Chapitre 10 Activités économiques et innovations.
Ce chapitre est consacré aux innovations apparaissant dans le cadre des activités économiques développées localement.
La relation acteurs/territoire qu’elles engagent est particulièrement signifiante. Si elles émergent en effet de projets personnels construits dans le cadre de la situation complexe des individus, elles échappent ensuite à la sphère personnelle pour marquer durablement les territoires et les acteurs. Le développement d’activités économiques locales n’implique ainsi plus seulement un rapport personnel de l’individu au territoire, inscrit dans ses pratiques quotidiennes, mais l’ensemble de l’organisation territoriale.
La mise en place d’activités économiques s’inscrit ici dans le cadre de territoires économiquement peu dynamiques - en particulier les territoires non viticoles de la garrigue. Ces territoires sont cependant riches de leur proximité de l’agglomération montpelliéraine, et de l’ensemble des territoires de la métropole méditerranéenne. Leur développement s’appuie sur la valorisation/utilisation de ces atouts/contraintes du territoire.
Les activités sont ainsi innovantes en premier lieu parce qu’elles ré-inventent une économie locale en incluant l’ambivalence territoriale. Les territoires périurbains accueillent aussi des activités qui s’inscrivent dans les dynamiques de la métropolisation, au même titre que la majorité des activités personnelles.
Les entretiens et l’analyse des expériences individuelles et collectives soulignent le vaste éventail de possibilités explorées par les initiatives des acteurs. L’économie rurale périurbaine semble ne pas se résumer à l’accueil d’une innovation typique des territoires urbains, bien qu’elle soit représentée de façon notable. Elle n’occasionne pas non plus de simples micro-innovations isolées, ou des « bricolages » marginaux, modes de résolution personnels de la problématique économique locale. L’accumulation des expériences et des situations permet de trouver des voies de développement innovantes pour le territoire qui s’érigent en modèles. Ces innovations semblent relever de processus plus complexes : modifiant l’organisation des activités tout autant que produisant des institutions destinées à les réguler, elles émergent de projets individuels et collectifs. Dans ces territoires émergent ainsi de véritables projets économiques voués au développement. La mise en place de projets collectifs semble être à ce titre l’une des voies privilégiées pour la réussite des entreprises individuelles, et la mise en place d’une dynamique de développement local.
Ce chapitre vise ainsi à identifier les différents processus de l’innovation économique, ainsi qu’à analyser leur rôle dans les dynamiques du changement territorial. L’articulation des innovations organisationnelles et institutionnelles297 semble permettre la mise en place d’un système innovateur spécifique, susceptible d’être à l’origine du développement économique des territoires qui nous concernent.
1 Une économie basée sur la mise en valeur de l’organisation ambivalente du territoire.
Les activités économiques périurbaines nord-montpelliéraines fondent d’abord leur spécificité en ce qu’elles exploitent les caractéristiques ambivalentes des territoires au sein desquels elles s’insèrent. Le type d’activités mis en place, ainsi que leur organisation s’inscrivent ainsi dans une valorisation des ressources territoriales.
Outre leur caractère éminemment local, elles révèlent298 aussi l’insertion des territoires périurbains dans la dynamique plus large des territoires métropolisés : éphémères, flexibles, précaires, elles sont semblables aux activités économiques des territoires urbains à forte densité, et à celles des nouveaux territoires urbains en leur ensemble.
1-1 La mobilité spatiale : un atout pour l’initiative.
Le rôle de la mobilité est crucial. D’abord parce qu’elle est la condition d’une accessibilité aux dynamiques économiques des territoires urbains et métropolitains. Les activités économiques que les acteurs mettent en place ou projettent de mettre en place s’appuient sur le faible coût et les vastes dimensions des terrains et des habitations disponibles au sein des territoires de la garrigue montpelliéraine. La mobilité s’appuie aussi sur leur insertion dans les dynamiques urbaines, insertion garantie par l’accès facilité à l’agglomération montpelliéraine proche et aux infrastructures de transports la reliant au reste du pays - réseaux routiers, ferroviaires et aériens. Résider dans un territoire rural périurbain ouvre aux porteurs de projets un champ d’action sensiblement plus large que celui dont ils étaient susceptibles de profiter au sein de l’agglomération, montpelliéraine ou autre. Ce champ d’initiative est créé par l’exploitation de l’ambivalence du territoire local investi.
La mobilité spatiale facilitée, qui marque les pratiques des résidents périurbains comme celles de l’ensemble de la société, permet d’une part la pratique d’un vaste territoire pour les entrepreneurs. Elle permet aussi l’accès d’une clientèle élargie aux activités développées localement. Ainsi la diffusion des produits est particulièrement facilitée : les producteurs agricoles, comme les artisans vendent leur production aux grandes surfaces périphériques de Montpellier, à des commerces de détail montpelliérains ou nîmois, et dans les marchés locaux ou régionaux. La mobilité permet tout autant l’accès des consommateurs et clients en provenance de la ville, de la région, etc. Ceux-ci accèdent ainsi aux services et produits proposés localement, qu’il s’agisse d’événements ponctuels, d’infrastructures de loisirs, ou de produits proposés à la vente sur les lieux de production.
La mobilité est ainsi au centre du processus de développement de l’activité économique. Elle permet l’émergence de pratiques diverses, intégrées aux dynamiques économiques des territoires de l'agglomération et au-delà.
1-2 La ruralité comme ressource pour l’action.
