Conclusion
Si le débat sur la norme en matière d'anglais régionaux n'est pas terminé, il tend à se détourner de la codification et à devenir plus réaliste (voir Strevens, 1981). De plus, tant dans les esprits que dans la pratique pédagogique, les variétés importées soutenues tendent à se voir reconnaître et défendre de plus en plus (voir Kachru, 1982e et Smith, 1981). Une distinction s'établit entre l'usage national et l'usage international de l'anglais, et les innovations indigènes sont maintenant perçues comme des ressources stylistiques essentielles aux différentes littératures de langue anglaise. L'opinion évolue et, de plus en plus, les variétés régionales sont considérées, non plus comme déficientes, mais bien comme différentes.
Il importe de se rendre compte que plusieurs tendances marquent la diffusion actuelle de l'anglais. En effet, comme nous l'avons indiqué plus tôt, l'anglais risque de compter bientôt plus de locuteurs le parlant comme langue acquise que comme langue maternelle. Ces locuteurs majoritaires sont de tous niveaux; certains sont bilingues, d'autres parlent un très mauvais anglais. Cependant, chaque sous-variété joue son rôle fonctionnel. Deuxièmement, la diffusion de l'anglais est, dans une proportion croissante, l'oeuvre de ces usagers étrangers qui ont instauré des normes différentes de la PS et de rASA Dans certains cas, les déviations tiennent à des raisons économiques ou autres, comme l'absence de professeurs compétents et le manque de matériel pédagogique. C'est ainsi que la norme américaine
LA NORME LINGUISTIQUE
ou britannique n'est jamais enseignée aux élèves qui apprennent l'anglais. Dans d'autres cas, la reconnaissance de la norme régionale sert d'antidote contre la saveur « coloniale » et « occidentale » que l'on associe à l'anglais; c'est là une façon d'exprimer ce que l'on pourrait appeler « l'émancipation linguistique ». Mais il y a encore d'autres causes plus importantes. En effet, il semble que ce soit là la façon dont fonctionnent les langues; rappelons le cas du latin, qui nous a donné les langues romanes, et du sanskrit qui, malgré une codification stricte, a engendré de nombreuses variétés régionales en Asie du Sud. En outre, il est indubitable que l'apparition de nouvelles littératures de langue anglaise (littératures de contact) a contribué à la « nonnormalisation » de l'anglais dans le monde. Les innovations les plus intéressantes sont le résultat de contacts de ce genre.
La complexité des fonctions de l'anglais dans les différentes langues et cultures rend forcément incomplet tout propos sur sa nature internationale. Ainsi, la morale de la fable orientale de l'éléphant et des quatre aveugles devrait nous servir d'avertissement et nous inciter à effectuer, avec tout le sérieux qui s'impose, des études empiriques sur les différentes cultures de façon à saisir l'ensemble de la situation.
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XXVII
La codification de l'anglais canadien
par Grace Jolly
« Though in many respects [... ] Canadian English follows British rather than United States practice, and has a modest area of independent lexical use [... ] in many other respects it has approximated to AmE [Arnerican English], and in the absence of strong institutionalizing forces it seems likely to continue in this direction. ».
- Quirk, Greenbaum, Leech and Svartvik
« The Canadian writer must uninvent the word. He must destroy the hornonymous American and English languages that keep him from hearing his own tongue. But to uninvent the word, he knows, is to uninvent the word. He writes then, the Canadian poet [... ] knowing that to fait is to fait, to succeed is to fail. »
- Kroetsch
II m'a semblé utile de commencer le présent article sur la standardisation de la langue anglaise au Canada par ces deux citations. La première est le commentaire objectif et détaché des linguistes britanniques qui nous ont donné A Grummar of Contemporary English (Quirk et al., 1972: 18). La seconde est le constat poignant et paradoxal d'un écrivain canadien en quête d'un langage authentique qui puisse exprimer son milieu et son époque (Kroetsch, 1974: 1).
