404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale


nous les réunissons, c'est qu'ils présentent des affinités certaines quant au niveau du contenu, de l'esprit qui a



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nous les réunissons, c'est qu'ils présentent des affinités certaines quant au niveau du contenu, de l'esprit qui a présidé à leur exécution et de leur attitude face à la norme.

Le Glossaire de Dunn comporte 1 750 mots qui donnent lieu à des remarques d'ordre lexical, grammatical, syntaxique, syntagmatique ou autre. Il fait une place importante au phénomène de l'anglicisme qu'il condamne énergiquement, tout en reconnaissant que l'« on met au compte de l'anglais bien des mots, bien des locutions qui nous sont venus directement de Bretagne et de Normandie, ou qui appartiennent au vieux langage » (Dunn, 1976: XIV-XV). De plus, il donne dans le piège du normativisme à outrance en dénonçant véhémentement les anglicismes « affreux », les galimatias « barbares » ou les locutions « barbarissimes ». Par ailleurs, l'un des éléments du titre même de l'ouvrage, « locutions vicieuses », illustre bien la préoccupation principale de l'auteur.

Plus considérable que l'ouvrage précédent (4 000 entrées), le Diction­naire de Clapin recense la plupart des amérindianismes, des anglicismes et des québécismes connus à l'époque en les illustrant abondamment d'exem­

ples, le plus souvent littéraires. Son grand mérite réside surtout, après les envolées enflammées d'un Oscar Dunn dénonçant nos « regrettables » façons de parler, dans son attitude équilibrée et intelligente à l'égard des québécismes et de la norme qui devrait les régir. Nous nous excusons à l'avance de la longueur de la citation qui va suivre, mais nous estimons qu'elle constitue une véritable profession de foi de Clapin et, surtout, un exemple à suivre en ce domaine où la réaction épidermique l'emporte trop souvent sur une sage réflexion:

« Somme toute, le mieux, je crois, est de nous en tenir, en ces matières, dans un juste milieu9, et de convenir que si, d' une part, nous sommes loin - à l'encontre de ce qu'affirment les panégyristes à outrance - de parler la langue de Bossuet et de Fénélon, il ne faut pas non plus, d'autre part, nous couvrir la tête de cendres, et en arriver à la conclusion que le français du Canada n'est plus que de l'iroquois panaché d'anglais » (Clapin, 1974: X).

Le glossaire de N.-E. Dionne, un ouvrage imposant de 15 000 lexèmes et syntagmes de toutes sortes, vient compléter cette triade classique de la lexicographie québécoise. Bien qu'il comporte un grand nombre de ren­

seignements erronés ou vagues, ce glossaire mérite une place importante par son ampleur même. La visée normative se révèle quasi absente, l'auteur se contentant d'enregistrer les données et de les commenter du seul point de vue scientifique.



Ainsi, cette période ancienne de la lexicographie québécoise présente des caractéristiques très nettes qui se répètent, mutatis mutandis, d'un ouvrage à l'autre. On y retrouve des listes de termes, étiquetés presque systématiquement canadianismes, des commentaires plus ou moins élaborés sur des éléments lexicaux, phonétiques, syntaxiques ou autres qui ne vont

9. C'est nous qui soulignons.


LA NORME LINGUISTIQUE

pas sans erreurs ni omissions, phénomène normal, compte tenu des con­naissances de l'époque et de la compétence des chercheurs. Une certaine faiblesse de la préoccupation normative caractérise les auteurs cités; tout à fait absente chez Potier et chez Dionne, elle se fait balbutiante dans l'ouvrage de Viger et mesurée dans celui de Clapin. Seules échappent à la règle en ce domaine les remarques enflammées de Dunn dont nous avons signalé plus avant la teneur. Nous croyons, cependant, qu'elles peuvent trouver une explication dans le tempérament de ce journaliste'° à la sensibilité à fleur de peau et aux réactions exacerbées. D n'entache en rien, selon nous, le jugement que nous portons sur cette époque en matière de normativité.

