Université Louis Lumière Lyon 2 Faculté de Géographie, Histoire de l’Art, Tourisme


CHAPITRE 30 – La deuxième convergence : avec la modélisation mathématique en foresterie (1990-1998)



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CHAPITRE 30 – La deuxième convergence : avec la modélisation mathématique en foresterie (1990-1998)

Le travail de Blaise s’achève donc dans cette effervescence conceptuelle du côté de la botanique et, en particulier, du côté de l’école de Hallé. Mais les échos dans le milieu agronomique se font en revanche attendre, notamment de la part de l’INRA. En fait, dans l’année qui précède, en 1990, a été lancée une Action d’Intervention Programmée (AIP) réunissant l’AMAP et différents laboratoires de l’INRA. Il s’agit d’une décision forte de la part de la direction de l’INRA de l’époque. D’une certaine manière, elle fera violence à certaines habitudes bien ancrées chez les agronomes de cet institut. Cette décision de la tête de l’INRA est donc prise en grande partie contre l’avis de la base. Si son succès reste encore aujourd’hui à évaluer, elle a pour effet indéniable de favoriser une convergence rapide et inattendue de la simulation architecturale avec la foresterie. C’est une discipline qui a recouru pour sa part depuis longtemps à des lois quantitatives puis à la modélisation mathématique. Mais les autres secteurs spécialisés en productions végétales pratiquent aussi la modélisation et auraient aussi bien pu accueillir les méthodes d’AMAP. Or, cela n’a pas été le cas. La situation a donc été complexe.

Comme nous le montrerons ici, cette décision de politique scientifique forte, voire décisive pour le devenir de la simulation des plantes en France, s’explique tant par le contexte institutionnel que par le tournant particulier que prennent les techniques de gestion forestière au début des années 1990. Elle ne vient pas d’une séduction soudaine et irréfléchie. D’une part, il y a bien sûr le parcours et la volonté propres à certains directeurs scientifiques qui ont été à l’origine de cette décision. Mais d’autre part, il y a ce terrain favorable de la foresterie qui prépare depuis longtemps certains spécialistes de la production végétale à accueillir avec bienveillance l’approche architecturale.

Les agronomes à l’école de la simulation : l’AIP INRA/CIRAD (1990-1993)

De manière significative, il se trouve que c’est Alain Coléno qui lance l’idée de l’AIP en 1989. Entre-temps, entre 1980, date où il avait fait la connaissance de de Reffye en tant que membre du jury du concours d’entrée à l’INRA, et 1987, Alain Coléno a poursuivi son travail de directeur du secteur des pathologies végétales de l’INRA1. Pendant ces années-là, il a considérablement favorisé et soutenu le développement de solutions logicielles d’aide au diagnostic. Il s’est persuadé de la valeur de l’informatique dans son lien avec la modélisation des connaissances. En participant, aux côtés d’informaticiens, à la conception de logiciels, il a contribué à faire diffuser ces techniques à l’INRA. Puis il a fait former des agronomes aux techniques de traitement de l’information. Cependant, ne disposant pas pour autant d’un accueil large et adapté dans leur institut d’origine, un certain nombre de ces agronomes-informaticiens quittèrent ensuite l’INRA pour travailler dans le privé. S’il y a donc un intérêt scientifique indéniable de Coléno pour l’AMAP, il y a aussi et surtout un volontarisme constant à l’échelle institutionnelle, comme au niveau de la politique de la recherche, qui va conduire à la naissance de cette AIP.