L'anglais canadien: une langue anglaise
L'anglais canadien, avant tout, est une variété d'une langue supranationale extrêmement répandue et influente. En effet, quel que soit l'aspect considéré -le nombre et la puissance de ses usagers, sa diffusion géographique ou encore sa fréquence d'utilisation dans les ouvrages scientifiques ou littéraires -, Quirk et ses collègues estiment que la langue anglaise est avant toutes choses la plus internationale des langues, que c'est aussi la langue des échanges qui a, par rapport à toutes les autres langues vivantes, le moins de spécificité culturelle ou politique (1972: 6). A côté de cette langue supranationale, ou internationale, coexistent diverses nonnes nationales bien distinctes, dont les variétés britannique et américaine sont les
Traduction. Lily Gaudreault
Révision: Francine Paradis et Jean Darbelnet
LA NORME LINGUISTIQUE
mieux définies et les plus solidement établies. Il existe par ailleurs d'autres normes nationales, moins distinctes et moins institutionnalisées, comme celles de l'Écosse, de l'Irlande, du Canada, de l'Afrique du Sud, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, parmi lesquelles l'anglais écossais, avec son pendant littéraire, le lallans, est le mieux établi et sans doute le plus viable de tous.
Les auteurs de A Grammar of Contemporary English considèrent que la position de l'anglais canadien face à l'américain est comparable à celle de l'anglais irlandais (hibemo-anglais) et de l'anglais écossais face à l'anglais britannique. La proximité et la force de la communauté majoritaire, la mobilité de la population et les liens culturels et économiques étroits sont autant de facteurs qui contribuent à inhiber la formation de caractéristiques linguistiques distinctes dans les petites communautés et à les entraîner dans le courant dominant (Quirk et al., 1972: 18). Toutefois, la littérature, l'attitude de la communauté et de solides traditions en matière d'enseignement, peuvent contribuer à maintenir les différences, comme le montre l'exemple écossais.
Il est vrai que les langues anglaises parlées de part et d'autre de la frontière canado-américaine ne diffèrent que sous très peu d'aspects, si bien que certains linguistes les ont simplement assimilées sous la rubrique « langue américaine standard » (General American). 1 est vrai aussi que les forces normalisatrices qui pourraient différencier les variétés canadiennes de l'américain sont extrêmement faibles. Cependant, les caractéristiques linguistiques seules ne suffisent pas à déterminer à quelles langues standard appartiennent des variétés parfois issues d'une même langue supranationale. La langue standard se définit par des critères sociolinguistiques, et non uniquement linguistiques, et si faibles soient-elles, les forces normalisatrices sont néanmoins présentes et leur effet global est souvent imprévisible.
Conscients du fait que la différenciation d'une langue est souvent le résultat à long terme d'un isolement social ou géographique, Quirk et ses collègues conduent au phénomène inverse, à savoir que le contact intense entre les communautés américaine et canadienne de langue anglaise doit nécessairement provoquer la concordance de leurs langues. Mais Labov, par ses études exhaustives de l'américain, fait apparaître sous un nouvel éclairage l'incidence du contexte social sur l'évolution linguistique:
« [... ] la diversification des dialectes persiste en dépit de l'omniprésence des médias et du contact étroit des groupes sociaux en présence. Le fait que le phénomène de diversité linguistique n'est pas automatiquement associé à l'isolement porte à croire qu'il est peut-être également relié au processus normal de communication directe » (1972: 324).
L'observation de l'anglais canadien, qui dans son évolution continue « d'osciller » entre les deux principales tendances linguistiques anglophones, peut nous apporter de nouvelles clés pour la compréhension de la convergence et de la différenciation linguistiques.
LA CODIFICATION DE L'ANGLAIS CANADIEN
L'anglais canadien: une langue canadienne
La pluralité des opinions qui ont cours quant au statut de l'anglais canadien par rapport aux diverses langues anglaises du monde, et la difficulté de le situer de l'un ou l'autre côté, américain ou britannique, révèlent bien la nature difficile et complexe de « la codification de l'anglais canadien ». L'anglais canadien fut tour à tour considéré comme un anglais britannique corrompu, une branche de l'américain, une langue transitoire devant tôt ou tard s'assimiler à celle de son puissant voisin, une langue nationale existant de plein droit, une langue en gestation, inexistante encore, ou une vue de l'esprit, fruit d'une imagination nationaliste optimiste.
