3 Innovations et logement
En matière de logement, des projets et pratiques innovants émergent, innovants d’abord pour les territoires au sein desquels ils s’inscrivent. Les modes d’habitation - au sens strict du terme- diffèrent des types d’habitation périurbains : maison individuelle en accession à la propriété, résidence secondaire, rénovation de bâtiments anciens ne sont plus des innovations, reflétant particulièrement la dynamique périurbaine des années 1970-1980.
Ces innovations reflètent la relation problématique des habitants à la mobilité spatiale et à l’ancrage dans le territoire local, évoquée ci-avant.
3-1 La multirésidentialité.
La multi-résidentialité supplante l’ancienne distinction résidence principale/résidence secondaire. Elle n’est pourtant pas perceptible à partir des chiffres du recensement, qui se basent encore sur cette distinction, et ne reflètent pourtant plus la réalité des pratiques.
Elle est affaire de perception, extérieure certes, mais surtout des acteurs eux-mêmes. Le partage du temps entre deux ou plusieurs lieux caractérise aussi la pratique des résidents secondaires. La différence fondamentale cependant entre ces derniers et les multi-résidentiels est la conception-même de leur pratique. Dans le cadre de la multirésidentialité, les différents lieux de résidence sont considérés comme des lieux d’activité d’égale importance. Ces activités282 définissent les lieux et le partage du temps entre chacun d’entre eux.
La pratique d’une bi- ou multi-résidentialité prend de multiples formes et est motivée par diverses situations personnelles. Elle concerne préférentiellement, bien que pas exclusivement, des personnes aux ressources financières ou temporelles élevées.
Avant tout, elle constitue une réponse à la modification des temporalités professionnelles en œuvre dans la société en son ensemble. Elle est ainsi corrélée au fractionnement et à la flexibilité des temps de travail, et à la diffusion des pratiques de bi- ou multi-activité. Elle est aussi liée à l’augmentation des temps de loisirs, et à la réduction, pour certains salariés, du temps de travail. La loi des 35 heures en particulier remet en cause l’alternance de périodes de congés et de travail et occasionne un bouleversement de l’organisation de la semaine et de l’année de travail. Elle permet l’aménagement de semaines de 4 jours, celle de week-ends prolongés grâce aux RTT283, ou la réduction du temps de travail quotidien. Enfin, cette innovation est aussi le fait du prolongement du temps de vie et de retraite : nombre de retraités partagent leur temps entre différents lieux, au gré des saisons.
Elle se développe d’autant plus et concerne des lieux de plus en plus éloignés, avec la mise en circulation, le 1 juin 2001, du TGV Méditerranéeer, reliant Montpellier à Paris en moins de 3 h 30. 14 des 121 entretiens réalisés révélaient ce type de pratique.
Le rythme de l’alternance entre les diverses résidences est flexible. La multirésidentialité s’opère selon des temporalités et des rythmes différents. Les temps passés dans chacune des résidences ne sont pas forcément identiques, et peuvent être de plus ou moins longue durée. Les pratiques sont ici totalement flexibles, correspondant aux situations personnelles des acteurs.