Le Glossaire du parler français au Canada

Le Glossaire du parler français au Canada est un « dictionnaire patois », publié à Québec, en 1930, sous les auspices de la Société du parler français au Canada. Il s'agit d'une oeuvre considérable qui reproduit, dans ses grandes lignes, les résultats des matériaux issus d'une vaste enquête épistolaire menée par plus de 200 personnes à travers tout le Québec, qui ont recueilli au-delà de 2 millions d'observations très variées. Comme le signalent les auteurs dans le sous-titre-programme de l'oeuvre, ont été consignés « les mots et locutions en usage dans la province de Québec et qui ne sont pas admis dans le français d'école; la définition de leurs différents sens, avec des exemples; des notes sur leur provenance; la prononciation figurée des mots étudiés ». Ainsi, sauf erreur, il s'agit du premier ouvrage qui s'en remet systématiquement à l'usage parlé à l'encontre de toute attitude normative; les faits lexicaux ont été relevés et commentés en dehors de toute préoccu­pation normative: « Nous n'entendons pas porter un jugement sur chacun des mots inscrits au Glossaire » (Société du parler français au Canada, 1968: VIII). Malgré les reproches qu'on a pu adresser à l'ouvrage: manque d'exhaustivité", erreurs étymologiques nombreuses, définitions vagues, structure anarchique des articles, absence de localisation géographique des termes traités, etc., il n'en demeure pas moins qu'il constitue une somme qui n'a pas encore été surpassée.

L'une de ses qualités les plus importantes consiste, sans l'ombre d'un doute, dans la présentation objective des phénomènes lexicaux, sans juge­ment personnel ou indication de marque d'emploi. Les données sont brutes, à peine dégagées de leur gangue. Nonobstant l'étiquette d'amateurs dont on a pu affubler les membres de la Société, il faut signaler à leur

10. Quoique Jacques Viger art exercé la même profession, il demeura surtout un archiviste dans le fond de l'âme, un collectionneur invétéré, qui a accumulé plusieurs milliers de documents sur l'histoire de son coin de pays. C'est davantage de cet aspect que procède son ouvrage Néologie canadienne.

11. Cette remarque peut s'appliquer à tous les ouvrages parus à ce jour, étant donné l'extra­ordinaire richesse de la langue québécoise. Pour s'en convaincre, il suffit de considérer les centaines de milliers de fiches dont dispose présentement l'équipe du Trésor de la langue française au Québec de l'université Laval.


NORME LEXICALE ET CANADIANIsNEs

décharge qu'ils ont su préfigurer, d'une certaine façon, les recherches systématiques menées présentement par le Trésor de la langue française au Québec pour présenter une image du québécois dans son devenir historique. Si l'apparat critique du Glossaire est réduit à sa plus stricte expression, l'esprit de neutralité qui a présidé à son élaboration va préci­sément dans le même sens. On peut de plus affirmer, sans trop craindre de se méprendre, que les formes non recueillies dans le Glossaire n'ont pas été écartées au nom d'une orthodoxie ou d'une authenticité québécoise à sauvegarder, mais plutôt parce qu'elles faisaient souvent partie du français commun ou tout simplement parce que les enquêteurs ne les ont pas relevées.

Les contemporains: ici et ailleurs

Ultérieurement au Glossaire, un certain nombre d'ouvrages''-', dans son sillage, ont tenté soit de faire un sort aux québécismes, soit de les intégrer à des dictionnaires français. Nous désirons, dans les lignes qui suivent, préciser l'attitude adoptée tant au Québec qu'en France à l'égard des mots d'ici du point de vue du jugement normatif. Pour ce faire, nous analyserons succinctement trois ouvrages d'ici et trois autres d'outre-Atlantique. Pour le Québec, nous avons opté pour les Canadianismes de bon aloi de l'Office de la langue française, pour le Dictionnaire général de la langue française au Canada (1974) de L.-A. Bélisler3 et pour le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron". Du côté de la France notre choix s'est porté sur le Lexis, sur le Dictionnaire du français vivant ainsi que sur le Petit Robert 1.

Les Canadianismes de bon aloi de l'Office de la langue française marquent une date dans la lexicographie québécoise, non tant en vertu de la qualité de la plaquette, mais en raison de l'importance que lui accorderont les lexicographes français surtout Le succès dé cette publication tient davantage au prestige que revêtait alors l'Office de la langue française,

Nous rappelons, pour mémoire, notre intention de ne pas examiner tous les ouvrages qui ont porté sur la langue québécoise, faute d'espace et parce que nous préférons nous en tenir à quelques oeuvres représentatives qui illustrent plus particulièrement notre propos sur la norme. Conséquemment, on y recherchera en vain les ouvrages québécois de l'abbé Maguire, de Legendre, de Rivard, de Geoffrion, de Clas, de Dagenais, de Rochon, etc., qui n'auraient rien apporté de-neuf à notre propos. Du côté de la France, le Trésor de la langue française (en cours de parution), le Petit Larousse, le Dictionnaire du français contemporain, le Quillet, etc., ont été écartés parce qu'ils reprenaient sensiblement les mêmes données québécoises et que l'examen d'autres ouvrages lexicographiques impor­tants ayant permis de mettre en lumière les points essentiels, leur analyse devenait, ipso facto, superflue sinon vaine.