Il y a cinq ans, lorsqu'on proposa la création d'un cours d'anglais canadien de deuxième et troisième cycle à l'Université York, un professeur anglophone originaire d'un pays du Commonwealth répondit: « L'anglais canadien, cela n'existe pas. Les Canadiens, je les comprends parfaitement! »
A cela, on ne peut que rétorquer: « Non, pas parfaitement. » Malheureusement, les universitaires qui nient l'existence de l'anglais canadien, prétendant comprendre parfaitement les Canadiens anglais, sont plus nombreux que l' on ne voudrait. Dans la préface de The Gage Canadian Dictionary,
(1973: vi), Avis souligne:
« . . . Certaines personnes, particulièrement celles qui arrivent du Royaume-Uni, nient que (anglais parlé au Canada puisse prétendre à une certaine autonomie. D'autres encore, qui elles-mêmes parlent l'anglais canadien, sont néanmoins convaincues que l'anglais britannique représente la seule norme acceptable. Pour elles, l'idée que des Canadiens instruits établissent leur propre norme de langage est à la fois une trahison et une dérision. »
Bien peu de choses ont changé depuis qu'Avis écrivit ces lignes. En 1981, la plupart des auditeurs qui ont téléphoné à la Société Radio-Canada pour se plaindre de présumées fautes d'usage, s'exprimaient dans une variété d'anglais britannique, et nombre d'entre eux affirmaient « que jamais pareille erreur ne se serait produite à la B.B.C. ».
Voilà pour les gens de l'extérieur. Il s'en trouve pourtant un parmi les nôtres qui persiste à dire que « l'existence de l'anglais canadien est illusoire, et que toute tentative d'imposer une norme fictive serait faite au mépris des parlers régionaux, comme celui qui est en usage à Terre-Neuve » (Story, 1972: 322).
Svejcer, pour sa part, qui dénie également un statut particulier à l'anglais canadien, affirme que les particularités linguistiques de l'anglais canadien ne ressortissent pas aux types de variation de forme et de fonction caractéristiques des langues standard, mais constituent au contraire des variantes hybrides. Parlant des zones hybrides, il fait remarquer que
« ... i! faudrait évidemment y inclure le Canada, pays où l'anglais canadien ne comporte que très peu de traits distinctifs qui lui sont propres et qui, en plus, subit la pression des variantes britannique et américaine, cette dernière étant nettement prédominante » (1978: 17).
LA NORME LINGUISTIQUE
Dans son ouvrage intitulé Canadian English: Origins and Structures, J.K. Chambers a judicieusement mis en parallèle un article de Marton Bloomfield (1975 [1948]: 3-11) et un de M.H. Scargill (1975: 12-15) qui représentent les deux pôles du débat actuel sur les origines de l'anglais canadien. Bloomfield, tout comme Alexander, le mentor d'Avis (1962 [1940]: 173), traite l'anglais canadien comme une branche de l'américain standard, tout au plus, et ne suggère d'approfondir son étude qu'en vue de mieux comprendre l'histoire de l'anglais américain. Dans l'article que nous avons cité, et dans d'autres plus récents, notamment dans Short History of Canadian English (1977), Scargill attribue aux colons britanniques des XVIlle et XIXL, siècles un rôle capital dans la formation de l'anglais canadien, et bien qu'il ne nie pas l'influence américaine, il situe son impact à une époque ultérieure. En 1959, Schlauch écrivait que les variétés régionales de l'anglais américain et canadien sont issues des diverses formes d'anglais parlées par les colons aux XVIIIe et XIXe siècles en Amérique; elle restreint toutefois son étude à des données recueillies aux États-Unis, puisqu'au Canada il n'existe toujours aucune documentation à ce sujet (1959: 179).
