Gaston Bardet


LE RITUEL DE MORT ET DE RESURRECTION



Yüklə 1,41 Mb.
səhifə7/64
tarix29.10.2017
ölçüsü1,41 Mb.
#20341
1   2   3   4   5   6   7   8   9   10   ...   64

LE RITUEL DE MORT ET DE RESURRECTION.


La connaissance fondamentale des Voyants fut celle du péché originel - même si cette notion devait disparaître, par la suite, dans l'hindouisme par ex. Ainsi le bouddhisme traduit, à sa manière imagée, les faits relatés avec sa sobriété coutumière par la Genèse :

« Les premiers hommes avaient l'aspect d'êtres lumineux rayonnants, leur corps était un plasma spirituel ... ils ne possédaient point de sexe. La joie était leur seule nourriture : ils planaient au-dessus de la surface des eaux. Petit à petit, la terre se forma « comme la crème se rassemble à la surface du lait » ; ils prirent l'habitude d'en manger : leur organisme glissa ainsi de la transparence à l'opacité et ils perdirent l'habitude d’émettre des rayons de lumière » 62.

Dans le jardin d'Eden, Adam et Eve vivaient dans l'état d'innocence et de justice originelle, autrement dit ne connaissaient expérimentalement que le Bien. Si Dieu leur envoyait spécialement le Souffle d'Amour « à la brise du soir », ils étaient constamment illuminés par le haut, par leur Intelligence (surnaturellement unie à Dieu) qui informait directement et simultanément leur Volonté et leur Sensibilité. La Volonté éclairée était comme polarisée vers le Bien ; la Sensibilité éclairée était préservée de tout contact avec le Mal. Par cette harmonie supérieure entre la Connaissance infuse du Vrai, la Volonté du Bien et la préservation du Mal pouvant provenir du monde extérieur, Adam et Eve ne pouvaient avoir connaissance, expérimentalement, du Mal. Leurs « premiers mouvements » étaient toujours orientés vers le Bien. Tel est le chemin de l’Amour.

Mais Connaissance et Amour renferment des tendances antagonistes qui ne se résolvent qu'en Dieu même. La Connaissance nourrit un germe de possession, d'autonomie, d'orgueil, tandis que l'Amour implique don, fusion, humilité. Un clivage était possible, qui ne se pouvait réparer que par le Sacrifice total du Verbe-Christ, de la Connaissance Incarnée, à l’Amour.

Comment « celui qui est menteur depuis le commencement » induisit nos premiers parents à user de leur liberté pour expérimenter le Mal (comme un gosse joue avec des allumettes), nous ne le savons que trop.

L'union habituelle et actuelle avec Dieu fut instantanément rompue ; la science du jugement a posteriori remplaça la préservation par amour. Plus d'illumination, l'homme est désormais livré à une dure et perpétuelle épreuve (du grec peira), à de périlleux essais, qui le mettent sans cesse en danger. Se heurtant à la Création, désormais maudite à cause de lui, il souffre par tous ses pores et en vient à se conduire en pirate envers elle. Tel est le chemin de l'expérience.

La connaissance infuse des objets, lumineuse par l'intérieur, fut remplacée par la connaissance sensible, s'effectuant par la surface du sac de peau, le filtre des sens ; la connaissance amoureuse donnée, par la connaissance-par-soi, sans amour.

Il est aisé de comprendre que les hommes lucides de la Haute Antiquité, ayant entrevu cette effroyable déchéance, n'eurent qu'un but, retrouver l'état adamique. Toute l'histoire de l'humanité - lente remontée scandée de rechutes s'avère inexplicable en dehors de cette intuition de l’Ancien Adam et du Nouvel Adam.

Comment retrouver cette union avec Dieu ?

Toutes les religions de l'Antiquité reposent sur des mythes de Régénération, de Vie issue de la Mort, qu'il s'agisse d'Osiris ou des Mystères d'Eleusis, des légendes d'Ouranos et de Kronos, de l'ocre rouge répandu sur les squelettes des préhistoriques, ou des (prétendues) réincarnations successives !

Notons que parmi tous les dogmes discutés par les hérétiques, celui de la Rédemption est, sans doute, le seul qui n'ait point eu à être défini et défendu. Il y a donc, parmi tous ces mythes, une vérité profonde : il faut passer par la mort pour renaître, mais comment ?

