4 Innovations économiques institutionnelles. Groupements de producteurs et processus de labellisation.
La valorisation des produits, la construction d’une image positive, l’élargissement et/ou l’amélioration de l’offre sont systématisés dans les processus d’innovation institutionnelle. Ceux-ci s’inscrivent le plus souvent dans le cadre de projets collectifs. L’innovation institutionnelle constitue alors une stratégie d’organisation du développement des activités économiques locales, et un mode de valorisation réciproque des initiatives individuelles et collectives. Elle concerne de façon quasi exclusive les activités localisées.
Les différentes innovations organisationnelles évoquées dans la sous-partie précédente s’inscrivent le plus souvent dans le cadre de projets menés individuellement. Elles butent cependant sur nombre de difficultés relatives notamment à la mise en place d’une notoriété des produits proposés. L’institutionnalisation constitue alors une étape supplémentaire, inscrite dans une démarche collective, visant à améliorer les performances individuelles par la synergie des forces.
L’organisation des projets collectifs ainsi que les moyens d’action que se donnent les acteurs sont formalisés dans ces processus.
Deux innovations institutionnelles interdépendantes sont à relever :
_ la constitution de groupes de producteurs ou d’entrepreneurs hors du cadre de la coopérative. Elle oblige à une concertation et une réflexion sur les objectifs et les moyens que les différents producteurs ont à se donner pour participer d’un développement économique collectif.
_ la mise en place de contrats voire de labels de type AOC permettant une reconnaissance extérieure et une garantie pour le consommateur.
Dynamiques de l’innovation individuelle et collective, de l’innovation organisationnelle et institutionnelle semblent participer d’un même système innovant. L’innovation institutionnelle joue un rôle crucial. Elle valide et pérennise les innovations organisationnelles. Nous l’aborderons à travers plusieurs cas de figure, particulièrement significatifs des processus de l’innovation elle-même d’une part, d’autre part des dynamiques en œuvre dans les territoires périurbains nord-montpelliérains.
4-1 La valorisation du vignoble Pic St Loup. L’innovation institutionnelle comme normalisation de l’innovation organisationnelle.
La valorisation du vignoble dans le canton de Claret implique les deux types d’innovation institutionnelle. Dans ce canton, l’activité viticole est dominante. La production est de longue date regroupée dans les coopératives viticoles communales : le vin est ainsi de qualité moyenne, et le vignoble est peu réputé.
Depuis plus de dix ans cependant - et ceci est une tendance observable dans l’ensemble des vignobles du Languedoc-Roussillon et au-delà - un certain nombre de nouveaux venus modifient la donne locale, de façon radicale. Ils sont ainsi un petit nombre d’abord, un plus grand nombre aujourd’hui311, à avoir créé leurs propres caveaux, à avoir choisi de privilégier la qualité au profit de la quantité, afin de pouvoir offrir une résistance à la concurrence des vins espagnols, italiens, français également. Ces innovations organisationnelles menées individuellement ont permis d’améliorer la qualité du vin produit localement. Elles ont cependant montré rapidement la nécessité de l’amplification sinon de l’institutionnalisation de la dynamique engagée312.
Ces néo-viticulteurs, pionniers en ces territoires, soulignent, encore aujourd’hui, la nécessité expresse d’une démarche collective, pour la constitution et l’élargissement de la réputation du terroir. Ils font ainsi partie d’un groupement de producteurs, le Syndicat d’Appellation du Pic St Loup, qu’ils ont contribué à dynamiser.
Dans le cadre du Syndicat, un projet de mise en place de l’AOC Pic St-Loup, puis de valorisation de l’image de l’AOC, a été réalisé, avec un travail important de publicité, de marketing. Cette dynamique a permis d’associer définitivement une image de qualité au nom de « Pic St Loup ».
