404 la norme linguistique l'occultation du caractère maternel de la langue nationale



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LA NORME LINGUISTIQUE

l'État de retirer cette liberté à l'individu ». On adoptait donc « comme politique de ne pas en avoir ».

Avec le recul, on constate que cette impuissance à créer une académie anglaise eut des avantages. En effet, l'absence d'un organisme officiel de codification linguistique éliminait au départ toute possibilité de résister à la norme officielle. Car il n'est pas facile de contrer les moyens de codification subtils et psychologiquement efficaces qui incitaient à établir une norme pour l'anglais.

d est donc justifié de prétendre que chaque variété naturelle identifiable d'anglais peut produire sa norme. L'identification peut se fonder sur les ca­ractéristiques formelles dont témoignent la prononciation, le lexique ou la grammaire d'une variété donnée. Du point de vue linguistique, l'« améri­canité » de l'américain est reconnaissable; du point de vue géographique (politique), on peut parler d'anglais canadien ou d'anglais australien. Évi­demment, nous n'ignorons pas que ces grandes catégories se divisent en sous-variétés. Les variétés naturelles de l'anglais sont les suivantes: l'amé­ricain (182 millions), l'australien (13 millions), le britannique (55 millions), le canadien (13 millions) et le néo-zélandais (3 millions).

Mais, en réalité, la question est plus complexe. En effet, même les variétés naturelles de l'anglais sont chargées d'une longue tradition de polémique quant à la désirabilité d'un modèle exogène ou endogène. Cette controverse, qui a entraîné un débat fascinant, aux Etats-Unis par exemple (voir Kahane et Kâhane, 1977; Mencken, 1919), est d'un intérêt particulier pour celui qui étudie la fidélité et les attitudes langagières. Deux modèles (normes) principaux ont émergé de ces controverses: la prononciation anglaise standard (PS)* et l'anglais standard américain (ASA).

Ces modèles se sont répandus pour deux raisons. Du point de vue des attitudes d'une part, le prestige des locuteurs de ces variétés a provoqué leur imitation par d'autres personnes. Du point de vue pédagogique, ils constituaient deux modèles de prononciation solidement étayés. On trouve déjà chez Jones (PS) et Kenyon (ASA) entre autres2, des manuels et des descriptions orthoépiques et lexicographiques valables.

La prononciation anglaise standard a été appelée tour à tour « anglais de la BBC », (pour British Broadcasting Corporation), « anglais soutenu » et « anglais scolaire »3. Ce dernier terme fait référence à ces vieilles insti­tutions typiquement britanniques qui, comme le souligne Abercrombie (1951: 12), « sont elles-mêmes uniques ». La PS s'acquiert en grande partie inconsciemment et c'est pourquoi, toujours selon Abercrombie, « il n'y a pas

* En anglais. Receiued Pronunciation (RP) (N.d.l.r.). 2. Voir aussi, entre autres, Krapp, 1919.

3. L'expression « public school » doit être replacée dans son contexte britannique, où elle indique en fait récole « privée ».

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lieu de l'enseigner délibérément »'. Toutefois, c'est toujours elle qui a constitué la principale norme pédagogique dans la diffusion de l'anglais britannique à l'étranger, en particulier pour la préparation de cours sur rubans magnétiques et disques, ainsi que pour les manuels de prononciation.

Mais le statut de cet accent, et le terme employé pour le désigner, prêtent à controverse. De même, le « jugement social » à l'origine de sa popularité et de son prestige est remis en question, car, après tout, cet accent n'a jamais reçu de sanction officielle. Cependant, la PS constituait, pour le gouvernement et les services diplomatiques, l'accent recommandable et il était abondamment utilisé par l'omniprésente BBC. Mais, devant la transformation du contexte britannique, Abercrombie (1951) oppose trois arguments valables à la PS. D'abord la reconnaissance de cette variété standard constitue « un anachronisme dans la société démocratique actuelle » (p. 14). Deuxièmement, elle instaure une « barrière des accents » rappelant la barrière raciale, et cela, pour bien des gens qui sont du bon côté de la barrière, semble parfaitement raisonnable (p. 15). Enfin, il n'est pas si certain que la PS représente « l'anglais des gens cultivés », puisque les locuteurs utilisant la PS sont « de nos jours dépassés en nombre par ceux qui ne parlent pas la PS et qui sont quand même, sans nul doute, cultivés » (p. 15).

Outre-Atlantique, l'emploi du terme « américain standard » porte à confusion puisqu'il s'applique à différentes parties des États-Unis et à la plus grande partie du Canada. L'américain standard est parlé par 90 millions

de gens habitant le centre et l'ouest des États-Unis et du Canada. Les raisons qui poussèrent Kenyon à faire la description de l'américain standard étaient pratiquement à l'opposé de celles de Jones, son prédécesseur britannique. Comme je l'ai indiqué ailleurs (Kachru, 1982x: 34), Kenyon est « conscient du tort fait par les manuels de prononciation normatifs et élitistes » et il s'inquiète de ce que « nous considérions des règles de prononciation comme faisant autorité sans même vérifier leur validité ni l'habilité de leurs auteurs à les promulguer » (1924: 3). 1 s'en prend donc à la doctrine de la cor­rection, à la validité des « jugements » normatifs et des « avis » sur la prononciation. Il croit à juste titre que la cause sous-jacente de ces jugements réside dans la tendance qu'ont les gens à se laisser influencer par « certains types d'enseignements scolaires, par l'usage inconsidéré de manuels de grammaire et de rhétorique, par une utilisation inintelligente du dictionnaire et par les manuels d'anglais correct, dont chacun suit sa doctrine favorite (et particulière) » (1924: 3).