En 1954, Walter Avis, doyen des linguistes lexicographes canadiens, a décrit l'anglais canadien comme étant le prolongement de la langue parlée dans le Nord des États-Unis, mais comportant suffisamment de caractères différents propres pour constituer une aire linguistique secondaire au sein d'une aire englobante (1975: 68). Il en donne la description suivante:
« [... ] un dialecte qui s'apparente à l'anglais américain à certains égards et à l'anglais britannique à certains autres, et comporte en même temps un grand nombre de composantes purement canadiennes » (1978: 39).
Selon lui, cette « mixité » aurait ses racines dans l'histoire de la colonisation au Canada.
Donc, pour arriver à définir l'anglais canadien, à la fois si proche et si différent de l'américain, il serait utile de rappeler rapidement quelques jalons de la colonisation au Canada anglophone.
Selon nous, la particularisation de l'anglais canadien ne résulte pas uniquement de l'histoire de la colonisation du Canada anglophone, mais aussi du fait que la communauté anglaise a été en contact avec la vaste communauté canadienne-française. Nous étudierons successivement certains aspects de l'anglais américain, de l'anglais britannique et du français canadien qui ont contribué à façonner l'anglais canadien.
Les origines de l'anglais canadien: influences de l'américain
La chronologie des événements qui ont marqué la langue au Canada, publiée récemment par Blair Neatby (1972: 24), commençait, de façon arbitraire, en 1867, l'auteur ne trouvant avant la Confédération aucun point de départ clairement défini. Or, pour l'étude de la langue anglaise au Canada, il y a bel et bien un point de départ la Déclaration d'indépendance des États-Unis, en 1776.
LA CODIFICATION DE L'ANGLAIS CANADIEN
En érigeant les Loyalistes de l'Empire britannique en ancêtres mythiques des Canadiens anglophones, les enseignants et les écrivains risquent fort d'avoir exagéré leur fidélité à la Couronne et négligé les autres raisons qui les ont incités à émigrer. Certains d'entre eux, bien sûr, ont agi par loyauté; ce fut le cas notamment des « Tories », ceux qui avaient prêté serment au roi en raison de leurs fonctions officielles au sein de la colonie et de l'Église anglicane, des grands propriétaires fonciers qui tenaient au maintien d'un système de castes leur assurant une part disproportionnée des richesses, et enfin de l'aristocratie commerçante. Ceux qui en avaient les moyens sont rentrés dans leur pays d'origine, en Angleterre; d'autres sont passés en Amérique du Nord britannique et en furent largement récompensés, mais il s'agissait d'une minorité facile à circonscrire. La plupart des Loyalistes étaient des réfugiés politiques, devenus traîtres et hors-laloi du fait de la guerre et de leur refus de prêter le serment d'allégeance au nouveau régime, comme l'exigeaient la plupart des États après la guerre d'Indépendance. 1 se trouvait également parmi eux des quakers et des mennonites allemands qui durent s'enfuir, opposés qu'ils étaient à la violence des révolutionnaires. II s'agissait de propriétaires fonciers et de membres des professions libérales dont les biens et le droit au travail n'étaient plus protégés, qui devinrent victimes de la violence populaire, leur seul crime étant d'avoir un ennemi capable de soulever leurs voisins contre eux, en ces années explosives de la guerre et de l'après-guerre.