De la même manière que les acteurs valorisent l’accessibilité de leur territoire, ils s’appuient sur les caractéristiques rurales de leurs territoires. Celles-ci s’inscrivent ainsi dans les formes et la nature des activités économiques rurales périurbaines émergentes et les spécifient.
En outre, la personnalisation des échanges, leur inscription dans un système social à la forte visibilité, augmentent leur qualité et leur efficacité. Les dynamiques des acteurs, la nature et la qualité de leurs échanges déterminent la nature et la qualité de la production de ressources pour l’innovation. Le développement d’activités économiques locales s’appuie ainsi sur un système social à la visibilité importante. Il permet le renforcement mutuel des stratégies d’acteurs pour la construction de projets valorisant les ressources offertes par le territoire.
Les porteurs de projet mettent aussi en valeur le caractère rural des territoires qu’ils investissent. Les activités soulignent, s’appuient, plus ou moins fortement sur cette valeur symbolique profondément ancrée dans les esprits et les territoires.
La nature de certaines activités est ainsi particulièrement axée sur la valorisation des caractéristiques rurales des territoires. Ceux-ci constituent une réserve d’espace propre à la mise en place d’activités de loisirs. Nature, calme et grands espaces sont des ressources particulièrement valorisables à la proximité d’une agglomération. Ils sont ainsi liés à l’image d’une certaine qualité de vie ou authenticité, valeurs s’imposant comme de plus en plus essentielles auprès des urbains, à la recherche de lieux comme autant d’ancrages. Les acteurs locaux se spécialisent ainsi dans des activités de loisirs ou de tourisme vert. Les nombreuses infrastructures présentes localement, tels le Centre de Vol à Voile, les ranches de chevaux, les services de location d’équipement de randonnée, qui utilisent et valorisent le cadre naturel, illustrent bien cette utilisation de la réserve d’espace et de « grand air » que représente l’espace périurbain nord-montpelliérain.
D’autres activités appuient leur développement sur l’utilisation de l’image particulièrement valorisée des territoires ruraux auprès des consommateurs. Il y a production et diffusion de « produits du terroir », et ce indifféremment qu’il s’agisse de produits culturels tels les fêtes et les événements ponctuels, ou d’artisanat d’art, de produits agricoles, d’un restaurant local ou d’une maison d’édition d’ouvrages sur l’histoire locale. Les porteurs de projet, en développant différents types d’activités, répondent ainsi parfaitement à la demande urbaine proche tout en valorisant au maximum les ressources symboliques et concrètes dont ils disposent localement. Les projets - non réalisés - les plus complexes ou ambitieux relèvent de cette même approche.
« Dans la commune, il y a une ancienne distillerie de lavandes qui appartient à la famille S. du Rouet ; moi, je verrais bien un écomusée sur la lavande, un bon projet quoi, on pourrait vendre des petits sacs de lavande, faire payer l’entrée, bref, il y aurait une vraie possibilité d’attraction des touristes, et des débouchés commerciaux assurés. » (Peintre, 70 ans, Mas de Londres)
« Je mettrais bien en place, à terme, un moulin à huile pour faire mon huile avec mes olives, et je verrais bien un musée de l’olive associé, qui permettrait d’attirer un peu des clients de passage. » (Intermittent du spectacle/cultivateur d’oliviers, environ 35 ans, Mas de Londres)
« Nous, on pensait faire un espèce de complexe voué au vent, qui regrouperait un Centre de Formation à la technique du cerf-volant qui pourrait délivrer des diplômes (animateur cerf-volant), un musée consacré au vent, un hébergement et un restaurant (ou une auberge), et à terme des ateliers de fabrication ; Rhône-Poulenc participerait et réserverait des lits pour son comité d'entreprise, le Centre de Vol à Voile louerait aussi des lits… Un projet intéressant quoi. Il pourrait y avoir 10 emplois de créés sur ce seul site. » (Le maire du Rouet)
1-3 Des activités périurbaines marquées d’ambivalence.
Les entretiens révèlent ainsi que les résidents sont complètement conscients qu'ils investissent/habitent un territoire rural, tout autant qu’un territoire inséré dans la dynamique de la ville proche, habité de personnes mobiles et multiconnectées à des réseaux vastes de sociabilité, un territoire parcouru, « traversé », « un territoire en mutation299 ». Les projets qui nous ont été rapportés, projets en cours, réalisés ou avortés - peu importe - démontrent cette prise de conscience du potentiel des territoires. Ils montrent aussi la volonté d’entreprendre des actions conformément aux ressources qui leur sont offertes : entre métropole et monde rural, le lien est la mobilité spatiale.
La plupart des acteurs économiques locaux se spécialisent dans le développement d’activités liées à la mise en valeur des caractéristiques rurales des territoires, activités dont la mise en oeuvre nécessite l'utilisation et la compréhension de la mobilité. Nombre d’activités utilisent/valorisent simplement la possibilité de développer une activité au même titre que dans les territoires fortement densifiés, mais à moindre coût. Deux types d’activités coexistent ainsi. L’un est spécifique des dynamiques complexes en œuvre au sein même des localités périurbaines. L’autre est spécifique de l’insertion de ces localités dans les dynamiques territoriales de la métropolisation.
Les activités jouent et se jouent ainsi de l’ambivalence des territoires : elles peuvent choisir de valoriser la mobilité, l’ancrage territorial, ou les deux, dans la mise en place d’activités économiques. Cette valorisation s’appuie sur les atouts concrets ou symboliques de cette ambivalence.
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