Nous avons fait porter notre analyse sur cette édition du Bélisle et non sur son récent Dictionnaire nord-américain de la langue française parce que nous avions déjà entrepris une étude critique de cette édition et que, après vérification, nous avons pu constater que fauteur avait apporté fort peu de modifications quant à l'étiquetage des canadia­nismes. Nos remarques ne perdaient donc rien de leur pertinence.

Mieux connue sous la désignation familière de Le Léandre.

LA NORME LINGUISTIQUE



organisme gouvernemental et officiel. Nous avons exprimé ailleurs', notre sentiment sur cet opuscule. Signalons, cependant, la malencontreuse expres­sion de bon aloi'6 qui, hélas, a fait fortune et s'est imposée pour refléter ce qui est, au plan du lexique, authentiquement québécois. En effet, il y a lieu de s'interroger sérieusement sur la pertinence de cette notion, en raison surtout de son relent normatif obligé et, par conséquent, de la troncation du patrimoine lexical des Franco-Québécois. Comment décider objectivement que tel terme peut être considéré de bon aloi et tel autre écarté parce qu'on le trouve vulgaire, trivial, archaïque, etc.? Où établir avec justesse la frontière à partir de laquelle un lexème est jugé de bon ou de mauvais aloi? Quels critères sûrs permettront de sérier adéquatement les termes? On constate d'emblée que l'arbitraire et le purisme règnent en maître, comme en témoigne cette affirmation tirée de la brochure qui retient notre attention: « [... ] canadianismes de bon aloi, c'est-à-dire de mots bien formés utilisés par les francophones du Québec et répondant à leurs besoins » (Office de la langue française, 1969: 3). En quoi les termes barachois, poisson des chenaux, bordée (de neige) sont-ils d'une facture inférieure à atoca, ceinture fléchée, maskinongé, comté, etc., et en quoi ne répondent-ils pas aux mêmes besoins des Québécois? 11 serait, croyons-nous, très difficile sinon impossible de prouver absolument l'assertion sur laquelle repose la justification de l'expres­sion canadianismes de bon aloi.

L'analyse de l'ouvrage révèle la présence de 62 termes'r répartis en huit catégories principales: mesures, faune, flore, poissons, nourriture, politique, hiver, vêtements. Prenons seulement quelques exemples pour démontrer que dans cette liste des termes estimés indispensables aux Québécois et pour lesquels « le français commun n'a pas d'équivalents » (Office de la langue française, 1969: 5), il s'en trouve justement quelques-uns qui ne répondent plus à cette attente. Alors que les termes gallon, ligne, livre, mille, once, pied, pouce, verge, etc., apparaissent comme nécessaires, on peut d'ores et déjà prévoir leur caducité prochaine en raison de l'intro­duction graduelle du système métrique au Canada. Autre exemple, le terme vieillot vivoir, équivalent québécois de living room ou living peut avanta­

15. Dugas (1979:396-397).

16. Ce syntagme est issu d'une publication du ministère des Affaires culturelles duquel relevait alors administrativement l'Office de la langue française: « Les canadianismes de bon aloi [... 1 se rapportent à des réalités canadiennes pour lesquelles le français commun n'a pas d'équivalents » (Office de la langue française, 1965: 5). D convient de noter, au passage, que cette définition visait d'abord et avant tout la langue de l'enseignement et celle de l'administration.

17. En voici la liste complète: abatis, achigan, acre, arpent, atoca, avionnerie, banc de neige, batture, biculturalisme, bleuet; bleuetière, boisseau, bordages, bouscueil, brûlot; brunante, cabane à sucre, cacaoui, canot; canton, carriole, catalogne, cèdre, ceinture fléchée, cho­pine, comté, coureur de (des) bois, débarbouillette, demiard, doré, épluchette, érablière, fin de semaine, frasil, gallon, goglu, huard (huart), ligne, livre, maskinongé, millage, mille, once, ouananiche, ouaouaron, outarde, pied, pinte, pouce, poudrerie, pruche, rang, raquetteur, savane, souffleuse, suisse, tire, transcanadien, traversier, tuque, verge, vivoir.




NORME LEXICALE ET CANADiANISMEs

geusement céder la place à salle de séjour. Le terme oléoduc, signalé comme canadianisme, appartient au français général.

