dans le dispositif de mise en application de la politique économique communautaire par le biais du versement de subventions, dans le cadre du Plan Technopole et dans celui de la sous-traitance des tâches d’exécution prévue par la nouvelle gouvernance économique lyonnaise instaurée en 2003 (voir infra).

Ce phénomène s’amorce avec la mutation tertiaire que connaît le tissu économique lyonnais durant les années 1980, parallèlement à l’émergence de nouvelles entreprises locales très dynamiques économiquement, mais qui demeurent largement étrangères aux traditionnels milieux industriels et négociants lyonnais. Elles conduisent en effet à d’importants changements dans le paysage des structures de socialisation du patronat local (Jouve, 2001a). Même la Jeune Chambre Economique (JCE), fidèle soutien de la CCIL dans sa volonté de faire de Lyon une métropole européenne durant les Trente Glorieuses, cherche à s’émanciper de la toute puissance des structures de représentation économiques historiques pour définir sa propre stratégie de développement.

Le vénérable Cercle du Commerce disparaît en 1984, victime de la crise économique et de la disparition des grandes sociétés lyonnaises de négoce. Le Cercle de l’Union et le Rotary Club de Lyon, qui monopolisent les relations sociales au sein de l’élite économique lyonnaises, sont rejoints et concurrencés par le Prisme en 1990, créé par R. Caille339 et l’un des frères Pitance340. L’accès à ce nouveau club, dont l’effectif est limité à 200 membres non retraités, est financièrement très sélectif. Il se définit comme « une structure d’accueil pour les chefs d’entreprises. Un lieu où ils peuvent se retrouver, confronter leurs idées. Sans protocole. (…) Un club moderne de la nouvelle bourgeoisie d’affaires prospère » (Angleraud, Pellissier, 2003, p.772).

La préférence pour les actifs marque particulièrement la volonté des dirigeants du Prisme de se distinguer des clubs traditionnels ayant une moyenne d’âge relativement élevée. Le Cercle va encore plus loin dans la guerre des générations, bien que parrainé par C. Mérieux : composé de 20 décideurs âgés de trente à quarante ans, ce nouveau club fondé dans les années 1990 se veut être un réseau d’entraide, pour parvenir au statut de nouvelle bourgeoisie économique lyonnaise. Il reste lui aussi très sélectif, malgré un affichage alternatif (moins de cinquante ans, pas de femmes, sensibilité aux grands noms de l’économie lyonnaise, etc.) (Angleraud, Pellissier, 2003).

D’autres structures, plus ou moins formelles et sectorielles, voient aussi le jour dans les années 1990 : le Cercle de l’Ours rassemblant des acteurs de l’immobilier ; l’Aura ciblant des patrons, professions libérales et décideurs de la fonction publique, de la finance ou de la culture à une échelle régionale, conviés à partagés des repas en petits groupes dans des restaurants renommés ; etc. (Sapy, 2005). Tous ces clubs de dirigeants entretiennent le même concept : celui d’un regroupement plus ou moins intéressé d’élites économiques locales, qui cultivent un certain entre soi censé être le garant de la pérennité et de la prospérité de leurs affaires, mais aussi une prise de distance entre ancien et nouveau patronat lyonnais.

Le Club des 100, également créé à la fin des années 1990, reflète particulièrement cette tendance. Il rassemble en effet les dirigeants des sociétés qui sponsorisent le club de football de Lyon : l’Olympique Lyonnais (OL). Son créateur est J.-M. Aulas, patron de la société de progiciels CEGID et surtout président de l’OL. Ses membres lyonnais les plus illustres sont B. Bonnel (Infogrames), J. Seydoux (Groupe Pathé) et A. Dreyfus (Web-City) (Jouve, 2001a). Ils partagent avec d’autres nouveaux patrons lyonnais comme T. Ehrmann (PDG du Groupe Serveur) et S. Challon (Editing Serveur), une même appartenance au secteur d’activités high-tech émergent des loisirs marchands, qui explose à Lyon et partout dans le monde avec le développement de la technologie numérique. Ils figurent également tous parmi les signataires d’une pétition appelant à voter pour G. Collomb lors des élections municipales de 2001 (Demir, 2001), renouant ainsi avec la vieille tradition lyonnaise de grande proximité entre le responsables politiques et les sphères économiques locales (voir supra, 2ème Partie, Section 2).

