A cette occasion, nous avons enregistré et salué ensemble le prodigieux développement de la coopération sino-marocaine, et vivement souhaité l’extension de cette coopération à d’autres domaines d’infrastructures sportives. Au troisième jour, 30 mai, toujours accompagnés du même guide parlant arabe, nous avons visité la Grande Muraille reliée elle aussi à Pékin par une large et belle autoroute, faisant oublier la précarité des accès d’antan. Comme toujours, cette gigantesque œuvre continue à attirer des multitudes de visiteurs locaux et étrangers venus se plonger dans les splendeurs de l’Empire ming.
Sur le chemin du retour, nous avons déjeuné dans un restaurant qui servait la cuisine typique du terroir, dans une ambiance feutrée, avant de visiter les tombeaux mings parmi une multitude de Chinois réellement impressionnés par cette grande œuvre de leurs ancêtres au faîte de leur gloire. Après cette randonnée, et suite à un appel d’Arazam, Directeur des Affaires Générales au Ministère, j’avais appris la nomination d’un nouveau Secrétaire Général au Département de la Jeunesse et des Sports, venant concrétiser plusieurs mois d’incertitude et de mésentente dissimulée avec Moussaoui et son Cabinet. J’avais pris la précaution de faire confirmer l’information en appelant Moussaoui directement au téléphone. « Nous en parlerons à ton retour, mais poursuis ta mission, car des choses importantes t’attendent à ton retour », m’avait dit Moussaoui, sans la moindre gêne. En dépit de cet événement, j’avais tenu à poursuivre notre programme, comme si de rien n’était, ne mettant encore personne dans la confidence de l’information. Le soir, avec l’Ambassadeur Mehdi, nous fûmes les hôtes du Ministre chinois du Commerce dans un grand palace du centre ville, occasion renouvelée pour marquer notre détermination commune de démarrer rapidement le projet des piscines. Au 4è jour, nous avons visité le Palais d’Eté, effectué une balade en barque sur le lac, et admiré le majestueux bateau en marbre de l’Impératrice Tseu hi.
Ce fut ensuite le tour de la mosquée de Pékin, située dans l’un des quartiers pauvres de la capitale chinoise, remarquablement entretenue, mais peu fréquentée. Nous avons déjeuné dans un restaurant musulman servant une cuisine simple mais délicieuse, à la manière d’une fondue bourguignonne. Le soir, en sa résidence, l’Ambassadeur donna un dîner auquel avaient assisté nos partenaires chinois et le Vice Ministre du Commerce Extérieur. Tous, ensemble, à l’unisson, nous avons applaudi à la conclusion diligente de nos accords et à la redynamisation de la coopération sino-marocaine en matière de sports, avec le vœu fervent d’explorer d’autres voies pour la renforcer davantage. Au 5è jour, le 1erjuin, nous avons quitté Pékin, vers 10H, salués par l’Ambassadeur et les responsables de COMPLANT. A cette occasion ultime, j’avais informé l’Ambassadeur et Horane de mon départ définitif du Ministère. Après avoir survolé de nouveau la Mongolie et la Sibérie, en passant à la verticale du lac Baïkal et de Novossibirsk, nous sommes arrivés à Paris vers 15H. Horane était resté en France pour aller voir son fils à Strasbourg. Pour ma part, j’avais rejoint Rabat le 2 juin 2000, accueilli à l’aéroport, pour la première fois, par mon épouse bien triste, mais dont la seule présence fut un grand baume au cœur en cette période précédant une nouvelle traversée du désert. Que conclure du troisième voyage en Chine -au niveau du projet des piscines, les Chinois avaient montré leur réel désir de le réaliser dans les plus brefs délais, à des coûts raisonnables, sans commune mesure avec les standards européens, dans le cadre du reliquat des crédits disponibles après la construction du Complexe Moulay Abdellah à Rabat, -les Chinois étaient aussi désireux d’intervenir dans d’autres projets et disposés à assurer et apporter les financements nécessaires, -la frange de l’immense société chinoise (estimée à 350 millions de personnes), au niveau de vie relativement aisé, est bien celle qui est passée de la satisfaction des besoins élémentaires au stade de la modernité et de la société de consommation comme en Occident, alors que plus de 900 millions de personnes étaient encore exclues du boom économique en cours, Comme nous l’avait affirmé très justement quelqu’un connaissant parfaitement le milieu chinois, « La Chine a commencé à retrouver sa normalité, mais sous des dessous d’affairisme effréné, de corruption et de prostitution discrète »,
-la Chine nouvelle, à travers son décollage économique partout perceptible, voire spectaculaire, éblouit toujours les visiteurs avec ses gratte-ciel somptueux, ses hôtels de haut standing et ses voies de communication modernes, - la croissance à deux chiffres de l’économie et l’émergence d’une bourgeoisie dynamique et d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse, semblaient garantir la pérennité du régime communiste réformé, -de ce fait, la Chine retrouve sa place sur la scène mondiale, un peu moins silencieuse et un peu plus active qu’au cours de la dernière décennie, - le secteur privé occupe une bonne partie du PIB, et le parti communiste dépend de plus en plus de ‘’ses capitalistes’’ pour soutenir la croissance et l’essor impressionnant à la fois au plan économique et en terme de puissance globale, - le régime, sorti de la mentalité de la guerre froide, parle de plus en plus de développement partagé, à travers l’essor des échanges commerciaux avec de nombreux pays, en cherchant à rayonner sans dominer, - le socialisme, du temps de Mao ou après sa mort, nous avait semblé réellement un nationalisme modernisateur du pays et un véritable et permanent mobilisateur des masses, -il est difficile aujourd’hui de ne pas tenir compte du changement des mentalités des entreprises chinoises qui impacte aussi leur vision du monde de l’entreprise, son mode de fonctionnement et même ses produits, -la classe ouvrière, estimée à plus de 250 millions de personnes- les bras de « l’atelier du monde » devrait profiter davantage de la croissance de l’économie, -la Chine parviendra-t-elle à concilier entre les objectifs de développement et l’agitation sociale qui pointe à l’horizon ? -la Banque Mondiale estime que cela dépendra du développement de l’économie chinoise, son essor pouvant apporter au monde une possibilité de croissance à l’instar de celles des Etats-Unis au 19è siècle et du Japon au 20è siècle,