Point n'est besoin de pousser plus avant la recherche pour se rendre compte que la notion de canadianisme de bon aloi ne résiste pas à une application stricte, qu'elle est entachée d'une connotation péjorative - par

opposition -et qu'elle ne se justifie en aucun cas. En outre, l'analyse permet de conclure que toute norme appliquée au vocabulaire québécois est vouée à l'échec en ce qu'elle rejette d'innombrables lexèmes et tournures valables d'un usage constant et répandu et qu'elle peut difficilement s'ajuster à la constante évolution de la langue. Enfin, en matière de langage, qui peut s'arroger le droit de décider unilatéralement des termes dont le sujet parlant ne peut se passer? Se profile derrière cette attitude une naïveté qui ne cesse d'étonner.



Oeuvre d'importance, le Dictionnaire général de la langue française au Canada de L. -A. Bélisle marque un moment important, voire primordial dans l'histoire de la langue au Québec. En effet, cet autodidacte a été le premier, après le Glossaire, à présenter un ouvrage dans lequel sont systématiquement consignés les québécismes historiques, usuels et néologiques''.

L'édition sur laquelle portent nos remarques date de 1974 et reprend celle parue en 1957, augmentée de 2 200 mots et acceptions nouvelles. ll s'agit d'un « recueil de mots usuels » français (tirés du Littré-Beaujean)

et québécois, puisés chez divers auteurs et surtout dans le Glossaire, aug­mentés de relevés et de dépouillements personnels de l'auteur.



La caractéristique essentielle de cette oeuvre, outre son ampleur, réside sans doute dans le classement appliqué aux québécismes (canadianismes pour l'auteur), qui témoigne d'une volonté normative on ne peut plus patente.

Reprenant, entre autres, en l'appliquant systématiquement, et pas toujours avec bonheur comme nous le verrons, la notion de canadianismes de bon aloi mise de l'avant par l'Office de la langue française, l'auteur classe sa moisson de québécismes sous deux rubriques principales: les canadianismes de bon aloi, affectés d'un signe dictinctif (c encerclé) et qui représentent des réalités nord-américaines dignes d'être reconnues sur le plan interna­tional (faune, flore, toponymie, poids et mesures, droit, etc.) et de figurer dans les ouvrages lexicographiques européens, et les canadianismes popu­laires et folkloriques (symbolisés symptomatiquement par une fleur de lys), termes archaïques et « mots ou expressions qui ne sont pas reçus dans le bon usage de la francophonie » (Bélisle, 1974. Préface de l'édition spéciale), donc d'un usage plus restreint et spécifiques à la ras canadensis. 11 adjoint à ces deux catégories une troisième qui porte sur les termes à bannir du



18. Cet ouvrage a connu un véritable succès et atteint un très large public. Rappelons qu'à l'origine, le Bélisie était offert par fascicules aux clients des supermarchés du Québec. Qui plus est, en 1969, une version abrégée et destinée aux élèves a reçu l'assentiment du

ministère de l'Éducation et figurait sur la liste des manuels utilisés par les commissions scolaires, ultime consécration.


LA NORME LINGUISTIQUE

vocabulaire québécois, tels les anglicismes, les barbarismes, les solécismes, etc., dont la marque distinctive consiste en un X évocateur.

On peut d'ores et déjà s'interroger très sérieusement sur la pertinence de ces distinctions qui appliquent à des vocables des étiquettes plus ou moins valables. C'est, selon nous, se condamner à un arbitraire certain auquel l'auteur lui-même n'a maintes fois pu échapper19. Ainsi, il louvoie en ce qui a trait au classement des lexèmes sans cesse de l'une à l'autre des catégories retenues: assurance-chômage est signalé à la fois comme canadianisme de bon aloi (liste des mots nouveaux ajoutés dans l'édition de 1974) et comme canadianisme folklorique (Bélisle, 1974. 72); bicultu­ralisme et biculturel, attribués au français commun, au début de l'ouvrage, deviennent des canadianismes de bon aloi dans la nomenclature; trapper passe successivement d'une catégorie à l'autre, etc. Comment expliquer ces alternances: erreurs typographiques, mutations chez l'auteur? Nous estimons que l'arbitraire des étiquettes proposées constitue un facteur explicatif non négligeable.

Qui plus est, suite à une étude que nous avons effectuée sur la lettre T, nous avons établi que sur 340 lexèmes, 64 termes sont considérés comme des canadianismes de bon aloi, 93 comme des termes condamnables (angli­cismes, barbarismes, etc.) et 183 comme des canadianismes folkloriques. Force est de constater que cette dernière catégorie semble servir de fourre-tout commode où l'auteur verse ce qu'il ne peut ranger dans les deux autres. Malgré son parti-pris normatif, Bélisle signale tipeu et toé comme canadia­nismes populaires alors qu'il aurait dû (selon ses critères) en condamner l'usage.