Evoquons d’abord ce contexte de politique scientifique plus favorable à la modélisation en général. À l’époque, en effet, le directeur général de l’INRA, Jacques Poly1, prône une agriculture qualitative et plus respectueuse des équilibres biologiques. En juillet 1978 déjà, en réaction aux premiers excès visibles de l’agriculture productiviste d’après-guerre, il avait été l’auteur d’un rapport retentissant dans lequel il montrait la nécessité pour l’INRA de travailler à l’établissement d’une agriculture plus « autonome et économe »2. En particulier, à côté d’admonestations concernant les économies en énergie, en engrais ou le retraitement et la revalorisation des déchets agricoles, ce rapport engageait la recherche agronomique à « être imaginative dans ses concepts »3. Après sa nomination à la direction générale de l’INRA, en 1979, dans la continuité des comités DGRST (constamment renouvelés de 1972 à 1984), et dans une vision donc proche de celle qu’incarnait Jean-Marie Legay depuis une décennie, Poly avait mis en avant les pratiques de modélisation dans la mesure où elles permettaient, selon lui, de penser ensemble et de faire interagir le développement, les ressources et l’aménagement rural équilibré4.

En 1987, Poly dirige l’INRA lorsque Coléno prend la direction du secteur des productions végétales. À l’époque, ce secteur est important puisqu’il rassemble six départements de recherche, avec environ 2500 personnes, dont 1000 chercheurs. Dès le départ, au moyen des documents de politique générale à la modification desquels il contribue, Coléno tient pour sa part à donner une plus grande place et une plus grande souplesse aux transferts des résultats de l’INRA en direction des entreprises privées. Toutefois, il y travaille à éviter qu’il y ait en ce domaine un certain détournement de l’intérêt public. Il cherche enfin à favoriser un peu plus les recherches dynamiques, à savoir celles qui sont susceptibles d’être assez rapidement valorisées. Pour lui aussi, la modélisation a son rôle à jouer. Mais, alors que Poly insiste davantage sur l’intégration de problématiques multidimensionnelles (agricoles, humaines, environnementales,…), pour Coléno, la modélisation permet surtout une conceptualisation opérationnelle, c’est-à-dire utilisable sur le terrain.

Pendant ces années, Coléno reste informé des travaux de de Reffye et voit bien le certain succès qui commence à poindre au CIRAD avec la simulation architecturale. Il cherche à communiquer cet intérêt à ceux des chercheurs de l’INRA qui modélisent déjà. À ses côtés en effet, quelques chercheurs au départ minoritaires, comme Jean Bouchon5, commencent à s’y intéresser. On trouve aussi Jean-Marc Ottorini, chargé de recherche à l’INRA et en poste à Nancy dans le groupe « Croissance, Production et Qualité des Bois ». À la fin des années 1980, à la suite des idées du canadien Ken J. Mitchell remontant déjà à 1975, Ottorini avait développé le programme SimCoP, un « Simulateur de Croissance et de Développement de Conifères en Peuplement »1. Le programme informatique distinguait la croissance en hauteur de l’arbre et le développement du houppier. Il pouvait ainsi faire interagir les arbres en peuplement en prenant en compte la gêne. Ce travail restera toutefois longtemps isolé. Par la suite, Ottorini développera une approche de modélisation de type nettement écophysiologique. Et il se démarquera volontairement de l’approche architecturale d’AMAP.

De manière générale, les modélisateurs de l’INRA dépendent quasi-exclusivement du département de recherches forestières2. C’est là en effet que l’on trouve le plus gros contingent de mathématiciens de formation. Mais l’intérêt de Jean Bouchon lui-même pour l’approche du CIRAD a une histoire. Là encore, Poly a joué un rôle important aux côtés de Coléno. En 1983, en effet, il causa un électrochoc dans le département des recherches forestières dont Bouchon dépendait. Il s’était étonné que des chercheurs comme lui se soient cantonnés à établir des « tables de production » et aient ainsi abandonné la recherche plus conceptuelle. À ce sujet, l’influence de Yves Birot, alors directeur du programme « Dendrométrie et croissance des peuplements forestiers » n’est pas non plus à négliger. Birot était généticien d’origine et il était venu progressivement à la dendrométrie. Lors d’une mission d’étude aux Etats-Unis, il s’était auparavant persuadé de l’importance de la modélisation en foresterie, en particulier. Et il s’en était ouvert à Poly. C’est à ce moment-là que Poly avait convoqué Bouchon et qu’il lui avait imposé de revoir l’orientation comme l’intitulé de son programme de recherche : selon lui, il fallait abandonner les termes de « sylviculture » et de « dendrométrie » qui accusaient un côté purement technique pour préférer ceux de « croissance, développement et production des arbres »3 pour lesquels la modélisation devait jouer le rôle principal.

