Gaston Bardet


II LA MONTAGNE ET LA CAVERNE



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II LA MONTAGNE ET LA CAVERNE


« Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, les hautes montagnes d'Israël seront le lieu de leur pâture, elles s'y reposeront sur les herbes verdoyantes, et elles paîtront sur les montagnes d'Israël en de gras pâturages. Je ferai moi-même paître mes brebis, je les ferai moi-même reposer, dit le Seigneur Dieu ».

Ezéchiel (34. 13-15).

La montagne est le lieu terrestre le plus voisin du ciel ; ceci lui a toujours conféré un caractère sacré qui se vérifie encore pratiquement de nos jours ; la montagne permet la solitude et ramène dans la plaine, à son échelle de fourmi, l'activité humaine ; la montagne est sujette à des condensations électriques importantes qui se manifestent par la foudre et provoquent le « trémendum » des anciens.

« La montagne est souvent considérée comme le point de rencontre du ciel et de la terre : donc un « centre », le point par lequel passe l'Axe du Monde : région saturée de sacré, endroit où peuvent se réaliser les passages entre les différentes zones cosmiques » 45.

Il semble bien qu'au néolithique - à l'âge d'argent des Grecs - existait une civilisation de la Grande Montagne, qui n'est ignorée d'aucune tradition et dont le rôle dans l'image du Monde fut insigne. Et Pierre Gordon de préciser :

« La Montagne avec les enfers [lieu de réclusion ascétique], contenus dans ses entrailles, avec la radiance ou le feu-lumière brillant au ciel de son sommet, avec l'eau de vie [l'eau-vive] descendant du pied d'une pierre ou d'un arbre divin, et coulant sur ses flancs vers les quatre régions de l'espace, fut véritablement le noyau des cosmogonies antiques. Elle devint le pôle fixe autour duquel gravitèrent les fluctuations phénomènales » 46.

Dans la plus ancienne tradition égyptienne, celle d'Hermopolis, une hauteur divine, la « merveilleuse colline des Temps primordiaux », émergea un jour de l'Océan. Les plus lointaines cosmogonies chaldéennes (celle de Nippur par ex.) parlent également de la « montagne du ciel et de la terre », sur laquelle Anou créa les dieux Anunnaki. En Iran, la Grande Montagne se nomme le flarâ-Berezaiti, devenu par transformation phonétique, l'Albordj des Parsis. Dans l'Inde et le Thibet, l'omphalos (et la synthèse du cosmos) est le sacrosaint Mérou. Sur le Mérou lui-même - comme dans la représentation du Purgatoire de Dante - croît l'arbre cosmique primordial : un pommier rose : jambu, l'arbre dont le fruit (bû) est bon à manger (jam). Mais l'Inde, par la suite, compliquera cette image du monde disposant aux quatre coins de l'espace, quatre montagnes secondaires d'où quatre fleuves, cinq lacs, cinq arbres... C'est la dégradation par le multiple, caractéristique de toute l'Indianité.

Cette montagne sacrée, ou Montagne Blanche, se retrouve dans toutes les traditions : Montagne de jade blanc, en Chine, Mont Caf de la tradition musulmane, Mont Olympe chez les Hellènes, Grande Montagne sur laquelle est né Dyonisos, les Monts Atlas... sans parler du Mont Ararat et de tous les hauts-lieux auxquels on attribue l'échouage de l'Arche de la tradition noachite. Toutes sont des préfigurations du Sinaï de Moïse, du Carmel d'Elie, de la « haute montagne » de Marc (IX. 2) : du Thabor, où eut lieu la Transfiguration de Jésus (entre Moïse et Elie) ; enfin du Mont des Oliviers d'où le Christ fut « enlevé au Ciel » et d'où il « reviendra de la même façon » (Actes 1. 11).

Lorsque les « montagnards » descendront dans les plaines, leurs autels-temples reproduiront les hauteurs sacrées, et c'est pourquoi le rituel de la Grande Montagne - préfiguration de toute envolée mystique - a engendré toute l'architecture née de la hauteur sacrée elle-même ou de la caverne à sa base. Nous l'avons montré en notre cours d'évolution du Grand Art 47.