Kenyon exprime clairement la disparité évidente entre la norme et le comportement linguistiques et il affirme avec raison que, « fort probablement, aucun être intelligent ne s'attend vraiment à ce que des gens cultivés du Sud, de l'Est et de l'Ouest prononcent de la même manière. Pourtant, il n'est pas rare que l'on critique ouvertement, ou par un silence méprisant, la pronon­

4. Voir aussi Gimson, 1962 et Ward, 1929.

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dation de gens cultivés d'autres régions que la sienne >» (1924: 5). Dans son optique, qui simplifie à l'excès sans doute, le remède à cette situation réside dans l'étude de la phonétique, par laquelle la personne « a tôt fait d'apprendre, non seulement à ne pas critiquer les prononciations qui diffèrent de la sienne, mais aussi à les pressentir et à leur porter un intérêt respectueux et intelligent ».

Quelle est donc, alors, la norme généralement acceptée en anglais? Il y a plusieurs façons de répondre à cette question complexe et chargée d'émotivité. Ward (1929: 1) adopte une position extrême lorsqu'elle dit de la langue standard que « personne ne peut la définir adéquatement, parce qu'il n'existe rien de tel », ce qui, on s'en doute, ne recevrait pas néces­sairement l'aval de Daniel Jones. Strevens (1981: 8) propose une réponse très différente: à son avis, dans le cas de l'anglais, « standard » ne signifie pas « imposé », ou encore « langue de la majorité ». Selon lui, l'un des aspects intéressants de l'anglais standard est « que dans toutes les commu­nautés où l'anglais se parle, ceux qui ne parlent habituellement que l'anglais standard sont en minorité; dans toute la population anglophone, les locuteurs qui s'en tiennent au seul anglais standard sont en nombre infime » (1981: 8). ll semble donc que « le phénomène de (anglais standard existe et perdure malgré l'absence de tout programme de standardisation conscient ou coor­donné » (p. 8).

En dépit de tout cela, les dictionnaires et les manuels continuent d'in­diquer des préférences orthoépiques, grammaticales et lexicales. D'ailleurs, parler de l'usage de la « minorité », ce n'est pas seulement évoquer une quantité numérique, mais aussi une attitude préférentielle. £n effet, ce n'est pas parce qu'un usage est courant qu'il est psychologiquement ou sociale­ment accepté.

Le matériel didactique et le programme de formation des maîtres n'enseignent en rien la « tolérance linguistique » à l'égard des variétés régionales importées ou des usagers de variétés que l'on juge différentes des variétés standard. C'est, comme nous l'avons déjà dit, le cas de l'anglais des Noirs (ou des autres ethnies) aux États-Unis. En Grande-Bretagne, ce comportement est depuis toujours la règle face aux usagers des variétés régionales.

Norme s'appliquant aux diverses formes d'anglais importé

L'apparition de variétés importées de l'anglais est étroitement liée à l'histoire du colonialisme. Four raisons d'attitudes l'anglais du colonisateur, une fois introduit dans le réseau linguistique d'un pays, devenait la norme privilégiée. Mais en fait la « nomme » proposée par les représentants du suzerain n'était pas toujours la variété standard de l'anglais. Dans nombre de cas, en particulier dans les couvents et les écoles de mission, l'anglais

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des professeurs d'anglais n'était pas leur langue maternelle car ils se recru­taient chez les Belges, les Français ou les Irlandais.

D'une façon générale donc, les formes d'anglais importé s'inspirent de deux modèles. Dans une grande partie de l'Asie, de l'Afrique et des Antilles, la majorité des locuteurs pour qui l'anglais est une langue acquise ont adopté le modèle britannique. D'autre part, c'est, entre autres raisons, le colonialisme (Philippines, voir Llamzon, 1969 et Samonte, 1981; Puerto Rico, voir Zentella, 1981), le commerce (Japon, voir Stanlaw, 1982) et la proximité géographique (Mexique, Cuba et d'autres parties de l'Amérique latine) qui ont imposé le modèle américain à certains pays.

Cependant, ces modèles étaient auréolés d'un mythe. En fait, il est douteux qû un modèle homogène ait jamais été introduit dans les colonies. Au contact des administrateurs coloniaux, des enseignants et des militaires, les indigènes étaient mis en présence d'un nombre déroutant de variétés d' anglais. Ainsi, les « locuteurs natifs » de l' anglais n' ont jamais formé qu'une fraction du personnel enseignant dans la majorité des colonies; on sait qu'en Asie du Sud, leur nombre était infime et que leur rôle dans l'enseignement de l'anglais fut négligeable.

Types d'anglais importé

Présenter les variétés importées d'anglais en fonction d'une dichotomie entre anglais naturel et anglais importé serait trompeur et irréaliste. Dans une étude antérieure (Kachru, 1982e: 37),1 'auteur a proposé de considérer ces variétés sous quatre aspects, à savoir. l'acquisition, le contexte socioculturel, la motivation et la fonction. Cet éventail peut se subdiviser de la façon suivante:

langue première

1. Acquisition langue seconde langue étrangère



2. Contexte socio- transplantée

culturel .- non transplantée



3. Motivation langue d'intégration --- langue véhiculaire

4. Fonction langue nationale (lien) -- langue internationale

Certains auteurs (voir Catford, 1959; Halliday et coll., 1964) ont déjà proposé une autre distinction valable entre l'anglais langue première, l'anglais langue seconde et l'anglais langue étrangère. La langue seconde et la langue étrangère ont été tour à tour qualifiées de variétés institutionnalisées et de variétés fonctionnelles (voir en particulier Kachru et Quirk, 1981; Kachru

5. Les locuteurs natifs n'étaient que très rarement des locuteurs de la PS; ainsi, un bon nombre d'entre eux venaient d'Écosse, du Pays de Galles, d'Irlande.

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1981 et 1982e). Cette distinction est importante puisqu'elle nous amène à la question des standards exogènes et endogènes des anglais importés.