« Je suis professeur à l’université à Lyon ; j’ai bloqué tous mes cours au premier semestre, ça me permet comme ça de vivre la moitié de l’année ici, avec quelques déplacements à Lyon seulement. J’ai un appartement à Lyon, et cette maison ici, et ça me convient très bien : avec le TGV, de toute façon, je ne suis pas très loin ! » (Professeur des universités, 53 ans, Viols-le-Fort)
« Je vis ici depuis deux ans ; sinon, je loue avec quatre copains une chambre de bonne à Paris, dans le 3 arrondissement. Le loyer est abordable à cinq : ça revient à 200 F (environ 30 €) par mois par personne, et on a droit à une petite allocation de la CAF qui paye le reste. J’y vais une fois par mois environ, pour travailler dans des bibliothèques principalement, sortir, voir mes amis, etc. On alterne, pour ne pas se retrouver tous en même temps dans ce 9 m2, et ça marche plutôt bien ! » (Etudiante, 24 ans, Lauret)
« Je suis écrivain et producteur à la télévision (en retraite) ; j’ai acheté cette maison il y a 30 ans, quand je travaillais encore à Paris ; j’y ai installé ma femme et mon fils, et moi je faisais les aller-retour. J’ai aussi une petite maison au nord de Paris, où je réside quand je suis là-bas. Maintenant, je reste trois mois ici, un mois là-haut, et c’est un rythme qui me convient. » (Ecrivain, 75 ans, Le Rouet)
Enfin, la multirésidentialité n’oppose pas de façon systématique des territoires lointains et différentsme. Elle peut associer à la résidence en territoire périurbain, une résidence dans la ville proche de Montpellier, ou une résidence dans un territoire rural de l’arrière-pays.
« Comme je travaille tard souvent, et que je n’aime pas conduire la nuit, et fatigué, j’ai un petit studio à Montpellier, dans un immeuble que je gère, où je dors une ou deux fois par semaine. » (Agent immobilier, 45 ans, Notre Dame de Londres)
« Nos enfants grandissant et commençant de vouloir sortir le soir, on a voulu éviter d’une part qu’ils se tuent sur les routes en mobylette, d’autre part que nous passions notre vie de parents à aller les chercher, les amener, etc. Alors on loue un studio dans le centre-ville où ils passent les week-ends, et les vacances ; on l’utilise aussi occasionnellement, après une soirée arrosée, un ciné, etc. » (Couple salariés, environ 40 ans, Valflaunès)
La multirésidentialité est une pratique urbaine par excellence, forme d’appropriation individuelle du temps et des territoires par la mobilité spatiale. Le territoire de ces acteurs multi-territorialisés est vaste, borné par le temps des déplacements. Il est constitué d’une pluralité des lieux, qui sont autant de points isolés reliés par des trajets. Le territoire périurbain accueille ainsi, au même titre que les autres territoires métropolisés, ce type de pratiques caractéristiques d’une société mobile et multi-territorialisée. La multirésidentialité n’est cependant pas nomadisme : chacun des lieux est un lieu pleinement habité par les acteurs, lieu-ancrage au sein d’un territoire vaste de pratiques.
3-2 La non-propriété.
L’accession à la propriété et l’achat d’une maison individuelle sont difficiles voire impossibles pour nombre de résidents périurbains. Beaucoup d’entre eux y renoncent pour des raisons financières, mais également en raison d’une instabilité résidentielle souhaitée ou subie. L’activité résidentielle périurbaine, marquée d’instabilité et/ou de précarité, occasionne ainsi la mise en place d’arrangements alternatifs. Les entretiens révèlent des projets et des pratiques innovants au sein de territoires stigmatisés par la maison individuelle en accession à la propriété. Ils sont aussi innovants en ce qu’ils mettent en valeur les ressources spécifiques des territoires communaux au sein desquels ils s’inscrivent.
3-2-1 Des locations souples et fondées sur des relations inter-personnelles.
Bien que peu courante, faute d’offre et/ou de demande, la location est une pratique présente dans les deux cantons. Les chiffres du dernier recensement soulignent d’une part son ampleur : elle concerne 24,2 % des logements. D’autre part, les entretiens ont permis de saisir les modalités des pratiques locatives, ainsi que d’identifier les personnes (bailleurs/locataires) qu’elles concernent.
Elle est souvent avantageuse. Les baux sont souples et les propriétaires n’exigent pas de leurs futurs locataires la même solvabilité que les agences immobilières urbaines. Les appartements se louent de bouche à oreille, « dépannant » des jeunes de retour au pays, des nouveaux résidents en attente d’aménagement dans leur maison en travaux ou en construction. La location est aussi le choix de personnes nouvellement arrivées, souhaitant conserver la possibilité de repartir, ou n’ayant pas les ressources nécessaires pour accéder à la propriété.