En Egypte, la première pyramide, bâtie il y a près de 5.000 ans, au sud de Memphis, est celle de Sakkara. C'est une pyramide à degrés, sœur des montagnes-temples à gradins des Chaldéens : les zigourats. Celles-ci sont appelées « montagne de Dieu », « colline du ciel » ; plus exactement, Zig-Kurat signifie « cime de la montagne », et par suite les dieux chaldéens se dénommeront eux-mêmes par hypostase « la Grande montagne » ou « Maîtresse de la montagne ».

La zigourat est un échafaudage de briques se dressant pour permettre au dieu de descendre sur terre, c'est un escalier de liaison : Ciel vers Terre. La pyramide en pierre blanche de Sakkara - bien différente, par sa structure et son orientation rituelle 48, des Zig - est le seul et dernier vestige en Egypte de la tradition de la Montagne 49. Les pyramides postérieures ne seront plus que des tombeaux-forteresses destinés à protéger le corps qui a trouvé son paradis auprès d'Osiris - c'est-à-dire En-bas - et ce sont les temples hypostyles qui magnifieront les traditions initiatiques de la caverne.

Les montagnes-temples se multiplieront vers l'Orient. Ce sont les sobres stoupas bouddhiques, ou les tours-pyramides à étages des grands sanctuaires hindouistes, images du Mont Mérou, croulant sous la sculpture ; les temples d'Angkor et le célèbre Boroboudour de Java ; voire le Temple du Ciel à Pékin et son aire sacrificielle, enfin toute la vieille architecture de bois des pagodes-à-toits-superposés thibétaines. C'est toujours la montagne rituelle qui est à l'origine des « teocalli » des civilisations maya et tolteco-aztèque de l’Ancien Mexique, de l'autre côté du Pacifique ponctué par quelques empilements polynésiens.

Il n'est pas jusqu'à certains amoncellements d'absides romanes ou gothiques, qui n'évoquent une filiation - tout au moins plastique - encore plus saisissante que les grandes coupoles byzantines, les tholoï crétois ou les tumuli étrusques. Le temple-montagne est un « archétype ».

Sur tout le globe, se rencontre cette notion mystique de montagne rituelle et de haut-lieu. Elle est parfois associée au tombeau : tumuli celtiques d'avant la Tène, trésor des Atrées, cairns, car (pour les faire participer au sacré) on enterrait de préférence les grands ancêtres sous les hauts-lieux : pyramide de Sakkara servant de tombeau à Zozer ; « tombes à char » des Scythes et d'Ur en Chaldée ; tombes royales des Yin (Chang) ; teocalli maya du Vieux-Chichen, etc... Et quand Platon imaginera - d'après la Babylone d'Hérodote - Cerné, la ville des Atlantes, il décrira une colline entourée de trois enceintes d'airain, d'étain et d'orichalque aux reflets de feu 50.

Aussi lorsque Yahweh aura décidé d'habiter parmi son peuple en sa « maison » de Jérusalem, les schismes se traduiront-ils par de nouvelles constructions sur les hauts-lieux : « Et ils se bâtirent, eux aussi, des hauts-lieux et des stèles et des asheras sur toute colline et sous tout arbre touffu », ce qui était abomination aux yeux de Yahweh. (I. Rois XIV. 23).

Dans tous les édifices à étages, à gradins, à échelons, l'idée directrice a été, au surplus, que chaque étage servît de transition pour l'étage supérieur, et que d'étage en étage, comme au Boroboudour de Java, l'on atteignît en haut la délivrance. Tel est (l’un des sens de) l'échelle de Jacob qui « appuyée sur la terre, avait son sommet touchant les cieux. Et les anges de Dieu montaient et descendaient sur elle » (Gen. 28. 12-13), ce que traduisent, dans le sens de l'approfondissement, les Sept Demeures du Château intérieur de Thérèse d'Avila.


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