C'est en fonction des frontières politiques (ex. anglais indien, ceylanais, kenyan) ou des grandes divisions géographiques (ex. anglais africain, anglais de l'Asie du Sud et anglais de l'Asie du Sud-Est) qu'une variété importée acquiert son identités. Les désignations du premier type (indien et ceylanais) qui dépendent des frontières politiques ne nous renseignent pas beaucoup. En effet, cet étiquetage laisse croire à une multiplicité des formes d'anglais, morcellement qui n'existe pas en réalité. Grosso modo, les démarcations entre variétés sont déterminées par les caractéristiques linguistiques et culturelles communes à une région donnée. En ce sens, les termes « anglais africain », « africanisation » (voir Bokamba, 1982) ou « sud-asiatisation » (voir Kachru, 1969 [1978] et 1982b) s'avèrent plus appropriés. Mais, là encore, ces termes ne sont utiles que parce qu'ils renseignent sur les traits communs à divers niveaux au sein des variétés régionales. S'ils reflètent la réalité, ils le font au même titre que les termes « anglais américain » et « anglais britannique », et pas davantage. Ils marquent l'hétérogénéité linguistique d'une région et ils rassurent, jusqu'à un certain point, ceux qu'effraie ce qu'il est convenu d'appeler le morcellement de la communauté linguistique anglophone.

Ainsi, nous constatons qu'il existe, pour une région géographique donnée, une variété « standard » ou « soutenue » comprenant plusieurs sous-variétés. Il y a donc un continuum dans l'anglais, en pays bilingues (Kachru, 1965). Les sous-variétés se reconnaissent à la région, à l'ethnie, au niveau d'instruction, à la fonction, etc. II existe d'ores et déjà des études identifiant les sous-variétés régionales, celles du Nigeria par exemple (Bamgbose, 1982), du Kenya (Zuengler, 1982), de l'Inde (Schuchardt, 1891 [1980]; Kachru, 1969 [1978] et 1982c), de Singapour, de la Malaisie (Platt et Weber, 1980; Wong, 1981; Tay et Gupta, 1981) et des Philippines (Llamzon, 1969 et 1981).

L'usager d'un anglais importé peut changer de variété selon ses inter­locuteurs. Un Indien instruit parlant l'anglais pourra chercher, en s'adressant à un Anglais ou à un Américain, à se rapprocher le plus possible d'un modèle d'anglais naturel, alors qu'il passera, pour communiquer avec un collègue de ses compatriotes, à la variété régionale d'anglais soutenu; il pourra même indianiser son anglais pour s'adresser à un marchand, un chauffeur d'autobus ou un employé de bureau. Ce sont là des degrés d'approximation de la norme qui dépendent du contexte, de l'interlocuteur et de la fonction de l'acte de parole.

L'existence d'un continuum dans les variétés importées est connue depuis près de cent ans (voir Schuchardt, 1891 [1980]) et a fait l'objet de

6. Pour d'autres précisions voir Kachru, 1982c et « Introduction: The Other Side of English », dans 1982e.

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diverses études (pour l'anglais de l'Asie du Sud, voir Kachru, 1965 et suivants; pour une bibliographie générale, voir Kachru, 1982c et 1982e). Strevens résume bien la question en prenant pour exemple l'anglais indien:

« Le médecin indien (pakistanais) qui communique facilement en anglais avec des collègues lors d'un colloque international, utilise une sorte d"`anglais in­dien" ... dans lequel l'anglais standard est parlé avec un accent régional. Le commis indien, dans ses rapports quotidiens, épistolaires ou verbaux, avec ses compatriotes, emploiera un "anglais indien" qui n'est pas l'anglais standard et il le fera avec un accent régional ou local. Le camionneur qui, à l'occasion, utilise l'anglais comme langue des échanges, a recours à un "anglais indien" qui n'est rien d'autre qu'un pidgin. C'est le deuxième de ces trois exemples qui illustre 1 "`anglais indien" typique et qui s'attire de fréquentes critiques de la part du corps enseignant Mâts ces critiques sont-elles justifiées? En fait, l'efficacité d'une variété se vérifie en dernière analyse par sa capacité à assurer la communication entre ses usagers. Il est évident que ce type d"`anglais indien" ne saurait être employé par le spécialiste qui s'adresse à un auditoire international; par contre, au niveau régional, il répond fort probablement aux besoins des usagers, comme le font toutes les variétés et les accents locaux » (voir aussi Kachru, 1981a).

Il n'est pas facile d'établir le nombre de locuteurs des diverses formes d'anglais importé à travers le monde (qu'il s'agisse de variétés régionales ou de pidgins). En fait on ne dispose d'aucune source sûre à ce sujet puisque l'anglais s'apprend partout dans le monde et de multiples façons. Certains l'apprennent dans des « ateliers d'anglais », dans les bazars, de gens qui savent à peine le parler, tandis que d'autres, plus fortunés, suivent les leçons de professeurs hautement qualifiés qui leur offrent des conditions d'appren­tissage idéales. Quelles que soient les statistiques réelles, le nombre de gens bilingues s'accroit rapidement et l'anglais s'est élevé au rang de langue universelle (voir Kachru, 1981b) grâce, surtout, à son utilisation comme langue importée. La diffusion de l'anglais se poursuit et se trouve maintenant entre les mains de locuteurs dont il n'est pas la langue maternelle; ce sont eux qui planifient et coordonnent la mission de l'anglais dans le monde en développement Le tableau qui suit, même s'il ne tient compte que des usagers qui sont inscrits dans les établissements traditionnels, donne un aperçu de la répartition géographique de l'anglais dans le monde.

Étude de l'anglais langue seconde

Pays Étudiants (en millions)

Inde 17,6

Philippines 9,8

URS.S. 9,7

Japon 7,9

Nigeria 3,9

Bengla Desh 3,8

Afrique du Sud 3,5

République fédérale d'Allemagne 2,5

Malaisie 2,4

France 2,4






716 LA NORME LINGUISTIQUE




Indonésie

1,9

Mexique

1,9

Corée du Sud

1,8

Pakistan

1,8

Kenya

1,7

Ghâna

1,6

Brésil

1,6

Égypte

1,5

Québec

1,5

Thailande

1,3

Taiwan

1,2

Sri Lanka

1,2

Pays-Bas

1,1

Iran

1,0

Tanzanie

1,0




Source: Gage et Ohannessian (1974).

