Chapitre 4 La naissance de l'espace périurbain : émergence d’une nouvelle catégorie d’espace.
1 La périurbanisation, un processus d’urbanisation des campagnes périphériques initié au début des années 1970. 1-1 Constat.
Après plus d’un siècle de dépopulation rurale en France, les recensements de 1968 et de 1975 mettent en évidence un renversement de ce mouvement. Pour la période 1968-1975, l’accroissement naturel (+0,02136) dans les communes rurales ne compense pas le solde migratoire encore négatif (-0,14). Pour la période 1975-1982 cependant, on observe une croissance démographique due au solde migratoire (+0,99) qui compense largement le solde naturel négatif (-0,12). Conjointement, on observe bien sûr un solde migratoire négatif pour la population des communes urbaines137. Les communes rurales se repeuplent au détriment des communes urbaines par un renversement des flux migratoires. Après 1985, cette croissance se confirme et n’est plus seulement le fait du solde migratoire mais de l’addition du solde migratoire et du solde naturel devenu positif.
Les communes rurales qui profitent de cet accroissement démographique sont les communes périphériques aux agglomérations. Les communes rurales incluses dans les ZPIU138 se développent entre 1968 et 1975 de 1,3 % (0,3 % entre 1954 et 1962, 0,6 % entre 1962 et 1968) tandis que celles situées en dehors des ZPIU décroissent selon un taux de 0,7 % par an entre 1968 et 1975. La croissance se concentre ainsi à la périphérie des moyennes et des grandes villes. Si l’on peut à petite échelle considérer que ce mouvement de périurbanisation, c’est-à-dire d’urbanisation à la périphérie des villes est « une des modalités du processus global de concentration des hommes et des activités économiques dans les régions urbaines au détriment de l’espace rural, à grande échelle, [il] exprime [surtout] le desserrement de certaines fonctions urbaines dans un espace de plus en plus vaste139 ». Ce mouvement de desserrement urbain est véritablement émergence d’une nouvelle forme spatiale de l’urbanisation.
La croissance démographique des communes rurales correspond ainsi précisément à un phénomène d’exode urbain. L’augmentation de la population rurale périurbaine140 s’accompagne d’une consommation d’espace importante. Cette expansion spatiale est caractérisée pour les espaces périurbains par un développement massif de la production de logements individuels pavillonnaires en accession à la propriété. Ainsi, la construction de maisons individuelles en zones périurbaines représente en 1975 plus du quart de la construction de ce type de logements dans l’ensemble du territoire français. Ce desserrement des fonctions résidentielles qui caractérise principalement le processus de périurbanisation s’accompagne d’un desserrement de moindre ampleur des activités (production, distribution, stockage) et de l’implantation d’entreprises et d’entrepôts à la périphérie des villes.
1-2 Les formes spatiales de la périurbanisation.
Le processus de périurbanisation correspond à une modalité inédite de la croissance urbaine. Ce processus d’urbanisation des campagnes s’opère de façon spécifique, faisant émerger une forme spatiale de l’urbanisation caractéristique : l’espace périurbain.
1-2-1 Discontinuité du bâti et consommation d’espace.
Ce processus est d’abord consommateur d’espace. L’urbanisation s’opère à la périphérie des agglomérations, gagnant les campagnes périphériques. Ainsi l’urbanisation s’étend en couronnes autour des villes : les villages ruraux périphériques se développent à partir de leurs noyaux anciens, la ville s’étend ainsi tentaculairement, s’appuyant sur l’urbanisation des villages proches, s’étirant le long des axes de communication. Marqués par le développement massif de l’usage de la voiture, ils s’inscrivent dans un système vaste de réseaux et de relations avec la ville proche d’une part, mais aussi avec d’autres villes ou villages périphériques. « L’espace périurbain s’inscrit ainsi entre la ville et les réseaux routiers141 ».
Il ne s’agit pas d’une urbanisation dense, méthodique, consommant l’espace de façon systématique. Le bâti est peu dense, discontinu, et les espaces construits alternent avec les espaces agricoles, forestiers. Les constructions elles-mêmes sont caractéristiques. Les zones périurbaines ont été la cible privilégiée du desserrement des activités et des hommes : ce regroupement de différents usages (résidentiel, industriel, tertiaire) marque le paysage périurbain : entrepôts, bureaux, centres commerciaux d’une part, et forme particulière d’habitat d’autre part, sur laquelle nous reviendrons. Les activités industrielles commerciales et artisanales se regroupent la plupart du temps à la périphérie du village périurbain, dans de vastes espaces nécessaires, à proximité d’axes routiers de qualité (connectabilité oblige). Ces activités sont ainsi intégrées dans la dynamique de la ville-centre proche, mais aussi aux réseaux régionaux, nationaux : le branchement aux réseaux routiers majeurs est essentiel.
