Thèse pour l’obtention du diplôme de Docteur de l’Université Paris VII spécialité : Géographie



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2 Gestion de la mobilité spatiale

2-1 La mobilité des résidents aisés : une libre gestion des distances sociales et spatiales.


Les entretiens menés auprès des résidents aisés financièrement montrent une gestion individuelle et individualiste des mobilités et des ancrages.

Ces résidents ont la pleine possibilité de pratiquer une territorialité périurbaine, dans une alternance entre mobilité et ancrage, entre intégration dans le monde et vie en retrait de celui-ci. Leur gestion personnelle et libre des distances sociales et spatiales est une marge pour le développement de pratiques innovantes. Le territoire est celui qu’ils inventent au gré de leurs pratiques, et semble ne pouvoir leur imposer aucune contrainte qu’ils ne puissent résoudre grâce à la mobilité spatiale.



Le territoire périurbain dans lequel ils résident a été choisi sans contrainte forte et dans une volonté de valorisation de l’ambivalence de son organisation. Etre à proximité d’un centre urbain - Nîmes ou Montpellier - et des moyens de transport permettant de rallier les grands centres urbains comme Paris, Barcelone ou ailleurs, via le TGV ou l’avion, est la condition fondamentale de leur installation. Le cadre naturel « imprenable » dans lequel est située leur maison individuelle isolée, le plus souvent ancienne bastide ou mas rénovés, est également avancé comme indispensable à un équilibre de vie géré par la mobilité spatiale. Ces résidents représentent environ le quart des personnes rencontrées.

« Après un long séjour en Afrique où je travaillais pour l’UNICEF, j’ai eu envie de trouver un pied à terre, un lieu d’ancrage, bien que je continue à faire de nombreux voyages en Afrique, puis au Vietnam. Nous avons choisi le Sud de la France, Montpellier et particulièrement la garrigue pour plusieurs raisons : mon frère aîné, la sœur de ma femme, qui nécessite des soins constants, ainsi que de nombreux amis résident dans la région. (…) Ensuite, Montpellier est une ville qui nous attirait particulièrement parce que c’est une ville riche, pour la recherche agronomique, sociale, pour les recherches relative au développement, et puis c’est une ville cosmopolite, ouverte sur le monde extérieur ; on ne voulait pas habiter dans la France repliée sur ses racines, traditionnelle. Enfin, les paysages, et celui de la garrigue, ont une certaine proximité avec les paysages et la flore du Maghreb, où j’ai vécu longtemps, et ça, ça me touche particulièrement. Nous cherchions un espace vaste pour la grande famille qui est la nôtre, un espace d’ancrage et de passage, comme je dis souvent… (…) Pas la ville, bien sûr, mais que l’on puisse rejoindre l’aéroport rapidement, surtout que pendant les premières années, je travaillais encore, avec Unicef Vietnam, puis comme Conseiller Spécial du Directeur général à la mise au point d’une Déclaration des Droits des Enfants à Genève, puis comme Directeur d’Unicef France, pendant les 4 dernières années.(…) Aujourd’hui qu’on est vieux, c’est un peu loin, mais on se déplace toujours autant, même si on essaye de garder des plages longues ici pour se ressourcer. (…) Mes anciennes fonctions m’occupent encore énormément. »

(Couple retraité, 75-80 ans, Ferrières-les-Verrerie.)
Ce long exemple montre à quel point le projet personnel de ce couple est en totale adéquation avec le territoire qu’ils investissent. Leurs pratiques répondent à l’ambivalence des territoires, pour composer un mode de vie qui ne souffre ni des inconvénients de la ville, ni de ceux de l’isolement à la campagne. Elles fondent une nouvelle urbanité qui est aussi une nouvelle ruralité, c'est-à-dire une territorialité fondée sur la gestion individuelle des déterminations sociales et territoriales. Cette territorialité est multi-implication dans des territoires proches et lointains, gérée grâce à la mobilité spatiale.

Les exigences d’installation relatives à ce type de territorialités sont sans doute celles émises par l’ensemble des candidats à l’installation. Seules cependant les personnes privilégiées ont la possibilité de choisir leur lieu de vie en fonction de l’ensemble de ces critères. Il y a en effet, chez beaucoup de ces nouveaux résidents aisés financièrement, une étonnante adéquation entre les pratiques projetées et celles en acte - une fois l’installation effectuée. Seules les contraintes de la distance et du temps semblent parfois peser et constituer un frein à la mise en place d’actions libres. Les changements territoriaux opérés par l’urbanisation - sur lesquels ils n’ont pas de prise - constituent aussi des entraves à ce type de pratique individualiste du territoire. Ils sont souvent vécus avec beaucoup de violence et d’incompréhension, comme si « on [leur] volait leur territoire ».

Tous les résidents aisés ne pratiquent toutefois pas leur territoire selon ce modèle. Certains résidents moins aisés financièrement sont aussi susceptibles d’adopter ce type de pratiques. La ressource principale qu’ils détiennent et/ou choisissent de mettre en œuvre en priorité est la mobilité spatiale. Cette utilisation fréquente et pertinente de la mobilité les distingue de certains migrants pendulaires, que leur aisance financière ne « libère » cependant pas des contraintes spatio-temporelles.