Ces démarches pionnières se sont largement diffusées auprès des viticulteurs, convaincus de leurs avantages indéniables, tout autant que contraints d’y participer, afin de ne pas être exclus des dynamiques économiques motrices. La démarche du Syndicat des Coteaux du Languedoc ainsi que celle du Syndicat des Vignerons du Pic St Loup sont ainsi similaires, à ceci près qu’elles s’inscrivent aujourd’hui dans les traces du Syndicat d’Appellation, initiateur de la création de l’AOC. L’ensemble des viticulteurs, pionniers et viticulteurs traditionnels, appartiennent aujourd’hui le plus souvent à deux de ces groupements de producteurs.
Il y a deux niveaux d’échelle dans la démarche de valorisation de l’activité viticole du Pic St Loup : un individuel et un collectif. L’innovation institutionnelle ne se comprend ici qu’en complémentarité/supplémentarité de l’innovation organisationnelle. Celle-ci se complète d’une démarche collective, construite sur la base des individualités.
Individuellement, chaque viticulteur a défriché, replanté, remonté le vignoble, mis au point une méthode de vinification, et ainsi commencé à produire du vin de qualité supérieure à celle qui est traditionnellement proposée dans les coopératives. Il a opéré en général le passage d’un système coopératif de commercialisation et de production à un système de vente au caveau. La démarche de reconnaissance de son vin est dans un premier temps toute dépendante de sa qualité individuelle.
« La base c’est bien sûr de faire du bon vin. Tu le présentes dans les concours, il gagne, alors des gens commencent à avoir envie de goûter ce vin, un sommelier le prend pour son restau, un journaliste dans un magazine spécialisé vins le goûte parce qu’il est nouveau ou parce qu’on en parle, l’aime, décide d’en parler dans sa revue, etc., et ainsi de suite, on se fait connaître à New-York » (Viticulteur, professeur INRA, 50 ans environ, Valflaunès)
Collectivement, les syndicats les aident, en les englobant dans une image de qualité globale.
« C’est comme cette histoire : tu montes sur mes épaules, et moi je peux ensuite monter sur les tiennes en quittant le sol et ainsi de suite sans plus aucun appui »(Un nouveau viticulteur du Pic St Loup, 45 ans, Lauret)
Enfin, la labellisation « AOC », comme processus de reconnaissance de la qualité et de l’origine des produits, renforce leur image collective.
Les vignerons contribuent ainsi individuellement et collectivement à conforter l’image collectivement construite et défendue, en produisant un vin de qualité et reconnu comme tel.
Cette véritable dynamique collective ne gomme en aucun cas les spécificités individuelles. La responsabilité personnelle de l’agriculteur est préservée ; le groupe est le lieu de la gestion de la diversité des producteurs et de leurs besoins. Le label contribue, comme le syndicat, à réguler et à normaliser l’ensemble des initiatives individuelles.
Un contrat tacite lie les producteurs individuels au projet collectif et à ses acteurs. Il les incite au respect du règlement collectif, qui fixe les modalités de production, et exige une forme de conformité au groupe.
« Il y a des journalistes qui viennent goûter dans la semaine. Le vin n’est pas prêt à être bu tel qu’il est, alors il faudrait qu’on fasse des mélanges pour avoir des échantillons du futur millésime ; évidemment, ce sera buvable, mais ça ne sera pas le futur millésime, alors c’est de la triche quoi, on va être jugés sur des échantillons faussés ; moi ça m’énerve, je crois qu’il faut être réglo, et leur faire goûter le vin dans l’état où il est dans les cuves et les tonneaux. Ils auront une réelle idée de ce qu’on fait, et puis c’est médiatiquement intéressant : c’est un gage de qualité, de sérieux ; on devrait faire une charte d’ailleurs, où on promet de ne pas faire de mélanges, etc. parce que sinon dans trois ans c’est le Tour de France313 (…) Maintenant qu’on commence à être connu, on n’a plus le droit de déconner ; avant, on s’en foutait, pour les dégustations, on mélangeait, et même ça nous faisait marrer, mais là, on est connu et reconnu, on est dans les guides, on a plus droit à l’erreur. » (Néo-viticulteur, 45 ans, Valflaunès)
Le projet collectif est cependant évolutif : des modifications peuvent intervenir, des innovations supplémentaires, des ajustements. Ils révèlent la dynamique innovatrice en œuvre, et le réel rôle des innovations organisationnelles individuelles dans la construction des innovations institutionnelles collectives.