1-2-2 La maison individuelle comme marqueur spatial de l’espace périurbain : lotissement ou mitage pavillonnaire.
L’espace périurbain est aussi et surtout le lieu d’une croissance démographique importante par l’apport de populations citadines : il est marqué-requalifié par cet usage résidentiel. Avant toute chose, le paysage périurbain est, comme il a déjà été spécifié, celui de la maison individuelle. Si elle a en effet pratiquement disparu de la scène du logement entre 1945 et le début des années 1970, elle revient en force à partir de 1974-1976, avec le début du mouvement de périurbanisation.
Cette « pavillonnarisation » de l’espace périurbain prend deux formes : le mitage pavillonnaire ou le lotissement. Ces deux modes de consommation d’espace participent à la différenciation des espaces ruraux périurbains.
Le mitage pavillonnaire est le résultat d’une colonisation lente et progressive de l’espace rural par les urbains (urbains-citadins ou villageois-urbains) que ce soit « la villa du fils d’agriculteur bâtie sur une parcelle extraite du patrimoine familial, la maison de série implantée par l’employé, migrant quotidien, ou le pavillon cossu d’un cadre moyen 142». Construites au gré de l’offre foncière et des choix individuels, ces résidences participent d’une urbanisation peu dense mais souvent totalement anarchique et très consommatrice d’espace ; elles « mitent » l’espace rural en s’éparpillant autour du village-mère.
Le lotissement est une « procédure particulière créée par et pour le milieu urbain, ou pour des espaces voués à l’urbanisation143 ». C’est une opération foncière consistant à lotir un terrain, c’est-à-dire à le découper en lots puis à procéder à leur vente. C’est sous la forme pavillonnaire qu’il s’est le plus souvent développé si bien que le lien s’établit de façon quasi automatique entre maison individuelle et lotissement. C’est un des modes privilégiés de colonisation de la campagne par la croissance urbaine. Rolande Bonnain144 livre cette description d’un lotissement de Barzac : « de part et d’autre d’une rue bitumée aux étroits trottoirs de terre battue, éclairés par des lampadaires à gros globes blancs, ceux-là même qui font partie du mobilier urbain le plus répandu, les 42 habitations sont disposées à intervalles réguliers, chacune sur une parcelle de 400 m de long, sur 100 m de large. Une placette a été réservée au centre : elle sert au stationnement des voitures des habitants et de leurs visiteurs. La première tranche de constructions comportait 16 maisons de type F4 ou F5, en béton « armé-vibré » et cloisons de placoplâtre, toute de même style, porte-fenêtres ouvrant sur le jardin et toits de tuiles mécaniques rouges. La superficie des lots variait entre 600 m2 et 1000 m2. » L’aspect uniforme (« standard ») des maisons et la non-mitoyenneté sont souvent de rigueur, ainsi que le petit jardin attenant à la maison. Le lotissement est souvent collé au village, ou placé légèrement en retrait, et est relié au village de façon imparfaite : alors que le lotissement possède des connexions intérieures « parfaites », il n’est le plus souvent relié au village que par une ou deux voies et constitue parfois une impasse.
Le paysage périurbain est ainsi marqué, du fait de son urbanisation récente, par des modes d’occupation de l’espace originaux. Il est cependant également marqué, du fait de sa spécificité située « dans la dynamique rural\urbain145 » par les caractéristiques classiques du village ou du bourg sur lesquelles les caractéristiques de l’urbanisation se surimposent : le village ancien, son église, ses maisons accolées, la place du village, les fermes isolées à proximité du village, les terres agricoles. Le paysage périurbain offre ainsi le paradoxe d’un paysage très contrasté et caractéristique, celui de la juxtaposition de critères urbains et ruraux, même si la réalité périurbaine dépasse cette simple opposition ville/campagne.
La périurbanisation s’observe ainsi démographiquement et spatialement, à travers le phénomène de croissance démographique des communes rurales périphériques aux agglomérations d’abord, à travers l’émergence de formes spatiales spécifiques ensuite. Le caractère inédit et massif de ce phénomène, l’ampleur des mutations perceptibles dans les paysages interrogent rapidement les chercheurs et les aménageurs et sont à l’origine de nombreuses recherches menées dès le milieu des années 1970.
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