Le nouveau patronat lyonnais, dont les membres ne sont pas toujours originaires de la région, s’inscrit cependant en rupture avec les institutions traditionnelles de représentation des intérêts économiques locaux comme la CCIL ou le GIL, voire s’en détourne ouvertement. La presse régionale relaie notamment l’opinion très négative que les dirigeants lyonnais de la Nouvelle Economie ont de la CCIL en 2000, jugée, comme les autres organismes consulaires et sans doute à tort, trop archaïque et dispersée dans l’exercice de ses missions et compétences (Jouve, 2001a). En critiquant la CCIL, ils s’attaquent aussi de façon indirecte au principal syndicat patronal lyonnais, longtemps majoritaire au sein de l’assemblée consulaire. Ils partagent ainsi tous une certaine distance vis-à-vis du GIL, pilier historique de la sociabilité des acteurs économiques locaux et de leurs relations avec le pouvoir politique local, mais souffrant désormais d’une connotation industrielle et passéiste trop marquée.

Y compris au sein du patronat industriel et négociant traditionnel lyonnais, les grands équilibres favorables au GIL sont remis en question à partir des années 1980. Le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), « aile innovante du patronat », attire quelques héritiers résolument progressistes et bien décidés à faire bouger le milieu patronal local et le CNPF au niveau national, comme J. Gontard341, A. Riboud342 et C. Boiron343 (Angleraud, Pellissier, 2003, p.760). Si la quarantaine de membres du CJD reste partisane de l’existence des réseaux patronaux « à l’ancienne », elle privilégie aussi le principe d’une organisation plus sociale, propice aux échanges et aux réflexions hors business, plutôt qu’un fonctionnement de simple club d’affaires (Grange, 2001). Leur influence dans la refondation des instances nationales autour du MEDEF en 1998 est loin d’être négligeable.

Dans les années 1990, le monopole du GIL au sein de la CCIL prend donc fin, en raison également de la concurrence nouvelle exercée par l’antenne départementale de la CGPME, représentant les PME-PMI qui sont largement majoritaires dans le tissu économique local. Au début des années 2000, celle-ci détient en effet près de la moitié des sièges au sein de l’assemblée consulaire, après être passé d’une trentaine d’adhérents à environ 3000 en une décennie. Elle joue cependant la carte de l’alliance avec le GIL-Medef au sein de l’assemblée consulaire344, malgré des relations politiquement conflictuelles et une opinion sur le fonctionnement de la CCIL parfois très critique. Les reproches formulés sont assez proches de ceux énoncés par le nouveau patronat lyonnais : archaïsme, immobilisme, conservatisme, etc.

Son fonctionnement se veut moins secret que celui du GIL, en affichant ouvertement son rôle de groupe de pression et de club d’affaires : « (…) on fait du business ensemble. On est aussi là pour donner des coups de pouce, simplifier les contacts. C’est ce que j’appelle le syndicalisme de services » (Grange, 2001)345. La CGPME revendique également une culture de petits patrons personnellement impliqués dans la vie quotidienne de leurs entreprises, une certaine convivialité interne et une grande proximité avec les chefs d’entreprises, en opposition avec la culture gestionnaire et distante des cadres de grandes entreprises rassemblés au sein du GIL (Guillot, 2004).

La perte d’influence relative du GIL au sein de la CCIL s’accompagne ainsi d’une remise en question de sa représentativité du tissu économique local. Le syndicat interprofessionnel pâtit notamment de sa configuration proche d’une forme de holding rassemblant une quarantaine de syndicats de branche, qui le rend structurellement très éloigné des réalités bigarrées du terrain. Son manque de proximité avec les entreprises se double en outre d’une grande difficulté à concilier les intérêts des grandes firmes internationalisées présentes sur le territoire avec celui des PME-PMI locales, ainsi que les intérêts de secteurs d’activités aussi différents que le BTP et les nouvelles technologies ou la métallurgie et le consulting en management (Lafay, 2005).

Au sein du système d’acteurs local de la régulation économique territoriale, la CCIL souffre non seulement des critiques assez dures formulées par une partie croissante du patronat, mais également de la montée en puissance des interventions de la Région et de la réorganisation des instances consulaires à cette échelle. La CCIL est en effet concurrencée dans ses missions d’accompagnement des projets de développement à l’étranger des sociétés locales par une agence créée par le Conseil Régional Rhône-Alpes au début des années 1990 : Entreprises Rhône-Alpes International (ERAI). La mise en place de la Chambre Régionale de Commerce et d’Industrie, fédérant les 12 CCI de Rhône-Alpes et mutualisant certains services, affaiblit aussi la capacité d’intervention de la CCIL.