Évolution des normes régionales

U est impossible de reconstituer avec précision l'évolution historique des modèles régionaux d'anglais. C'est plutôt l'évolution des attitudes à l'égard de ces variétés qu'il faut analyser. U s'agit en quelque sorte de faire le constat d'un comportement linguistique qui a toujours existé, mais dont le statut n'était pas reconnu. Les Indiens, les Africains, les Malais et les Philippins n'ont d'ailleurs jamais cessé d'être partagés entre mythe et réalité depuis que l'anglais s'est introduit dans leur système d'enseignement et leur réper­toire linguistique. En effet, la plupart des universitaires se faisaient les défenseurs d'un standard exogène sans se rendre compte qu'eux-mêmes affichaient, et du même coup apprenaient à leurs étudiants, un accent régional très marqué. Mais, ce qui est plus important encore, les innovations régionales en matière de vocabulaire et de prononciation (ex. africanismes, indianismes) acquéraient peu à peu droit de cité.

Cependant, le conflit d'attitudes à l'égard des variétés régionales a toujours persisté. C'est pourquoi l'étude du développement d'un modèle ne peut se limiter aux différents stades qui ont permis à une norme d'acquérir un statut en quelque sorte ontologique. Ces changements d'attitude ont été étudiés par Kachru (1982a); aussi nous contenterons-nous de résumer très brièvement la question en l'assortissant d'une mise en garde. Ces stades ne sont pas nettement définis et ne s'excluent pas les uns les autres; ils dépen­dent surtout de l'ampleur de la diffusion de la langue importée et de l'institutionnalisation de la variété en question. Il semble que le premier stade soit marqué par une non-reconnaissance de la variété régionale et par un sentiment d'indifférence à son égard. Le deuxième stade est celui de la reconnaissance de la variété régionale (indien, ceylanais, kenyan) que,

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cependant, on se défend de parler soi-même, ce qui révèle un net écart entre norme et comportement. Au troisième stade, cette attitude s'atténue et une opposition se dessine entre les tenants de la variété régionale et ceux du standard exogène (voir Kachru, 1982x: 39-40). Le phénomène ressort d'ailleurs clairement des données qui suivent, tirées d'un sondage effectué auprès d'usagers de l'anglais indien.

Tableau 1

Attitude des diplômés indiens à l' égard de divers modèles d'anglais et classement par ordre de préférence'

Modèle

I

Préférence

II


III

Américain

5,17

13,19

21,08

Britannique

67,60

9,65

1,08

Anglais indien

22,72

17,82

10,74

Indifférents




5,03




« Bon » anglais




1,08







Tableau 2










Préférence des professeurs en matière de langue d'enseignement

Modèle

I

Préférence

II


III

Américain

3,07

14,35

25,64

Britannique

66,66

13,33

1,53

Anglais indien

26,66

25,64

11,79

Ne savent pas




5,12







Tableau 3










Appréciation par les diplômés de l'anglais qu'ils parlent

Type d'anglais




Américain

2,58

Britannique

29,11

Anglais indien

55,64

Mélange des trois

2,99

Ne savent pas

8,97

« Bon » anglais

,27




Source: Kachru (1976: 230-232).

7. Sur l'échantillon et la méthode utilisée pour cette étude pilote, voir Kachru, 1975x, 1976.

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Enfin, une fois atteint le dernier stade, le matériel pour l'enseignement de l'anglais est adapté au contexte local; l'anglais n'est plus enseigné seule­ment dans le but d'intégrer l'autre culture, mais plutôt de mettre les étudiants en présence de la leur. 1 s'agit d'utiliser une langue de l'« extérieur » à un usage « intérieur ». La « fenêtre sur le monde », ou « la langue des livres », devient une fenêtre sur sa culture, son histoire et ses traditions propres. De plus, la variété crée ses propres registres et devient, ne serait-ce que pour une minorité, un instrument de création (voir Kachru, 1981x, 1982c et 1982d). L'anglais devient en ce sens partie intégrante des traditions littéraires et culturelles régionales (voir, par ex., Sridhar, 1982).

Les différents niveaux de la norme

En général, le mot « norme » ne s'applique pas exclusivement aux niveaux phonétique et phonologique. La variété peut en effet se distinguer par des caractéristiques propres au lexique, à la grammaire ou au discours. Toutefois, c'est d'abord et avant tout la prononciation (appelée générale­ment « accent ») qui fait l'objet de critiques et d'intolérance; c'est surtout à cet aspect de l'usage que sont consacrés les manuels. Souvent les traits qui caractérisent le lexique, la syntaxe, la grammaire et le discours d'une variété sont stigmatisés comme des « fautes ». Plusieurs études ont déjà été con­sacrées à ce sujet et je ne m'y attarderai donc pas ici (voir Kachru, 1982b).

Ce n'est qu'au cours des années 1960 qu'est étudiée dans les ouvrages de linguistique la question de la différence entre « faute » et « déviation » au sujet des anglais importés. (Pour une bibliographie et une discussion, voir surtout Kachru, 1982x.) La déviation à différents niveaux est directement fonction du degré d'« indigénisation » (voir Kachru, 1981a et Kachru et Quirk, 1981). L'attitude face à l'indigénisation est fonction pour sa part du degré d'institutionnalisation de la variété, qui dépend, à son tour, de sa diffusion et de sa pénétration dans un contexte donné. La diffusion d'une variété consiste dans son usage dans différents contextes culturels, éducatifs et commerciaux. Plus l'éventail des fonctions est vaste, plus il se développe de sous-variétés. Par « pénétration » nous entendons l'enracinement du bilinguisme dans les diverses couches de la société.