Un groupe de résidents privilégiés a ainsi la maîtrise de la mobilité parce qu’ils disposent des ressources financières ou temporelles nécessaires. Leur nombre est largement plus élevé que les seuls résidents aisés : ils représentent largement plus de la moitié des entretiens réalisés. La pratique d’une mobilité multiforme et multidirectionnelle est le fondement de leurs territorialités, et constitue la condition de mise en place d’un ensemble de pratiques, qui peuvent s’avérer innovantes.

La question de leur action proprement locale se pose cependant, leurs pratiques s’inscrivant dans un individualisme n’incluant le territoire que comme instrument de réalisation des projets.

2-2 La non-mobilité : une gestion de la précarité


La faiblesse ou l’absence de ressources financières crée une relation différente aux territoires et à la mobilité. La précarité est présente dans les territoires ruraux périurbains nord-montpelliérains, comme dans l’ensemble des territoires. Cette précarité est instabilité sociale et spatiale et n’est pas à connoter négativement ; elle est aussi cependant pauvreté des moyens financiers. Elle est alors d’autant plus vécue comme une exclusion par ceux qui la subissent qu’elle les prive de l’accès à la mobilité, valeur d’intégration par excellence, particulièrement discriminante aujourd’hui, et quasiment indispensable pour habiter les territoires périurbains.

Malgré cela, l’installation en espace périurbain présente des avantages que l’agglomération montpelliéraine n’offre pas : se loger, se nourrir, en bref habiter est plus facile et moins coûteux dans un espace rural. Certains s’installent ainsi volontairement dans les territoires périurbains. Leur organisation spécifique permet de mettre en œuvre la précarité de manière à la détourner positivement, ainsi que d’accueillir momentanément des résidents de passage, entre deux projets.

Le territoire périurbain peut favoriser la mise en œuvre de projets personnels visant à la gestion optimisée d’une précarité passagère ou durable. Que ce soit par souhait clair ou que cette précarité soit imposée, il est possible de l’intégrer, de l’articuler spécifiquement avec les qualités de l’espace périurbain et de tirer de cet « arrangement » une dynamique nouvelle. Le brouillage des statuts sociaux traditionnels, identifiable dans les situations d’instabilité, permet l’émergence d’autres statuts inédits.

Ces personnes en situation instable représentent près du tiers de la population des multi-territorialisés. Elles utilisent le territoire - que ce soit dans les représentations ou dans les pratiques - et l’incluent comme partie prenante de leur projet personnel. Leurs projets donnent une dimension et une dynamique toute nouvelles à leur - à la - précarité. L’installation périurbaine peut aussi permettre la mise en œuvre d’une idéologie personnelle fondant la précarité comme principe de liberté individuelle, ou bien son intégration comme mode de vie durable et non subi. La précarité est recréée, intégrée comme partie intégrante du mode de vie, voire utilisée et présentée comme un atout.


2-2-1 La mobilité comme priorité.


La nécessité de la mobilité spatiale ou du moins celle de se positionner en fonction de sa gestion et/ou de sa maîtrise occasionne divers arrangements. Ils replacent la mobilité au cœur des pratiques.

Les principaux problèmes rencontrés par les précaires sont relatifs au logement, à l’emploi, à l’approvisionnement et aux loisirs. Le caractère local des territoires périurbains présente de nombreux avantages, et permet notamment une habitation à moindre coût que dans des territoires urbains. Les économies réalisées sur le logement, et l’approvisionnement permettent, par déplacement des coûts, une certaine mobilité spatiale et des pratiques dépassant le cadre du territoire communal, insérées dans les territoires de l’agglomération montpelliéraine et au-delà.


2-2-2 La non-mobilité.


La problématique peut aussi être renversée radicalement : la non-mobilité devient alors l’instrument de l’affirmation de soi dans ce territoire.

La pratique d’une mobilité spatiale importante est certes signe d’intégration sociale, mais la maîtrise de cette mobilité, au point de ne pas la pratiquer, est plus valorisée encore. Ce retournement des valeurs de mobilité et d’immobilité est souvent mis en avant par des personnes en situation de précarité. Ils affirment ainsi avoir choisi l’immobilité comme mode de vie. Leur situation, loin d’être un piège, est en adéquation avec un projet de vie, qui inclut l’éloignement des centres urbains, le « désir de se ressourcer auprès de la nature », la « possibilité de travailler artistiquement dans des conditions de calme et de concentration importantes », etc.

Ces différentes gestions de la mobilité spatiale, des territoires qu’elles permet de relier, et de la « sédentarité » induisent l’ensemble du rapport à l’habitation du territoire. Elles constituent la base des territorialités quotidiennes des acteurs, et des pratiques relatives au logement, à l’activité, ainsi qu’à l’implication au sein des dynamiques sociales locales.

Dans chacun de ces registres, l’utilisation de la mobilité comme instrument de gestion de la complexité territoriale périurbaine est à souligner. Elle permet l’émergence de territorialités urbaines spécifiques, qui se positionnent entre multi-connexion aux territoires urbains/métropolitaines et ancrage au sein du territoire conçu et utilisé comme « repaire ».




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