Dans le canton de St-Martin-de-Londres, le Syndicat des Côteaux de Buèges réunit lui aussi la quasi totalité des viticulteurs des communes de St-André-de-Buèges, St-Jean-de-Buèges et Pégairolles-de-Buèges, et s’appuie sur le même type de démarche, avec une réussite toutefois moins importante.
Ce type de dynamiques oblige les coopératives viticoles à s’engager dans des démarches de valorisation des produits. La cave « les Côteaux du Pic » est une Société Coopérative Agricole qui regroupe trois coopératives et plus de trois cent producteurs. Dans un souci d’efficacité et de productivité, les tâches ont été réparties entre les différentes coopératives. Aujourd'hui la cave est constituée d'un centre de collecte de raisins sur la commune de Notre-Dame-de-Londres, d'un site de vinification et de stockage sur le village de Valflaunès et d'un site de vinification, de stockage et d'embouteillage à Saint Mathieu de Tréviers.
« Cette situation permet un meilleur étalement des dates de cueillette mais surtout une bonne spécialisation des ateliers de vinification. Elle est le résultat de la volonté des producteurs de se tourner délibérément vers l'avenir ». Le travail effectué dans le cadre de cette coopérative est sensiblement le même que dans le cadre d’un syndicat de producteurs, sauf que les différentes récoltes sont mises en commun pour la production d’un vin à étiquette unique. La qualité des vins fait l’objet d’une attention croissante : la cave propose aujourd’hui deux vins A.O.C. Pic St Loup. Un travail de communication important est aussi mis en place, notamment via un site Web314 qui présente le projet coopératif, ainsi que les diverses techniques utilisées dans la production de vin.
4-2 L’exemple de la signature d’un Contrat Territorial d’Exploitation : l’innovation institutionnelle motrice.
Une démarche expérimentale d’agro-foresterie, conduite par un acteur individuel en partenariat avec l’INRA, a été intégrée dans un projet collectif CTE porté par le syndicat des vignerons du Pic Saint-Loup, engageant par ailleurs d’autres actions.
Le Contrat Territorial d'Exploitation (CTE) est un nouvel instrument conçu dans le cadre de la loi d'orientation agricole présentée en 1999 par Jean Glavany, ministre de l'Agriculture et de la Pêche. Il vise à accompagner les agriculteurs qui s'engagent dans la « mise en œuvre de systèmes de production rendant des services collectifs qui ne peuvent être totalement rémunérés par le marché et qui nécessitent une participation financière de la société en contrepartie des engagements pris ». Le CTE est censé permettre aux agriculteurs de mener, sur une durée de cinq ans, un projet conciliant le développement économique de leur exploitation et la prise en compte de l'environnement. L’amélioration de la qualité de la production augmente sa valeur ajoutée ; la diversification permet de maintenir des emplois ou d’en créer ; la réduction des pollutions enfin permet de participer à la gestion et à la protection des ressources naturelles.
Le CTE consiste ainsi en l’élaboration « d’un projet de développement durable, fondé sur un diagnostic global d'exploitation dans son territoire ». L'Etat de son côté s'engage à soutenir financièrement la démarche pendant au moins cinq ans.
Contrat individuel, il s'adresse à tous les agriculteurs qui souhaitent s'engager dans cette nouvelle démarche : agriculteurs à titre principal ou secondaire, exploitants individuels ou en société, sur des petites comme sur des grandes exploitations. Cependant, les soutiens publics vont en priorité aux projets des petites et moyennes exploitations s'engageant dans des démarches collectives.