Les attitudes qu'engendrent les caractéristiques propres à une variété (lexicales et grammaticales, par exemple; voir Smith, 1981; Kachru, 1982¢; Bailey et Goriach, 1982) dépendent, dans une large mesure, de ce que cette variété est utilisée comme langue première ou comme langue seconde. Qualifier un mot, ou une forme, d'américanisme, d'australianisme ou de canadianisme, c'est une façon d'indiquer qu'il y a déviation par rapport à l'anglais de la mère-patrie. L'histoire des conflits d'attitudes, même à l'égard des variétés naturelles transplantées, est extrêmement intéressante et a fait l'objet de nombreux ouvrages d'érudition ou de vulgarisation". Celle

8. Pour discussion sur le sujet et références, voir entre autres Finegan, 1980; Heath 1977; Kahane et Kahane, 1977; Kachru, 1982¢; Mencken, 1919.

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des variétés importées et institutionnalisées est toutefois plus complexe. Dans ces variétés, la déviation est depuis toujours qualifiée de « faute » ou d'« erreur ». Par tradition, c'est le locuteur parlant sa langue maternelle qui fixe les limites linguistiques ou contextuelles de l'acceptable'.

II est manifeste que, dans le cas de l'anglais, la notion de « locuteur natif » a une valeur douteuse"'. L'anglais étant utilisé par des gens de culture et de langue différentes dans une multitude de contextes internationaux et nationaux, il convient d'examiner les « déviations » dans le cadre de ces contextes fonctionnels, ce qui soulève une autre question essentielle à la compréhension des rapports existant entre les variétés régionales et la norme: quelles sont les causes des déviations?

Dans les variétés régionales importées, il n'est pas possible de consi­dérer systématiquement les déviations comme des aberrations linguistiques résultant d'une déficience d'apprentissage. Cette généralisation hâtive aurait le tort de faire oublier les causes sous-jacentes profondes qui sont à l'origine des innovations, et reviendrait à passer outre au contexte dans lequel fonc­tionne la langue. L'acculturation d'une variété se produit sur une certaine période de temps et dans un cadre qui, incontestablement, est « non anglais »Il. (On trouvera un certain nombre d'études de cas dans Kachru, éd., 1982e.) La langue anglaise n'est plus un véhicule de la culture occiden­tale; elle ne sert plus que marginalement à répandre les modes de vie amé­ricain et britannique. En 1956, le linguiste britannique J.R Firth faisait re­marquer à juste titre (Firth 1956, in Palmer 1968: 97):

« . . . L'étude de l'anglais couvre un domaine si vaste qu'elle doit être cir­conscrite pour être réalisable. Premièrement, l'anglais est une langue interna­tionale dans les pays du Commonwealth, dans les colonies et aux États-Unis. L'anglais est international en ce sens qu'il véhicule le mode de vie américain, et peut être appelé "américain"; mais 6 véhicule aussi le mode de vie de l'Inde et il a été déclaré récemment langue indienne dans le cadre de la constitu­tion fédérale. Dans un autre sens, son internationalisme s'étend non seule­ment à l'Europe, mais aussi à l'Asie où il s'approprie de plus en plus le rôle de langue de la politique, et en Afrique où 9 est le véhicule de différents modes de vie. Deuxièmement, et c'est à dessein que je dis deuxièmement, l'anglais est le véhicule de ce qu'il est devenu un lieu commun d'appeler le "mode de vie britannique". »



9. Conune j'ai maintes fois traité de ce point, l'assortissant d'exemples (Kachtu, 1965 et sui­vantes), je ne m'y attarderai pas ici.

10. Notons, par exempte, le commentaire de C.A Ferguson (dans Kachru 1982e: vii):



« Depuis longtemps, la linguistique-les linguistes américains en particulier-font une place privilégiée au "locuteur natif' et le considèrent comme la seule source vraiment fiable d'infor­mation lingusüque, qu'il s'ags' se des textes dépouillés par les descriptlvistes ou des intuitions du théoricien qui les traite. Pourtant, une grande partie des communications verbales dans le monde s'effectue par l'intermédiaire de langues qui ne sont pas, la "langue matemeile" du locu­teur, mais bien sa seconde, troisième ou ennième langue... A vrai dire, tout ce mythe du bcuteur nattt et de ta tangue maternelle devrait sans doute disparaître tout simplement de la panoplie de mythes qu'entretiennent les linguistes sur le langage. »

I1. Voir Kachru, 1965 et suivantes pour une analyse de ce phénomène du contexte sud­

asiatique; pour l'anglais africain, voir Bokamba, 1982 et Chishimba, 1981.


LA NORME LINGUISTIQUE

Ainsi donc, l'anglais est un instrument qui, dans ses diverses manifes­tations - en Orient comme en Occident - subit des adaptations culturelles. En Asie du Sud, l'anglais traduit le mode de vie, les systèmes administratif et pédagogique de l'Inde, du Sri Lanka, du Pakistan. Les caractéristiques for­melles indigénisées acquièrent un contexte pragmatique et un cadre de référence nouveaux, tous deux fort éloignés de ceux qu'elles possèdent dans les cultures américaine et britannique. Dans diverses études (voir Kachru, 1965 et suivantes; en particulier, 1982b) j'ai donné un certain nombre d'exemples où les déviations tiennent à la « signification sociale » du texte, signification propre à la culture dans laquelle l'anglais fait office de langue importée. Je me permets d'en citer ici les extraits pertinents (1982b: 329-330):

« L'acculturation semble procéder de deux opérations. L'une entraîne la déculturation de l'anglais, tandis que la seconde produit l'acculturation dans un nouveau contexte et donne à l'anglais une identité propre dans son nouveau rôle. Les Indiens, parlant de leur anglais, expriment ce double processus par le composé sanskrit dvija (deux fois né). (A l'origine, ce terme s'appliquait aux brahmanes, pour qui l'initiation devait constituer une seconde naissance.) Firth (1956 in palmer 1968: 96) a donc raison d'affirmer que "l'Anglais doit se désangliciser", tout comme, pourrions-nous ajouter, l'Américain doit "désa­méricaniser" son attitude face à de telles variétés pour pouvoir mieux com­prendre cette acculturation des formes d'anglais (voir Kachru, 1982c).

Cette insertion de l'anglais dans de nouvelles nonnes culturelles et linguistiques de communication nous fonce à réviser nos paramètres linguistiques et con­textuels pour comprendre les nouveaux types de langues et de discours. Ceux qui sont étrangers à ces cultures doivent effectuer une mutation de variétés pour pouvoir saisir la façon de parler et d'écrire ces variétés. C'est un état de fait qu'il n'est pas possible d'appliquer les nommes d'une variété à une autre. Lorsque je dis "norme", je ne fais pas allusion aux seules déviations formelles (voir Kachru, 1982a), mais bien à l'univers sous-jacent au discours qui fait de l'interaction linguistique un plaisir et lui confère une "signification". a s'agit de tout le processus qui consiste, comme le dit Halliday, à apprendre "comment signifier" (1974). Nous sommes là en présence d'un concept profondément culturel. Idéalement, pour comprendre l pensée d'un bilingue et son utilisa­tion du langage, fi faudrait être soi-même bilingue et biculturel, pouvoir réagir de la mème façon aux événements, aux normes culturelles et interpréter (usage de la L_ dans le cadre de ce contexte; il faudrait percevoir comment le contexte culturel se manifeste dans la forme linguistique, dans le nouveau registre sty­listique et dans les présupposés qu'a le locuteur sur les énoncés faits dans la L_. C'est vraiment tout un programme!

De façon générale, cette redéfinition de l'identité culturelle des variétés im­portées a été négligée. Les études dont ce domaine a fait l'objet se résument, essentiellement, à trois types: le premier, et naturellement le plus important, puisque ces études portent sur les questions pédagogiques, interprète toute déviation comme un manquement à la norme et, partant, comme une "faute". Le souci de la norme y est tel que toute innovation étrangère au code du locu­teur parlant sa langue maternelle est considérée comme une aberration lin­guistique et que bout locuteur qui commettrait trop souvent ce genre de fautes, ferait preuve d'insuffisance ou d'aliénation linguistique. Le deuxième type d'études s'attache aux caractéristiques formelles sans chercher à les rattacher à leur fonction ni à identifier les causes contextuelles des innovations. Ce fossé entre emploi et usage a masqué bien des facteurs sociolinguistiques importants. Le troisième groupe d'études s intéresse aux "littératures de contact", expres-


NORMES RÉGIONALES DE L'ANGLAIS



sion sans doute calquée sur celle des "langues de contact". Ces littératures sont le produit de communautés linguistiques multiculturelles et multilingues et dé­bordent la littérature anglaise pour englober les "littératures en langue anglaise". La plupart de ces études s'attachent plus aux thèmes qu'au style. » (Pour plus de précisions, voir Sridhar, 1982.)

Norme et intelligibilité

L'un des principaux avantages d'une norme est d'assurer l' intelligi­bilité (voir Nelson, 1982; Smith, 1979) 'z entre locuteurs de différentes va­riétés régionales d'anglais. A ce titre, la norme serait vitale à la communica­tion. Selon moi, s'appuyer avec le moindrement de rigueur sur le concept d'intelligibilité pose au moins trois problèmes. Premièrement, bien que ce terme soit omniprésent dans les traités pédagogiques et les études sur l'apprentissage des langues secondes, il désigne malheureusement l'aspect le moins étudié et le plus nébuleux des situations interculturelles et inter­linguistiques. Deuxièmement, toute la recherche faite sur les variétés d'an­glais langue seconde porte principalement sur la phonétique, en particulier sur les phonèmes. Nelson (1982) s'est penché sur les limites des recherches de cet ordre. Pour leur part, les interférences qui nuisent à l'intelligibilité à d'autres niveaux, en particulier dans les unités significatives, ont à peine. été étudiées (voir Kachru,1982b). Troisièmement, lorsqu'il s'agit de l'anglais, 9 faut préciser clairement qui est en cause dans l'interaction linguistique. Quel rôle joue le verdict du locuteur parlant la langue maternelle lorsqu'il s'agit de juger de l'intelligibilité d'énoncés émanant de locuteurs non anglo­phones de naissance, d'énoncés qui remplissent une fonction « intra­nationale », en Asie ou en Afrique, par exemple? Les actes de parole con­formes à une variété donnée sont essentiels à la communication, comme l'ont montré Chishimba (1981) et Kachru dans divers travaux (1982e). Certes, pour les échanges internationaux, 9 serait justifié d'affirmer que le modèle pourrait être le locuteur idéal parlant sa propre langue. Mais, lorsqu'il s'agit de variétés institutionnalisées, ce locuteur n'est pas partie à la situation de parole réelle. Les emplois régionaux sont fonction du contexte de chacun des pays où l'anglais se parle, et la ressemblance phonétique n'est qu'un aspect de l'acte de langage. L' étendue des champs lexicaux et les caractéristi­ques stylistiques et rhétoriques de la variété sont foncièrement différentes de celles que connaît le locuteur natif.

Combien d'usagers des variétés institutionnalisées recourent à l'anglais dans leurs échanges avec des anglophones de naissance? J'ai montré dans le cadre d'une étude pilote (Kachru, 1976: 233) que, de tous les usagers de l'anglais indien, seule une fraction a des contacts avec des locuteurs dont l' anglais est la langue maternelle. Ainsi, chez les membres du corps professoral des universités et collèges étudiés, 65,64% n'avaient que des rapports occa­sionnels avec des anglophones de naissance, tandis que 11,79% n'en avaient jamais. Seulement 5,12% des usagers affirmaient avoir des contacts quoti­

12. On trouvera une liste exhaustive de références sur cette question dans Nelson, 1982.

722 LA NORME uNGuisTiQuE



diens avec cette catégorie de locuteurs. Je tiens toutefois à souligner que cette enquête ne portait que sur un groupe très restreint d'usagers indiens de l'anglais, c'est-à-dire des professeurs d'anglais enseignant au niveau supérieur (voir Kachru, 1975a et 1976). Une enquête portant sur des pro­fesseurs qui n'enseignent pas l'anglais donnerait des résultats différents, surtout au niveau supérieur. Alors, quelle est donc la nature du problème? La question est plus complexe que la recherche veut bien le laisser croire.