Comment désigner télécouleur et téléspectateur comme des québécis­mes alors qu'ils appartiennent au français universel? En quoi frapper relève-t-il du parler populaire et non du québécois authentique? On pourrait poursuivre longtemps cet exercice.

Somme toute, il devient aisé de démontrer les failles d'une telle grille appliquée à la langue québécoise, soit qu'on n'arrive pas à cerner parfaite­ment le sens des catégories élaborées, soit qu'on n'applique pas assez sévère­ment les critères arrêtés lors du classement des unités lexicologiques. Ou bien on demeure cohérent au sein de son normativisme, ou bien on se confine à une démarche descriptive.

Aux antipodes de l'entreprise de Bélisle, se situe la récente tentative de Léandre Bergeron d'enfin doter le Québec du dictionnaire par excellence du québécois. Pour ce faire, il a constitué un corpus de quelque 20 000 mots et expressions du Québec à l'exclusion des termes ou des sens de termes qui se retrouvent dans l'un ou l'autre des dictionnaires français.

19. Se reporter, entre autres, aux critiques formulées par Gaston Dulong (1974: 179) qui parle d'un ouvrage sans valeur, mal fait et rédigé par un amateur, le classement des québécismes compte pour beaucoup dans ce jugement sévère! Voir également Juneau (1977: 36-38).


NORME LEXICALE ET CANADIANISMES

Pour Bergeron, la grande recension de notre parler doit s'effectuer dans la simplicité la plus totale: « Nous avons transcrit ce qui se dit au pays du Québec='° avec des définitions simples et compréhensibles pour à peu près tout le monde » (Bergeron, 1980a: 8). Une entière liberté, affranchie de ce qu'il appelle un « terrorisme linguistique », a présidé au traitement des matériaux recueillis: « Nous avons refusé toute norme, nous avons accepté seulement le critère de l'usage que les Québécois ont fait et font de leur vocabulaire [... ] » (Bergeron 1980a: 8). L'a-norme devient la norme. Sans équivoque, Bergeron établit dès le départ sa position en regard du classement lexical normatif:

« Amère déception, cher lecteur, vous ne trouverez pas de petits symboles qui vous disent si le mot est un canadianisme de bon aloi, un mot de la langue familière, un anglicisme ou autre impropriété à proscrire, pas plus que vous ne trouverez après les mots les expressions à proscrire, vulgaire, familier ou des dites, ne dites pas » (Bergeron 1980a: 8).

Aucune indication non plus sur les marques d'usage telles « vieux », « vieilli », « nouveau », etc. Absolu affranchissement que l'auteur a cris­tallisé en une adresse mi-figue, mi-raisin à ses lecteurs où l'humour côtoie la provocation-'.

Réactivant, d'une certaine façon, la bataille du joual (ensemble des écarts du québécois par rapport au français commun), l'auteur abitibien déclare tout de go: « Pour moi, c'est le peuple québécois qui doit faire sa norme [... ]. J'ai balayé la norme, morale ou linguistique » (Bergeron, 1980b: 21).

Ce naturisme (ou cet angélisme?) linguistique ne va pas sans poser quelques problèmes. Absence totale de méthode, de sens critique, d'élémen­taires précautions scientifiques; tout y est fourni en vrac, pêle-mêle, au gré de la fantaisie du Macouâteurien==. On peut noter, également, certaines exagérations graphico-phonétiques (hien pour chien, greuyau pour gruau, etc.). Bergeron ne s'explique pas sur les principes qui l'ont guidé dans le choix des mots et des expressions retenus.

Tantôt un tenne anglais (burn) est présenté avec sa graphie anglaise avec renvoi à une graphie québécoise, tantôt, sans motif, ne figure que la graphie anglaise (flush et flusher; on ne retrouve pas floche ou flocher).

Se contentant de noter les faits de langage, sans porter de jugement sur leur valeur, Bergeron s'inscrit dans la lignée de nos linguistes dits objectifs. Cependant, son ouvrage pourra, curieusement, avoir une portée normative

20. Souligné par l'auteur.

21. La bande publicitaire qui accompagne l'ouvrage prévient qu'il est interdit aux moins de dix-huit ans, aux professeurs de français, aux linguistes et aux annonceurs de Radio-Canada. Pas étonnant qu'un tollé se soit élevé au sein même de l'establishment linguistique lors de la parution de l'oeuvre!



22. Déformation sciente, de la part de Bergeron ou de la population locale, du toponyme Nic Watters.




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