Après ce ferme « coup de semonce »4, Bouchon est tout de même promu, en remplacement de Yves Birot, directeur coordonnateur du programme qui devait dès lors s’intituler « croissance des arbres, dynamique et production des peuplements forestiers » de l’INRA. Birot est quant à lui nommé directeur du département des recherches forestières.

Avec ses collègues comme avec ses doctorants, dont le jeune François Houllier issu, comme lui, du moule X-ENGREF, Bouchon se livre à un gros travail de bibliographie et de réflexion. À l’encontre de la génération précédente qui privilégiait l’approche purement biologique pour les questions de sylviculture, Bouchon se persuade rapidement lui aussi que l’avenir appartient à la modélisation mathématique. En foresterie, l’exemple lui vient notamment des modèles de productions et de croissance qui sont utilisés comme outils de gestion aux Etats-Unis et au Canada dès les années 1960. La modélisation sert selon lui à rationaliser la sylviculture et à permettre des prédictions vérifiables5. À l’ENGREF, au début des années 1980, il enseigne toujours les tables de production6 mais aussi les modèles mathématiques qui sont disponibles dans la littérature ou à la conception desquels il a participé. Mais ce sont encore essentiellement des modèles statistiques ou des modèles théoriques calqués sur les principes de la biologie des populations.

Or, il se trouve que Bouchon avait lui aussi fait partie du jury qui avait refusé l’entrée de de Reffye à l’INRA. Avec Coléno, il avait été l’un des seuls à l’avoir soutenu. Au cours des années 1980, il reste donc lui aussi en contact assez constant avec de Reffye. Plus que Coléno encore, et surtout lorsque son intérêt pour la modélisation est relancé par l’intervention de Birot et Poly, il veille à disposer de toutes les publications d’AMAP dès leur parution. De fait, il n’est pas très étonnant que Bouchon soit un des premiers à demander explicitement que l’INRA s’intéresse à la modélisation architecturale : il pressent lui aussi que quelque chose d’important se passe au CIRAD en matière de modélisation et que l’INRA doit suivre.

En cette fin des années 1980, de son côté, Coléno tente donc d’engager fortement ses collègues écophysiologistes du secteur végétal à abandonner leur polarisation sur les modèles de fonctionnement restreints et à échelle locale, pour essayer d’intégrer les données de l’architecture végétale, architecture dont on sait combien elle joue dans le fonctionnement global de la plante. L’objectif est notamment d’améliorer la nature des modèles opérationnels dans le cas des forêts hétérogènes, c’est-à-dire en particulier dans les forêts non mono-équiennes1. De surcroît, il apparaît de plus en plus que les modèles compartimentaux habituels des écophysiologistes sont incapables de prédire les changements de comportement de la plante dans des situations de compétition ou de taille (arboriculture, sylviculture). Ils ne peuvent pas non plus préciser où exactement la matière produite se répartit dans l’arbre, ce qui est pourtant fondamental pour le contrôle des productions végétales. Mais Coléno ne parvient pas à inciter, de l’intérieur, les écophysiologistes de l’INRA à franchir ce pas.

Donc, il va procéder autrement. À partir de 1989, il entre en contact avec de Reffye. Il lui donne son avis au sujet de la convergence qu’il croit désormais possible : il faudrait apporter des considérations physiologiques aux simulations architecturales d’AMAP pour les faire servir plus amplement aux sciences du végétal. Cela semble tout à fait en cohérence avec les travaux de Blaise de l’époque. Et il y a des fonds importants qui peuvent être débloqués du côté de l’INRA. De Reffye est évidemment très intéressé. Il donne son accord de principe sur une collaboration d’abord ponctuelle.


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