Le peu que nous savons des religions préhistoriques nous révèle une initiation dans une caverne mystérique, cette caverne étant d'ailleurs, soit une excavation naturelle (le Mont Carmel renfermait plus de mille grottes), soit un abri de remplacement 63. Que faisaient les « sages » dans cette caverne ? Pas des peintures de caractère magique, comme dans la civilisation du renne. A l'origine ils ne considéraient rien qui soit visible, ils recherchaient au contraire le contact perdu avec l'Invisible. Ils savaient que Dieu n'a point de forme, qu'Il ne se manifeste pas comme une chose, un objet, dont l'entendement puisse prendre possession par le canal des sens, mais qu'Il est une personne, une présence appréhendée par l'esprit - qui le fait connaître à la volonté et - parfois par rejaillissement interne, aux sens.

Ils contemplaient, stricto sensu, c'est-à-dire s'extrayaient du monde, de la société des autres hommes, du spectacle de la nature pour se plonger volontairement dans la Ténèbre. Là, ils pouvaient pratiquer la contemplation qui est, d'après la belle définition de Thérèse d'Avila, « un simple regard [spirituel] vers Dieu ». Et, à la suite de certaines pratiques d'ascèse - dont la continence et le jeûne - de leurs prières continues, de leurs efforts persévérants d'abandon de tout le créé, les « justes » venaient à retrouver le contact 64.

L'état de vie léthargique qu'ils devaient obtenir, réduisant à l'extrême l'usure organique, les conduisaient-ils à la « Longue-vie » ? - comme l'insinuent la pratique du Tao et de nombreuses traditions, avant que Dieu ne réduisit leurs jours à cent vingt ans ?... (Genèse VI. 3) 65.

Comment les premiers descendants du couple déchu surent-ils qu'il fallait anéantir en eux toute connaissance sensible pour se disposer à recevoir de nouveau la Lumière infuse ; que « le soir » précède « le matin » ; qu'il fallait passer par En-Bas pour retrouver l'En-Haut ; que seule l'humilité et l'humiliation totale pouvaient rattraper ce que l'orgueil avait perdu ; que les sacrifices sanglants (des êtres inférieurs à l'homme) ne pouvaient suffire, qu'il fallait se sacrifier soi-même et passer par la mort ? Nous pouvons l'imaginer. La faute provient d'un appétit de connaissance par soi-même. Ces êtres, encore pris dans la Chute, durent comprendre - éclairés par l'Esprit-Saint - qu'il fallait mourir à la connaissance, à l'existence connue et ressentie pour renaître.

Que fut l'expérience mystique de ces « justes » ? Si nous en jugeons par celle de l'Ancien Testament, elle fut douloureuse et vraiment dans l'ordre de la « Nuit diurne » crucifiante ; même l'Epouse du Cantique n'est pas rassasiée...

Mais cette sagesse, cette humilité, ce sacrifice de la connaissance à l'amour ne pouvaient durer. Les cavernes devinrent lieu d'initiation pour des « visions de l'au-delà » comme dans les sociétés d'hommes d'Afrique noire, chez les chamanes, les yogins ou les taoïstes actuels 66. Il ne s'agissait plus de se disposer à la Lumière infuse, mais de retrouver des lumières visibles, de pratiquer une voyance plus ou moins élevée, la « perception subtile », de « sortir en astral ». Il ne s'agissait plus de véritable « mort mystique », mais d'états cataleptoïdes favorisant des songes plus ou moins prophétiques, des voyages en des paysages imaginaires, et aussi de contact avec les larves ou élémentals de l'astral - plan le plus inférieur où toutes les communications sont truffées de mensonge. C'est pour cela que Moïse condamnera à mort ceux qui s'occupent de nécromancie ; on dirait aujourd'hui de spiritisme.

L'Inde a été imprégnée de ce mode de connaissance imaginaire sans l'intermédiaire des sens ; elle n'a point voulu s'en détacher et s'est ainsi fermée à toute connaissance infuse, non conceptualisable, dans la ténèbre. Telle est l'erreur technique du yoga que nous analyserons en détail.

Par ailleurs, à l'origine également, le monde souterrain, le monde d'en-dessous, de l'infra, de l'infer par rapport à la hauteur sacrée, fut un lieu de lumière surnaturelle, de ténèbres translumineuses, source de vie spirituelle et de nouvelle naissance pour les initiés. Mais le courage spirituel baissant, ce séjour obscur des morts mystiques fut confondu avec le séjour des trépassés et la caverne ascétique devint objet d'effroi et de crainte, comme dans les folklores actuels. Encore aujourd'hui, combien confondent les Enfers et l'Enfer 67.