Toutefois, la coordination entre les structures patronales de branches, dans la chimie et le textile notamment346, et entre l’ensemble des acteurs économiques347, fortement encouragée par le niveau régional, ne remet pas en cause l’existence de structures de représentation des intérêts économiques au niveau local. « La gouvernance régionale en constitution se surajoute à la gouvernance métropolitaine » (Jouve, 2001a, p.12)

Le Grand Lyon participe directement à cette fragmentation des structures de représentation des intérêts économiques locaux depuis 1995, notamment par le biais du versement de subventions et par une incitation à la création de nouveaux organismes associatifs pour accompagner certaines orientations majeures de sa politique économique. Le Plan Technopole à travers le soutien à certaines filières d’activités technologiques innovantes et la démarche de prospective Millénaire 3, lancés durant la seconde moitié des années 1990, sont en effet l’occasion pour l’organisme communautaire de soutenir l’émergences de nouvelles structures, comme Lyon Infocité et Lyon Game par exemple, qui rassemblent les entreprises lyonnaises du numérique. Des démarches associatives analogues sont également encouragées dans le domaine des biotechnologies, concourant directement à court-circuiter la vocation historique de représentation de l’intérêt des entreprises assumée par la CCIL et le GIL-Medef auprès des pouvoirs publics locaux.

Ainsi, les structures traditionnelles de représentation des intérêts économiques lyonnais voient leur influence sur la gestion de la régulation économique territoriale être remise en question par l’émergence de nouveaux organismes associatifs ou syndicaux dans l’agglomération. Même l’institution communautaire, pourtant partenaire de la CCIL et du GIL au sein de l’ADERLY, semble chercher à remettre en question leur place et leur rôle au sein du système d’acteurs local depuis le début des années 2000, parallèlement à l’organisation de la nouvelle gouvernance économique territoriale.

… et progressivement relégués au second plan par la DAEI du Grand Lyon

Il semble que ce travail de sape de fond soit motivé en partie par la stratégie des responsables du Grand Lyon de conquérir le leadership politique et d’expertise au sein du système de gouvernance de la régulation économique territoriale, au détriment des acteurs économiques locaux. Celle-ci est particulièrement visible à travers l’organisation territorialisée de la politique économique communautaire, qui s’appuie sur un mode de répartition des rôles directement inspiré de la méthode de gestion des entreprises fondée sur la sous-traitance et l’externalisation des tâches les plus techniques (Veltz, 2002). Dans cette entreprise peu avouée de domination du Grand Lyon sur le dispositif collectif d’intervention économique territorialisé, la DAEI joue un rôle relativement important, en contribuant au court-circuitage des services de la CCIL par le biais notamment d’un volontarisme conquérant et de la culture managériale de ses techniciens ou chargés de mission.

Le Grand Lyon profite amplement du processus de perte de légitimité des organismes patronaux traditionnels de l’agglomération lyonnaise à participer en tant que pilotes à la conduite de la régulation économique territoriale. Il lui permet en effet d’affirmer progressivement sa domination politique sur le système d’acteurs local dans le domaine du développement économique, et d’organiser ainsi la gouvernance économique locale autour de son leadership (voir infra). Si l’investissement sur l’économie de la part du Grand Lyon reste largement incantatoire durant les années 1990 (Jouve, 2000), puisque essentiellement fondé sur des annonces politiques et des interventions très indirectes dans le champ des politiques urbaines (aménagement, urbanisme, grands équipements, etc.), la restructuration de la DAEI parallèlement au lancement du nouveau Plan technopole en 1998 et la territorialisation de l’action économique au sein des Conférences des Maires opérée au début des années 2000 inversent radicalement la tendance (voir supra, Section 2).

Pour remodeler le système d’acteurs local sous sa domination, l’organisme communautaire s’appuie sur plusieurs avantages relatifs, d’ordres financier, politique et institutionnel : une très grande capacité financière – un budget annuel en constante augmentation depuis les années 1990 et avoisinant 1,3 milliard d’euros en 2003, dont 1/100ème est consacré uniquement au développement économique – ; la montée en puissance de la politique économique communautaire qui se décline sur un panel d’actions de plus en plus large (Plan Technopole – Lyon Métropole Innovante, animation territoriale, réhabilitation des zones d’activités, veille et prospective économiques, etc.) ; une nouvelle légitimité officielle à intervenir dans le champ économique conférée par la captation de la TPU au détriment des communes, permettant la construction d’un intérêt général communautaire sur les questions relatives au développement économique (voir supra, Section 1).