Bien qu'il soit vrai que ce sont les plus nantis qui s'enfuirent, c'est-à-dire les professionnels et les propriétaires fonciers, nombreux sont aussi les travailleurs peu instruits qui vinrent s'installer au pays, particulièrement dans le Haut-Canada. Leur loyauté envers la Couronne britannique n'était peut-être pas aussi fervente que les livres scolaires essaient de nous le faire croire. L'Angleterre avait perdu l'Amérique, mais eux aussi. L'impuissance de l'Empire à mobiliser ce tiers de la population qui lui était resté fidèle, à comprendre la cause du mécontentement des révolutionnaires et à y remédier, découlait en grande partie de son mépris pour les colons, fidèles ou rebelles. Les tentatives ultérieures en vue de récompenser les Loyalistes et de leur donner une nouvelle patrie, si elles émanaient d'une bonne intention et furent assez coûteuses, furent souvent maladroites. Les terres convenaient mal à la colonisation, l'Angleterre ne tint pas ses promesses et les dédommagements ne furent pas équitables, ce qui entraîna une souffrance et une amertume immenses chez les colons. Ceux qui étaient nés de ce côté-ci de l'Atlantique, que ce fût d'un côté ou de l'autre de la nouvelle frontière, étaient, par leurs coutumes et leur langage, très différents des Anglais envoyés par le gouvernement britannique pour diriger la colonie, ce qui engendra des frustrations et des tensions constantes. L'attitude ambiguë des Canadiens anglais face aux Américains et aux Britanniques remonte sans doute à l'expérience vécue par les Loyalistes.
Même si les chiffres ne disent pas tout, on ne peut les ignorer totalement Rappelons qu'avant la guerre de l'Indépendance américaine, les anglo-
LA NORME LINGUIST1QUE
phones ne représentaient qu'une faible proportion de la population de ce qui est aujourd'hui le Canada On estime à 12 ou 13 000 le nombre de personnes originaires de la Nouvelle-Angleterre parmi les 18 000 colons établis en Nouvelle-Écosse (qui comprenait alors le Nouveau-Brunswick et l'he-du-Prince-Édouard) et les liens économiques et culturels qui les unissaient aux « treize États » étaient toujours très forts. 1 ne restait qu'un très petit nombre d'Acadiens de langue française qui avaient échappé à la déportation de 1755. Il y avait également un petit groupe d'expression gaélique, composé de colons qui avaient survécu à la bataille de Culloden et à la répression brutale dont furent victimes les Highianders par la suite. On dénombrait également environ 1 500 habitants d'origine allemande et suisse et quelques Britanniques appartenant au clergé ou à l'armée. Les vieux établissements de Terre-Neuve, pour la plupart colonisés par des Irlandais ou des Anglais de l'ouest de l'Angleterre, avaient une population d'environ 8 000 habitants, qui ne se rallieront que beaucoup plus tard au reste du Canada. Dans le Bas-Canada, il y avait tout au plus 3 000 anglophones, et dans le Haut-Canada, quelques centaines seulement (Orkin, 1970: 50-53).
C'est alors que commença la grande migration américaine. On estime à 35 000 le nombre d'Américains qui, en 1784, étaient dans les Maritimes. En 1812, il y avait environ 30 000 anglophones au Bas-Canada dans la seule région des Cantons de l'Est, et 80 000 des 100 000 habitants du HautCanada étaient d'origine américaine. Ces données ne sont certes pas des plus complètes; en effet, elles ne permettent pas de déterminer le nombre de personnes qui ont émigré, plus précisément qui sont retournées aux ÉtatsUnis après la guerre, ou encore qui ont quitté les Maritimes pour aller s'établir sur les terres plus riches du Haut et du Bas-Canada. Ce qui est par contre indéniable, c'est que la langue anglaise, au Canada et en Angleterre, avait déjà à ce moment-là évolué de manière très différente, et que les distinctions étaient fermement ancrées avant même le début de l'immigration américaine au Canada Il faut ajouter que les Américains, pendant toute une génération, ont été en nombre bien supérieur au Canada, jusqu'à ce qu'une immigration britannique massive vienne renverser leur supériorité numérique. Entre-temps, ils avaient implanté leur système scolaire partout où ils s'étaient établis et utilisaient leurs propres livres de lecture et d'orthographe. S'ils réussirent à se fixer sur ces terres inhospitalières, c'était en partie parce qu'ils étaient nés sur le continent, et qu'ils s'adaptaient relativement mieux que les immigrants européens.
Le pionnier, s'il réussit, est imité dans sa façon de parler ou d'agir par ses successeurs. Au sujet de l'influence envahissante des Américains, Leacock (1941: 116) s'exprime ainsi:
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