L’expérience s’inscrit dans les objectifs du CTE pour la zone « Garrigues et Soubergues en Languedoc-Roussillon »315 : lutter contre l’érosion et les incendies, entretenir et embellir le paysage, améliorer la qualité des raisins tout en limitant les rendements, implanter de nouvelles techniques culturales. Ce projet collectif CTE « Pic Saint-Loup » apporte ainsi à la coopérative Pic St Loup et au porteur individuel de projet une aide d’un montant de 26 500 € sur 5 ans. Le CTE participe à raison d’un taux de subvention de 45 % à la réalisation de plusieurs objectifs, concernant l’emploi et le développement économique de l’activité :
_ Équipement informatique par la mise en place d’un logiciel de traçabilité ISAGRI.
_ Équipement outils : scariculteur, gyrobroyeur, endaineur, broyeur hors sol, appareil de traitement.
_ Participation à des salons.
_ Tenue d’un cahier de bord technique de l’exploitation.
Dans le cadre d’une préoccupation environnementale et territoriale :
_ Réduction de la fertilisation azotée par rapport aux références locales en viticulture.
_ Adaptation de la fertilisation en fonction de l’analyse des sols.
_ Restitution organique.
_ Enherbement inter-rang316
_ Agro-foresterie317
Le projet d’agro-foresterie est porté par un néo-agriculteur, fils de viticulteur, « revenu » à la vigne. Après un long détour par les métiers de « mécanicien dans l’aéronavale, commercial puis formateur dans une société de fourniture de matériel minier », il a profité de la conjonction entre la restructuration de sa société et le départ à la retraite de son père pour reprendre les quelques hectares de vigne familiale.
Dès son installation en juillet 1998, il a agrandi l’exploitation en portant la surface à 26 hectares et s’est engagé dans une démarche de restructuration de ses vignes. Il a signé parallèlement un contrat temporaire d’exploitation d’une durée de 12 ans avec le département de l’Hérault afin d’exploiter 7 ha de parcelles de vignes et forêts formant une ceinture autour du château de Restinclières, situé dans la commune de Prades-le-Lez.
Sur les parcelles de vignes, deux types d’expérimentation sont aujourd’hui menées sous la direction de l’INRA et de l’ENSAM avec des contraintes culturales strictes. Sur une parcelle d’un peu plus d’un hectare, est testé un « nouveau cépage métis de grenache et de cabernet, le caladoc, palissé en lys318 ».
Sur les autres parcelles est expérimentée l’agro-foresterie, nouvelle expression pour une vieille pratique qui consistait à faire cohabiter des oliviers ou des fruitiers et des vignes, dans un objectif de maintenir l’équilibre du biotope par respect de sa diversité et réduction de l’apport d’engrais. Cohabitent ainsi avec les vignes, du cormier, du pin Laricio de Corse et du pin d’Alep, essences à croissance lente pour une exploitation à long terme.
L’expérience est menée par le laboratoire d’acarologie de l’ENSAM avec un premier résultat encourageant : sur les parcelles d’agro-foresterie, « les populations d’acariens prédateurs se sont maintenues malgré les traitements contre la flavescence dorée - les arbres sont plus hauts que la vigne, leur cime n’est donc pas atteinte par les traitements -, et il n’y a pas de surpopulation d’araignées rouges ou de ver de grappe ». En outre l’exploitant relève dans cette expérimentation de nombreux autres avantages comme « un effet coupe-vent et micro-climat, une limitation de l’érosion des sols ». L’actuelle petitesse des arbres ne cause ni concurrence hydrique ni racinaire. L’exploitant y voit de toute façon un très bon moyen naturel de limiter les rendements -le cahier des charges établi par la coopérative Pic St Loup limite à 40 hl/ha la production.