Le choix politique des responsables du Grand Lyon de privilégier les contacts directs avec les entreprises (voir infra), l’apparition de nouvelles structures de représentation des intérêts économiques locaux et la prise en main de l’argument technopolitain, auparavant porté par les acteurs économiques (voir supra) ont également pour conséquence principale la perte de centralité progressive de la CCIL et de l’ADERLY dans la conduite et la définition des orientations de la régulation économique dans l’agglomération lyonnaise, ainsi que leur subordination progressive au leadership de la DAEI dans la conduite de la politique économique locale. La DAEI du Grand Lyon s’accapare ainsi le contrôle de l’expertise économique (par le biais de la sous-traitance notamment) et de l’approche stratégique du développement économique.

L’ADERLY voit son rôle et ses missions être de plus en plus concurrencées par l’action croissante des services économiques du Grand Lyon dans le champ de l’action économique dans la seconde moitié des années 1990. Déjà, la MDE empiète progressivement sur ses prérogatives en matière de gestion de l’offre de sites d’accueil pour les entreprises à partir de 1990 (voir supra, Section 1). La DAEI développe également très largement ses services à partir de 1996, prenant en charge certains volets de la promotion territoriale, l’assistance aux implantations d’entreprises dans l’agglomération et le soutien aux filières technologiques ou innovantes grâce à la relance du Plan Technopole. En 1998, une Mission ENS est attachée au secrétariat général du Grand Lyon pour accompagner les décentralisations d’établissements jugés stratégiques depuis Paris ou les nouvelles implantations à la place de l’ADERLY. En 2004, cette dernière se voit retirer complètement la gestion du dossier des implantations publiques, désormais internaliser dans les missions du Grand Lyon par les autorités communautaires348.

Les missions de l’ADERLY sont donc recentrées sur sa vocation de base : la promotion de la région lyonnaise et la prospection de projets susceptibles de s’y implanter, en France et à l’étranger, et l’accueil des nouveaux prospects ainsi identifiés (CCIL, 1997). Elle devient un simple exécutant au service de la politique communautaire, parfois même concurrencée plus ou moins directement par l’action débordante des services de la DAEI du Grand Lyon, après avoir été à la pointe de la régulation économique territoriale et des approches managériales et concurrentielles du développement économique local durant deux décennies.

La DAEI participe par ailleurs dès 1994 au groupe de travail SPIRAL349, qui organise la concertation des acteurs économiques lyonnais sur la question de la conciliation entre protection de l’environnement et développement industriel sur le territoire local. Elle représente le Grand Lyon dans la préparation de la Charte des implantations industrielles, signée par la CCIL, le Grand Lyon et le GIL-Patronat du Rhône début 1995 (voir supra). Cette démarche renouvelle en quelque sorte le partenariat institué entre les principaux acteurs politiques et économiques de l’agglomération à travers la Charte Industrielle et la création de l’ADERLY au début des années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Cependant, cette nouvelle coopération est beaucoup plus placée sous la domination politique de la communauté urbaine qui porte l’initiative, que celle initiée par les structures de représentation des entreprises locales vingt ans plus tôt.

La CCIL et l’ADERLY se trouvent ainsi reléguées dans une position quelque peu à la remorque des initiatives de développement économique territorial portées par le Grand Lyon. Le cas du parc technologique et environnemental de Porte des Alpes est très éclairant sur ce sujet (voir supra, Section 2). Les services économiques de la DAEI, qui portent la réalisation du nouveau Plan Technopole dans l’agglomération, confinent les structures économiques à un simple rôle de promotion et de communication, qui s’ajoutent aux efforts de publicité réalisés directement par la DAEI et la SERL (plaquettes, brochures, présentation dans des salons spécialisés comme le MIPIM de Cannes) (Frénéa, 2001). Les techniciens de la CCIL et de l’ADERLY jouent pourtant un rôle central durant la phase amont du projet au début des années 1990, au sein du comité de pilotage chargé de définir le contenu fonctionnel de l’opération : ils sont notamment à l’origine de son orientation scientifique et environnementale, étant encore porteurs à ce moment-là de la démarche technopolitaine et de la gestion de l’offre de sites d’accueil pour les entreprises dans l’agglomération.

l’ADERLY, qui porte en grande partie le premier Plan Technopole de l’agglomération lyonnaise dans les années 1980 (voir supra) se trouve en effet complètement mise sur la touche du pilotage et de la mise en œuvre du second Plan Technopole relancé en 1998 par la mandature de R. Barre. Le nouveau programme piloté par le Grand Lyon ne mentionne l’association de développement économique que de façon très marginale, uniquement pour rappeler sa mission de promotion territoriale et de prospection à l’extérieur du territoire métropolitain lyonnais. L’ADERLY n’assure ainsi, au mieux, que des tâches subalternes de diffusion de supports promotionnels vantant les compétences spécifiques de certains pôles d’excellence ou des filières innovantes de l’agglomération.