D n'est certes pas question de traiter la question du point de vue d'une norme unique. Comme dans le cas des variétés naturelles, l'intelligibilité des variétés institutionnalisées (importées) d'anglais est sujette à un conti­nuum. L'intelligibilité au sein d'un groupe élargi dépend de divers para­mètres sociolinguistiques relatifs à l'aire géographique, à l'âge, à l'instruc­tion et à la situation sociale. Ward (1929: 5) esquisse la situation en Grande­Bretagne:

« ll semble évident que, dans un pays de la taille des Iles britanniques, tous les locuteurs utilisant l'anglais devraient être en mesure de se comprendre. A l'heure actuelle, il n'en est rien: celui qui parle le cockney n'est pas compris de celui qui parle le dialecte d'Édimbourg, Leeds ou de Truro, et même les locuteurs qui s'expriment dans le dialecte de régions encore plus rapprochées que celles-là auront encore du mal à se comprendre. »



Cette remarque, faite il y a plus de cinquante ans, a conservé toute sa valeur. On pourrait même ajouter qu'aux États-Unis, le pluralisme ethni­que, culturel et linguistique rend la situation encore plus complexe (voir Ferguson et Heath, 1981). Si maintenant nous étudions le cas de l'anglais langue seconde en Afrique, en Asie ou dans le Pacifique, le tableau devient extrêmement confus.

Mais, sur le plan pratique, le problème a tout de même un bon côté. En effet, ce qui apparaît comme une situation linguistique complexe en Grande-Bretagne, en Amérique, en Afrique ou en Asie du Sud, se simplifie

pour autant que l'on modifie sa perspective. À l'aide de son diagramme conique (reproduit dans Ward, 1929: 5) Daniel Jones a montré qu'à mesure que nous nous rapprochons du sommet, les divergences qui subsistent sont tellement infimes que seule une oreille très exercée peut les discerner (Ward, 1929: 6). Ward avance l'argument de la « convenance ou adéquation » (p. 7), alléguant que « le dialecte régional peut suffire aux gens qui n'ont pas besoin de sortir de leur milieu géographique. »



Je vois ici un parallélisme très net entre les variétés naturelles d'an­glais et ses variétés importées et institutionnalisées. L'intelligibilité est relative, selon que l'on considère la sous-région, la nation, les divisions politiques de la région (ex. Asie du Sud, Asie du Sud-Est) ou, enfin, le monde dans ses échanges internationaux. D est vrai que l'anglais standard, que ce soit celui de l'Inde, de Singapour, du Nigeria ou du Kenya, n'est pas identique à la PS ou à l'ASA; il est différent et il est normal qu'il le soit. Est-ce que ces variétés posent des problèmes d'intelligibilité plus graves que ceux que rencontre, par exemple, un Néo-Zélandais discutant avec un Américain du Midwest?

NORMES RÉGIONALES DE L'ANGLAIS



Dans certaines situations, les marques distinctives sont des indices souhaitables de l'identité. En effet, ces marques formelles assurent une iden­tité régionale et nationale et favorisent la prise de contact immédiate entre les habitants d'une même région ou d'un même pays. La volonté de préserver ces marques distinctives se reflète dans les propos du délégué de Singapour aux Nations Unies, T.T. Koh: « .. . Lorsque l'on est à l'étranger, que ce soit à bord d'un avion, d'un autobus ou d'un train, on distingue immédiate­ment à son accent un Malais d'un citoyen de Singapour. Pour ma part, j'ose espérer que lorsque des compatriotes m'entendent parler à l'étranger, ils devinent immédiatement que je suis de Singapour » (cité dans Tongue, 1974: iv). Il y a près d'un demi-siècle, le linguiste britannique J.R. Firth (1930: 196) formulait la même idée dans un contexte plus large et en termes plus forts. II rejetait « l'anglais honteusement négatif » qui « masque effective­ment l'origine sociale et géographique ». II allait même plus loin, accusant de telles tentatives « de supprimer tout ce qui est vital dans le langage ».

Attitudes à l'égard des normes régionales

Arrêtons-nous un instant à étudier l'attitude de deux groupes différents à l'égard des normes régionales de l'anglais. Le premier groupe est constitué de locuteurs dont l'anglais est la langue maternelle et dont le jugement en cette matière a toujours été considéré comme primordial. L'attitude de ce groupe se manifeste de trois façons: d'abord dans le matériel didactique qu'il produit à l'intention des locuteurs étrangers. Jusqu'à récemment, ce matériel visait à faire connaître au lecteur la culture occidentale (britannique ou amé­ricaine), situation qui tend à se modifier lentement. Deuxièmement, l'attitude de ce locuteur transparaît dans les ouvrages destinés expressément à la for­mation des professeurs d'anglais langue seconde: les auteurs de ces ouvrages ne font aucun effort pour montrer l'institutionnalisation de l'anglais dans d'autres cultures ou pour dépeindre les contextes non occidentaux où l'an­glais s'est indigénisé. Troisièmement, ce groupe mentionne à peine la litté­rature à laquelle les anglais importés ont donné- naissance et l'usage qui pourrait être fait de ce corpus littéraire. Les études sur l'anglais dans les différentes cultures se situent, ou bien dans la ligne extrême d'un Prator par exemple (1968), ou bien dans celle de Smith (voir en particulier l'intro­duction de Kachru et Quirk). Le point de vue exposé par Smith (1981) ou Kachru (1982e) n'est partagé que par un petit nombre et n'est donc pas représentatif de l'ensemble des linguistes.