Le cadre institutionnel que constitue le CTE s’avère ainsi innovant en ce qu’il incite l’émergence d’innovations organisationnelles et techniques.
Le CTE participe parallèlement du projet collectif de la coopérative du Pic Saint-Loup. Celle-ci mène une démarche pour obtenir l’AOC Pic St Loup, les vins étant actuellement produits sous l’AOC générique Côteaux du Languedoc. « Notre AOC Pic Saint-Loup », déclare le porteur de projet, « ce n’est pas seulement pour affirmer notre identité et surfer sur le succès que rencontre notre vin, c’est aussi pour optimiser la symbiose entre ces nouvelles pratiques culturales, la restructuration de notre vignoble et notre espace si particulier à la croisée de trois grandes cultures ».
« Le CTE a été un important levier pour accompagner pleinement cette dynamique. » Celui-ci a permis d’investir dans des outils pour pratiquer un désherbage mécanique. « Depuis que je me suis mis à labourer et à palisser, les rendements sont beaucoup plus réguliers que du temps de mon père - qui avait été le premier à signer un plan de développement alors que j’ai été le premier à m’engager sur ce CTE avec cette mesure agro-foresterie. De même, la mesure sur la restitution organique porte déjà ses fruits. Avant la mécanisation, il était d’usage de brûler les sarments dans un tonneau et de répandre les cendres dans les vignes alors que notre sol manque cruellement de matières organiques. À présent, nous enfouissons les sarments broyés dans le sol. »
Cette expérience, marginale encore dans les territoires qui nous concernent319, permet d’illustrer la complémentarité des projets individuels et collectifs pour le développement économique et territorial, avec l’appui des institutions. L’innovation réside ici dans la force des projets engagés, et dans la combinaison des intérêts individuels, collectifs, et territoriaux - ou plutôt environnementaux au sens où le CTE et le Ministère de l’Agriculture plus largement l’entendent.
L’institution est ici motrice des projets plus qu’elle ne les supporte : elle suscite des innovations dont elle oriente la nature et l’organisation.
Ces deux exemples liés à l’activité viticole sont particulièrement significatifs et illustrent deux types de dynamiques institutionnelles. Dans le premier exemple, l’innovation organisationnelle est motrice de l’innovation institutionnelle, qui se construit collectivement sur la base des volontés individuelles. Dans le deuxième exemple, l’innovation institutionnelle est motrice, initiant des innovations individuelles et collectives de type varié. Dans les deux cas cependant, innovations organisationnelles et institutionnelles s’inscrivent dans une dynamique de complémentarité et d’interdépendance.
4-3 L’élevage ovin : l’innovation institutionnelle comme frein.
L’exemple de l’élevage ovin répond des mêmes processus dans une configuration encore différente.
Les trois éleveurs ovins présents dans les territoires de cette étude320 vendent de l’agneau de lait. Chacun d’entre eux se définit comme précarisé par les importations massives d’agneaux de Nouvelle-Zélande. Leur activité est en outre menacée par la forte pression foncière subie par les territoires périurbains. Le mode de détournement de ces contraintes au développement et au succès de leur activité est similaire à celui mis en place par les vignerons de Claret, à ceci près qu’il ne provient pas de récentes initiatives individuelles locales, ni d’une synergie entre les producteurs locaux.
L’action collective s’appuie sur un groupement de producteurs créé après la guerre en réaction à la suprématie des maquignons, comme nombre d’entre eux. Il constitue une structure institutionnelle proche des coopératives viticoles.
Ce groupement, pour valoriser les productions individuelles par le biais d’une action collective, a mis en place une filière qualité visant à développer l’élevage et la vente d’agneaux de lait. Une Charte de Qualité a été rédigée et signée par l’ensemble des producteurs. Les agneaux de lait sont ainsi élevés exclusivement « sous la mère », ne sortent pas de l’étable, sont âgés lors de la vente de moins de deux mois, critères garantissant « une viande rose et une graisse blanche ».