Les bailleurs s’improvisent souvent au gré des demandes. Les municipalités quant à elles possèdent en général une poignée d’appartements, qu’elles destinent à la location et réservent pour les jeunes locaux. L’augmentation des prix du foncier compromet en effet l’installation des jeunes dans la commune, en particulier de ceux ne pouvant profiter d’un patrimoine familial. Ainsi, la mise en place d’un parc locatif municipal est souvent une stratégie de maintien des populations locales sur le territoire communal.
3-2-2 La location de gîtes ruraux à l’année : un détournement de leur fonction initiale.
Dans chacune des communes de nos enquêtes, les gîtes ruraux sont nombreux. S’ils sont pleins durant la période estivale, ils restent inoccupés le reste de l’année. Des contrats à l’amiable sont ainsi souvent passés entre propriétaires et locataires : pourvu que les occupants laissent la place durant les mois d’été, les appartements - en excellent état - leur sont loués non à la semaine mais au mois, à des prix avantageux (9 cas). Ce type d’arrangement convient à l’une et l’autre des parties. Les prix sont particulièrement avantageux lorsque ces gîtes sont municipaux (4 cas). Certaines personnes choisissent ce type de solution, le temps de stabiliser leur situation professionnelle et/ou de trouver un terrain, une maison à acheter.
« On vit ici depuis août 90. C’est le gîte rural de la commune, mais là on fait construire une maison sur la commune, dans une grande parcelle. De 1988 à 1990, pendant la thèse de mon mari, on vivait chez les S. (des agriculteurs vivant sur le territoire communal) qui nous ont accueilli avec beaucoup de chaleur. Grâce à eux on a eu le plan du gîte, ils nous ont recommandés…d’abord pour le petit appartement au dessus de la mairie, le temps que la maison soit finie, et puis on a emménagé ici. Depuis deux, trois ans on cherche un truc à réhabiliter mais il n’y a rien et on veut rester ici. Comme on est là depuis longtemps, on a eu le permis de construire sans trop de problème, d’autant plus que ça ne coûte rien à la commune : le contrat, c’est qu’on s’occupe du raccordement à l’eau, à l’électricité et au téléphone. » (Jeune couple, écologue et géologue, Le Rouet.)
Ce type de solutions est aussi proposé aux jeunes autochtones souhaitant « rester au pays » et confrontés à la cherté et/ou à la rareté de l’offre résidentielle sur leur territoire communal. Cette démarche s’inscrit dans la lignée de la constitution de parcs locatifs municipaux, déjà évoquée.
Cette pratique est alors véritablement innovante en ce qu’elle constitue un détournement de la fonction initiale du gîte. La mise en place de gîtes ruraux - labellisés le plus souvent - est une pratique fortement encouragée par l’Etat et les collectivités locales, notamment sous la forme de subventions et d’aides à la création. Cette politique incitative est partie prenante d’une politique de développement rural par la mise en place d’activités touristiques, et parmi elles, de services d’accueil temporaire de touristes dans des gîtes ou chambres d’hôtes. Cette stratégie est cependant réévaluée à l’aune des problématiques locales, et transformée en une stratégie de maintien des populations autochtones sur le territoire communal.
3-2-3 La location d’un logement en échange de services.
La location d’un logement en échange de services s’inscrit dans la même problématique. Elle concernait 6 des entretiens réalisés.
Mme N. est en train de transformer toutes ses bastides en gîtes. Notre appartement c’est pour bientôt, et on va devoir partir… En attendant, elle nous le loue pour rien et on l’aide pour des travaux. Notre voisin, qui est artiste, s’occupe du potager. Ca nous aide pas mal : à Montpellier, on paierait 4000 F284 pour un truc pareil ! (Jeune couple d’architectes, montant une entreprise d’informatique basée à la fois à Notre Dame de Londres et à Castelnau le Lez)
3-2-4 Le logement gratuit.