Le fait que les usagers des anglais importés n'aient pas fait montre d'une fidélité commune à l'égard des nommes régionales ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu réflexion sur le sujet. Le vieux désaccord sur le comportement lin­guistique réel et la nomme s'est modifié et on est de plus en plus conscient de l'aspect pragmatique du langage. L 3 débat est tantôt directement, tantôt indirectement relié à la question. Loin d'être nouveau, son origine remonte au moment où fut reconnue l'institutionnalisation de l'anglais et que cette langue - malgré l'attitude qui régnait envers le suzerain britannique - passait au rang d'élément important du répertoire linguistique régional.

LA NORME LINGUISTIQUE



Ainsi, en Inde, le pédagogue et spécialiste de l'anglais Amar Nath Jha, disait, en 1940, de façon presque ironique:

« Puis-je ... me permettre de plaider en faveur de l'usage, du maintien et de la promotion de l'anglais indien? ... Avons-nous quelque raison d'avoir honte de l'anglais indien? Qui donc, dans les Provinces-Unies (Uttar Pradesh) ne com­prendra pas le jeune homme qui, ayant mérité un freeship au collège, dit qu'il va se joindre à la teachery profession, et qui, après quelques années, est engagé dans la headmastery? De même, pourquoi devrions-nous adopter mares nest et nous objecter à horse's egg, si fréquent dans les colonnes dAmrita Bazar Patrika? Pourquoi devrions-nous dire all this, alors que this ail est dans l'ordre naturel que suggère l'usage de notre langue? Pourquoi insister pour que yet suive though alors qu'en hindoustani, nous utilisons l'équivalent de but? Faut-il condamner la phrase qui suit parce qu'elle n'est pas conforme à l'anglais, alors qu'elle traduit littéralement sa version dans notre propre langue? 1 shall not pay a pice what to say of a rupee. Y a-t-il quelque motif rationnel de rejeter family members et d'accepter members of the family? Un peu de courage, un peu de détermination et un sain respect de nos langues propres et nous aurons avant longtemps un anglais indien viril et vigoureux » (cité dans Kachru, 1965).

Dustoor (reproduit dans Dustoor, 1968: 126; voir aussi Kachru, 1982c) affirme de façon encore plus catégorique que « notre anglais aura toujours une saveur plus ou moins indigène. Il faut s'attendre à ce que dans notre imagerie, notre choix des mots, dans les nuances de sens que nous leur conférons, nous soyons différents des Anglais autant que des Américains ».

ll n'existe pas d'études empiriques approfondies sur ce que pensent les maîtres, les étudiants et les pédagogues d'un standard exogène. Ce­pendant, dans les régions où l'anglais est institutionnalisé (ex. Afrique, Asie, Pacifique), les pédagogues ne manquent pas de discuter de cette ques­tion entre eux, ou de l'aborder par ricochet lorsqu'ils traitent d'autres sujets relatifs aux variétés régionales. Bamgbose (1971: 41) indique clairement qu'au Nigeria « le but n'est pas de produire des usagers de la prononciation standard (en supposant que ce soit possible)... Nombre de Nigérians trou­veront affectés, voire pédants, leurs compatriotes qui parlent comme des anglophones de naissance ». Au Ghâna, on attendra d'un Ghanéen instruit qu'il emploie, comme le dit Sey (1973: 1), la variété soutenue régionale qui n'est pas, toujours selon Sey, « le genre d'anglais qui s'efforce avec ostentation de ressembler à la PS.. . ». L'imitation de la PS « est mal vue, perçue comme mauvais goût et pédanterie ».

L'imitation de standards exogènes tels que la PS et l'ASA provoque la même réaction en Asie du Sud. Au sujet du Sri Lanka, Passé (1947: 33) note ce qui suit:

à « U est à souligner également que les Ceylanais qui parlent l' "anglais standard" sont en général impopulaires. U y a plusieurs raisons à cela: ou bien ceux qui le parlent appartiennent à la classe privilégiée et ont une bourse bien garnie ui leur permet de fréquenter les écoles et universités anglaises; ils déplaisent onc trop pour qu'on les imite; ou bien, assez péniblement, ils ont acquis pour des raisons d'ordre social ce genre de parler, et ils sont considérés comme de vulgaires imitateurs de leur modèle. Us sont isolés par leur anglais, que la ma­jorité de leurs compatriotes ne peuvent ou ne veulent parler... L anglais standard est donc assez rial perçu lorsqu'il est parlé par un Ceylanais. »

NORMES RÉGIONALES DE L'ANGLAIS



Depuis une cinquantaine d'années, on favorise plutôt la norme ré­gionale au Sri Lanka (voir Kandiah, 1981). Aux Philippines, « le type d'anglais parlé par les Philippins cultivés, et acceptable dans les milieux cultivés, est 1"`anglais standard philippin" » (Llamzon, 1969: 15).

Les observations qui précèdent montrent que l'adhésion incondition­nelle à un standard exogène est contraire aux attitudes en vigueur. Dans la plupart des cas, les débats sur le sujet portent spécifiquement sur la norme de la langue parlée. L'innovation lexicale pour sa part a toujours été reconnue comme légitime et comme étant un signe d'indigénisation. (J'ai traité de cette question en détail dans Kachru, 1973, 1975 et 1980.) Cependant, l'in­digénisation ne se révèle pas que dans la phonologie et le lexique. Comme je rai mentionné ailleurs (voir Kachru, 1982: 7), elle se manifeste aussi dans les collocations, dans la simplification ou la surgénéralisation syntaxi­ques, et dans l'emploi de procédés stylistiques ou rhétoriques indigènes. Bref, l'indigénisation confectionne à la langue importée un nouvel environ­nement Qui est en droit de remettre en question la justesse (ou l'accepta­tion) de formations telles que swadeshi cloth, military hotel (hôtel où l'on sert de la viande) ou lathi charge dans l'anglais indien, de dunno drums, bodim bead, chewing-sponge ou knocking fee en Afrique, ou encore de minor-wife dans l'anglais thaïlandais?

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