Cette charte vise à démarquer la production locale de l’agneau d’importation. Elle fonde la différence et la valeur de l’agneau local - qui est aussi une différence de prix de vente, environ le double - sur la tradition méditerranéenne : l’agneau de lait a de longue date été élevé dans le Sud. La Charte crédibilise et institutionnalise ainsi une viande de qualité, provenant d’un mode d’élevage fondant ses origines sur une tradition territoriale, localement produite par un groupe uni par des conventions de qualité. En outre, le Groupement prend en charge la publicité et la communication.
Les processus sont ainsi sensiblement les mêmes que pour le vignoble du Pic St Loup, mais des différences majeures sont à souligner.
D’abord, le groupement, fondé il y a presque cinquante ans, est aujourd’hui géré par des salariés, non-agriculteurs. L’innovation institutionnelle est ancienne, au sens où le fonctionnement du groupement ne reflète plus la recherche active de modes alternatifs et performants de développement de l’activité, opérée par les producteurs eux-mêmes. C’est ce que certains agriculteurs soulignent et regrettent :
« Ça m’énerve que ce soit des salariés qui tiennent le Groupement, ils n’ont pas de réel intérêt à se battre et à créer des choses nouvelles : ils font leur travail et puis voilà. J’aimerais que les agriculteurs s’investissent plus dans la valorisation de leur production, et ne se contentent pas d’apporter la viande au Groupement…Ils perdent tout dynamisme. » (Éleveur ovin,35 ans, Ferrières-les-Verrerie)
Ces agriculteurs butent ainsi devant l’institutionnalisation d’une innovation importante, le fonctionnement en coopérative, comme les viticulteurs y ont été confrontés depuis une dizaine d’années. Dans le cas de l’élevage ovin, des avancées importantes, comme l’élaboration d’une Charte de qualité, ont pu être effectuées dans le cadre du Groupement. Cependant, la dynamique et la synergie entre producteurs, propres aux projets collectifs, ainsi que la responsabilité qu’ils partagent, sont atténuées et nuisent aux changements.
« Tout le monde en fait partie par obligation de ces groupements… Tout le monde fait pareil, trouve ce qui l’intéresse sans s’investir… Il y a plus de volonté réelle ni d’initiative… Moi, j’étais contre, mais j’y suis entrée pour la filière qualité. (…) Les contrôles d’hygiène, d’élevage, tout ça organisé par le Groupement ne sont pas assez rigoureux, mais pour s’occuper de faire bouger tout ça… » (Éleveuse ovin, 55 ans, Le Rouet)
En outre, le groupement de producteurs est basé à Nîmes et concerne ainsi un territoire large, entre arrière-pays gardois et héraultais. La rareté relative des troupeaux explique la nécessité d’étendre le territoire de compétences du Groupement. Cependant elle handicape aussi la constitution d’une démarche collective valorisant les réseaux de proximité, et contribue à accroître la distance symbolique entre projets individuels et conception d’un projet collectif innovant.
L’institution constitue ici un frein à l’innovation et à l’initiative des acteurs, dans la mesure où elle ne s’inscrit plus en complémentarité des projets individuels, ni comme une force motrice, mais se pose comme un organisme de contrôle et de gestion, plus répressif que créatif.
4-4 Les services d’accueil : des dynamiques institutionnelles généralisées.
Hormis les labels d’hôtellerie, « Gîtes ruraux », « Chambres d’Hôtes », et « Relais des Grands Vins321 », labels à vaste échelle qui signalent et garantissent la qualité des services proposés, aucun projet collectif institutionnel construit sur la base des volontés individuelles locales ou les impliquant directement n’est réellement à signaler. Les acteurs locaux répondant à l’exigence de labellisation le font à titre individuel. Les labels ne correspondent pas une logique de groupe active localement, mais à une dynamique incitative à l’échelle nationale et européenne.
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