Il en va de même pour la CCIL. Le Plan Technopole de 1998, plutôt que de renforcer le partenariat historique existant entre l’organisme communautaire et la CCIL dans le domaine de la régulation économique territoriale, agit comme un révélateur des stratégies d’évitement, ou du moins de non prise en compte déployées par le Grand Lyon. En effet, il ne mentionne pas les projets d’accueil des jeunes entreprises technologiques ou innovantes souhaités par l’organisme consulaire dans des programmes d’immobilier dédié (pépinières, hôtels ou villages d’entreprises) spécifiques à chaque site technopolitain. Pourtant, la CCIL, gestionnaire des pépinières Novacités, réalise un audit qui montre dès 1998 – date du lancement de l’élaboration du programme d’action technopolitain – que le parc existant ne suffit plus pour répondre aux besoins des créateurs. Celui-ci préconise donc une double opération de réhabilitation et d’augmentation de l’offre dans l’agglomération, notamment sur les sites principaux de Gerland, la Doua et Lyon Ouest.

La réponse du Grand Lyon consiste plutôt à entamer des négociations pour transférer la compétence de gestion des Novacités depuis la CCIL vers la DAEI en 1999. Fin 2000, le vice-président chargé du dossier technopolitain demande à cette dernière de mettre en place une stratégie foncière et immobilière intégrant la problématique des pépinières, qui est adoptée début 2001 (Reverdy associés, 2002a). La CCIL n’est ainsi pas vraiment incluse dans le système d’acteurs du nouveau Plan Technopole piloté par le Grand Lyon, alors qu’elle est à l’origine du premier programme d’action technopolitain lancé dans les années 1980. Elle en est non seulement dépossédée par l’initiative politique communautaire, mais également délestée de la gestion du volet territorial du Plan technopole – la gestion des pépinières – alors que celui-ci s’avère être au final la plus pertinente et la plus efficace des actions contenues dans le programme (voir supra, Section 2).

En revanche, la CCIL reste impliquée dans le pilotage de la démarche Centre Européen d’Entreprise et d’Innovation Novacité mise en place en 1991 dans l’agglomération lyonnaise350. Celle-ci s’inscrit dans le dispositif « Lyon_Ville de l’entreprenariat » inclus dans la politique économique communautaire depuis 2001. Il s’agit d’un service d’incubation et d’accompagnement des projets de création de services ou de produits répondant aux besoins du marché, exploitant les technologies émergentes et comprenant ou non une dimension innovante. Cette mission de service aux entreprises portée par la CCIL correspond ainsi à une forme de sous-traitance de l’intervention économique en faveur du développement économique territorial, assurée pour le compte du Grand Lyon dans le cadre de la nouvelle organisation de la gouvernance économique instaurée depuis 2003 (voir infra).

La CCIL voit également sa crédibilité et sa légitimité concernant la gestion les grands équipements à vocation économique, dont elle a traditionnellement la charge (voir supra, 2ème Partie, Section 2), être mises à mal par les choix du Grand Lyon en matière de politique économique. Après avoir acquis les terrains destinés à accueillir le nouveau Marché d’Intérêt National de l’agglomération, le Grand Lyon se désengage en effet du financement de la réalisation des bâtiments en 2003, laissant la CCIL porter seule l’opération de délocalisation351. L’organisme communautaire multiplie par contre les offensives visant à renforcer son contrôle sur la gestion certains grands équipements considérés comme stratégiques en termes de développement économique.

Dans le cadre de la Décentralisation, un projet de loi examiné en 2004 prévoit la création de Sociétés d’Exploitation Aéroportuaires rassemblant à terme l’Etat, les CCI et les collectivités locales (conseils généraux notamment). Le Grand Lyon est ainsi à l’origine de la création du Club des entrepreneurs pour l’aéroport Lyon Saint-Exupéry fin 2003, mobilisant les forces économiques locales et régionales pour conduire des actions de lobbying auprès des autorités centrales et d’Air France352. L’association, imposée à la CCIL qui en devient partenaire, permet notamment au Grand Lyon de mieux exercer son influence et de revendiquer sa part de compétence dans la gestion du grand équipement d’agglomération, en l’inscrivant dans le contenu de la politique économique territoriale.

L’organisme communautaire lyonnais se positionne donc progressivement comme l’acteur dominant du système d’acteurs de la régulation économique territoriale dans l’agglomération. Il impose son leadership à ses partenaires traditionnels représentant les intérêts des entreprises locales, en empiétant toujours plus sur leurs compétences et prérogatives d’action. La DAEI joue un rôle non négligeable dans la mise en œuvre technique et opérationnelle de cette stratégie hégémonique, légitimée d’un point de vue plus politique par l’organisation d’une nouvelle forme de gouvernance économique territoriale pilotée par le Grand Lyon.

3- La gouvernance économique lyonnaise


Le partenariat entre le Grand Lyon et les structures de représentation des entreprises de l’agglomération lyonnaise pour la gestion de la régulation économique territoriale est assez ancien et notamment matérialisé par l’existence de l’ADERLY (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Suite à la montée en puissance de l’organisme communautaire sur les questions relatives à la régulation économique territoriale, celui-ci est réaffirmé par la signature d’une Charte de partenariat avec la CCIL en 1997 notamment, destinée à accélérer le développement économique de l’agglomération (CCIL, 1997, p.17), mais également passablement modifié pour conférer un rôle directeur plus important au Grand Lyon.

Les prolongements récents de la démarche du SDE lancée par l’Agence d’urbanisme, et notamment son intégration politique par le Grand Lyon depuis 2001, permettent en effet à l’organisme communautaire de structurer le partenariat au sein du système d’acteurs local à son avantage et d’organiser la répartition des tâches entre les différents organismes impliqués dans la conduite de la politique économique sous sa direction. La démarche est rebaptisée Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise en 2003, lors du lancement officiel de la nouvelle phase de mise en application de la politique économique territoriale définie dans le cadre du SDE. Le Grand Lyon s’arroge le leadership et la CCIL apparaît dans ce nouveau contexte politique local comme la principale perdante de la mise en place de la gouvernance de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise.

Toutefois, le même constat plus large peut être formulé pour les autres organismes de représentation des intérêts économiques locaux (Chambre des Métiers, GIL-Medef, CGPME) : ils sont tous placés par le nouveau dispositif de gouvernance dans une position légèrement inférieure de partenaires – sous-traitants par rapport au Grand Lyon. Celui-ci détient la plus grande capacité financière au sein du système d’acteurs de la régulation économique territoriale, ce qui lui permet de le contrôler et d’imposer son leadership à grand renfort de subventions. C’est lui également qui perçoit l’impôt économique sur les entreprises par le biais de la TPU (voir supra, Section 1) : cette ressource représente le tiers du budget communautaire depuis 2003, qui s’élève à plus d’1.3 milliards d’Euros par an. Le Grand Lyon affirme ainsi également son leadership et sa domination sur ses partenaires à travers sa puissance financière, largement supérieure à celle des autres acteurs.

Le nom même du dispositif politique de gouvernance de la régulation économique territoriale dénote la totale domination de l’organisme communautaire. Certains partenaires, notamment la CCIL et le GIL-Medef qui voient leur rôle fortement diminué au sein du système d’acteurs par rapport à leur primauté historique, n’apprécient ainsi guère la méthode GLEE, ni la dénomination choisie. Celles-ci confèrent en effet au Grand Lyon, non seulement le rôle central et directeur dans la conduite de la régulation économique territoriale, mais aussi la légitimité de la défense de l’intérêt des entreprises, alors que cette mission leur est traditionnellement dévolue.

Les partenaires institutionnels représentatifs du monde économique (CCIL, GIL-Medef, CGPME, etc.), relativement dominants au sein du système d’acteurs local de la régulation économique territoriale jusqu’à la fin années 1990 (voir supra), ont désormais bien moins de liberté de manœuvre qu’auparavant au sein de GLEE, car ils se trouvent soumis à la domination politique et aux tentations hégémoniques du Grand Lyon sur le système d’action collective. Il se sert notamment du dispositif partenarial de gouvernance économique pour organiser un vaste système de sous-traitance de la mise en œuvre de la politique économique d’agglomération, dont il est le principal donneur d’ordres et le chef d’orchestre. La DAEI du Grand Lyon se charge de la coordination générale des aspects techniques du dispositif GLEE, et le plan de mandat de G. Collomb fait office de programme pour l’encadrement politique des orientations stratégiques de l’action. Celui-ci reprend les grandes orientations résultant de la démarche du SDE, arrêtées en 2001 (voir infra).

Les axes prioritaires d’intervention du nouveau plan stratégique de développement économique territorial sont ainsi « Lyon_Ville de l’entreprenariat », « Rapprocher et innover », « Renforcer les pôles d’excellence », « Promouvoir le territoire métropolitain », « Aménager et gérer le territoire » et « Eco-développer » (GLEE, 2004). Ils sont déclinés en plusieurs actions qui sont toutes plus ou moins directement financées par le Grand Lyon, grâce à des subventions de fonctionnement versées aux différents partenaires chargés de leur mise en œuvre.

Le partenariat entre le pouvoir politique lyonnais et les principaux acteurs économiques au sein de la démarche GLEE est cependant organisé de façon à établir un double pilotage politique et technique collectif. Au niveau politique, l’animation du dispositif est ainsi assurée par le Groupe de gouvernance, qui réunit deux ou trois fois par an les cinq présidents du Grand Lyon, de la CCIL, de la Chambre des Métiers du Rhône, du GIL-Medef et de la CGPME, et par le Directoire, qui rassemble toutes les six semaines les cinq directeurs généraux des organismes partenaires. Au niveau technique et opérationnel, une vingtaine d’actions prioritaires sont choisies parmi les 64 identifiées en 2001 à l’issue de la démarche du SDE : chaque partenaire se voit confier la responsabilité du pilotage de plusieurs de ces actions, en fonction de ses compétences particulières.

De nombreux autres partenaires sont associés à la démarche pour assurer la mise en œuvre de projets spécifiques : la Fédération des Associations d’Entreprises des Zones d’Activités (FAEZA) pour l’animation économique locale (GLEE, 2005a) et la requalification des zones d’activités, la Villa Créatis pour la gestion de l’Espace Numérique Entreprises, l’association Lyon Game pour le développement du cluster des loisirs numériques, l’Office du Tourisme et des Congrès pour la promotion culturelle et touristique, la SERL pour l’aménagement des zones d’activités, le SPIRAL et l’APPEL pour la gestion du cluster environnement, l’EM Lyon pour le soutien à l’entreprenariat, etc. Des institutions publiques nationales, régionales, locales, ainsi que des organisations professionnelles, des établissements d’enseignement et de formation, des experts et des investisseurs, et de nombreuses associations participent également à la mise en œuvre de certaines actions (GLEE, 2005).

Ils forment un large réseau d’acteurs économiques publics et privés qui contribuent à légitimer la démarche aux yeux des investisseurs et des responsables d’entreprises, en concrétisant la mise en application des principes du partenariat et de la concertation public/privé par l’organisme communautaire. Il s’agit aussi de réduire la distance entre la technocratie communautaire et les « administrés » qui paient la taxe professionnelle, de rendre l’action plus lisible et d’améliorer la visibilité du travail des équipes techniques de la DAEI, souvent raillées par les acteurs économiques (chefs d’entreprises notamment) pour leur manque de connaissance des réalités du monde des entreprises et de leurs contraintes au quotidien, malgré leurs efforts d’acculturation managériale (voir supra, Section 2).

Le Grand Lyon peut ainsi s’appuyer sur cette démarche nouvelle de gouvernance économique territorialisée pour renforcer sa crédibilité et sa légitimité vis-à-vis du monde économique, en affirmant sa présence au plus proche des entreprises au niveau politique comme sur le terrain de l’action. Le dispositif partenarial de sous-traitance des tâches les plus techniques du développement économique lui permet aussi de pallier avantageusement son manque de compétence et de savoir-faire spécifiques en la matière. La volonté de se positionner comme un acteur central de l’économie locale, d’agir tel un véritable prescripteur de stratégique économique auprès des entreprises, de favoriser le développement de certaines filières d’activités et autres clusters, nécessite en effet pour les pouvoirs publics communautaires de pouvoir capter et s’approprier l’expertise développée au sein du monde économique.

L’intégration de la nouvelle organisation territorialisée de la politique économique du Grand Lyon au sein de la démarche GLEE permet en outre de contrer la présence et l’influence très forte de la CCIL sur le terrain depuis le début des années 1990, par le biais de ses antennes locales (voir supra). La DAEI apparaît ainsi plus clairement comme l’interlocuteur principal et central aux yeux des entreprises sur le territoire, grâce à la nouvelle tutelle organisationnelle de fait exercée sur les services déconcentrés de l’organisme consulaire à travers la mise en place du système d’externalisation du portage de l’animation économique territoriale par le Grand Lyon.

La situation de concurrence larvée tend même à devenir conflictuelle sur le terrain, y compris avec les associations d’entreprises locales qui ont souvent des liens étroits et anciens avec les antennes de la CCIL. Les développeurs économiques mis en place par le Grand Lyon au sein des Conférences des Maires sont notamment accusés d’empiéter sur le rôle des organismes à vocation économique présents de plus longue date sur le territoire, du moins de n’avoir avec eux qu’un rapport utilitariste destiné à pallier les carences de compétences techniques dont ils souffrent, à l’image de la DAEI (voir supra, Section 2).

La politique de développement économique communautaire est donc désormais confondue avec celle organisée de façon partenariale au sein de la gouvernance économique Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise (Grand Lyon, 2004a), ce qui permet à la structure intercommunale de s’afficher comme l’acteur dominant de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise, en lieu et place des organismes patronaux et autres structures de représentation des intérêts économiques locaux. Les autorités politiques lyonnaises semblent ainsi avoir conquis le premier rôle au sein du système d’acteurs local au détriment des organismes économiques et patronaux, et gagné la bataille relative au portage de l’intérêt des entreprises, en l’intégrant directement dans leurs prérogatives de conduite de l’action publique sur le territoire.

Conclusion de chapitre


L’ADERLY et la CCIL constituent les acteurs centraux et moteurs de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise durant la première moitié des années 1980. Elles sont mêmes les véritables sources de conception de la régulation économique territoriale, agissant tels des éclaireurs vis-à-vis des autorités communautaires en matière d’acculturation aux méthodes stratégiques. Il est en effet impossible de comprendre l’avant-gardisme du Grand Lyon concernant le positionnement stratégique et managérial de ses politiques urbaines, et particulièrement de sa politique économique, durant les années 1990, sans prendre en considération le rôle précurseur et leader des structures patronales lyonnaises en la matière.

Pour autant, les pouvoirs publics locaux de la COURLY soutiennent totalement l’action déployée par l’association, que ce soit à travers les responsables politiques élus ou par le biais du personnel technique qui travaille au service des différentes structures partenaires. Il y a ainsi une très forte intégration politique et technique entre les partenaires institutionnels qui composent l’ADERLY. La COURLY et la CCIL travaillent ensemble de façon très étroite, ainsi qu’avec l’Agence d’urbanisme : le partenariat institutionnel est encore très peu médiatisé, hormis dans la presse spécialisée, mais il fonctionne très bien et rend la conduite de la politique économique lyonnaise particulièrement efficace, voire réactive et novatrice en matière de méthodes (voir supra, Section 2).

Cette situation d’entente opportune entre les personnels des différents organismes locaux travaillant sur la question du développement économique permet donc au système d’acteurs lyonnais de mettre en place une véritable politique économique dès le début des années 1980, malgré l’inexpérience et les oppositions politiques au principe de l’intervention économique locale de la puissance publique (voir supra, Section 1). L’ADERLY poursuit ainsi son œuvre d’introduction et de développement des nouvelles approches de l’action économique dans la métropole lyonnaise, amorcée dès les années 1970 (voir supra, 2ème Partie, Section 3), en donnant une nouvelle orientation technopolitaine et internationale à la politique économique locale. Sa relative autonomie d’action s’appuie sur la confiance accordée par les élus et par les représentants des entreprises à l’association. Ce statut permet notamment de limiter la survenue des conflits politiques entre les organismes patronaux et les pouvoirs publics locaux, et de mettre en œuvre des interventions économiques directes sur le territoire (Martin, Novarina, 1989).

En revanche, l’élargissement des compétences de l’organisme communautaire dans les années 1990 entraîne une profonde réorganisation des rôles au sein du système d’acteurs local de la régulation économique. Le Grand Lyon favorise l’émergence de nouvelles structures de représentation des intérêts économiques dans l’agglomération, qui affaiblissent l’influence de la CCIL et du GIL-Medef. Une dynamique analogue, interne aux services techniques communautaires, relègue l’ADERLY au second plan.

La mise en place de la démarche de gouvernance économique territoriale Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise parachève le processus de conquête du pouvoir en matière de régulation économique initié par la sphère politique locale. Ce dispositif censé faciliter le partenariat et la collaboration entre acteurs pour la conduite de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise favorise en effet surtout la domination politique et institutionnelle du Grand Lyon sur le système d’acteurs, qui se positionne désormais comme le principal défenseur de l’intérêt des entreprises, au risque de remettre en cause la vision plus classique et démocratique de la puissance publique garante de l’intérêt général.


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