Selon les chiffres du dernier recensement, le logement à titre gratuit représente 6,9 % de l’ensemble des logements. Il représente 7 des 121 entretiens analysés. Les logements proviennent de prêts d’amis, de membres de la famille résidant dans la commune, etc.
« Je vis chez mon oncle, qui s’est installé ici il y a trois ans. En attendant que je trouve un emploi fixe, je reste ici ; ça fait neuf mois, et tout se passe plutôt bien. » (Jeune homme, livreur à Montpellier, Mas de Londres)
Le squatt dans des appartements à l’abandon est une pratique rare. La proximité sociale importante raccourcit d’une part la période où le squatt reste secret. D’autre part, la forte demande de logements réduit toujours plus la vacance du logement périurbain. Ce type de pratiques nous a été rapporté lors de divers entretiens ; cependant, il ne nous a pas été donné de rencontrer directement des résidents-squatteurs lors de nos enquêtes.
3-3 L’instabilité résidentielle comme signe de distinction sociale.
L’énoncé des projets personnels des acteurs permet de mettre en évidence l’important turn-over existant dans les communes, en particulier dans les lotissements, comme à St Martin de Londres, Valflaunès, Lauret, Claret, communes plus peuplées. Beaucoup disent vouloir partir et soulignent les arrivées et départs nombreux.
La pratique est plutôt traditionnelle dans le cadre de territoires périurbains éloignés. La troisième couronne est souvent solution de repli, et l’ascension sociale permet le déménagement vers la deuxième ou première couronne, voire le centre-ville. Cependant, le caractère innovant de cette instabilité réside dans le fait qu’elle est affirmée et parfois valorisée dans les discours. Etre de passage et l’affirmer est un signe fort d’intégration de la précarité comme norme sociale. Alors que ces pratiques sont souvent, en milieu urbain densifié, des pratiques subies, en milieu périurbain, elles parviennent à être mise en dynamique, incluses comme partie prenante d’un projet personnel plus vaste, parce que les caractéristiques des territoires le permettent. La précarité et la flexibilité qui les caractérisent sont signes de leur insertion dans un ensemble de pratiques symptomatiques de la société moderne, urbaine et mobile, tant socialement que spatialement.
« Je loue parce que ne sais pas encore où j’ai envie de m’installer ni si j’ai envie de m’installer ailleurs. C’est moins cher pour moi et je ne suis pas coincé, je partirai quand je le voudrais. » (Un musicien, intermittent du spectacle, 30 ans, Valflaunès.)
« Nous louons depuis trois mois. Comme on ne sait pas si on va partir, ni quand, et si l’entreprise va marcher, c’est la meilleure solution. » (Un couple d’architectes, 30 et 31 ans, Notre Dame de Londres.)
« J’ai acheté, mais c’est pas le dernier endroit de ma vie, hein ! Ca monte les prix par ici, je ferai une plus-value importante. » (Un demandeur d’emploi, 36 ans, Ferrières-les-Verrerie.)
Les innovations résidentielles périurbaines révèlent une nette appartenance de la société périurbaine à une société urbaine moderne empreinte de mobilité sociale et spatiale. Elles détournent et se détournent des pratiques résidentielles classiques - accession à la propriété, distinction résidence principale/secondaire, mono-résidentialité, stabilité résidentielle - en valorisant les ressources spécifiques périurbaines - vacance du logement, offre locative temporaire dans le cadre des gîtes ruraux, ampleur de l’offre résidentielle, proximité des réseaux de communication, etc. La spécificité périurbaine exige et permet ainsi, pour la pratique de territorialités urbaines, la mise en place d’innovations. Ces innovations participent à spécifier le territoire et contribuent à éloigner le mode de son occupation du modèle du lotissement.
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