-un vent de libéralisme souffle sur l’Empire du Milieu, la chape de plomb est tombée, les slogans et les ‘’dazibao’’ ont disparu complètement de la scène, -pour être un moteur de croissance mondiale, il faut que la Chine garde le progrès de l’économie en phase avec le progrès social, qu’elle combatte la pauvreté et améliore le niveau des plus démunis de ses citoyens, et notamment ceux du monde rural, encore laissés pour compte, -l’ère qui avait commencé avec les intrusions occidentales en 1840 et 1850, est définitivement révolue, la Chine retrouvant sa place de suzerain régional, -à juste titre, aucun pays ne peut occulter le formidable boom économique de la Chine, sur la voie de devenir le centre du monde où les grandes multinationales viendront se disputer de juteux marchés, -si la Chine arrive à maintenir son haut niveau de croissance économique de ces dernières années, sans que l’ordre et le droit reculent, elle jouera à l’avenir un rôle hégémonique en Asie, Tout ce flamboiement rapide ne serait qu’un mirage, si la Chine continue à manquer de liberté, à occulter le dynamisme intellectuel de ses nombreuses élites, et à empêcher l’arrivée au pouvoir des réformistes. ****
Au retour de Chine, après un week end passé à recevoir des amis venus me réconforter moralement, le lundi, 5 juin 2000, j’avais retrouvé au Ministère des visages défaits et désemparés après l’annonce de mon départ précipité et inattendu. Moi personnellement j’étais serein, car j’attendais et appréhendais cet événement depuis plusieurs mois, et ce ne fut qu’une délivrance à vrai dire. Mon absence, très loin du Département, ne fut peut-être pas la période la plus appropriée pour m’évincer aussi brutalement. Mais la Politique et l’Administration n’ont pas d’état d’âme, et encore moins de sensibilité ou d’affection pour concrétiser des décisions laborieusement concoctées depuis des mois, et que je subodorais moi aussi. Comme à l’Energie et aux Mines en 1994, j’avais tenu à passer dans tous les bureaux du siège à l’Agdal et à l’IRFC, pour saluer et dire au revoir à tous les fonctionnaires sans distinction, leur demandant de ne pas me tenir rigueur, si, par mégarde, je n’avais pas été à la hauteur pour les comprendre, les soutenir et les défendre auprès de qui de droit. Le matin du jour de mon départ, Moussaoui me reçut dans son bureau tout gêné de m’apprendre le changement. Je n’avais fait aucun commentaire, me limitant à souligner que les consignes avec le nouveau Secrétaire Général se dérouleront avec civilité. Mais Moussaoui, ayant formulé des propositions et étant informé du changement plusieurs jours avant mon voyage en Chine, aurait pu m’éviter cette situation incongrue et peu courtoise pour un ancien limier comme moi. Le lundi 5 juin, jour de mon 33 è anniversaire de mariage, après une cérémonie décousue, sans chaleur et sans la moindre reconnaissance pour l’immense travail accompli durant plus de cinq ans et demi d’activités intenses et multiformes, j’avais quitté le Département de la Jeunesse et des Sports, Après mon éloignement, une certaine presse s’était déchaînée pour crier au complot et à l’ingratitude envers moi, alors que j’étais en mission officielle en Chine. Pour moi, ce fut une délivrance, car après mon éviction, passée la première semaine de désarroi, je m’étais découvert encore battant. Comme au début de ma carrière en 1964, je ne suis pas de ceux qui baissent les bras à la première infortune ou de ceux qui se laissent abattre, car les gémissements ne font pas partie, ni de mes habitudes, ni de mon tempérament. Je pense posséder cette capacité à puiser facilement dans l’étendue de mes souvenirs pour m’apaiser et me ressourcer, pour avoir la force et le courage de continuer à ne pas baisser les bras. Nulle intention pour moi d’oublier que j’avais officié dans une certaine idée du devoir professionnel, avec un minimum de rigidité du comportement vis-à-vis des supérieurs et des subalternes, sans prétendre bouleverser les situations existantes, ancrées dans les esprits et difficiles à extirper. J’avais toujours le sentiment devant l’immensité de la tâche, que le temps suspendait son vol, et qu’il ne nous donne pas l’opportunité de réformer l’ordre établi, responsable du blocage et de la paralysie du système qui nous régit. J’ai appris encore une fois que dans les moments difficiles, où le vent est contraire, il ne sert à rien de ramer et de s’épuiser, il faut attendre que ça passe. Par ailleurs, la gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais plutôt de se relever chaque fois que l’on tombe, en s’armant de patience et d’espoir.
Il ne faut pas avoir peur des échecs, car comme dit un sage « le premier échec est nécessaire car il excite la volonté, le second peut être utile ». Je pense être encore en mesure de consacrer une autre partie de ma vie à fournir un effort ininterrompu dans d’autres domaines et d’autres préoccupations.