Le sens véritable de la mort extatique était perdu. En effet, si la mort organique est bien la « grande extase », c'est-à-dire la grande sortie, la grande évasion hors du sensible concret, elle est de modalité opposée à la mort extatique. Dans celle-ci, on meurt d'amour. C'est l'esprit - le pneuma, la fine pointe seule de l'âme - qui se sépare joyeusement de son corps ; l'âme, la psyché restant unie au corps pour lui conserver la vitalité nécessaire, jusqu'à la mort définitive d'amour, en une extase.

Dans la mort organique, c'est le corps qui défaille sous la maladie, la blessure ou la décrépitude, et qui se sépare de l'âme et de l'esprit, lesquels se trouvent forcés de se désolidariser de cette pourriture ; on dit que le corps « rend l'âme ».

Pneuma et psyché, esprit et sens, s'ils n'ont pas subi les Nuits sur terre devront se purifier au Purgatoire jusqu'à la Vision béatifique par le pneuma « intra-Verbum ». La psyché pneumatisée reste « extra Verbum » en attendant la glorification des sens par la résurrection du corps. Tel est le processus.

Saint Bonaventure a excellemment exprimé la nécessité de cette mort mystique, de cette mort d'amour. « L'amour extatique sépare de tout, il lie les puissances en un sommeil profond », « il élève enfin l'âme au-dessus de tout l'ordre des choses créées et même des hiérarchies angéliques, de la sorte il consomme la mort mystique de l'Epouse »... « Ainsi, l'âme dépouillée de tout, affectée par la ligature de ses puissances et défaillante en Dieu, acquiert une ressemblance extérieure avec Le Christ au tombeau et passe mystiquement « de ce monde au Père » (Jean XIII. 1) à l'instar du Crucifié qu'elle contemple » 68.

Elle acquiert, en outre, une ressemblance intérieure, car l'extase qui rend muet, privé de connaissance-par-soi, répète le sacrifice du Verbe incarné à l'Amour, comme le Sacrifice de la Messe.

Le passage par l'excessus mentis, par la mort mystique dans la Ténèbre de la caverne, avait pour but d'acquérir une ressemblance extérieure temporaire avec le Christ au tombeau, prélude à la ressemblance intérieure habituelle avec le Christ, c'est-à-dire la domination parfaite du pneuma sur la psyché, de l'esprit sur la chair.

La chair n'est point mauvaise en soi, saint Bernard a assez répété que « pour un esprit bon, la chair est une bonne et fidèle compagne ». Mais nos esprits - déviés par les appétits de connaissance et de puissance - ne peuvent retrouver la domination des sens et de l'intelligence que par deux moyens : la voie ascétique, sorte de freinage des appétits par des pratiques sans cesse renouvelées, des « mortifications », autrement dit des petites morts successives, et la voie mystique qui vous offre à l'arrêt instantané par suppression, ou (selon le mot technique) ligature totale des sens et des puissances.

S'il faut commencer par la voie ascétique, celle des petites morts : jeûne, continence, silence... que toute religion connaît (et ne l'oublier jamais), la voie mystique, celle de la mort extatique, couronne les aspirations du contemplatif. Avouons que depuis saint Bonaventure - qui transmettait la doctrine des Pères et les plus anciennes traditions de l'Eglise - la purification par ce passage dans la Ténèbre a été souvent mise au second rang, vis-à-vis de la purification par les croix acceptées à l'état de veille.

Ce passage par la « douce mort » est généralement passé sous silence ou « laissé aux initiés et aux spécialistes », reconnaît le P. Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus dans ses remarquables ouvrages sur la spiritualité carmélitaine. Ceux qui l'avaient perdu estimaient sans doute que c'était un mode trop rare (?) pour être enseigné.

Nous montrerons, au contraire, que jamais il n'a été plus nécessaire, ni plus utile, ni plus facile, par suite de notre dégénérescence physique hyperurbaine, du genre de vie épuisant auquel nous sommes soumis.

Pourquoi l'Occident semble-t-il négliger ce « passage par la mort », alors qu'il continue à enseigner le « chemin ordinaire des efforts persévérants » ? Ne serait-ce pas parce que Mère Thérèse déclare qu'on peut parvenir à ce dernier par ses propres efforts ? Et que toute l'ambition de l'homme occidental, même spirituel, est précisément d'agir plutôt que de s'abandonner. Est-ce que toute la civilisation occidentale - qui colore sa spiritualité - n'est pas basée sur l'affirmation de la réalité spatio-temporelle et s'effare de ce qui dépasse le mode de connaissance sensible et rationnel ? Or, pour épouser Jésus, il faut le faire d'abord sur le lit de bois de la Croix, puis sur le lit de pierre du Sépulcre.



Yüklə 1,41 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   2   3   4   5   6   7   8   9   10   ...   64




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin